vendredi 30 juillet 2021

30 juillet


Vendredi 30 juillet 2021  15h24






Des journées maussades se succèdent. Le soleil troublé se montre à peine, au lever, pour laisser très vite les nuages étendre leur cape grise immobile. L'ambiance est très reposante, vraiment pas chaude, à part quelques petites pointes moites.

Ce matin, il chouinait légèrement. Le vent s'est levé juste après-midi, dégageant tout ça. Des amas boursouflés bourgeonnent sur les montagnes.

Météorologiquement, un été tranquille.

Ma pépinière se vide de clients. Je parcours les jauges, je remets de l'ordre, je taille et rafraîchis. Toute la journée d'hier, le seul carré des lauriers roses m'a tenue occupée. Je m'installe un plan de travail à la bonne hauteur, sur le plateau d'un caddie que je fais suivre. Un plant après l'autre, je rabats les branches un peu dénudées, je fais tomber la multitude de feuilles jaunes d'après la floraison. D'une plante dégingandée, piteuse et mal en point, je fais un sujet propre, trapu, aux pousses dardées vers une avenir glorieux. J'aligne cette petite couvée en carrés stricts. 

Et je passe à la planche suivante. 

J'ai travaillé paisiblement, sans peine, sans ennui. Les bruits de fond de la zone artisanale proche ne me dérangent pas. La circulation pourtant dense de l'autre côté du bâtiment parvient très estompée. Les collègues vaquent de ci de là, traversant la pépinière aux grés de leurs déplacements. Un petit salut au passage, quelques mots, je ne les retiens pas. J'aime ainsi parfois travailler seule, toute à mes rêveries.

Un ou autre client égaré par là, acheteur mollet, vite renseigné sur un projet souvent vague, à l'horizon lointain, se contente d'une indication floue, histoire d'échanger quelques mots aimables. Peu de gros clients ces temps-ci. Beaucoup de désœuvrés. 

Ces journées lentes reposent d'une saison bien ardue, où les chiffres gonflent au fur et à mesure que les énergies se vident.

Une saison de passée, une de plus.

L'inventaire fin septembre recalera la suivante. Je continue de m'intéresser à la marche des affaires. En y mettant bien moins d'enjeux personnels, pourtant. La jeune garde est là pour relayer efficacement mon relâchement. C'est dans l'ordre des choses, et je m'y coule ma foi bien volontiers.

Ici, mon univers a un seul soleil : TtonytaPetra.

Je les montre à qui veut les voir, et même à ceux qui s'en passeraient. La nouvelle étable est plus intimiste que l'ancienne. On y accède par des chemins d'initiés. 

Mes bêtes avant étaient en première ligne : on débarquait chez elles comme dans une gare, sans tambours ni trompettes. J'aimais cette représentation immédiate de la vache dans une ferme. On ne pouvait pas trop passer à côté, même si les stalles logeaient dans le renfoncement assombri. Je faisais rentrer tout le monde par l'étable, intentionnellement, jaugeant de la qualité de chacun en fonction de son intérêt pour mes vaches, et de sa sensibilité à leur présence.

Le second marqueur était l'accueil des chiens.

Le quidam autour duquel ils hurlaient rageusement, qui, entré dans la pénombre de l'étable, détournait son regard des croupes alignées, et tordait le nez par là derrière, celui-là, qui qu'il soit et quoi qu'il veuille, je ne donnais pas cher de l'objet de sa visite.

Cet autre, flairé et adoubé par la mini-meute vite silencieuse, s'avançant d'un bon pas dans le fond, et là, c'est le pompon, saluant poliment les génisses aux têtes tournées vers lui sans marquer d'inquiétude, celui-là était d'emblée assuré de ma totale adhésion à sa cause, et ce, quelle qu'elle soit. Ou presque.

Attention, l'attitude outrée d'un qui voudrait caresser les chiens ou flatter les vaches sans s'être préalablement et civilement présenté, est toute aussi, sinon plus, rédhibitoire que le premier cas de figure.

