jeudi 15 juillet 2021

11 au 15 juillet

 

Dimanche 11 juillet 2021  8 à 19 h


TtonytaPetra sont au pré.




Une première séance pâture,






une pause, têtes levées vers le levant, à humer les chèvres et les chevaux tout proches,







un brin de conversation détendue avec la génisse voisine,







et on revient aux choses sérieuses !






Au soir d'une journée aussi divertie, on rentre et on se couche aussitôt, un peu fatiguées.


Mardi 13 juillet 2021  16h30


J+7

Les choses se passent tout à fait bien.

La sortie programmée pour la fin de semaine m'inquiétait un tantinet.

Les velles sont petites, lestes. Elles débarquent, ne connaissent pas les parages.

Néanmoins, cette première semaine d'intégration intensive me paraissant de bonne augure, j'ai maintenu mon calendrier. J'ai deux semaines de congés, pas douze. Je dois séquencer au plus près.

En les observant, tout le long de cette première semaine, j'ai remonté le fil de leur période juvénile.

Ces petites là ont été élevées en stabulation libre, avec un parcours extérieur. Elles étaient avec les mères, en troupeau. L'installation était moderne, avec des nourrisseurs accrochés aux barrières : TtonytaPetra connaissent le galvanisé, le considèrent ami, et y cherchent leur pitance, en passant la tête entre les barres.

TtonytaPetra connaissent aussi la cote Bugatti. Quand j'enfile ma Vitodo bleue, (une amélioration de la Bugatti de départ), elles s'intéressent vivement. Leur éleveur originel la revêtait aussi, classiquement, quand il venait nourrir ses bêtes.

Ces petites têtouillaient encore, à temps perdu, les pis sans doute vite secs de leurs mères pas trop laitières. Elles se cherchent les mamelles, et ont encore le réflexe de succion.

Elles ignoraient les compléments en granulés. Mais cherchaient dans les gamelles, un fond de farine de maïs, sans doute.

Elles étaient élevées ensemble, nées à trois jours d'intervalle. Très bonnes copines. A la vie à la mort.

Elles n'étaient pas manipulées, pas maltraitées non plus, par leur éleveur. L'humain ne les intéresse pas plus que ça, en dehors de sa mission nourricière, mais ne leur fait pas trop peur non plus.

Elles craignent quand-même le bâton : je l'ai remarqué, à l'occasion de la première sortie, samedi. Elles ont du en tâter, les petites turbulentes.

Petra a été écornée, semblerait. Par un maladroit, qui lui a brûlé deux pastilles de cuir, derrière la tête et près de la queue. Tony parait avoir ses appendices d'origine.  Ou alors, son écornage s'est mieux déroulé.  Ses moignons de corne sont arrondis, gris, quand ceux de Petra sont atrophiés, et blanchis. N'ayant moi-même jamais pratiqué cette technique, je tâtonne dans mes conclusions, je suppute. 

Esthétiquement, je préfère la vache à cornes, naturelle. Pour autant, dans ma trajectoire de redescente en paliers, ce serait aussi bien que TtonytaPetra soient écornées : même sans le vouloir, une vache peut joliment vous emboutir, d'un mouvement de tête distrait. L'autre hypothèse, Petra écornée, et Ttony cornue, n'arrangerait pas mes affaires. Petra est la plus douce, et Ttony la plus bourrue. Ce serait laisser à la plus dangereuse les armes enlevées à la plus gentille. Mauvais calcul... Nous verrons bien ! Après tout, les deux peuvent aussi être "entières".

Je dissocie maintenant bien mes deux velles. 

Au passage, ce mot, "velle", que j'orthographie parfois "vêle" (il n'y a pourtant pas d'affaire de "s" élidé, là dedans, mais bon, passons), n'est pas usité, dans le langage courant. On connait bien veau. Son féminin est bien velle, comme agneau, agnelle. 

J'aime bien cette consonnance femelle, plus légère, généreuse, chantante, que le trop bref et massif "veau". Et alors : veau femelle, merci, quelle lourdeur ! Non, non, non, je tiens à "velle".

