vendredi 4 juin 2021

19 mai au 04 juin

 

Mercredi 19 mai 2021  19h45


Je comptais faire une longue séance écriture, cette fin d'après-midi.

J'aurais raconté le détail de ma promenade dans les bois de la montagne, cette ambiance de voute de verdure, de caverne protectrice, irradiée du soleil diffusé à travers les feuillages encore tendres, cette impression d'être là, aussi en sécurité que dans le ventre d'une bonne mère.

J'aurais parlé longuement de l'immense merisier affalé dans le ravin de tout son long. Des repousses impertinentes essaimées à partir d'une seule racine encore fichée dans la terre. Des surgeons fougueux lancés dans la clairière ainsi ouverte. De toute cette vie rebondie d'après la fin de celle des colosses de la forêt. De cette symbolique d'éternité, où, pour la plupart, nous puisons comme à une source vive.

Je vais juste noter ma gratitude pour ce moment de sérénité.

Le chantier bat son plein, ici, et la ferme vibre et tremble sous les coups de boutoir. C'est pour la bonne cause !

Les hirondelles s'affolent, mais reviennent au soir.

Je fuis, le bruit. L'animation, l'effervescence, l'enthousiasme, me rattrapent, quand, comme ce soir, la tablée se peuple de rires sonores et d'exclamations un peu trop perçantes pour mes pauvres oreilles enflammées.

Là aussi, c'est pour la bonne cause !


Jeudi 20 mai 7h




Je cueille Bel Astre avant d'aller travailler.


Les levers de soleil se noient ces jours-ci de brumes épaissies en nuages.



Vendredi  21 mai 2021  7h30





Dans le ciel du matin, le soleil noyé irradie joliment.









Dans le pré, juments, hongre, pouliches et biquettes vivent leur vie.

Et agrémentent la mienne.




La logistique du transfert de mes connectiques va demander quelques jours.

Je ferai sans doute silence, un moment.

Et me retrouverai après, là haut, de l'autre côté du mur encore à bâtir.


Vendredi 21 mai  2021 14h


(En attendant la liaison, je babille en solo, dans mon antre encore trop vide.

Un bon vieux "copier-coller" ramènera un air d'instantané à la remouture.)



Karrarro a repris un service actif. Attelé à la remorque de Beñat, c'est le seul équipage à rentrer dans l'étable basse. Antton charroie les déblais.

Le remblai d'Agorreta tire à sa fin.

Il avait été inauguré par le chantier du cousin, à Errandonea.

Il finira plus ou moins avec les débris d'ici. De Legorburu en Legorburu, les terres des hauts d'Agorreta ensevelissent une histoire toujours vive.

Tout ça me laisse une impression de justesse, de boucle bien bouclée.

Je me love dans cette ellipse où il reste toujours une aspiration : rien ne finit jamais, dirait-on, pour peu que l'on prenne la bonne échelle...


19 h

La réunion de chantier se termine autour de la table ronde.

Les cris résonnent dur sous le plafond haut. Mes oreilles en siffleront sur plusieurs jours. Tant pis ! Tous ces rires font grand bien. Ca compensera.

Les nouvelles ouvertures sont créées, et les anciennes restent bées. Un courant d'air d'enfer ventile l'étable. Les hirondelles se coulent dans ces flux frais. J'arrête de vouloir les guider vers les nids nouveaux. Tout est grand ouvert de partout, pour le moment. Alors, qu'elles fassent comme elles pourront ! Elles se serrent dans les angles des poutres, essaient sans doute de se mettre à l'abri d'un vent bien froid pour une fin de mai.

Il a plu, ces derniers jours encore. Pas de grosses averses, mais suffisamment pour me faire crier victoire : la terrasse ne fuit plu ! Je surveille l'auréole pâlie. Elle blanchit de jour en jour, à peine marginée d'une trace plus foncée. Une grande satisfaction me tient, de ce petit combat enfin gagné. Les difficultés de la bataille m'en rendent le gain plus savoureux.

Certes, mon dispositif laisse perplexe. Le rendu en est bien joli, ma foi. J'ai disposé soigneusement mes grosses pierres veinées d'ocre, celles que j'avais récupérées du remblai, il y a plusieurs années.  Ma composition d'alors, "l'équilibre du monde", telle que baptisée par Beñat, se recrée ici. Les pierres lourdes sont disséminées sur le gazon vert sombre. Les gros galets de craie blanche scintillent de leurs paillettes de quartz. Mes petits objets fétiches, hétéroclites, mes petits glanages au gré de mes déambulations dans le coin, se retrouvent là.

Mon œuvre est inspirée, évidemment. Elle est aussi calculée, savamment : chacune des pierres déposées, chaque objet, a sa raison d'être là, exactement, là, sous le soleil. Enfin, quand il y sera.

Ce matin même, à la première heure, j'ai déroulé sur ma bâche efficiente deux bandes de gazon synthétique. Elles étaient lourdes, et malcommodes à manier. Je ne m'en suis pas trop mal sortie. Je craignais un épandage en vagues mouvantes et disgracieuses. Et bien, pas du tout ! Mon gazon vert profond s'est aplani comme une vague docile, déroulé presque parfaitement en se jointant au plus près. Chhlak ! Les bandes caoutchouteuses se sont plaquées au sol, sur la bâche, et, juste après, sur les dalles.

Pour les quelques points relevés, je ne me suis pas échinée à les aplatir. Non. Mon ouvrage doit être de plaisance. Un résultat parfait induirait une mise en œuvre plus besogneuse. Sans garantie. Là, je connais ma mise, et en attends raisonnablement la donne. Mes quelques cailloux lourds, mes galets crayeux, ma collection unique disposée dans des bacs emplis de sable, m'ont fait lests efficaces.

Les vaguelettes écrasées ont aplati leurs échines. L'ensemble est d'après moi fort joli, inattendu, et amusant. J'ai passé le temps où j'exposais à tout va. L'image n'y sera pas, mais le souvenir m'en restera.

Je suis enchantée de mon travail du matin.

A ce soir, l'artisan a de son côté bien avancé son ouvrage.

C'est autour de lui, dans le cœur de chantier,  que nous nous sommes retrouvés, avec mes frères.

De là, nous avons extrapolé l'installation future. 

J'ai été mandée d'exposer dans le détail mon projet. Au point de devoir déterminer, avec exactitude, où je comptais mettre le seau à veaux. Parce-que tout découlait de cet emplacement crucial. Trouvant difficilement mon équilibre entre les gros débris inégaux, j'avais du mal à mentaliser ce modeste seau, posé sur la paillasse d'un évier tout à fait ordinaire, lui-même accolé à la rambarde de l'escalier encore à installer.

Jamais je n'aurais imaginé qu'il faille, pour une simple étable, anticiper autant, et aussi précisément. 

Brutalement mise en demeure, je me suis exécutée.

Dans la foulée, il fut question de hausser et rallonger la murette de la stalle, pour ne pas que "ces salles vaches en foutent partout". On me les mettait dans un placard !!

Je protestai. Non, non, il ne fallait pas les cloisonner. La murette devait être basse. Ou, mieux,  ne pas être.

Tout le monde se récria : "tu vas voir, et pichti pachta, elles vont tout te saloper !"

Je goûtais au passage la justesse sonore du "pichti pachta". Une lourde et grasse bouse écrasée sur le ciment, giclant gaiement tout autour de son point de chute initial. 

Je convins que l'argument était pertinent. Pour autant, je ne voulais pas d'une murette trop haute.

- Et pourquoi ? me hurla-t-on, exaspéré de mon obstination.

- Pour les voaaar ! bêlai-je, piteuse de mon attachement incompris à la gente bovine.

Et là, en un capella retentissant et parfaitement synchronisé, un  "les voir !!!", hurlé à pleines voix, acheva de m'exploser les tympans, et de me faire perdre un équilibre déjà précaire.

Titubants et joyeux, nous sommes rentrés boire un verre, entre rires et invectives.


Dimanche 23 mai 2021   8h




Ma prairie se peuple, et anime ma joie.


Mercredi 26 mai 2021 6h45



Le soleil brille, pâle, mais ne réchauffe toujours pas.


20h00


Ma promenade  ne m'a pas détendue comme elle l'aurait du : j'ai perdu Lola dans les fourrés, du côté d'Amuxenia.

Je mène mes chiens par là. Ils y furètent entre les ronces éparses. Le chemin sous les grands arbres est agréable, abrité du vent. J'y fais étape, m'appuyant sur une souche moussue. 

Là, ma Lola n'est pas ressortie, quand je l'ai appelée pour repartir.

J'avais donné RDV à une jeunette à la ferme pour un petit travail de correction. Je ne pouvais pas m'attarder.

Tout le chemin du retour, je pensais à ma vieille chienne, peut-être coincée dans un taillis trop dru. Par le passé, j'ai déjà du aller la chercher entre les broussailles, ma petite téméraire. Là, je m'imaginais revenir la chercher avant la tombée de la nuit. La saison me donnait du temps. Je n'aimais pas cette idée, la savoir là, penaude, douloureuse peut-être, incapable de se sortir toute seule de son mauvais pas.

Ma promenade si agréablement commencée tournait mal.

Très contrariée, je revenais vers la ferme. Je me retournais souvent, espérant la voir accourir derrière moi. Les deux petits allaient leur train, sans inquiétude apparente, les ingrats, d'avoir perdu leur aînée.

