jeudi 25 mai 2017

ASCENSION



Bonjour !


En ce matin de jour férié, j'attends l'arrivée de mes collègues à la jardinerie, pour partager avec eux un petit déjeuner de fête.

Travailler les dimanches et jours fériés, dans une ambiance un peu festive et décontractée, travailler dans une équipe si agréable, entourée de gens de qualité, de jeunes colorés et de moins jeunes bienveillants, est une grande chance, je l'ai déjà dit ici. Je le confirme, et le répéterai encore.

J'ai cette chance là. La chance de gagner ma vie dans un milieu agréable et naturel, de rester près de nos racines, comme le dit notre annonce maison.

Les plantes, les arbres, les fleurs, les jardiniers amateurs venus ici pour se faire plaisir, tout ce petit environnement contribue à faire d'un travail un plaisir.
Je suis revenue ici aussi vite que je l'ai pu, après ma pause nécessaire. Je me doutais que j'y retrouverai le bien-être et la joie de vivre. Je ne me trompais pas.
Tous ces petits jeunes, ces moins jeunes, tout ce végétal, continue d'apaiser mes écorchures hérissées. Cet univers m'est un baume bienfaisant, et je remercie encore le sort ami de me l'avoir mis à portée.

Je vous disais comment je m'étais reposée à Rivière, à un moment où j'en avais le besoin.
Je remercie ici  ma famille de me l'avoir permis.
Mes proches ont pris ce relais d'un fardeau devenu trop lourd pour moi à ce moment.
Un fardeau traîné depuis de trop longues années, et dont le poids pourtant bien allégé cette dernière année devenait encore trop lourd à mes épaules fatiguées.

J'ai laissé le temps d'une semaine ma ferme et mon père derrière moi. Je les ai laissés dans des mains expertes et bienveillantes, allégeant une culpabilité impossible à museler d'un sens du devoir devenu tyrannique.
Nous sommes notre meilleur ennemi, parfois : ce qui nous tient fier et droit nous raidit et nous empoisonne, aussi.
Il faut de l'humilité pour se reconnaître fatigué. L'humilité, cette sagesse de voir ses limites, et de ne pas chercher à les dépasser. 
J'étais au bord, tout au bord d'un gouffre bien sombre. 
J'avais perdu la lumière et sa joie.
Les alarmes de ma vieille mécanique corporelle tintaient à tout va. Les signaux devenaient sirènes insupportables, et mes vertiges crispés en convulsions douloureuses me laissaient haletante et pantelante d'une souffrance remontée d'un seul coup au grand jour.
Il était temps.

A l'autre bout, mon grand mari m'a ouvert ses grands bras.
Je livre ici beaucoup de mon intimité, mais garde pudeur et réserve autour de notre mariage particulier. C'est notre univers à nous, notre jardin privé.
Mon grand mari vit à Rivière, dans les Landes.
Affolée comme une bête pourchassée par la meute hurlante nichée au fond de moi, j'ai accouru vers lui, me mettre à l'abri et trouver refuge.
J'ai demandé asile à mon homme, le temps de me retrouver.

Je vous raconte cette scène, elle en vaut la peine !

Partie comme on fuit, j'ai mis la matinée pour parcourir les 80 kms entre Hendaye et Rivière.
Quand je me sentais mal, je m'arrêtais sur le côté. Et je me suis sentie mal souvent...
Il était près de midi, quand je garai la voiture le long du portail de la maison.
Olivier travaillait ce jour là, la maison était vide.
Je mis beaucoup de temps encore à trouver la clef, et à ouvrir la porte, tremblante et maladroite.
Je m'assis sur le bord du canapé du salon tranquille, attendant dans le silence apaisant l'arrivée de mon mari.
Je l'avais prévenu en partant, il savait que je serai là.
Le seul vrombissement de la moto me fit sursauter comme si c'était un coup de canon dans la pièce même.
Je tremblais, comme en état de choc, incapable de maîtriser mon corps secoué.

Olivier entra dans la pièce, me vit là, misérable et prostrée.
Il m'ouvrit grand les bras, me serra contre lui.
Enfin, je pus relâcher en sanglots saccadés cette pression étouffante en moi.
Nous pleurions tous les deux, accrochés l'un à l'autre comme deux naufragés sur un radeau ballotté par une mer déchaînée.
Cela me fit du bien. Grand bien. Depuis bien longtemps, je ne savais plus pleurer, j'avais oublié le bien que ça fait.