Pour en revenir à mes moutons-velles,  j'ai pu au fil des jours peaufiner mon étude de caractères.



Petra est bien Petra. Mais elle aurait d'Anthony une certaine réserve, un petit retrait, face aux évènements de la vie courante. Curieuse, fine, câline, elle vient à moi plus facilement que sa sœur.  

Oui, à l'examen clinique, je les déclare maintenant sœurs, pas tout à fait de sang, mais complètement, de cœur. 

Petra la brune est une cérébrale, une intellectuelle. Elle réfléchit aux choses, les examine soigneusement. Son environnement l'intéresse dans sa globalité. Elle ne se cantonne pas à ses basiques, et va au delà, prospectant plus large. Elle a confiance en la vie, et ne nourrit pas d'à priori négatifs. Sûre de son jugement, elle avance, posant ses pas délicatement, mais posément. Elle ne cherche pas à en imposer, suffisamment sûre d'elle, pour n'être ni craintive, ni agressive. Un caractère optimal.

Petra est ma petite préférée. Nous avons immédiatement bien accroché, dès la rencontre. Ca été l'étincelle des grandes histoires d'amour. Je l'ai trouvée jolie, avec sa robe prune, son ventre blanc, sa petite tête fine, sa conformation élégante. J'ai aimé dès l'abord sa douceur. Elle s'est laissée apprivoiser en 48h, appréciant mes caresses. 

Là, au bout d'une semaine à peine, je peux l'approcher, la toucher, la frictionner, de l'échine et jusqu'au mufle. Elle se tend langoureusement sous la main. Même sans l'appât d'une gourmandise. Bientôt, elle me viendra chercher  caresses, en toute confiance, sans contrainte, ni intérêt, pour son seul plaisir, et le mien, immense.

Mes petites velles sont libres, au champ, mais aussi dans l'étable. Je ne les enchaîne pas. Je n'avais pas pris jusque là la mesure de la barbarie à maintenir une bête attachée à son auge. J'avais toujours vu faire ainsi. Mes vaches attachées semblaient d'ailleurs contentes de leur sort, et ne paraissaient pas réclamer autre chose. 

C'est un anthropomorphisme, de transposer à l'animal nos considérations humaines. Nous ne supporterions pas cette astreinte. Encore que. Si nous n'avions pas connu plus grande liberté que celle octroyée par une petite longueur de chaîne, peut-être nous trouverions-nous fort bien de l'entrave. Notre bien-être se calerait dans ce domaine où le possible admet ses limites. L'impression, l'illusion, surtout, de jouir de liberté, se suffit de la compréhension de cette liberté. Si on n'en a jamais eu davantage, on peut très bien se suffire de ce que l'on a. Quand on est un animal sensé. Ou un humain raisonnablement borné.

Humain sophistiqué, on serait d'une autre essence spirituelle. Notre existence, telle quelle, n'assouvirait pas nos phantasmes. On rêverait d'autre chose, d'ailleurs, on imaginerait une autre vie, meilleure, un autre monde. Celui-ci, acquis, nous semblerait terne et inintéressant. Et c'est là que commencent les ennuis...  

Je sens que je m'éloigne un peu de mon sujet, là. Revenons à l'ici et maintenant. 

TtonytaPetra ont été élevées libres de leurs mouvements, dans un périmètre assez large. Si je leur impose maintenant une contention plus étroite, elles vont s'y faire. Elles sont toute jeunettes, encore, et leur adaptabilité les calquera au moule qu'on leur tend. 

Pour autant, je n'ai plus envie de ne voir de mes bêtes que leurs culs, aussi jolis soient-ils. Je veux dans mon étable converser avec des têtes expressives, croiser des regards francs, regarder mes génisses déambulant, décontractées, et non pas coincées dans un arc de cercle à la tangente abrégée.

Evidemment, la maintenance en est modifiée. Si mes vaches vont et viennent dans l'ensemble de l'étable, elles souilleront plus largement. Encore que, toujours. Je pense que ces bêtes, comme la plupart des bêtes, sont capables de se discipliner, et de scinder leur espace de vie en secteurs dédiés à chacune de leurs fonctions vitales, si elles en ont la place.