Je me souviens d'avoir définitivement rayé de mes tablettes un malotru qui s'engouffra sans semonces entre les vaches, leur claquant les cuisses et les saisissant par les cornes. Les vaches, effrayées d'un tel assaut, se reculèrent en bout de chaînes. Je tançai vertement le malappris, et lui enjoignis de sortir immédiatement.

Autant dire que je n'écoutai son discours que d'une oreille distraite, et très mal engagée. C'est bien simple, je ne me souviens même pas de quoi il en retournait.

Dans ma vieille étable, olfactivement, la senteur prégnante de la bête saisissait le visiteur dès qu'il approchait. Il fallait vraiment être entré par la cuisine, par une journée de vent du nord, avec la porte donnant sur l'étable fermée depuis plusieurs heures, pour ignorer qu'il y avait des vaches, tout à côté.

L'exception de cette conjonction faisait que rares étaient les visiteurs non assujettis à mes toises d'appréciation animales. On peut, pourtant, j'imagine, être quelqu'un de parfaitement correct, porteur d'une requête honorable, sans s'intéresser à la vache, ou agréer au chien, qui plus est au chien névrotique, tel mon Kief psychologiquement ravagé. 

Je peux le concevoir, dans un souci forcé d'objectivité, sans y croire tout à fait...

Mes grilles d'intégration resteront canino-bovines.

Dans ma nouvelle installation, le front vache est plus en retrait.

L'intronisation se fait à l'abord par les chiens. L'aire d'accueil est plus étroite. Le sas d'entrée plus bref. Les chiens se précipitent dans la courette. Le visiteur reste sagement derrière les fleurs, attendant l'autorisation d'avancer.

Je ne parle ici que du visiteur inconnu, en première approche de la ferme. De celui qui vient ici pour une demande précise. Puisqu'on n'y vient pas par hasard, Agorreta étant hors des conduits de circulations. Quelques promeneurs perdus s'aventurent parfois sur le chemin, mais font généralement vite demi-tour, quand ils comprennent être dans une impasse géographique.

Généralement, si l'on en est pas un familier, on arrive à Agorreta parce-qu'on a besoin d'y faire quelque chose, pas en passant, en direction d'une destination plus lointaine.

Et, dans ce cas de figure, quand on y arrive, on a déjà du mérite, au vu de l'accès. Ne soyons pas mauvais, il est depuis peu parfaitement carrossable, allez !

Le visiteur connu, lui, a déjà passé l'épreuve-test. Et je sais de lui ce qu'il me faut en savoir pour continuer de le recevoir, ou pas.

Mes velles maintenant vivent à l'abri des regards, en alcôve.

A leur arrivée, elles se signalaient par quelques meuglements tonitruants, dont l'écho raisonnait puissamment dans la pièce d'entrée. On comprenait qu'il y avait par là tout près de la bête.

Là, elles ont tout à fait intégré leur délocalisation. Elles se sentent ici bien, complètement chez elles. Elles ne mouftent plus. 

Acoustiquement, elles sont imperceptibles. A peine entend-on la poussée de l'eau dans les abreuvoirs, quand on en est averti, et sait-on alors qu'il y a du monde, en bas.

Je pensais, étant positionnée à l'étage, juste au dessus d'elles,  recevoir en puissance les effluves de leur existence. Je m'étonne, et en fais la remarque souvent à mes visiteurs, du circuit d'aération optimal de mon installation. De là où je suis au moment où j'écris ces lignes, dans cette pièce d'entrée, d'où part l'escalier ouvert qui dessert l'étable, je ne perçois pas la moindre odeur animale. Les flux olfactifs stagnent sûrement sous la voute, et sont emportés au large, collectés et entraînés par un courant d'air vers l'esplanade ouverte.

J'attends l'hiver et ses portes fermées, pour me faire une idée sur l'année.

Personnellement, j'aime l'étable et m'y sens mieux que dans le plus douillet des salons. Mon meilleur bien-être est dans ces moments de complète détente, où, une tasse fumante à la main, les chiens lovés contre moi, je sirote ma tisane, assise sur les dernières marches de l'escalier, à portée de mes velles alanguies en une rumination pensive d'après soins et pansages. 