Je passais le coin du figuier du remblai : à l'angle du mur du garage de la Clio, ma petite chienne, oreilles dressées, en appui tendu sur ses postérieurs, attendait. Elle ne nous vit pas tout de suite : sa vue n'est plus ce qu'elle était !

Je m'avançais, hâtant le pas, toute guillerette dans l'instant de la voir là.

Elle me reconnût alors, et sautilla sa joie en aplatissant les oreilles.

Nous nous fîmes fête. Et ma jeunette arriva.


Vendredi 28 mai 2021  8h



On m'a toujours dit que les chevaux dormaient debout...

Alors d'un, on ne nous dit pas tout. Et, en plus, de ce qu'on consent à nous dire, il faut en jeter la moitié !

Lorry calcule son début de journée. June lève tout juste sa jolie tête. Et Prince, Prince, lui, finit sa nuit.


Nous attendons l'artisan.

Ces ouvriers dans les corps de métier du bâtiment sont devenus des divas : on les attend, on les espère, on n'ose surtout pas les contrarier. De peur de les voir tourner les talons.


14h30

Finalement, nous le voilà.

L'ouvrage avance.

J'écris maintenant ici, dans mon futur nouvel habitat. La connectique cahote dans des circuits occultes. Là aussi, on marche sur des œufs, quand ces gens désinvoltes vous mettent  le monde à portée, ou vous le défendent, d'un simple clic.

Je retourne à notre taillis. Je vais tâcher de mieux surveiller ma vieillotte.


Dimanche 30 mai 2021  6h45



L'aube se lève, plutôt engageante.


9H

Olivier étrenne sa petite dernière :



June vient voir :

- c'est quoi ce criquet ?




Lundi 31 mai 2021  23h


Un impressionnant orage zèbre le ciel en flashs ininterrompus. Il fait grand jour et nuit noire en un millième de seconde.

Les chiens apeurés se pelotonnent contre moi dans le lit. Je me relève pour fermer les volets. J'entends le crépitement d'une averse. elle doit tambouriner bien dru. J'irai demain vérifier ma terrasse. Je ne peux plus traverser le grenier de part en part : le maçon a érigé le premier mur de séparation.

Les premières fournées de foin craquant sec, sont rentrées. La saison des fanaisons a commencé.


Mercredi 2 juin 2021 15h30


Je me suis gentiment énervée sur une connexion presque là, au bout d'une clé à 26 chiffres, et pourtant, non, toujours pas...

Les services téléphoniques inquiétés de ma frénésie ont temporisé tout ça, en me proposant un RDV dans 2 jours. Quand j'aurai refroidi !

Bien. C'est en effet peut-être le mieux à faire. Je vais aller restaurer ma sérénité dans un sous-bois frais.

Tous ces codes et clés en sésames fuyants vous rendent dépendants d'une science fragile comme du cristal. Le virtuel est sûrement exonéré des lourdes matérialités. Il en est intimidant, insaisissable, exaspérant. Pour les non-initiés, dont je suis, les profanes, maintenus aux portes de ces temples obscurs où le réel perd pied, le virtuel est une imposture. Et un tyran capricieux et cruel.

Laissons-ça pour plus tard.

Le maçon travaille dur, en bas. Une belle chape bien grasse a été coulée ce matin. Où est mon regretté ETPM,  et son béton offert ? Là, chaque M3 chiffre et douille.... Et oui ! Mais bon.

Je vais prendre l'air.


Vendredi 4 juin 2021  8h13


J'attends l'appel de mon sauveur. Ce conseiller dédié qui me remettra au monde virtuel. Celui-là même qui semble avoir pris le pas sur le réel. Malédiction !


15h40.


Je tapote langoureusement sur mon clavier ressuscité en instantané direct-live. 

Une sainte m'a guidée, un ange de patience et d'empathie. En me laissant avancer seule sur le chemin, avec la promesse de rester dans les parages. Tant de sollicitude de la part d'une personne aussi experte dans cette froide science informatique m'a tiédie le neurone comme une coulée de miel translucide sur une galette sèche.

Je reprends le cours de mes soliloques.

Le paysage s'éclaire sur la baie. Il a beaucoup plu. Et ma fuite a disparu. Alléluia !!

Le maçon termine. Un dernier raout pour aménager le grenier, la pose d'un petit surpresseur pour pulser l'eau vive, (s'il y a une chose que je suis bien sûre de ne pas regretter, c'est bien le vieil engin tapi dans sa niche), quelques charrois encore, et je pendrai ma crémaillère.

Je ne peux plus maintenant passer d'un bout à l'autre de la ferme par l'intérieur.

La division est consommée. 

J'ai hâte maintenant de m'établir définitivement ici. De laisser entre de bonnes mains mon espace d'avant. 

La mue se termine. Et on fait bon usage de ma vieille peau.







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