mercredi 20 mai 2020

20 mai



Mercredi 20 mai 2020  10h13

6h30 à 40










Deux semaines après les funérailles de mon père, comme deux cents ans avant, et, sans doute, un bon moment après, le soleil se lève à l'est.
Je prends un temps de repos.
De répit ?

Les turbulences émotionnelles provoquées par tous ces évènements autour de la mort d'un tout proche s'assagissent. Peu à peu.
Il faudra du temps pour retrouver la surface plane de ces choses que l'on préfère gardées enfouies.
Les limons vaseux de ces marécages intimes doivent décanter, repartir dans leurs fonds glauques.

Un rien les ramène à la surface, leur donne l'occasion d'émulsionner en bouillons tumultueux.
Pour les renvoyer là d'où il n'auraient pas du remonter, c'est une toute autre histoire !
Aladin en a su quelque chose, en son temps, avec son génie libéré de la lampe...
On peut déclarer une guerre tout seul, il faut être au moins deux pour faire la paix.
Et quand on est plusieurs, bonjour !
Je ne suis pas la meilleure artisane de cette paix, je l'admets.
Je fais acte de contrition, avant de prêter serment d'amendement.
C'est un début.

Mon "bloc" est comme moi : terriblement ambivalent, une chose et son contraire dans le même paragraphe.
La molécule paraît atténuer les pics et les ravins. Elle n'a pas vocation à faire de mon paysage intérieur, bien accidenté, une large plaine.
Je crapahute là dedans comme je le peux, en m'y fatiguant beaucoup, à rechercher une sérénité pointée en Graal.
Je me débats dans ces cratères, y entraînant tout ce qui s'en approche, et ne se méfie pas.

Ma manière de raconter est ma manière d'appréhender ce qui remue.
Comme le dis Boris, raconter, c'est se raconter l'histoire, en faire quelque chose capable de donner l'impulsion nécessaire à mieux vivre la suite. 
On raconte la même chose de façon totalement différente, suivant qui on est, et comment on l'a vécue.
C'est la sympathique particularité de notre complexion humaine.
C'est la meilleure rampe pour une résilience salvatrice.
Je ne fais ni mieux ni pire que les autres. 
Je me coule dans mes histoires comme l'anguille se faufile dans les rochers. 

Mon écriture est ma sauvegarde, celle de ma mémoire arrangée pour plus tard.

Je n'ai aucune difficulté à transcrire fidèlement et dans le détail les anecdotes amusantes, les descriptions bucoliques, les péripéties de ma vie campagnarde.
Pour les émotions négatives, pour celles qui blessent, ou égratignent, j'ai choisi ces transpositions où le flou ne se lève que pour un petit cercle d'initiés.
Je lave mon linge sale, en famille, à ma façon.
Notre communication interne étant difficile, à Agorreta, j'ai trouvé ce biais.
Il vaut ce qu'il vaut. 
La lecture de mon blog peut se faire à plusieurs niveaux. Chacun de ces niveaux correspond à un auditoire choisi. 
Mes messages pas subliminaux restent hermétiques à qui n'appartient pas à ce cercle rapproché. 
Pour les autres, si l'envie leur vient de fureter ces effluves puants, ils ne sont pas suffisamment initiés pour y planter leurs crocs. C'est ma manière de préservation d'une histoire familiale mouvementée. De l'histoire de ma famille, de ceux dont je partage le sang, ce sang à ne pas livrer  pour tous et à la multitude.

On peut se voiler la face pour sauver sa mise.
Je dirais mieux, on doit sauver sa mise, et se voiler la face s'il le faut !

La réalité est chose tellement flottante, tellement glissante, tellement fluctuante, au gré de mouvements aussi souterrains que ceux de nos plaques tectoniques sous-terrestres...
Mon maudit Ménière m'en fait démonstration plus souvent qu'à mon goût !

La réalité n'est pas, je l'ai dit, déjà.
La réalité est ce qu'on en voit, ce qu'on en fait.
C'est bien arrangeant !

Pour ne pas me perdre dans ces considérations nébuleuses de moyenne altitude, je prends soin  de redescendre sur le plancher de mes génisses. Elles méritent mon attention, et me rendent cet ancrage que je perdrais facilement.

Je me concentre sur mes journées de travail à la jardinerie, où l'activité n'a jamais été aussi frénétique. Nous battons tous les records de fréquentation et de chiffre. Les gens confinés se sont intéressés à leurs jardins. Ils y ont trouvé un plaisir peut-être perdu. Plus matériellement, ils y investissent un argent qu'ils ne peuvent plus dépenser en sorties !
Mes journées là bas sont emplies de mouvements, de petits challenges entre collègues (pour combien tu lui en a mis ?), de bruit, aussi, entre les caddies roulant mal sur le revêtement inégal, et les chariots de plantes lourds à tirer.
J'en reviens sainement fatiguée, et tant pis pour les oreilles sifflantes !

Les fanaisons battent leur plein.
Le parfum acidulé des andains encore verts flotte dans l'air.
Le petit suspense crispe toujours un peu : le temps va-t-il tenir ? Allons nous rentrer du bon foin, sec mais pas craquant ?
Les granges vides ouvrent leurs gueules béantes comme une possible menace de manque.
Il est loin, le temps de nos disettes paysannes. Nous ne l'avons jamais connu. 
Il nous remonte quand même du fond des âges, celui-là aussi.
Nous serons apaisés quand les grosses balles en tournesol s'empileront, rondes et potelées.
La satiété tranquillise, quand on sait lui faire sa juste place.

Là encore, une seule année d'échec mord pour longtemps, quand toutes celles de réussite se laissent facilement fermer le museau.

Renverser la tendance me demande une énergie que je ne suis plus sûre d'avoir.
Alors, je vais essayer de ne pas l'aggraver, cette pente mauvaise.
Si j'en suis encore capable...



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