Je m'imprègne de cette ambiance sereine, presque liturgique. Notre communion dans ces moments est totale,  elles rassurées et contentées par moi, et moi, détendue et apaisée par elles.

TtonytaPetra m'offrent déjà cette communion là. Notre connivence se construit à grands pas.

Elles sont jeunettes, mais déjà familières comme de vieilles vaches qui auraient été là depuis plusieurs années. Notre reconnaissance mutuelle se renforce de jour en jour.

C'est mieux que je ne l'espérais.

Ce matin, il était prévu de procéder à la prise de sang d'achat. Cette analyse détermine l'état sanitaire du bovin entrant, l'absence chez lui de toute pathologie hautement contaminante, telles que les brucelloses, tuberculoses, BVD ou autres saletés toujours d'actualité dans nos troupeaux.

Elle se faisait jusqu'à il n'y a pas longtemps au plus tôt après l'arrivée de la bête. L'idéal étant de la laisser en quarantaine, isolée, le temps de vérifier qu'elle soit saine. Encore faut-il avoir une installation adaptée.

Marcel m'a enseigné que, maintenant, il fallait attendre, un délai de quinze jours, pour pratiquer cette vérification. Sans isolement. Je m'en suis étonnée : est-on bien avancé d'avoir laissé pendant deux semaines son cheptel se pourrir par l'arrivée d'un animal vérolé ?

Il doit y avoir là dessous des tenants et aboutissants qui m'échappent. Dans ces cas là, je ne cherche pas à comprendre, j'applique.

A ces fins de mise en conformité sanitaire, j'ai donc mandé la grande Katrin de venir ce matin en visite professionnelle.

Chaque année, la prophylaxie obligatoire nous amène le vétérinaire, pour ces fameuses prises de sang.

C'est toujours un moment délicat, de pratiquer une prise de sang sur une grosse bête. Aller chercher sous sa queue la veine idoine, en tâchant de suivre les pas de côté de la vache agacée, au mieux, ou alors, d'éviter quelques lancers de sabots bien sentis, en visant au plus juste avant de piquer, tenir le tube sans le laisser tomber dans le paillage fouaillé, attendre en priant d'avoir trouvé le bon endroit que le dit tube se remplisse, en tenant toujours levée la queue que la vache essaie de ramener, c'est souvent un peu rock and roll.

Sans doute dans les étables équipées de box à cet effet, ou de cornadis de contention efficace, la manœuvre est-elle plus aisée. Chez moi, il n'y a rien de tout ça. 

J'ai eu l'heur de connaître quelques vaches étonnamment placides, imperturbables, qui ne pipaient mot pendant toute l'intervention. On leur soulevait la queue, on piquait là dessous, et elles ne bougeaient pas. Continuaient même de manger, comme si de rien n'était.

La plupart de temps, malheureusement, le tableau est moins paisible.

Pour TtonytaPetra, j'étais un peu inquiète.

Je les attache sans problème, pendant qu'elles mangent. J'ai même prévu un système de barre à fixer dans l'auge, pour raccourcir la longueur de chaîne au plus juste, de façon à ce qu'elles soient mieux tenues. Si besoin, je peux les encorder : elles s'y prêtent sans trop de mauvaise grâce.

Les maintenir ainsi tout le temps qu'elles mangent n'est pas un problème. Je les toilette en même temps, étrillant les poils souillés, les brossant ensuite. Une application de spray insectifuge pour le confort, une petite choupette en bout de queue pour la coquetterie, et mes belles sont pimpantes. Elles apprécient les soins de toilette, et gouttent même fort les nettoyages à l'eau tiède, quand il le faut. 

Je pratique aussi ces gestes en dehors des moments où elles mangent. Elles sont alors libres, et pourraient s'esquiver. Mais ne le font pas, tout au contentement de ces soins agréables.

