vendredi 9 juillet 2021

25 juin au 9 juillet

 


Vendredi 25 juin 2021 6h45





Le soleil se perd dans les nuages.

Le solstice cette année sera noyé.

Les jours les plus longs, ceux où le soleil rayonne jusqu'à près de 22 heures, ont été particulièrement frais, et sombres.

Au 23, nous avons déjeuné ici, lumières allumées, toutes portes fermées sur le froid, comme au plein hiver.

Hier après-midi, le soleil revenu a tiré tout le monde dehors. J'ai jardiné dans mes nouveaux alentours. Puisque j'ai rétréci mon espace, je vais pouvoir en fignoler l'entretien. J'ai ressemé derrière la murette mon mélange capucine-volubilis. En arrière-plan de mes potées juste démarrées, elles devraient joliment colorer les parages, sur l'été et l'automne.

Ce matin, les nuages sont revenus. Je vais me mettre en cuisine, en prévision de dimanche où la main d'œuvre sollicitée pour la mise en place de l'escalier aura grand faim.


18h20

Je suis allée à la montagne, dans le sous-bois moucheté de soleil, ombragé sous les feuilles translucides où la lumière diffuse les verts tendres. Une paire d'heures au calme, pour faire tiédir mes oreilles surchauffées.

En début d'après-midi, la ferme a tremblé : le haut d'une ouverture à créer a chu en grosses pierres lourdes, agglomérées en une masse énorme. Réveillée de ma sieste en sursaut, je suis descendue : tout allait bien. Le gros bloc de pierre était en voie d'être débité, et personne n'était dessous. Bien. Sur le nid proche, la femelle hirondelle couvrait les petits terrés tout au fond.

J'ai fui dès que j'ai pu les vrilles et les fracas assourdissants.

Là, le secteur est calme. Je vais descendre arroser le jasmin en début de floraison.


Mercredi 30 juin 2021 18h30


J'étrenne l'installation écriture dans le grenier aménagé. 

Ce renfoncement de cour, bien protégé, un peu à l'écart du corps de ferme, a toujours attiré mes heures dolentes. Je venais y lire, assise au soleil, les beaux jours, ou alors, lovée dans le foin, quand le mauvais temps m'y retranchait.

Les heures de galipettes dans l'amas chuintant des spathes sèches de maïs m'ont laissé le goût d'un plaisir un peu interdit, d'un temps volé à une journée quadrillée de petites tâches commanditées par une maternelle caporale.

J'étais ici à l'abri, assez éloignée de l'autorité matriarcale, mais encore dans la chaleur des bêtes juste dessous.

Je reconstitue mon petit monde. Je ramène au plus près mes essentiels. Mes chiens vieillis s'y sentent maintenant bien, resserrés sur un territoire plus petit. J'ai redisposé les objets qui me suivent depuis toujours. Je les ai tous maintenant à la vue, quand, avant, je les perdais un peu, dans un si grand espace. 

L'escalier transmetteur entre les étages est en place, joliment ourlé sur le mur bombé. Il faut tout adapter, ici, rien ne se cale d'emblée. Ca a été l'ouvrage de dimanche matin. Pour un résultat tout à fait satisfaisant. Cette descente en bois fait pendant au râtelier. La mise en place cette après-midi des balles de foin et de fougère annonce la couleur : nous sommes bien dans une étable. 

Vide, encore, mais plus pour longtemps. 

J'ai besoin de retrouver la bête, chaude et odorante, placide dans son contentement.

J'ai envie de passer du temps à frictionner des arêtes dorsales dures et longues, des mufles humides, et des flancs solides.

Me vient presque un petit trac, à me demander si je vais encore savoir faire. Ils ne se sont passés que quelques mois, pourtant. Mais ce temps-là m'a paru long. 

J'ai le mal de l'étable comme on a le mal du pays. J'entrevois la côte, allez... Quelques jours de patience, encore. 

J'ai cette visée, maintenant, de mon seuil de tolérance, de résistance, abaissé. Je sais bien qu'il est  probable que ces deux là ne remontent jamais. 

Pour compenser ce déficit, je dois adapter le second plateau de la balance : mon environnement, et ses contraintes. A mesure que j'allège la tension de la demande, le ressort de l'offre peut gentiment se laisser aller à un relâchement sans conséquences fâcheuses. Et fortement bénéfique au maintien de ce qui reste de force dans les spires. Ainsi puis-je espérer durer, au mieux.

Reprendre de la vitesse à mon âge est chose impossible. En perdre est plus naturel. Tout est dans l'accompagnement de cette baisse. Dans la fluidité de cette descente. Je repère quelques paliers pas inintéressants...

Je vais dans cette optique recruter deux petites bêtes mignonnes. Pas quatre, pas trois, non, deux. Palier, toujours, palier. Une, elle virerait neurasthénique. Et je n'ai pas besoin de plus de tristesse dans ma tête, que celle qui s'y invite déjà trop facilement. Non, il me faut deux petites bêtes. Ou, même, deux vieilles, si elles trainent avec leur carcasse éculée la joie de vivre de ces vieilles carnes contentes de leur sort. Et il en est !

Marcel va me trouver ça : je m'en remets à lui.


Vendredi 2 juillet 2021  18h


Anthony et Petra profilent leurs contours.

Entre deux petites montbéliardes encore au pis, et deux croisées bleu-blanc-belges presque sevrées, j'ai préféré jouer la sécurité. La montbéliarde en ses premières semaines peut se montrer capricieuse, quand on lui supprime son pis nourricier, pour lui proposer le biberon. Il en est paraît-il, qui se laissent mourir de faim, plutôt que de se compromettre au lait reconstitué. Je ne peux pas risquer pareille avanie !

La bleu-blanc-belge est plus accommodante. En plus, celles-ci s'aliment déjà en sec. Ca devrait aller.

Ou l'art de fouler au pied mes soi-disant intuitions....

Je vais lundi ou mardi, pouvoir mettre l'image réelle sur mes phantasmes.

Je n'ai pas voulu aller sélectionner mes bêtes au déchargement d'un plein camion. Je ne choisis pas mes vêles comme on achète un meuble. 

Je laisse le sort faire son travail. Le sort et Marcel. Je m'en suis la plupart du temps très bien trouvée. Et, pour les rares fois où la mayonnaise n'a pas pris, le maquignon a assuré : il a repris les bêtes incompatibles, pour m'en ramener d'autres. Lui, le négoce de bétail, c'est son travail. 

Moi, j'ai aussi été élevée dans cette idée que nos vaches étaient nourricières. La sensiblerie devait  toujours passer derrière la rentabilité. L'attachement à la bête se frayait tout de même son chemin dans cette rudesse. Mais, nécessité faisant loi, une vache improductive devait être remplacée. 

La difficulté de travailler avec du vivant, doté de sensibilité, comme il est dit maintenant dans les textes de loi, niche sournoisement dans ce hiatus, entre l'affect et la calculette.

J'ai souvent vu mon père museler sa sensibilité, en menant un veau au boucher. 

Ma mère manifestait moins. Sa muselière s'était mieux verrouillée...

Moi, j'ai toujours eu beaucoup de mal avec ces notions de bêtes machines à produire. Je reste admirative devant les performances d'une grande laitière, ou les scores en kilos de viande jaugés d'un œil expert. Je n'arrive pas pour autant à dissocier la bête vivante et sa production de matière inerte.

J'ai cette chance de pouvoir maintenant avoir des vaches de compagnie. De les panser et de les nourrir, pour le seul retour de cette sensation d'apaisement, de ce plaisir à côtoyer quotidiennement une grosse bête placide. Je prends cette revanche sur ce temps d'enfance, où je ne pouvais pas "sauver" une vache "gentille", parce-qu'elle n'était plus économiquement rentable.

Anthony et Petra sont sûrement des raclures de fond de cuve. Leur destinée naturelle ne les aurait sûrement pas menées bien loin.

Avec moi, mes humeurs fantasques et mes revirements déraisonnables, elles ne seront peut-être pas mieux loties. Mais peut-être que oui....

Je sais mes comportements éleveurs très discutables. Ils sont ce que je suis : mélange d'une sensibilité exacerbée, et de sursauts de brutalité sidérants.  Je n'ai jamais maltraité mes bêtes. Je les ai quand-même envoyées à l'abattoir, sans trop d'états d'âmes. 

Je sui tarée, je le dis, et on le sait.  Mais je me soigne ! 

Je mène ma vie, à peu près. Je m'occupe de ce que l'on me confie, honorablement. Ce dont je ne me sens pas capable, je le délègue, sagement.

Je pense être en capacité d'élever correctement deux vêles.  Si je ne l'étais pas, Marcel s'occuperait de ça : c'est son métier.

Toutes ces justifications qui en disent long posées, je maintiens ma décision.

Il y aura bien une Anthony et une Petra à Agorreta. Détournées du destin commun des vêles en production.

Tout ce qu'elles risquent, c'est la chance d'avoir quelques bonnes années d'une vie tranquille.

Et moi avec.

J'attends les jours prochains.

J'attends de voir à quoi ressemblent celles qui seront probablement mes dernières vaches.




Anthony pourrait être un peu comme celle-ci. Elle serait timide, mais curieuse. Vite en retrait, sans être effacée. Une petite grisée mouchetée, dans la droite lignée des Pamposas, Pintamona, et, plus récemment, en un peu diffus, Graziosita.





Et Petra, un peu dans ce genre là !


Plus sûre d'elle, meneuse dans la prise d'initiative collective. Moins sensitive, plus prévisible.

Je préférerais les avoir presque sœurs. Qu'elles se sentent moins perdues, comme on a l'impression de l'être moins, quand on est deux dans le même bateau.


Mardi 6 juillet 2021  16h

Anthony et Petra sont là.
Descendues ce matin de la bétaillère.






Il y a bien une brunette pour habiller ma Petra phantasmée.
Anthony change de robe. De grise mouchetée, elle passe à miel clair.
Elles sont bien du même père.
Avec des mères très croisées. Je flaire  de ce blond que je n'aime pas. 

- Mais non ! me dit Marcel, mais non !!
C'est de la Montbéliarde croisée Limousine, avec un peu de Brune.

- Ah ? Et tu ne m'avais pas parlé de Bleu ?

-Mais oui, le taureau, c'est du Bleu !

-Aahh... non, parce-que sur les cartes, il serait Limousin, le père.

- Aahh ? (un octave en dessous). Tiens. Peut-être.... Mais elles sont extra ! Et une paire assortie comme ça, tu n'en trouveras pas !

- Bon, très bien, alors.

Un petit silence, et puis :

-Et... dis-moi, sur les cartes, toujours, elles auraient deux mois. Je les trouve bien grandettes, pour cet âge-là. Elles n'en auraient pas plutôt quatre ? Et alors là, elles sont plutôt petites, non ?

- Et alors, c'est pas ce que tu voulais, des tout petits gabarits ? He bé, tu les as là !

Marcel est lui pur maquignon. Et rien ne vient troubler son talent.

Je couve mes petites arrivées ce matin. Elles sont un peu apeurées, mais pas trop craintives.
La beige, plus méfiante, serait Anthony, et la brune, entreprenante, Petra. A confirmer, avec l'étude de caractères.
J'ai plusieurs jours ici, pour les observer, et les introniser dans leurs rôles respectifs.
Telles qu'elles sont, elles me vont.


Mercredi 7 juillet 2021  7h50

J+1
La nuit a été tranquille.
A peine quelques appels ce matin.
Mes Petra-Anthony pour le moment mal dissociées ont passé une journée moyenne, hier. Sorties de leur milieu de naissance, catapultées ici, en terre étrangère, pas hostile, de prime abord, mais inconnue. 
Elles ne connaissent pas mon mélange son-luzerne. En prévision, j'avais aussi un petit complément pulpeux, réputé très appétent.  Du foin de première qualité, un paillage de fougère bien sèche et odorante, et de l'eau fraîche à disposition.
Pour ne pas les effaroucher davantage, et puisque ma nouvelle installation me le permet, je ne les ai pas attachées. Elles déambulent, libres, dans un enclos spacieux.
La petite prune, à priori Petra, s'est immédiatement mise à brouter la fougère, dédaignant les autres propositions. Anthony couleur miel doré, paraissait plus inquiète. Elle humait l'air, les murs, inspectait les parages, avant toute autre tentation.
A leur arrivée, quand je les ai installées, j'ai pu les frôler, effleurer leurs échines, sans qu'elles bondissent ni s'écartent. Elles glissaient quand-même en esquive fluide sous ma main.
Pour le soir, après plusieurs séances dans la journée, je pouvais les cajoler plus longuement. Elles appréciaient. J'appréciais plus encore.