Déjà, TtonytaPetra se couchent aux mêmes endroits. Près de la murette, la nuit, contre la balle de fougère, dans leurs stations de jour ici, au pied du frêne, dehors. Pour leurs petits et gros besoins, je repère aussi leurs petits coins. Au final, la logistique de nettoyage s'en trouve allégée. Mes histoires de maintenance bétaillère étaient aussi une idée fausse. Encore une.

Bien-sûr, dans une stabulation libre où tout le monde se piétine presque, impossible de faire respecter une telle organisation. Tout le monde patauge la même litière, se couche là dedans, et reste là, planté dans la merde noire jusqu'aux flancs. Quelle horreur !

Dieu merci, la nouvelle étable d'Agorreta est toute aussi atypique que l'ancienne. Quelques concessions au modernisme n'en ont pas défloré l'âme. Deux bêtes, et deux seulement, dans un espace où on en mettrait une petite dizaine, en élevage conventionnel. Dans cette densité de population, et avec un suivi plurijournalier, les velles chatoient de leur plus beau pelage immaculé.

A ce propos, le nombre de têtes dans un troupeau est un indice de richesse. Dès qu'on déclare avoir des bêtes, la question pas subsidiaire est : combien ? Quand il voit un troupeau de bétail dans un champ, l'éleveur, même amateur, par réflexe, essaie de les dénombrer.

Moi, avec mes deux velles, je fais évidemment piètre figure. Mon atavisme paysan se recroqueville dans cette paire ridicule. Pour compenser, à la question posée, je lève l'index et le majeur, en signe de victoire. Mes paliers indispensables ne feraient pas bon ménage avec un reste d'orgueil mal placé. Celui-ci, je l'ai enchaîné au plus court, maintenant, et muselé serré. C'était le mieux à faire.

Je reviens après ce détour logistique, à mon étude de caractères.

Au vu de toutes les fines observations sus-citées, Petra est une Katto Pelato miniature, pour le physique, mitigée d'une Graziosita pour le tempérament. Elle combine la sérénité de la première, avec la malice et la finesse de la seconde. La crème de la crème, en vache.




Ces deux-là sont maintenant rendues à leur statut originel : elles fabriquent de la viande.

Leur crochet par Agorreta leur aura fait des vacances. Y pensent-elles encore ? Je ne le crois pas. Rassasiée, laissée à elle-même, la vache redevient bovine. Et c'est le mieux qu'elle ait à faire, pour vivre au mieux son destin bovin. 

La bête contentée en sa panse se souviendrait peu, ne nourrirait pas de regrets inutiles, comme elle n'imaginerait pas une autre existence que la sienne, à partir du moment où ses essentiels sont assurés. 

Dans le cadre de nos connaissances de la psychologie animale, bien incomplètes, je gagerais...

Moi, je pense encore à elles, avec une pointe de remord, de les avoir abandonnées à leur sort commun.

Mais bon, c'est maintenant au tour des TtonytaPetra d'être privilégiées. Ca compense. Important, la compensation, toujours !

Alors... je m'absous, assez facilement. C'est tellement plus commode !





Anthony, devenue Ttony, est moins attachante, d'après moi. 

C'est une plus jolie bête, aux yeux connaisseurs : massive,  lourde de bonne viande. Elle est bien proportionnée, en volumes musculeux. Sa tête est courte, son regard franc. Sa robe blonde me l'a disqualifiée au premier coup d'œil. C'est bien injuste, pourtant : son ton miel clair est bien celui de la Montbéliarde, le panaché blanc en moins. Elle a le mufle et les sabots noirs de son père limousin. Elle en sera moins fragile, la corne blonde des montbéliardes étant plus vulnérable.

De caractère, c'est la présence de l'exceptionnelle Petra qui la dessert.