Ttony apprécie maintenant autant que Petra d'être caressée. Je peux lui frictionner les joues, lui malaxer le dessous du cou. Elle adore ça, et reste là, sans bouger, les yeux à demi fermés sur son plaisir. Petra, elle, vient à moi, pose son front contre ma hanche. Elle pousserait même un peu, cherchant à jouer. Je dois contenir ses élans : je ne fais pas le poids pour les contenir, déjà, et, dans quelques mois, elle me mettra par terre à la première poussée.

Notre relation est épanouie, équilibrée.

Pour leur première prise de sang, j'étais quand même tracassée. Deux petites velles de 200 kgs, en pleine forme, ne se laissent pas manipuler contre leur gré. Mon installation n'est pas trop étudiée pour. Elles allaient nous donner du fil à retordre !

La grande Katrin est arrivée en fin de matinée.

Elle est monumentale de puissance, de belle chair bien dense. Grande, rubiconde, forte et pleine de grâce. Dorée au soleil comme l'abricot justement mûri, les cheveux blondis, étroitement gansée dans une tenue ajustée, Katrin s'est avancée, royale.

L'accent teuton lui rajoute un charme quand elle en a déjà tant.

Je l'ai avertie de mes craintes. Elle a haussé ses larges épaules.

Je lui ai expliqué que j'allai attacher les petites, en lui demandant de m'attendre pendant ce temps en haut pour ne pas les inquiéter. Elle a acquiescé, et m'a suivie dans les escaliers ! Sa présence,  le bruit de ses pas fortement frappés sur les marches, l'ont annoncée en fanfare.

TtonytaPetra, à peine effarées de cette masse en mouvement vers elles, m'ont quand-même suivie jusque dans les auges, derrière les gamelles. Leur gourmandise était plus forte que leur curiosité.

Je les avais laissées libres dans l'étable, avec juste un portail posé contre la porte métallique, pour ne pas qu'elles aillent au pré. Ce petit portail nouveau les a intriguées : les autres jours, il n'y était pas. Elles ne sortent pas, le matin, après leur repas. Mais, sait-on jamais, il suffit que je veuille qu'elles restent là, pour qu'elles décident de prendre l'air, les petites bougresses !

Cet empêchement de faire, ce que, sans, elles ne faisaient pas, les a un peu contrariées. Elles sont aller flairer l'obstacle à une liberté qu'elles ne réclamaient pas jusqu'à temps qu'on les en privât. Ainsi donc la velle est aussi complexe, dans sa petite cervelle...

Leurs investigations ne les ont pas menées trop loin. Elles ont léchouillé l'attache galvanisée, et se sont détournées pour se coucher là où elles le font d'ordinaire.

Je les avais à peine attachées serrées, que Katrin s'est emparée vigoureusement de la queue de Ttony. Celle-ci, surprise, a cherché à se dégager de cette poigne invasive. Je l'ai poussée contre le mur, la flattant avec insistance, tâchant par mes caresses de la distraire de l'assaut de derrière.

Ca a moyennement marché. Katrin a soulevé la queue, je me demande même si elle n'a pas soulevé la velle. Planté l'aiguille, fait gicler le sang. Prélevé ce qu'il lui fallait. 

Ttony étonnamment n'a pas réagi à la piqûre. Elle s'est même remise à manger. Je l'ai détachée avant qu'elle ne termine.

Petra a été toute aussi facile.

J'étais bien soulagée. Katrin s'est sommairement lavé les mains. Ses avant-bras sont trois fois plus ronds et deux fois plus longs que les miens. Une titane.

Après son départ, j'ai soigneusement lavé à l'eau tiède TtonytePetra du sang qui sourdait encore sous leur queue. Elles paraissaient très contentes de ce repas supplémentaire, et de ces soins de nettoiement très agréables.

Notre première séance vétérinaire s'était parfaitement bien déroulée.

Un petit suspense dans l'attente des résultats, et des cartes vertes ensuite.

Curieusement, je ne suis pas là inquiète, quand pour bien moins je le suis davantage.

TtonytaPetra le sont encore moins. Elles pâturent entre les châtaigniers, au soleil.

Je les appellerai tout à l'heure, et elles me viendront, toute guillerettes.

Elles croissent et embellissent à vue d'œil, au mien du moins, tout embué de grosse tendresse.









 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire