mercredi 31 juillet 2019

31 juillet




Mercredi 31 juillet 2019 10h


L'atmosphère a radicalement changé. C'est un quinze Août avant l'heure, où on plonge résolument vers l'automne. Les nuits sont fraîches, les matins humides, les journées pleines d'une lumière adoucie.
Il y a à peine une semaine, ce fameux mardi 23 juillet, nous battions des records de chaleur, avec un petit 41 au compteur à la pépinière !
Grâce à mes climatères, je suis maintenant faite aux suées intempestives, et là, pour le coup, je n'étais pas la seule dans l'inconfort. Ca aide, même si ça n'allège pas.
Ma chronique ne devait reprendre qu'à l'occasion d'actualité brûlante. Une histoire d'eau s'y est nichée. Et, comme il se doit pour de l'eau fraîche tombée du très haut, a tempéré les ardeurs.
Bien-sûr, au moindre petit prétexte, j'ai trouvé matière à m'y remettre. 
Je suis faible. Je suis incorrigible. Je me pardonne ! Et pardonnerai sûrement à d'autres, allez…

Dans mes tentatives à devenir moins catégorique, je chemine.
Lassée des petites vindictes fatigantes, je me ressource dans mes observations bucoliques.


C'était lundi matin :





Je vaquais à quelque ouvrage comme je les aime. Du rendement, du qui se voit, du pas trop fin.


Après une série de rangements drastiques, j'entame une période rafraîchissements. Ca me prend, assez fréquemment.

J'œuvrais, assez satisfaite de l'avancée des opérations.
Une difficulté suffisante à restaurer mon estime dans mes capacités, déjà assez haute, je dois dire, mais tout à fait à ma portée d'amatrice peu éclairée.
J'étais en plein "smooth".
Mes lecteurs les plus assidus se rappelleront, pour les autres, qu'ils passent.

Je revenais régulièrement sur le plancher de mes vaches, la vieille étable, chercher un outil, caresser un flanc rond, ou partager une tisane.
Le temps ne me pressait pas, je n'avais pas d'objectif de rendement à tenir.

A l'une de mes descentes, deux toutes jeunes hirondelles se tenaient au plein milieu de l'étable, sur le ciment grossier, lissé par des centaines de sabots.
Depuis la mésaventure de mes deux rescapés défunts, le chapitre hirondelle me serre le cœur.
(Là, la référence est plus facile à retrouver).

Je vérifiai immédiatement l'absence de Bullou dans les parages. Ma grande chasseresse de volatiles n'aurait pas résisté à cette invite. Encore que, la vulnérabilité de si petits oisillons l'aurait peut-être émue, qui sait ?
Je préférais ne pas tenter la diablesse.

A mon approche, l'une des jeunes hirondelles à peine sorties de leur nid prit son envol, un peu maladroit, mais suffisant à la mettre hors de portée.
La seconde tenta de la suivre, mais resta au sol.
Je la ramassai. La déposai sur le couvercle du coffre à grains.





De là, pensai-je, elle pourrait plus facilement prendre son envol, et rejoindre son aînée. Ou sa cadette, il y a parfois dans les fratries des inversions dans les prises de risque.
Puisque j'étais là, j'en profitai pour remettre un peu d'ordre dans la litière malmenée par la sortie des vaches.
Un peu bêtement, par une de ces superstitions idiotes, je me promis toutes les faveurs du destin, si la petite hirondelle s'envolait dans mon dos pendant ce temps.
Je pensais que j'avais les meilleures chances de me garantir, puisque, très certainement, ma petite hirondelle porte-bonheur ne tarderait pas à suivre son aînée, ou sa cadette.

Deux trois fourchées plus tard, du coin de l'œil, je vérifiai : l'oisillon était toujours là, posé sur ses ailes un peu écartées. Elle s'est fatiguée, me dis-je, elle a pris peur quand je l'ai ramassée, elle est sous le choc, ça va lui passer, et elle s'envolera. 
Je tenais ferme à mon heureux présage.

Je retournai à mon ouvrage. Le sort de la petite hirondelle en un petit point d'interrogation s'invitait dans mon esprit. Les augures étaient moins favorables. La petite hirondelle aurait du s'envoler, et elle restait là. Ca n'allait pas.
Je ne pouvais pas tout à fait me concentrer à la tâche. Heureusement, elle ne requérait pas une attention trop vigilante, et n'en prit pas ombrage.

Je revins faire une ronde dans l'étable.






Aïe ! La petite hirondelle était toujours sur les planches. 

Juste un peu plus haut, perchée sur un brin du  rouleau de fil galvanisé, une hirondelle adulte veillait, tête penchée sur la petite.
Mes chances reprenaient courage. J'avais une alliée. Ce pouvait être la mère, ou alors une sœur, ou encore, pourquoi pas, une cousine germaine ? J'en tenais pour une femelle de la famille, comme ça, par conviction des élans maternels chez la gente féminine. 
La petite hirondelle se soulevait pour répondre aux sifflements de la grande. Mais elle ne décollait pas.
A mon approche, la mère, sœur ou cousine germaine ailée s'en alla.

Je repris la toute petite dans ma main. Je fus bien désagréablement surprise de remarquer quelques mouches plates et grises se faufilant entre les plumes luisantes. Ca sentait le cadavre, investi par les asticots  quand bien même la pauvre petite hirondelle soufflait encore, un peu fort, inquiétée sans doute d'être dans ma paume.
J'y vis un funeste présage, l'effondrement de mon destin lié à celui d'un oisillon déjà rongé par les vers.
Pour aggraver la situation, la sienne et la mienne, je constatai que ma petite hirondelle tenait l'une de ses minuscules pattes repliée. Je tâchai de l'allonger, elle se rétractait. Le pauvre oisillon avait du se casser la jambe, ou alors se fouler la cheville ? en tombant du nid. Apprendre à voler, ça lui faisait déjà bien assez. Avec une patte en moins, c'était trop pour lui.

J'étais accablée. Je reposai la petite sur les planches, l'installai confortablement, soufflai avec rage mais en douceur sur les mouchettes charognardes.
Elle mourrait, pas en paix.
La nature est dure parfois, et mon sort s'y plierait, comme s'y pliait la petite hirondelle résignée.

En attendant de mourir à mon tour, je remontai, pour me distraire de ce destin macabre et funeste. Les petits travaux domestiques sont un excellent dérivatif à la sinistrose débutante.
Je m'y attelai, bien décidée à vivre jusqu'au terme.

L'heure du déjeuner approchait. Je revins pour préparer le repas.
Mon itinéraire passe toujours par l'étable. J'espérais juste que la petite hirondelle serait morte, avant d'être dévorée vive. Je la poserais, celle-ci aussi, dans une douillette niche de foin ménagée pour elle dans la bennette à fumier.

J'étais prête. Le malheur s'abattrait sur moi. La petite hirondelle morte entraînerait avec elle tous mes espoirs et mes joies.

Et là…






Là, plus d'hirondelle sur mon coffre !

Je vérifiai bien tout autour qu'elle n'avait pas chu à terre. J'inspectai soigneusement la litière.
Non, la petite hirondelle n'était pas là. Bullou était restée avec moi à l'étage. Les deux autres chiens aussi. La petite s'était bel et bien envolée !
J'écartai d'emblée et derechef toute autre possibilité.
Mon destin reprenait des couleurs. Mes chances de vie, d'être passées si près du gouffre noir et profond, s'enluminaient d'autant.

Je repris le cours de ma journée et de ma vie, aussi légère que l'hirondelle dans le ciel.

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