Si je n'avais pas cette toise hors normes, je trouverais sûrement Ttony très agréable. Elle est plus méfiante que sa sœur, évidemment, puisque celle-ci est incroyablement avenante. Je la soupçonne quand-même d'être aussi plus rustaude, moins réfléchie. Elle reste placide, sans brutalité. Pour esquiver ma main posée sur son dos, elle s'écarte, gentiment, sans brusquerie. Si je veux être juste, je dois lui reconnaître un caractère tout à fait accommodant, très honorable, pour une si jeune bête tout récemment arrivée. 

Je ne dois pas me laisser aveugler par mon admiration pour Petra. L'éleveur doit rester équitable, et remiser ses préférences inévitables derrière les exigences loyales de la conduite raisonnée d'un troupeau, même de deux têtes. Particulièrement de deux seules têtes, configuration propice à la flambée de jalousies dévastatrices.

Ttony agit par instincts basiques, pour se nourrir, retrouver son troupeau. C'est elle qui meuglait le plus fort  son désarroi depuis l'étable fermée, sentant au dehors les blondes voisines. 

C'est elle encore qui a sauté au travers des rubans électrifiés, pour se rapprocher du troupeau de l'autre côté de la clôture. Elle est meneuse dans les prises de risques : elle ne réfléchit pas, elle fonce. 

Comme disait Michel Audiard (je crois) : "Un imbécile qui marche ira toujours plus loin qu'un intellectuel assis". Petra dissèque le problème, flairant scientifiquement le ruban.  Ttony bondit au travers, sans perdre de temps à se poser des questions... et passe outre, de fait, quand l'autre toute seule serait restée derrière !

Je reviendrai plus tard sur cette journée de samedi.

Où Ttony fit des siennes...

Par analogie, Ttony me rappelle Buru-haundi. et Neska Motz.  Chez Buru-Haundi, le gène de Bleu étouffait sous une couche hermétique toute étincelle de malice. Neska Motz était beaucoup plus maline, plus mitigée dans son sang. 




Ttony n'est pas bête non plus, loin de là. Elle est juste plus instinctive que sensitive. Ca n'est pas pareil. On subit ses instincts, quand on perçoit ses sens. Les instincts nous dominent, quand les sens nous guident, bien ou mal, d'ailleurs.

Bref.

Pour la couleur de robe, on est évidemment bien loin du compte, entre ma miel clair, et ces deux ténébreuses ailes de corbeau.

Là, je remonte à Kattalin, et j'approche au plus près : génétique semblable, avec ce Montbéliard bien remonté, ce caractère parfois imprévisible, mélange de timoré et d'audace brutale.



Plus loin encore, on aurait la Louloutte, mère d'Illargi, Ederra, et sa fille Gaberdi, pour la pointe de sang limousin.
TtonytaPetra sont deux petites bêtes mignonnes. Pour les experts, elles ne valent rien : pas de race, pas de coupe. 
Mes quatre Neskaks précédentes en avaient, elles, de la "coupe". Leurs cuisses rebondies parlaient métier. Elles étaient les résultats de croisements recherchés pour produire le plus de viande possible. 
Mon père était très fier de sa dernière cuvée. Marcel lui a fait ce plaisir.

Moi, mes vaches ne sont pas là pour la galerie. Elles sont là pour mon plaisir.
Dans mon répertoire, celles qui remontent le plus, ne sont sûrement pas les plus "belles".
Quand j'ai demandé à Marcel de me trouver deux nouvelles bêtes, je pensais à mes Ttipinoak, Ttikiti et Stul, ces deux jumelles que j'avais là aussi associées sous le même nom. Elles sortaient d'un cirque. Petites, chétives, mal nourries, elles faisaient peine à voir. Je les ai soignées, et elles ont embelli, à mes yeux.
Je pensais encore à Bigoudi, elle aussi issue du même cirque, à Bidart. Elle aussi, bonne compagne de plus de dix ans.
TtonytaPetra ont failli être deux ânesses venues de Zugarramurdi. Elles ont viré velles.
De noire et blanche, elles ont muté brune et beige.
Mon attente s'est habillé de plusieurs robes, sur plusieurs bêtes.
Il s'incarne maintenant dans ces deux là, et j'y mets mon plus bel espoir de moments de sérénité et de plénitude, tout simples, tout sains.

Comme j'en ai tant eu, déjà, tout bêtement assise dans l'étable, à contempler mes bêtes tranquilles.

Mes vaches tracent au fil du temps une lignée en pointillés. J'y retrouve cette même trame où j'ai l'impression que ma vie se faufile.

Une idée de perpétuation, de recommencements, d'éternité, quoi ! (rien que ça !)

Une idée qui me va, qui me plaît, infiniment, définitivement.


Jeudi 15 juillet 2021  10h


J'ai terminé mon tour logistique dans les parages. Les espaces étrécis me permettent un suivi de qualité, dans un temps plus court. C'est une bonne chose, tout à fait appréciable.

Ce mois de Juillet est remarquablement frais, et pluvieux. La nature regorge d'eau, mais manque de chaleur. Les maïs traditionnellement en fleurs au 14 juillet ne décollent pas. Les malheureux estivants rêvent d'une journée de plage où faire le plein de soleil, et grelottent sous les anoraks.

Ici, mon programme vacances tourne autour des derniers aménagements, et de mes velles. Autant dire que chaud, froid,  soleil, pluie, peu me chaut !

Pour mes derniers jours de congés, et puisque j'ai atteint avant la date mes objectifs, j'apprécierais le retour du beau temps annoncé. Ma cour aménagé en coquet jardinet m'invite à de longues séances de lecture, au soleil, en levant de temps en temps les yeux sur le beau paysage, une tasse de tisane parfumée à la main.

(Si feu ma mère entendait l'énoncé de ce programme de grande fainéante, elle se retournerait dans sa tombe... Paix à son âme, et paix dans la mienne.)

Un dernier coup de peinture dans le grenier parachèvera mon installation ici. Olivier se propose, je laisse faire, bien contente de ne pas avoir à me hisser au dessus de l'escalier.

Je me concentre sur les velles.

Je suis totalement satisfaite de ces petites. A l'heure où j'écris ces lignes, elles ont parfaitement intégré les cadences voulues.

Je les nourris vers les 7 H. J'ouvre la porte métallique, et je rafraîchis les litières. Sans se précipiter, quand elles ont terminé de racler les derniers granulés dans l'auge,  elles sortent, royales, humant l'air du matin.

Elles pâturent. Quand elles sont rassasiées d'herbe, elles se couchent au pied du frêne. En mitan de journée, il leur est agréable de faire une sieste à l'intérieur. Elles ressortent ensuite, repâturent, et se reposent de nouveau sous le frêne. 

Sur le coup des 19H, je les hèle, mes gamelles à la main. Elles ne se le font pas dire deux fois, et rappliquent, fissa fissa. Je referme alors la grande porte. Je les regarde manger, voluptueusement, craquant leur ration, les yeux fermés sur une gourmandise assouvie. 

C'est ensuite pour moi le meilleur moment de la journée : je les caresse, les cajole,  les brosse, les frictionne, les bouchonne, longuement, en psalmodiant de douces litanies incantatoires. Elles reconnaissent maintenant ma voix, mon odeur, mes gestes. Petra se laisse aller complètement, quand Ttony contient encore son relâchement. De moins en moins chaque jour. Elle voit sa sœur si bien satisfaite, et, partagée entre l'envie et la peur, hésite encore. Mais approche.

En journée, les vaches voisines du Cousinou ne s'intéressent pas trop à elles. Ttony les bâde pourtant, passant la tête entre les fils barbelés. Deux génisses s'approchent, puis s'éloignent : les miennes sont trop petites, pour susciter un quelconque intérêt, chez ces adolescentes. Comme dans ces cours d'école, où les petits de primaire essaient d'attirer l'attention de ceux du collège, sans y arriver.




Ttony  s'accroche, appelle Petra à la rescousse. 

Petra fomente une petite jalousie :"reste avec moi, qu'ont-elles donc que je n'ai pas ?!". 

Un mini drame cornélien se joue. 

Et se conclut par l'éloignement des grandes, dédaigneuses et indifférentes.






Ttony lâche l'affaire,  et revient à Petra, qui, bonne fille, ne lui en veut pas.






Ces deux-là me rappellent une autre paire : Galzerdi devenue Beltza, fille de Bigoudi, et Rubita, fille de Pollita, en leurs jeunes années :





C'était l'été 2015, au début de juillet. 

Six années on passé. Le vieux pommier a chu. Et l'histoire continue...


11h00


Je reviens à ce samedi 10 juillet 2021 : le jour ou tout a failli basculer !

Au passage (un de ces passages où l'on s'avance assez loin pour oublier d'où on partait, si on n'y fait pas attention),  je suis addicte maintenant à ces feuilletons et émissions de télévision, décriés comme bêtifiants, et pourtant regardés à très large audience, comme sous le manteau, par des téléspectateurs un peu honteux de trouver leur plaisir dans ces zones mal famées. 

On se revendique volontiers intéressé par les Artes et autres chaînes intellectuelles ou informatives. Pour les "Plus belle la vie" et autres "Un si grand soleil", c'est un peu comme se curer le nez. Tout le monde le fait, mais personne ne s'en vante.

Moi, j'aime bien. Ca me distrait, j'apprécie de regarder de belles personnes, de jolis intérieurs, de beaux paysages. Je m'intéresse à ces petites histoires, raccourcis pimentés de nos vies souvent trop plates. 

J'imagine que les acteurs du "jour où tout a basculé" (Chérie 25, 12 à 13h), n'auront jamais le César. Qu'ils sont persuadés pourtant d'avoir du talent. Qu'ils s'affligent des hermétiques qui ne le comprennent pas. Que Charles Aznavour (qui "s'y voyait déjà") chante pour eux.

Et bien, je m'y retrouve, dans ce bain là : moi aussi, je me pense grand écrivain et je suis la seule à le penser comme ça. Et alors ? 

Je me console très bien avec mon "bloc". J'en divertis quelques uns, et, j'en ennuie d'autres, qui peuvent très bien aller voir ailleurs, si l'herbe y est plus verte.

Les comédiens approximatifs de ces petites séries de ménage me convainquent, moi, et c'est déjà ça !

Je m'interromps pour quelques administratifs, où l'on demande en urgence quitus.

Moi aussi, justement, je demande quitus, et me l'octroie toute seule sans attendre qu'on me le donne !

Je continuerai après le repas, ce "jour où tout a basculé", justement, et la sieste.

Sur le coup des 15h, je referai notre dernier samedi, et les aventures de ma satanée Ttony.


16h

Entre relecture et visites familiales, le temps me passe.

Le soleil perce. Je ne vais pas résister à aller en profiter.

Ma narration du samedi en sera abrégée.

J'y viens :

Tony réclamait avec insistance la sortie. Elle se languissait. Il y avait urgence.

J'avais pour le coup rajouté à notre programme de fin de semaine, la mise en place de la clôture séparative, pour parquer efficacement mon cheptel juvénile.

Il s'agissait de permettre à mes velles d'être au champ, sans qu'elles aillent se mélanger aux chevaux. Je craignais pour ma part davantage leur inclinaison pour les vaches de Cousinou, qu'elles avaient flairées depuis l'intérieur.

Autour des chevaux, les rubans électriques contiennent Prince, Lorry et June. Les biquettes, Oreo en tête, se sont invitées là dedans. Tout ce petit monde vit en bonne harmonie.

Côté vaches voisines, la clôture est en état. D'une bonne hauteur, avec 5 rangées de barbelés, elle dissuade toute tentative de saut, particulièrement pour mes toutes petites.  Ttony se met parfois debout, sur les postérieurs, en s'appuyant sur la barrière. Mais elle est lourdaude, et ne décolle pas. Heureusement !

Je me méfiais de celle-ci. Pas assez...

J'avais dans l'idée de circonscrire la pâture, autour de la rampe, en un périmètre resserré. Ainsi, si elles faisaient des difficultés pour rentrer, je n'aurais pas à arpenter trop large pour les ramener. C'est le souci, dans cette histoire de sortie. Pour aller gambiller dans le pré, les velles ne feraient pas de manières. Pour le rapatriement à l'étable, ça risquait d'être une toute autre histoire.

