jeudi 19 mars 2020

18 mars





Mercredi 18 mars 2020 16h40




Mon père se repose à côté.
J'ai définitivement pris mes quartiers ici. Le noyau de vie dans la ferme s'est étréci autour de cette chambre paternelle. Je me suis réappropriée cet espace vital. Le reste de la grande bâtisse s'ouvre au soleil, se ferme à la nuit tombée. J'y passe, sans y rester.
C'est un retour à la source, pour moi, qui ne m'en étais jamais éloignée bien loin ! 

Mon père fluctue entre des passes où il paraît en bonne forme, content, tonique, rose de bien-être, et d'autres, où une brusque fatigue grise ses joues.
Les séquences sont courtes, imprévisibles.
Il en est rudement secoué.
Des hoquets anarchiques dans les tubulures maîtresses le laissent désemparé, soumis aux caprices d'un organisme déréglé.
Des variations crispées dans les flux d'un sang fatigué compriment par moment ses veines en une tension douloureuse. Des frémissements se propagent en ondes dans tous ses muscles, agitant la chair ici où là,  en soubresauts incontrôlables.

Il reste pourtant souriant, la plupart du temps. Capable de rire de lui, de rire de son état, de ce grand âge, et de ce "coronavirus ostiori"  ce "sale coronavirus".

- Neri ez ziak kesatzen, 
- A moi, il ne m'inquiète pas,

nous explique-t-il, en riant toujours,

- Nik iltzeko arrisku haundiena gain gainian diet, orain !
- moi, le plus grand danger de mort, je l'ai juste au dessus de moi, maintenant !

Par moments c'est vrai, il paraît sur sa fin.
Et, une heure de sieste paisible après, il repart, fier, et presque droit !

"Ttrrèès" difficile à suivre, comme dit si justement Beñat.
Nous le suivons, pourtant, cahotant avec lui, à côté de ses pas hésitants.
C'est le mieux que nous puissions faire. Nous le savons, et  il le sait aussi.

- Beharrik kojonavirus ori, dit-il même,
- heureusement ce "couillon de virus",

- ola emen haiz;
- comme ça, tu restes ici.

Le fait est, je suis là, confinée.
Encore que, confinée, je le sois depuis bien avant ce virus, ici, par goût, et conviction que le seul monde pour moi, est là.
Pour le moment, ce temps de confinement me parait tout à fait séduisant.
Inconsciente des répercussions sanitaires graves de la pandémie, je savoure égoïstement ce temps en suspens, ce temps ralenti, ce temps perçu comme des vacances autorisées, obligées, et donc, légitimées par une raison supérieure.
Nos gouvernants avalisent une paresse sinon coupable.
Je savoure égoïstement ce monde plus silencieux, moi, dont les oreilles souffrent du bruit.
Je savoure cet intermède précieux.
De mon point de vue, seulement.
Et de celui de quelques autres, peut-être ?
L'envolée des demandes de chômages partiels, pourtant estimées par secteurs d'activité, au préalable, signerait quelques abus ? On ne sait, on suppute, avec un cynisme indécent par ce temps de crise aiguë.
Je suis cynique et mon esprit est mal tourné, je l'avoue et m'en flagelle. Et suis en apprentissage pour m'en corriger.

La reprise de l'activité, quand ce diable de coronavirus sera rassasié, ou neutralisé, sera difficile. Le nerf nécessaire sera vite en tension. 
Cette reprise d'activité sera indispensable, et salutaire.
Ce temps de repos perçu maintenant comme une parenthèse presque agréable, et pour moi, tout à fait agréable, d'ailleurs, serait lénifiant dans la durée, tout de même. 
Notre économie ne nous en laissera pas le choix. Comme le choix ne nous est pas laissé maintenant de stopper toute activité superflue.
C'est confortable, pour moi, toujours, de se laisser gouverner ainsi. D'avoir simplement à appliquer, en faisant confiance aux compétences des autorisés. Une passivité douillette d'adulte mal maturée me tient, aussi, en plus de mes autres failles. 
Je ne vais pas me flageller plus avant, allez !

Je vais savourer ce temps, en toute bonne conscience, puisque pour le moment, c'est le mieux qu'il y ait à faire. Puisque tout le monde doit se plier à la même règle.
Les sorties, les rassemblements, les déplacements libres et impromptus, j'évitais déjà. Ca ne me manquera pas. 
Je suis sans effort une citoyenne exemplaire de cette période étrange, irréelle.
Jamais je n'aurais imaginé un scénario aussi inédit. La sidération nous fige dans un immobilisme civique.

L'étrangeté de la situation muselle toute velléité de rébellion face aux dispositions annoncées. Quelques réflexes de la vie d'avant mettent simplement à la marge, vite ramenés dans le droit chemin par une système de contrôle autoritaire.
La discipline nous vient, nous, peuple désobéissant et contestataire.
Nos gouvernants doivent s'en étonner, et s'en souviendront sûrement, le cas échéant.
Qui sait si ce sera un recul ?
Tant de choses seront remises en cause, après ce coronavirus.
Il y aura un temps d'avant, et celui d'après.
Peut-être...

A moins que, vite oublieux d'un épisode traumatique, nous reprenions tous le cours de nos vies ordinaires, comme si de rien n'était.

Ce serait dommage, tout de même.

Dommage de jeter aux orties cette forme de solidarité imposée, où chacun reprend conscience de la vie collective par son manque, de la nécessité d'intégrer les besoins des autres dans son petit paysage intérieur, des notions perdues de vue de l'essentiel et du superflu.
Dommage de perdre de vue ces valeurs fondatrices et finalement rares.
Dommage de s'éparpiller à nouveau, quand le recentrage imposé a déblayé le terrain.
Dommage de n'en avoir rien appris.

Ici, je vais géographiquement me recentrer. Très prosaïquement, ne plus papillonner de pièces en pièces.
J'en aurai plus de temps et d'énergie pour m'occuper de mon père, sans le presser, en respectant ses rythmes de vieillard.
Ce seront les miens, si l'occasion m'est donnée de connaître les peines et plaisirs du grand âge.
La mémoire de ce temps de maintenant m'y aidera peut-être. Ou pas.

L'un des enseignements de ce coronavirus et de ses conséquences sur la marche effrénée de notre monde pourrait être le bienfait d'un ralentissement épisodique, pour repartir mieux.
Le bénéfice d'une remise à plat périodique, du recentrage de tout ce qui part dans tous les sens.

Comme on se jette à vivre après un deuil, comme on  redémarre plus fort après le repos, le marasme économique du moment sera peut-être l'occasion d' une relance tonique et positive.
C'est mon point de vue, mon espoir;

C'est aussi un enseignement d'une histoire longue, où d'autres pandémies, guerres, bouleversements écologiques et environnementaux, valse de civilisations, ont débouché sur autre chose, autrement.
Mieux ? Pourquoi pas !

Pour marquer le coup, deux trois anecdotes amusantes :

A la radio, un de ces derniers matins :

une femme s'interroge sur la possibilité d'aller chercher ses canards gras, commandés de longue date.

- vous comprenez, dit-elle, ça ne peut pas attendre : si on ne les tue pas comme prévu, ils peuvent mourir !
( parce-que si on les tue, ils vont vivre ?)

Parlant de la durée de vie du virus sur les objets :

- deux trois heures, et, si tu tombes sur la dernière heure, je ne te dis pas, tu es infecté jusqu'à la moelle.
( le virus, en fin de course, acharné à sa survie)

- c'est l'occasion de faire repartir l'immobilier ! tout le monde va vouloir venir vivre à la campagne !
( ou comment l'opportunisme cynique se fait des manteaux du coronavirus)

Nous perdons nos repères sociaux, nos certitudes.
Pourquoi ne pas en imaginer de nouveaux ?

Le président nous l'a dit, entre autres alternatives à nos activités coutumières suspendues : lisez.
J'extrapole : écrivez, réfléchissez, imaginez.

Et j'applique : flemmardez, c'est bien aussi, le temps que ça dure...

J'ai sorti mes vaches au pré.
Elles broutent l'herbe tendre, appliquées à leur gourmandise.
Sans se poser de questions, ni s'interroger sur l'avenir.

Je vais tâcher de faire pareil : faire confiance au destin, et à ceux qui gouvernent le mien.










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