mercredi 23 juin 2021

9 au 23 juin

 


Mercredi 9 juin 2021 18h


Je m'installe face à la baie. Cet endroit m'est encore étrange. Vide de tout ce que je dois y porter.

Si l'eau m'arrive à flots, je transhumerai dimanche. En attendant le carreleur pour le grenier, nous camperons dans le garage de la Clio. Les travaux avancent, et il ne faut pas sursoir, quand l'artisan se présente...

J'ai commencé la réorganisation de la future étable. La reconstruction pointe une visée bien plus claire.

Je reviens de la montagne. J'y vais mettre mes oreilles loin des gros bruits du chantier.

Même si, là, ce sont les vrombissements de tracteurs qui perturbent le silence.

Partout, les champs de foin coupés se sillonnent des engins dédiés aux fanaisons. La saison aura été facile, cette année, avec une belle période de plusieurs jours de beau temps. Pas de grosse chaleur pour vider trop vite les brins de leur eau, une brise légère, pas de menace de pluie.

Le paysan travaille en paix. Même si le réflexe d'un petit suspense désagréable crispe toujours un peu. Une simple couverture nuageuse a persisté jusqu'en milieu d'après-midi. Le foin ne s'est pas amolli : la nuit n'a pas déposé de rosée. Le soleil sorti d'entre les nuages est quand-même bienvenu.

Les rapaces tournoient haut dans le ciel et fondent en piqué : tous les mulots, campagnols et musaraignes, surpris par la chute des andains épais fauchés par les barres de coupe implacables, fuient, affolés, complètement paniqués de se retrouver à nu, eux si bien cachés jusque là dans les herbes hautes. Ils deviennent des proies faciles. 







Les hommes et leurs machines sont à l'œuvre.









Les mécaniques donnent leur plein. 

Les équipes sont bien rôdées. Chacun sa tâche, et l'ouvrage est rondement mené.

Aux champs comme au chantier.





Dans deux jours, les granges seront pleines. 

Petra et Anthony, encore à naître, sont assurées de ne pas manquer.






 

Vendredi 11 juin 2021 19h35.


Je vais fermer les volets avant de descendre diner. 

Ma journée fut de va-et vient incessants. Je peaufine mon intérieur. Et vide l'ancien dans les moindres recoins. Je fais place nette, dans mes placards et dans ma tête. 

Le charroi des deux-trois meubles plus imposants attendra dimanche.

D'ici-là, j'aurai l'eau.

Je me régale à essayer une lampe ici, ou plutôt là. A lui trouver sa juste place.

La cuisine-campus en bas est agréable, pour un séjour provisoire.

J'aménage mes espaces, mon temps de travail, ma manière de vivre.

La période à venir me hèle, amicale. Je m'avance, conquise.


Mardi 15 juin 6h40







21h40







Mon nouvel horizon s'élargit du levant au couchant.

Ce vilain câble sabre l'image. Quand je regarderai le soleil se lever depuis la porte de l'étable, je n'aurai pas ce désagrément.

Je profite par contre sur le soir des couchers derrière le Jaizkibel au flanc long.


Mercredi 16 juin 2021 15h


Mes nouveaux appartements me conviennent. Ce décor clair, ces matériaux lisses et solides, m'accueillent dans un espace plus lumineux.

J'ai installé les chiens. Ils retrouvent un peu de paix, ici.

En bas, les perturbations du chantier me les ont chamboulés. Txief s'est enroué, à aboyer comme un perdu toute la sainte journée, aux passages incessants de tout un petit monde ouvrier.

Lola recherchait les coins calmes, sans en trouver.

Et ma Bullou repartait à se rogner la patte. Cette petite chienne est d'une nature excessivement émotive. Sa sensibilité exacerbée la chavire.

Ma troupe vieillissante était en danger, malmenée.

Depuis notre transhumance, mes chiens réinvestissent cet endroit, à peine circonspects. Ils l'ont connu durant des années. Avec moi.

L'impression en est maintenant toute différente. Sur ces presque trente dernières années, j'ai, en effet, vécu dans ces murs, jusqu'à ces deux dernières, où je me suis rapprochée progressivement de la cible paternelle, jusqu'à l'accompagner en une osmose parfois vertigineuse, jusqu'à sa fin.

Tout ce temps-là, pourtant, ma base ici était pointillée, entre de multiples allers-retours d'un étage à l'autre. Le cœur de ferme me happait avec exigence. Mes temps ici étaient de courtes séquences, des stations rapides et toujours plus ou moins en vigilance.

J'ai vécu ici aux aguets de ce qui se passait en bas.

Ma veille est maintenant levée. Mon séjour ici  est à temps complet, et relâché. Je peux réapprendre la quiétude. Si tant est que je ne l'ai jamais connue, celle-ci après qui je bêle. Ni que je la connaisse jamais, peut-être ! Les Graals sont faits pour ça : rester inaccessibles... Qu'importe, la recherche en est déjà le commencement, peut-être. Ou pas !

Je me détache très vite d'un environnement brouetté à coup de boutoirs jusque dans le remblai.

Quand je trifouillerai dans les gravats amoncelés là, comme je le fais toujours,  ce sont les débris de mon enfance que je retournerai du bout de pied. Ce seront des pans de ma petite histoire qui me sauteront au visage, au détour d'un morceau de faïence disloqué, ou d'un lavabo renversé.

J'ai tiré de la vieille ferme la substantifique moëlle. J'en ai aspiré l'esprit, et fait mienne l'essence. Quand le maçon a mis ici au jour un très vieux pan de murs de pierres enfoui sous une énorme épaisseur de béton, j'ai ressenti un réconfort étrange. 

Je me suis décalée avec un brin de nostalgie de ce que je croyais être le centre de la bâtisse. Quand peut-être je m'en suis en réalité rapprochée.

Je laisse ces plaques tectoniques mouvantes glisser dans une incertitude confortable où mes légendes privées s'ébattent librement. Ca rend ma transhumance plus fluide, en en atténuant les heurts.

Agorreta semble avoir toujours été un endroit un peu hors de tout. Les réalités terrestres y ont un cours capricieux. Les cadres préfabriqués s'y cassent les dents. Oui, Agorreta est un peu hors circuits.

Hors d'une cité d'où l'on voulait écarter les réfugiés, ces lépreux accueillis et soignés ici. Plus tard, des exilés de guerre, des gens pauvres, miséreux, bannis, sont venus aussi se terrer là et essayer de se refaire une vie.

Agorreta est aussi hors des espaces géolocalisés au centimètre près : Google et Mappy ne mèneront jamais personne dans la cour de ferme. Le monde quadrillé s'arrête à quelques centaines de mètres, à l'ouest.

Agorreta est un peu encore hors du temps. La modernité n'y parvient que difficilement. Le raccordement au réseau d'eau potable chemine sur des centaines de mètres, là encore, dans l'autre sens. Les circuits de traitement des eaux usées passent au large. Le câble téléphonique est, paraît-il, en charpies. Les câbles électriques de toutes tailles et toutes sections zèbrent le ciel en une trame compliquée. 

Tout est à reprendre. Et pourtant tout fonctionne, à peu près. Aussi bien, je le crois, que la marche générale d'un monde insécure.

Le monde civilisé paraît avoir laissé un peu à la marge ce petit piton pourtant tout proche d'une cité bien peuplée. Nous pourrions être au fin fond de la Creuse, nous n'en serions pas moins à l'écart.

J'aime bien ce paradoxe, ce décalage. Je m'y love comme dans une empreinte parfaitement ajustée.

Je ne suis pas encore tout à fait installée dans mes nouveaux murs.

J'aménagerai l'étable pendant la semaine prochaine, en principe.

Le grenier ici devrait aussi faire peau neuve dans le même temps.

Quelques raccordements encore, un ou autre dispositif de liaison entre les niveaux, et je serai parfaitement opérante, pour accueillir Anthony et Petra.

Là, elles ont vu le jour. Et proche est celui où je les verrai à mon tour.


Vendredi 18 juin 2021 6h45






Cette si coquette étoupe brumeuse se soulève de la combe, appelée au soleil à peine voilé.



19h30


Je remonte. Les journées se terminent autour de la table de jardin, en bas. Les équipes sont satisfaites : l'ouvrage avance rondement.

Je me cantonne plutôt ici, loin des bruits sourds ou stridents. Les murs épais amortissent incroyablement bien les vacarmes inévitables d'un chantier d'envergure. C'est d'un grand confort. Je n'en espérais vraiment pas autant.

Je suis à la veille d'une semaine de congés. Le réaménagement de mes cadences travaillées me mettent à portée ces petites fenêtres vacancières. C'est ma foi plutôt plaisant.

J'ai l'intention de peaufiner l'étable. Nous mettrons en place le râtelier, les grilles et portails, avec Olivier. Pour les accroches des mangeoires, je les adapterai à la taille des petites vêles.

J'ai déjà convoqué Anthony et Petra en invitées VIP dans mon imaginaire. 

J'en parle à qui veut bien m'écouter : Joseph-Louis, pas plus tard que cette après-midi, dans la touffeur du petit chemin aux noisettes sabrées par la compagnie d'électricité. Nous avons échangé sur les mérites respectifs des normandes et des montbéliardes. Lui aime les mouchetées de l'ouest. Je les trouve parfois entêtées. Ma Bigoudi croisée m'en a fait souvent goûter. Mais je lui pardonnais tout, à ma jolie blanche...

Moi, ma Louloutte tant regrettée m'a laissé un très bon souvenir. Sa robe en Chupa-shups café au lait, son regard ourlé de cils blancs, son mufle resté rose, ce caractère égal, tous ces traits caractéristiques de la vache montbéliarde, m'en ont donné la nostalgie. Ces vaches septentrionales sont capables de supporter les grosses chaleurs africaines, autant que les rudes hivers jurassiens. On les envoie coloniser les espaces les plus extrêmes, avec succès. C'est dire la sérénité de ces bêtes, capables de s'adapter partout.

La montbéliarde n'est pour autant pas obtuse. Elle n'est pas stupidement bovine. Elle est vache et fine. Pas trop malicieuse, mais suffisamment sensitive quand-même. Ainsi, elle se prête bien à une relation homme-bête intéressante, sans les heurts d'un naturel trop facétieux, où les bonnes surprises s'emmêlent aux mauvaises.

Je ne suis pas spécialement bloquée sur cette race. C'était juste le thème de notre conversation. Deux petites bretonnes, ou une paire de croisées mignonnes,  m'iront tout aussi bien. Ce sera affaire d'étincelle à la rencontre. 

Je me fie au hasard, à sa chance. En gardant à l'esprit toutes ces fois où mes mots avec Joseph-Louis se sont posés avec justesse sur une histoire pas encore advenue... Ce berger catalyse en intuitions, plus tard avérées, des pressentiments flous pas encore sortis de leur gangue. Comme le serait une statue perdue dans la masse de glaise, avant que le sculpteur ne l'en sorte.

Petra et Anthony à peine sorties des limbes peuvent encore s'incarner en rousses, brunes, blanches, tachetées ou bringées.  Je les hèle depuis cet inconnu d'où le maquignon va me les amener.

J'ai hâte de les rencontrer.

Je suis comme gestante. 



Mardi 22 juin 2021 20 h


J'apprécie toujours cette liberté de début de soirée. La fraternité s'articule parfaitement entre les pauses dans la journée et le déjeuner. Passées 18 ou 19h, chacun la quitte et rejoint ses pénates. Quelques pointes en soirées pimentent sans déparer.

Ma semaine de vacances n'est pas partie pour être estivale. Pluies intempestives, bourrasques fréquentes, une température frisquette, rien ne dit la belle saison.

Comme je n'avais pas prévu un programme plage, ça ira.

J'étais partie aujourd'hui pour quelques bricolages légers dans l'étable. Le râtelier et les portails sont fixés. Manquent l'évier, et l'escalier, pièces tout de même un peu maîtresses. 

Je laisse l'escalier à Olivier. Ma haute idée de mes capacités en bricolage ne me mène pas si loin.

Pour le reste, je me le sentais bien.

Ma contribution à l'ouvrage s'annonçait modeste. Et agréable. J'allais vaquer de ci de là, agrémenter un ou autre pan de mur, et peaufiner l'installation de mes petites à venir. Faire vivre mon étable, en attendant de l'animer de bêtes à sang chaud.

