mercredi 11 mars 2020

11 mars




Mercredi 11 mars 2020 15h



Notre si gentil docteur des familles vient de partir.
Une consultation au soleil, assis sur le banc, devant mon arbre rupestre.
Pour le moment, tout va bien;
Nous n'en demandons pas davantage !


Comme le disait ma mère, nous ne sommes pas maintenant "ongigaiak galduak" : perdus par trop de bien-être. Nous en connaissons le prix, de ce bien-être, difficile à conquérir, et plus encore à sauvegarder.

"Nous", c'est ce tandem avec le paternel, élargi à mes deux frères résidents ici.
Nous avons resserré notre cercle. Je me suis géographiquement rapprochée du noyau, prenant mes quartiers dans la vieille chambre du fond, celle-là même où tous mes frères ont poussé leur premier cri.
C'est plus efficient en situation de crise. Ca évite les aller-retours entre étages. Je suis au plus près de la cible. J'en économise mes pas.
Nos intimités respectives, cela fait bien longtemps qu'elles se confondent. Au point de voir ce "nous" fleurir trop souvent sur mes lèvres, et dans ma tête. 
Je dois prendre garde à me désolidariser de cette belle cause, perdue d'avance, dans son effet, mais lumineuse encore, dans son parcours : les derniers jours de mon vieux père.  Si ce ne sont pas des semaines, voire des années. Avec un animal pareil, on ne peut pas trop dire !

La vieille mécanique montre forcément des signes d'usure. 
Il faut y prévoir régulièrement quelques rinçages, nettoiements et décrassages. Les tubulures mollissent, les flux ralentissent : la calamine guette.
Un entretien périodique musclé assure encore une fluidité toute relative dans les circuits. A peine suffisante à en maintenir les fonctionnalités. Suffisante quand-même à amener de grands sourires de bien-être dans ce vieux visage parcheminé.
"Nous" ne visons plus depuis longtemps trop haut. La barre d'une arrogance impossible à tenir sur la distance est descendue suffisamment bas, pour qu'on puisse en conquérir le saut, encore.
Ca suffira, pour le moment.
Et la suite ne nous appartient pas...

Peu de gens finalement ont la chance de mourir d'un arrêt cardiaque serein pendant leur sommeil, ou d'une hémorragie paisible, si possible interne, histoire de mourir proprement.
La plupart s'en voient, des croix et des bannières, souffrent l'enfer sur terre, en espérant le paradis dans l'au-delà.
Tout est dans cette espérance.

Avant l'après-mort, il y a l'avant vie, ces limbes autour de nos vies conscientes.
De mes cours de biologie, me reste cette image où des millions de spermatozoïdes frénétiques se chevauchent pour pénétrer l'énorme ovule-reine placide, indifférente, dirait-on.
Un seul gagnant, rarement deux, exceptionnellement trois.

Une course effrénée, une presse de génisses affriolées se bousculant au portail.
Notre vie en va ainsi : naître et mourir sont une lutte éperdue, et vivre est un combat.
Pour lever le poids de cet implacable sort, ce même sort taquin nous offre ses distractions légères.
Le plaisir de contempler mes vaches à l'étable. Leur complaisance à se faire vigoureusement gratter l'entre-cornes. Mes Neskaks sont joliment parées : leurs cornes s'évasent généreusement, suffisamment longues pour pouvoir s'en servir efficacement, (le fessier plantureux de Berra s'en souvient !), pas assez pour se perdre en une courbe gracieuse, certes, mais moins conquérante; 
Elles se prêtent à l'encordellement, au moins;

Ma Katto Pelato semble aller mieux.
La grande Katrin ne viendra que pour me faire signer les protocolaires d'une prophylaxie ordinaire.
A la voir rôder dans les parages, mon père s'en est ému : le sort de ma regrettée Bigoudi planait-il au dessus de ses viscères elles aussi engorgées ?

Je pense toujours qu'une euthanasie douce est la meilleure fin que j'ai pu donner à ma pauvre bête.
Je pense aussi, me souvenant des râles de ma mère agonisante, que nous, humains, devrions pouvoir en décider pour nous-mêmes.
Je sais, pourtant, que si nous en avions eu l'idée, il y a huit ans, pour mon père, se tordant de douleur, désarmés et rageurs devant les médecins impuissants à le soulager, nous nous serions tous privés de ces huit années, de tous ces moments heureux, et il y en a eu beaucoup, venus après, et encore à venir, peut-être.

Nous ne saurons jamais. Nous faisons tous du mieux que nous pouvons, avec ce qui nous est donné.

Pour ne pas retomber dans ces réflexions "plombantes", je regarde le ciel lavé d'aujourd'hui, ce soleil un peu pâle mais déjà chaud de mars.
Je vais prendre l'air vif de cette toute fin d'hiver. 
Courber demain sans doute le dos sous les giboulées encore annoncées.
Pour ceux qui serinent "qu'il n'y a plus de saisons", mars leur grimace ses tempêtes et ses grêles à la face.






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