Vendredi 9 juillet 2021  10h

J+3
Je progresse dans l'apprivoisement de mes TonytaPetra. Pour le moment, je les associe dans la même bulle. Elles forment une paire parfaitement assortie. Elles s'entendent, se suivent, sans que l'une prenne le dessus sur l'autre. Elles se soutiennent et se réconfortent mutuellement.
Je suis plus avancée dans mon approche avec Petra la brune. Je lui frictionne vigoureusement le dos, le poitrail et le cou, et elle se laisse faire, cambrant même un peu les reins de contentement.
Ttony la miel, (je ne me résous pas à dire la blonde...), serait plus fuyante. Le dos, d'accord, mais un peu en alerte quand-même, le cou, ça peut faire, le poitrail, elle recule.
Mon mélange gourmandise leur plaît, maintenant. Elles boulottent les petits granulés croquants à grands coups de langue. Elles n'ont pas tout à fait compris la manœuvre, cherchent un peu, avant de trouver où a atterri ce petit bol qui sent si bon. 
Pour l'eau, elles ont vite compris le système du poussoir.
Le foin, elles grapillent, à temps perdu.
Comme je vois qu'elles cherchent l'espace, je leur ai agrandi l'enclos. Mon étable est parfaitement modulable. 
La prochaine étape sera la sortie. Elles flairent l'extérieur, et demandent à y aller. Elles perçoivent les vaches de Cousinou, juste à côté, et les appellent. Deux jeunes génisses de quelques mois plus âgées ont ce matin initié un véritable concert avec les miennes, en longs beuglements poignants. Je souffre autant qu'elles.

J'ai prévu cette fin de semaine d'aménager ma cour.
Je vais libérer un créneau pour poser aussi une clôture extérieure : TtonytaPetra se languissent. (Une entité à deux têtes, ça reste pluriel, non ?). Je pense pouvoir maintenant les rapatrier à l'étable, avec mes petits granulés craquants. Je ne vais quand-même pas risquer d'avoir à les courser dans tout le champ ! Un petit pacage concentré autour de la rampe suffira. Ainsi, elles ne s'engorgeront pas d'herbe fraîche, à s'en détraquer les entrailles. 
Elles ont déjà connu beaucoup de changements, cette semaine. Les perturbations à venir doivent être amorties.
Je suis à la ferme jusqu'au 20. D'ici là, mon objectif est d'accoutumer TtonytaPetra à leurs futures cadences : déjeuner autour des 7H, sortie, retour le soir, un peu avant les 20h, pour le diner.  En journée, elles iront et viendront à leur guise. Quelques moments caresses avec la maîtresse.
Toute une connivence à créer. 10 jours pour le faire. C'est jouable.

Hier soir, je suis allée déloger un nid d'hirondelles. Nous le pensions vide, puisque les premières couvées ont pris leur envol. Et puis non ! Dans celui-ci, trois petits becs s'ouvrent largement.





J'ai recueilli le fragile édifice. L'ai installé près de la porcherie proche, espérant que les parents suivraient. Sans trop y croire. 
Au soir tombé, il faisait trop frais pour laisser les oisillons dehors. Je les ai rapatriés dans l'étable, au chaud, auprès des petites velles. J'y ai une petite famille, maintenant, de deux adultes et deux jeunes. Les hirondelles sont venues voir ce qui piaillait ainsi. J'ai espéré une adoption, j'ai compté sur une fibre maternelle en éveil, chez la femelle (ou le mâle, il doit bien y avoir eu là aussi une révolte féministe, avec partage égalitaire des tâches). 
Elle venait d'élever ses propres petits, elle devait encore avoir la main, non ?
Et bien non... Peut-être se sent-elle fatiguée, harassée, même, de sa toute récente maternité. Elle retrouve la liberté de se promener sans penser aux heures de becquées. Le plaisir d'un plumage lustré, loin des longues stations empoussiérées.
Quoi qu'il en soit, mon stratagème n'a pas marché.
Je vais tout à l'heure inhumer les trois oisillons. Un petit sarcophage de foin odorant les mènera au paradis des oisillons morts presque sitôt nés.

Ici, je me familiarise à mon nouvel habitat. Les bruits étranges au début me deviennent coutumiers. Les mille et une particularités d'une maison se présentent à moi : tel tiroir qu'il faut repousser, la dernière marche de l'escalier qui grince, ce gond un peu fainéant, cette fenêtre qui se rabat, mal équilibrée dans  son poids.
Mon installation me satisfait. Je vais et viens entre les étages, entre l'appartement clair, propret, décoré de ces objets que j'aime, le grenier transitoire, plus rustique, où l'on entre avec ses bottes sales, boire un café ou grignoter un fruit, l'étable enfin, chaleureuse, pratique, habitée ! enfin !
Non, comme disait la tantine : "ongi naiz", je suis bien.





La journée s'annonce belle. Après une période maussade, fraîche, assez désagréable pour un mois de juillet, le jour se matin s'est levé plus léger.
Olivier va arriver. Je file à mes extérieurs.






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