Un rajout de trois rangs de ruban électrique ferait notre affaire.

Le vendredi, nous avions avec Olivier bouclé magistralement le chapitre aménagement de la cour. Le résultat est d'après moi un petit bijou. Conçu au départ pour optimiser l'étanchéité de la porcherie-remise, en bas, mon projet bâchage et engazonnement, testé à l'étage supérieur, a ici donné son plein. Végétaliser le coin nous a régalés.

Nous avons terminé au soir.

Pour le samedi, nous restait cette fameuse clôture. Il nous manquait de la fourniture. Mon goût pour la récupération et les détournements de matériaux ne suffirait pas.

Quoi qu'il m'en coutât, et là, ça commence à faire, je devais aller quérir emplettes.

Nous étions de retour, avec Olivier, Grand Modus bardé jusqu'à la gueule, quand nous avons sur la montée croisé Marcel. Il s'en retournait, avait vu les velles, les avait trouvées "déjà mieux", en trois jours...

J'aurais bien aimé bavarder avec lui plus longuement, apprendre peut-être par lui ce que j'avais tenté de déduire toute seule. Il ne pouvait pas s'attarder davantage, et nous avions de notre côté un joli programme de travail. "Ez dute hauk astirikan" comme disait l'autre. Nous n'avions pas le temps.

Nous nous sommes mis au travail prestement.

Je sentais Olivier un peu contrarié par ce rajout intempestif dans notre cahier des charges. TtonytaPetra meuglant derrière la porte fermée leur détresse me furent alliées efficaces.

Nous plantâmes piquets, fixâmes barbelés, vissâmes moult isolateurs, étirâmes rubans et accrochâmes poignées.

Pour trois heures de l'après-midi, le pacage était prêt.

Prenant une profonde inspiration, je tirai la porte coulissante. 

La journée était belle, ensoleillée, avec une petite brise rafraichissante. Le paysage rutilait, la mer sur l'horizon plaquait son azur impeccable.

Les chevaux broutaient, à peine dérangés par nos travaux.

De l'autre côté de la clôture, le troupeau de blondes s'affairait mollement autour du râtelier à foin, dans le bas du champ.

Je craignais que TtonytaPetra se ruent dehors, et se jettent dans les rubans électrifiés. J'ai entendu parler de génisses qui se seraient cassé les reins, en bondissant en arrière, saisies par le courant électrique. Olivier était en garde. Je faisais la tenaille.

TtonytaPetra sortirent, gentiment, s'avancèrent dans la cour bétonnée, circonspectes.

L'air frais oxygéna assez vite leurs petits cerveaux. Et y distilla la bulle de liberté. Enivrées, elles se mirent à courir, au petit trop, d'abord. La descente de la rampe fut un peu bousculée. Arrivées dans l'herbe, elles ne se tenaient plus de joie. Elles se ruèrent l'une derrière l'autre, s'envoyant des ruades allègres.

Ttony fut la première à faire connaissance avec le ruban électrique. Au moment où elle le toucha du mufle, elle reçut la décharge, et se recula, sans mal. Petra suivait le mouvement, en retrait.

Ttony avait vu le troupeau, en bas. Et parfaitement compris que ce qui l'en séparait, c'était ce foutu ruban, dans un premier temps.

Elle revint à la charge. A cet instant, le courant séquentiel ne passait pas. Les décharges sporadiques laissaient un petit intervalle de temps entre chacune d'entre elles. 

Je ne pense pas Ttony capable d'analyser ce fonctionnement, en si peu de temps. Non, je pense qu'elle a voulu retenter le coup, poussée par son instinct, cette volonté de rejoindre le troupeau qu'elle prenait de loin pour le sien. Cette pulsion était plus forte que la peur de la douleur ressentie le moment d'avant. Elle avait perçu la sensation, mais l'ignorait, gouvernée par une force supérieure. Son troupeau était là, elle devait y aller.

Si elle avait essayé d'analyser la situation, elle aurait douté, attendu. Sa seconde tentative, aurait échoué, comme la première, repoussée par la décharge électrique impulsée la seconde d'après.

Mais, je l'ai dit, Ttony ne réfléchit pas, Ttony fonce.

Et elle fonça, tout droit, entre les rangs de ruban qu'elle effilocha derrière elle comme un voile de mariée en charpies.

Petra s'engouffra dans la brèche à sa suite.

Elles galopèrent toutes les deux le long de la clôture, direction le troupeau, toutes !

Elles étaient magnifiques, feu et flammes dans le soleil oblique.

Nous les regardions, abasourdis, impuissants. Remis de notre si mauvaise surprise, nous descendîmes à notre tour dans le fond du champ.

TtonytaPetra tentaient de passer les barbelés. Nous nous mîmes à courir. Les blondes levèrent la tête, s'approchèrent.

Le fil ronce fut meilleure barrière que le ruban électrique. Ttony recula, dépitée. Petra n'insista pas. Elle était là, plus pour tenir compagnie à sa sœur que par conviction personnelle. Elle, le troupeau, elle avait compris que ce n'était pas le sien. Il n'y avait là dedans aucune brunette, comme devait l'être sa mère. Alors...

Les deux génisses grandettes vinrent flairer le museau de ma Ttony désappointée. Elle ne les reconnaissait pas, et pour cause !

Avec Olivier, nous étions en garde rapprochée. Nous voulions éviter que ces deux dadettes s'en aillent ensuite prospecter de l'autre côté, là où les vaches du frérot l'aîné leur ferait tentation. 

Si, pour s'en approcher, elles traversaient au milieu des chevaux, ce serait la débandade complète ! Lorry la renfrognée était bien capable de les courser, et là, tout pouvait arriver : mes deux velles terrorisées ne connaitraient plus ni clôtures ni limites, elles s'étriperaient sur les barbelés, pour tenter de fuir en panique. 

J'avais bien en tête les mésaventures du Petit Breton de Fauvette, méchamment éraflé en passant au travers du fil ronce, pour échapper à Pollita, qui voulait le chasser de son champ. Lui, tout petit, exténué, s'était arrêté juste de l'autre côté, et nous avions pu le récupérer. Mais celles-ci, bien plus fringantes, jusqu'où pourraient-elles aller ?

Les choses se présentaient au plus mal. J'en avais les oreilles bourdonnantes.

Olivier prit au large, entra chez les chevaux. De mon côté, je remontai entre les châtaigniers. Je voulais pousser TtonytaPetra dans le corridor, entre les rubans des chevaux, et la clôture mitoyenne. 

Je m'approchai, elles avancèrent dans la bonne direction. S'engagèrent en effet dans le passage étroit. Ttony se retourna : elle ne voulait pas s'éloigner des blondes. Petra, un peu perdue, la suivit. J'étais à l'entrée du passage, je leur bloquais la route. Je levai mon bâton en écartant les bras, hurlai à pleins poumons. Là, Ttony marqua l'arrêt, et Petra recula. Ah, elle connaissait le bâton, c'était toujours ça !

Les rubans des chevaux dans cette partie étaient assez écartés. Nous n'avions pas prévu que les velles iraient là. Le danger grandissait, de les voir s'engouffrer là pour s'échapper. Je remontai au plus vite. Autant que je le pouvais, du moins : c'est bien pour éviter ce genre d'efforts, inadaptés à mon âge avancé, que j'avais d'après moi tout bien calculé.

Par deux fois, les velles remontèrent. Parce-que par deux fois, elles repassèrent dans l'autre sens au travers des rubans que nous avions raccrochés entretemps.

Finalement, je décidai d'en revenir à la bonne vieille clôture traditionnelle. Antton, obligeamment, nous approcha un panneau grillagé de grande dimension. Nous complétâmes par une grille plus petite glanée dans le coin. En deux coups de cuillère à pot, Olivier installa tout ça.

Nous avons maintenant à disposition un barrage efficace, léger et fonctionnel, avec un petit portillon d'accès pour aller entretenir autour des châtaigniers.

TtonytaPetra aiment beaucoup ce coin là.

Je les regarde, depuis ma fenêtre.


Toute alanguie encore, après plusieurs jours, des efforts de la course.





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