Nous nous assîmes enfin, moi, toujours tremblante mais un peu calmée, lui, me tenant les mains, ses grands yeux noyés d'une impuissance à mieux me soulager, quand déjà il me faisait tant de bien, d'être juste là.
Désemparé de me voir si vulnérable, il me proposa, pour me calmer... une tisane !

- Une tisane, tu dis ? demandai-je, incrédule.

La situation me paraissait complètement anormale, et son offre sincèrement bienveillante, dérisoire en regard de l'agitation qui me secouait.
Un sourire me vint, un rire, presque, libérateur aussi, comme les larmes.

- Une tisane ? je crois qu'il me faudrait plutôt deux pleines seringues de Valium concentration maximale, oui !

J'avais retrouvé un peu de répartie, nous étions sauvés !

Toute la semaine, Olivier m'a veillée. Je me suis sentie mieux, de jour en jour. 
Je prenais des nouvelles de la ferme, mes frères prenaient des miennes, mon père me parlait tous les jours. Mes proches me soutenaient. 
Les rôles s'inversaient. Mon vieux père de presque 90 ans, si malade il y a quelques années, me demandait si j'avais mieux dormi, comment était le temps dans les Landes.  Il me rassurait sur les vaches dont Antton s'occupait. Antton n'a pas la fibre éleveuse. Pourtant, il a veillé lui aussi sur mes quatre belles, retrouvant qui sait ? un peu de goût à ses jeunes années...

Ça me faisait du bien de les entendre tous, de les savoir là-bas.
Ma jeune nièce assurait mon intérim de main de maître. "Oublie-nous, prends soin de toi" me disait-elle.
Les oublier, je ne le pouvais pas, et je ne le voulais pas, non plus. 
Prendre soin de moi, je le devais.

J'ai cette immense chance aussi, d'avoir un grand mari aimant.
D'avoir cette épaule solide où poser ma tête lassée.

Je me suis promenée dans les bois de Rivière, tous les jours, et longtemps. J'y ai fatigué ma hargne et mes pulsions mauvaises.
J'ai laissé ces grands arbres impassibles alléger mes crispations et apaiser mes écorchures vives.
Je me suis assise à leur pied. 
Ils m'ont accueillie dans le berceau de leurs racines rugueuses, comme on prend un tout petit enfant ou un chiot contre soi.
Je me suis sentie rassurée, là.
L'apaisement et le réconfort se sont tout doucement frayés un chemin en moi.
J'ai regardé l'eau tranquille des mares stagnantes, l'eau à peine plus vive des bords de l'Adour et les aigrettes volant à fleur.
La mer, c'est trop fort, quand on est si bousculé. L'écume déboule et les vagues emportent. Je n'ai jamais su nager, d'ailleurs, moi qui vit au plus près d'une si belle plage !

Une rivière calme, ça vous ramène au liquide tranquille du ventre maternel. 
L'ombrage des grands arbres, ça vous abrite de la lumière trop vive qui éblouit et blesse, quand on sort de la caverne sombre au moment de pousser un premier cri d'angoisse.

Mes peurs, je les ai trop longtemps muselées.
Elles me rattrapent maintenant. Je les écoute et je les rassure, une à une.

Ces quelques jours,  ce temps où l'affection et la fraternité m'ont réchauffée, ce temps où l'amour m'a été offert en partage et sans compter, resteront une parenthèse précieuse, une passerelle salutaire dans mon parcours de vie.

Je vais mieux, et je pense avoir pris la bonne direction, en route vers cette sérénité que j'ai bien failli perdre.
Vivre, c'est ça : risquer chaque minute, mais savoir savourer chaque seconde jusqu'à la dernière.
Libérer les petits chevaux sauvages qui nous trottent dans la tête, les apaiser quand ils s'emballent, mais les laisser courir, libres et vivants.

Je vais mieux.
Je dois maintenant apprivoiser mes passions dévorantes pour ne pas les laisser me consumer.
Apprivoiser une bête blessée et agressive, je crois savoir faire.
Apprendre, à mon âge, à modérer ce tempérament exalté. Vivre intensément, mais en bon équilibre...

Dans ce souci de juste mesure, je vous laisse ici pour aujourd'hui, profiter d'une journée magnifique.

A plus tard !








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