Les choses avaient parfaitement bien commencé. J'ai accroché soigneusement mon nécessaire de base sur un tableau de bois fixé solidement au mur : les gamelles, la casserole, l'étrille des soins de beauté, le sécateur pour couper les ficelle des balles de foin et de fougère, la truelle pour récurer les mangeoires, tout se cale harmonieusement. 

En frontispice, mon image fétiche avec le troupeau de vaches à la pâture, devant une immense structure industrielle, donne sa maxime de Blaise Cendrars à réfléchir : "l'important, c'est de se sentir heureux. C'est bizarre où le bonheur va parfois se nicher".  A peu de choses près. 

La tournure grammaticale me parait étrange, mais le sens s'ajuste exactement à mon ressenti, dans mon univers.

Si j'avais eu l'escalier, j'aurais été vérifier. Là, une averse drue décourage la sortie. L'approximation a son charme : la façon dont on retient les choses, en dit souvent long sur la trace de l'enseignement qu'elles laissent en nous.

Sur cette belle lancée, j'ai voulu installer un atelier mobile, en fixant un établi improvisé entre une grille et le mur. Une planche de bonne dimension, calée d'une part sur le barreau solide de la grille, et, en face, sur une cornière fichée dans le mur, juste au dessus du câble électrique, ferait parfaitement l'affaire. Un système de penture permettrait le relevage de l'ensemble contre le mur, de façon à ne pas gêner, en situation hors-service. Un simple crochet de volet sur le côté, pour la fixation en position relevée et hop !, le tour est joué !

J'avais tout le matériel à portée, de réforme, comme il sied. La première difficulté logeait dans la consistance du mur récepteur. Les pierres jointoient par un mélange de plâtre et de chaux, friable, et sournois. Inutile d'espérer faire tenir une cheville de fixation dans une mélasse pareille. La pierre, elle, est d'une solidité à toute épreuve, quand elle se laisse entamer à la perceuse. 

Un grand et fort gaillard a eu maille à partir, hier, pour fixer l'abreuvoir. Il y est arrivé, ployé sur une machine professionnelle, en poussant de tout son poids. 

L'entreprise du jour me laissait moyennement optimiste. J'imaginais très bien le rendu final, et cette perspective m'alléchait tant le neurone, que je décidai de tenter le coup.

J'ai farfouillé dans mon matériel entreposé dans l'ancienne porcherie, sous une bâche, en attendant de réaliser l'étanchéité de la cour au dessus. J'avais à peu près ce qu'il fallait. Les artisans à l'œuvre tout à côté palliaient efficacement les manques. Ils m'ont même très gentiment proposé leur concours. Que j'ai poliment refusé : ma modeste entreprise était mienne, et devait le rester, si je voulais en tirer la satisfaction que je m'en promettais.

Au final, j'ai aplati trois belles chevilles métalliques dans des trous insuffisants, fait chauffer ma petite perceuse, et torturé mes pauvres oreilles. Pour rien. Ou du moins, pas grand chose. Ma planche se cale approximativement sur deux têtes de chevilles qui dépassent. Je peux à la limite la ranger par terre, le long du mur, et la positionner en plateau, si besoin.

Mon projet frustré se rhabille dans ces oripeaux là. En attendant mieux. Ou pas.

L'évier rutilant de son inox immaculé m'a nargué le temps d'un instant. Là, le support en parpaings parait plus engageant. J'ai titillé une cheville, commencé d'installer une équerre. Très vite, j'ai compris que j'aurais du mal à respecter les niveaux. Là encore, j'ai laissé tomber.

Je me suis contentée de remettre mes outils et mes matériaux à une meilleure place.

Pour distraire mon dépit, j'ai râclé la mangeoire emplie de poussière et de gravats. Les résidus sédimentés d'une vie animale encore presque chaude, là, ont adouci ma vexation. Les deux chaînes à veau, encordées en rallonges, étaient pile-poil de la bonne longueur. Les petites pourront se humer le naseau et se léchouiller les oreilles, sans risquer de s'emberlifiquoter l'une l'autre dans les chaînes. Les premiers temps, elles resteront le plus souvent détachées, d'ailleurs.  Je leur ai aménagé une stabulation adaptée à leur taille, et modulable, tout le temps de leur croissance. Elles auront le temps de l'apprentissage, à leur rythme et au mien.


21h

J'ai du m'interrompre pour accueillir le plombier de dépannage. Une "petite fuite, là", ourlée dans un coude, gouttait, en bas, dans cette étable où j'ai passé la journée.

L'homme a étalé une panoplie d'outils par terre. Le manque de mon établi avorté me pince encore. Des outils abscons rutilent dans leurs boîtiers, tels des bijoux de prix enchâssés dans des écrins précieux. Je reste coite, impressionnée.

Pour arranger la petite fuite qui goutte,  le jeune plombier commence par sectionner le tuyau de cuivre, à un endroit où il était parfait ! Ca alors...

Une cataracte d'eau tiède rebondit sur le ciment. Bon.

Arc-bouté en équilibre précaire sur la barrière, l'artisan soude. La flamme bleue feule contre l'enduit craquelé du plafond. L'hirondelle, tout à côté, affolée, se met en protection sur le nid, où j'ai vu cette après-midi deux becs orange grands ouverts.

L'année est rude, cette année, pour les hirondelles d'Agorreta.

Une couvée est tirée d'affaire. Deux autres semblent en bonne voie. La quatrième est encore muette. 











Elles et moi aspirons  au retour au calme. Avec ferveur... et résignation ! Puisque c'est le prix à payer.

Je retourne voir mon ange plombier.

Parfait, la fuite est réparée. Je vais pouvoir rallumer le surpresseur. C'était quand-même ballot, d'avoir une machine à la technologie si avancée, pour la laisser inopérante ! Je n'aurai pas besoin ce soir de redescendre éteindre l'engin, après la douche, le long de l'échelle branlante, en enjambant les travées de ciment colle étirées par les carreleurs.

Mon chantier touche à sa fin. Quelques jours de patience encore, et je vivrai dans un monde presque parfait.


Mercredi 23 juin 2021 9h30


Les artisans travaillent à tous les bouts de la ferme.

Le plafond nuageux se soulève un peu.

Je vais entre-deux au ravitaillement. 

Ce midi, nous étrennerons la table ronde fraternelle ici.


18h30

Finalement le plafond est resté bien bas, sur la baie. La température a encore descendu. Je suis bien, ici, douillette comme un œuf couvé. 

Depuis ma sieste, tout à l'heure, j'ai remarqué combien le carolin du poulailler (qui n'est plus depuis une vingtaine d'années), a poussé, ces deux dernières années. Dans mon souvenir, je voyais depuis cette fenêtre, le large ciel, le trait vertical du pylône, et le haut de la frondaison de cet arbre. Maintenant,  le houppier de feuilles isocèles au vert tendre, chuintant et frémissant, emplit tout le cadre. Le poteau là dedans fait comme le crayon du dessinateur : il marque l'aplomb d'un parfait équilibre.

J'ai ensuite repris quelques points de décoration. Je module en fonction des humeurs. Autant dire que mes images murales n'ont pas le temps de s'empoussiérer ! 

Quelques raccords de peinture aux arêtes choquées par les transbordements de meubles, et me voilà toute satisfaite de ma journée en intérieur.

Je suis quand même sortie prendre l'air, avec les chiens. La végétation a bondi de toute l'eau ruisselante en petites rivières vives entre les cailloux roulés. Les hampes de fougères s'étirent en crosses au déploiement langoureux. Les plateaux carminés en vieux rose des spirées sauvages s'étagent, jaillis d'entre les ronces vigoureuses. Le retour de la chaleur va affoler tout ça en une pousse frénétique.

Les voûtes du petit bois ruisselaient en crépitant sur ma capuche remontée. Les chiens trottinaient autour de moi. Le paysage gris et vert déclinait ses tons tendres et ses rondeurs rassurantes.

J'étais bien. Presque tranquille.

Je ne désespère pas : un jour arrivera, où je le serai tout à fait. Avant le dernier, peut-être, qui sait...










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire