mercredi 26 juin 2019

24 au 26 juin



Lundi 24 juin 2019 8h40




En ce calme lundi matin un peu voilé, je reçois un de ces artisans espagnols sympathiques en diable.
La vieille ferme demande ici et là quelques restaurations, en mesures préservatoires. Rien de trop brutal, juste quelques ravalements de surface. Le fond, tant qu'on n'y touche pas, et si on n'y regarde pas de trop près, fait très bien son affaire.

A ces occasions, je fais souvent appel à l'un ou l'autre de ces artisans. Chacun est un personnage et tous partagent un enthousiasme communicatif, et quelques traits plutôt déconcertants.

Il y a eu ce plaquiste avec sa casquette vissée sur la tête, et son "escayola" miracle. Ce plâtre magique, il l'utilisait partout et pour tout, enduisant à tours de bras, si satisfait du rendu, quand on pouvait imaginer que, depuis le nombre d'années où il l'utilisait, il aurait du en être moins surpris, et sa satisfaction, plus blasée. Et bien non, il gâchait toujours avec autant de plaisir, et contemplait, encore et encore émerveillé, son ouvrage.

Il y a eu ce menuisier à la voix stridente, bien trop stridente pour mes pauvres oreilles. Un grand tout fou, aux mouvements imprévisibles, laissant derrière son passage l'impression d'une tornade évitée de justesse.

Il y a eu aussi ce plombier vif et alerte, pour qui changer un des abreuvoirs incrustés depuis des décennies dans une des auges de l'étable  :"no me parece ninguna dificultad !", ne présentait aucune difficulté. "Es para Loulout ?" C'est pour Louloutte ? Louloutte, ma montbéliarde élevée collégialement par Antoinette et sa mère Haundi, ma Louloutte tragiquement restée à terre à la suite d'une trop grave fourbure en pleine lactation. Si c'était pour Louloutte, donc, mon plombier consentait à exporter son art dans la vieille étable, posant ses outils rutilants dans le paillage douteux. Pour une autre, peut-être, aurait-il refusé ? Je ne sais…

Dans la même veine, notre Alberto, une pile, incapable de tenir la même position plus d'une demi-seconde. Le téléphone vissé à l'oreille, allant et venant d'un pas désordonné, toujours en mouvement, et fervent adepte de son "espuma", lui. Cette mousse polyuréthane, il en aurait aspergé la terre entière. Es rrressspirannte, como el Gorrrtexxx ! clamait-il, le doigt levé et l'œil pétillant. Son "rrojo tejja" plastronne sur le vieux Barbot, tout rafraîchi de ce coloris.

Tous ces artisans totalement investis dans, et imprégnés de, leur métier, vous donnent envie, envie de faire des travaux, de les suivre en confiance. Ils vous représentent le résultat final, vous font espérer, et, la plupart du temps, d'ailleurs, tiennent leurs promesses.

Celui-ci arrive toujours en avance à nos rendez-vous. Espérez-en autant de n'importe lequel !
Rond, dense, compact comme une boule de pétanque, il allonge autant qu'il le peut ses courtes jambes, pour descendre de son scooter, aux formes aussi arrondies que les siennes.
Sa conformation en buffle gentil le rend immédiatement sympathique à l'abord. Une grosse tête de dogue, avec les yeux tombants et la lippe molle, posée directement sans cou sur des épaules musculeuses, un torse épais et lourd, des jambes brèves et fortes, tout le personnage parle de puissance ramassée.



Il marche les bras écartés du buste, pour en contenir les volumes.
Tête baissée, il fonce sur l'objectif, sans perdre de temps en trop de saluts et politesses.
Sa manière de prendre les mesures est surprenante. Il contemple l'embrasure d'une porte, s'éloignant un peu pour en saisir l'ensemble. Ses yeux montent et descendent plus amplement que sa tête, assez figée dans le même axe vertical. Il psalmodie en un murmure inaudible (pour moi !),  une litanie rapide de ses lèvres mobiles. Il calcule, sans doute, ou égrène un chapelet d'exhortations païennes ou religieuses, on ne saurait dire.
Je le regarde faire en silence, un peu amusée,  intimidée aussi par ce rituel semi liturgique.



Subitement, sans que rien ne laisse prévoir la fin de la séquence précédente, il attrape un double-mètre déroulant, et lance l'extrémité du ruban métallique en un ample jeté de bras.
L'axe mesuré peut-être plus ou moins droit, oblique le plus souvent. Pas de diagonale, non, un oblique léger, qui me laisse craindre une certaine approximation dans les mesures prises. Dubitative, je ne pipe mot, abandonnant mon destin aux mains du professionnel-prophète.
L'homme note ses chiffres dans un grand cahier à spirales. Une page par client, pour ce que j'en vois. Que vous commandiez une porte unique ou une série de douze, la place impartie est la même. Soit il restera beaucoup de blanc, et le report des chiffres sera étalé en complaisance, soit toute la page est noircie de croquis et de signes ramassés en un salmigondis indéchiffrable. Pour tout autre que lui.

Après les mesures chiffrées, vient le tour du dessin, pour reporter la forme des barres obliques des volets, ou alors les proportions des vitrages.
Là encore, l'homme est déconcertant. Il reprend ses psalmodies animées, tire un trait, rectifie un angle. Soudainement, toujours, il se retourne, et termine son croquis, dos à l'objectif, en jetant un œil derrière son épaule. L'amplitude du mouvement rotatoire est là aussi restreinte. La pupille compense, roulée tout au bord, libérant une large plage blanche du globe oculaire. Il doit comme moi confondre droite et gauche, et se sentir mieux à l'aise en se mettant dans le sens du courant !

Entre deux opérations, inopinément et sans préavis, notre artisan s'interrompt pour introduire une anecdote ou une information extra professionnelle. Il parle fort, il s'anime, vous plante droit son bon regard de gros chien. Aussi abruptement qu'il est venu vous cueillir sur votre rive d'observation respectueuse, il vous abandonne au milieu des flots, et vous laisse regagner la terre ferme en vous tournant derechef son large dos vallonné.

L'opération terminée, il reprend son grand cahier sous le bras, et s'en va, sans plus de cérémonies qu'à l'arrivée. 
Réinstallé sur son cycle, il démarre, et là, n'est pas avare de grands signes d'adieu, au péril de son équilibre.
Un sacré personnage, un de plus !

Mercredi 26 juin 2019 10h

A la ferme, il y a beaucoup de choses, ainsi. Incongrues, improbables.
Tout de même, en fil rouge, le plaisir simple d'aimer l'ouvrage, comme on aime la terre que l'on travaille,  le goût des vieilles choses à respecter, ces vieilles machines émouvantes d'histoire, fragiles et pourtant encore efficientes. Pour qui sait leur porter l'attention et les soins qu'elles méritent.

Mon vieux Karrarro de Mizel dans la vieille étable, 








le vieux Super 3 d'Antxo, l'homme au navet, 










le vieux tombereau de l'oncle du même Antxo, ce Jean-Pierre charpentier de bateau, aux jambes infinies sur un torse court, exactement l'inverse de mon artisan de lundi matin.










Ca nous ramène aux débuts du siècle dernier…
Ca nous donne à voir l'amour de l'ouvrage de cet artisan du bois, le goût d'emboiter avec justesse les pièces d'un simple tombereau à fumier.
La petite plaque apposée sur le timon signe l'œuvre.
Antxo d'Antxoenea a conservé soigneusement toutes ces reliques.
Il a pris soin de ses outils, de ses machines, de ses souvenirs.
Ils nous reviennent depuis tout ce temps, et nous émeuvent, nous, les paysans de souche attachés à ces valeurs là plus qu'à aucune autre.



mon vieux père content au milieu de ces vieilleries plus vieilles que lui, et là encore et toujours, aussi.






mercredi 19 juin 2019

12 au 19 juin



Mercredi 12 juin 2019 17h


























Après les pluies des jours passés, ma promenade prend des allures de voyage mystérieux dans la mangrove tropicale. Des plans d'eau immobiles, du bois flotté, une végétation luxuriante et des lianes épiphytes suspendues aux branches.
Les derniers myosotis échappés de la porcelaine translucide de nos assiettes font discrètement contrepoint aux lumineuses renoncules, et nous ramènent à nos contrées familières.
Nous sommes fébriles : une éclaircie météorologique de plusieurs jours est annoncée. Les foins peuvent être fanés. 
Je le disais il y a quelques jours à peine, l'impatience nous titille désagréablement. Juin en est à son mitan, et la grange se vide. L'effroi d'un hiver de disette se profile déjà !
Allez, c'est décidé, on se lance. Disques brillants des faneuses dressés en imploration païenne vers le ciel, moteurs vrombissant à bon régime, on déplie la barre de coupe, on  ajuste l'inclinaison, et on fauche, basculant les gerbes humides et lourdes les unes sur les autres.



Samedi 15 juin 7h40


La nuit a été orageuse. des averses drues martelaient les tuiles au dessus de mon lit. Je les entendais, c'est dire !
Le foin coupé en andains renversés de la montagne ont essuyé le grain. Si le temps se lève cette après-midi, ça ira. De vigoureuses pirouettées en continu chasseront l'humidité. Le séchage pour le coup n'aura pas été trop brutal !
Si les averses persistent, n'y pensons pas, pour le moment.
Ainsi va la vie du paysan…
Le foin est coupé comme les dés sont jetés. Tout se joue en dehors de nous. Soumis, implorants, dents serrées, le paysan scrute le ciel, espère le soleil et la brise. Le nuage lourd et l'orage qui gronde lui tordent l'entraille et aiguisent son nerf. 

12h40

Grand soleil, brise modérée sous ciel pur. Ouf !


Dimanche 16 juin 18h15









Un dimanche splendide, lavé des craintes et des miasmes.
Hommes et machines sont à pied d'œuvre.
Les pirouettes fouettent, les andaineuses ramassent les bords.
Au soir, le foin embaume. Brins fins, d'un vert bleuté, souple sans être mou.
Demain lundi, une dernière pirouettée, peut-être, puis, mise en rang et "roundballage".
C'est le programme idéal d'une fanaison réussie.




Lundi 17 juin 7h00




Aïe !  Aïe, Aïe, Aïe…
Un couvercle sombre écrase le paysage, là où on attendrait le beau disque du soleil levant.
Une brume silencieuse et étouffante se pose sur tous nos espoirs.
S'il pleut maintenant, le fffoin est fffoutu !!
Juste coupé, une averse le dépoussière. Après deux jours de séchage, elle le pourrit. Les brins noircissent, mollissent, extrudent le rance et l'aigre. Une catastrophe.
J'invoque et j'implore, ardemment.



10 h




Aaaahhh !!!
Le disque solaire se profile derrière les lambeaux déchirés.
Le ciel s'éclaire et le soulagement allège la tension crispante.




11h



On s'y remet. La pirouette va vigoureusement chasser l'humidité déposée par la brume, infiltrer la chaleur solaire, et ébouriffer les brins offerts au vent léger.
15H




Le foin est à point. Soufflé, aéré, parfumé, craquant sans casser.
Comme en cuisine, il faut saisir le bon moment, ni trop ni trop peu.
Andainer au soleil haut, mettre en balle juste après, pour plier les brins gorgés de chaleur, sans les rompre. 
C'est un art, la fanaison, une conjonction délicate et subtile, improbable et complexe.
C'est le gage d'une année de bon fourrage.
C'est la marque d'un savoir-faire, d'un flair paysan.

C'est des hommes et une nature, tous et chacun à leur juste place.


17h30

Les foins seront rentrés.
Le paysan a mouillé sa chemise.
Les grosses balles en tournesol arrivent à bon port.































Mercredi 19 juin 2019 15H


 

La grange est remplie.
Une satiété cousine de la nôtre, quand l'avenir assuré aplatit les crins d'une échine vite levée d'inquiétude. 
Bigoudi et les Neskak auront du bon foin. Elles le goûteront à la rentrée du pré, ce soir. Nous les regarderons mâcher, les yeux fermés sur un contentement complet, et partagé.







Les champs pelés reverdiront des prochains regains.

La pluie peut revenir ourler la crête allongée du Jaïzkibel.
Le paysan est satisfait.

mercredi 12 juin 2019

10 juin



Lundi 10 juin 2019 17h15

Ma tournée châtaigne, ma promenade entre les fougères bientôt plus hautes que moi, avec les chiens enchantés de toutes ces odeurs en pistes à suivre :



 Dès le début de mon parcours d'observation, les feuilles sombres et muettes du premier châtaignier soulignent les inflorescences en grappes claires du deuxième. Ces deux là s'entremêlent, et il a fallu ce stade de floraison pour que je les dissocie. Tout proches, et si différents, pourtant.









Juste un peu après, avec la branche coudée de l'acacia en rambarde, le deuxième sujet de mes fines observations, penché sur le chemin. Pour celui-ci, pas l'ombre du début de la moindre "grapillette" de fleurs. Il est dans l'expectative, attend, une température plus douce, peut-être. Le fait est, aujourd'hui encore, le vent de noroît s'insinue désagréablement entre le soleil et la peau. Mes citrouilles sous terre doivent elles aussi rester dans l'expectative, en attente, pour germer.







J'avance encore, oblique à droite, sous la voûte large de mon troisième arbre.
Ici, la fleur s'étire en pustules géométriquement annelées, comme un collier de perles oblongues.






La conformation ras du sol de la couronne végétale facilite l'observation et la prise d'images précises. Sous la lumière diaphane tamisée par les frondaisons, l'ambiance sous-bois protectrice et silencieuse apaise et détend.






Mon quatrième châtaignier, juste en dessous, ne parle pas. Les feuilles vernissées n'abritent pour le moment aucune fleur.





Les chiens furètent autour de moi, attentifs et un peu impatients de reprendre la promenade.



Sur notre droite, en contrebas, se joue l'itinéraire inéluctable du monde végétal, proche cousin de notre monde : un vénérable chêne, large, haut, lourd de ses bois anciens, périclite. 
Beaucoup de ses branches noires sont sèches. Les quelques feuilles rachitiques s'agglutinent en amas blanchis d'oïdium. Le lierre rampe et les ronces grimpent dans cette ossature immense encore, mais sur son déclin.
A son côté, à son ombre jusque là, un jeune châtaignier s'élance. Il sent la lumière enfin accessible au travers de la ramure mitée. Il se projette et fuse, dardant son énergie comme une lance plantée dans le flanc de l'immense ancêtre mourant. 
Le drame se joue en silence, il s'étire dans un temps long pour nos yeux d'homme. Il se joue, pourtant.






Ce décalage dans la perception du temps,  quand le nôtre est si court, cette tragédie en silence, quand nous ne savons pas souffrir sans hurler notre douleur, ne m'empêchent pas de ressentir ce spectacle comme le drame qu'il est. 
Drame pour ce chêne centenaire qui s'étiole, poussé vers la décomposition et sa fin, drame juste et inscrit dans la perpétuité naturelle, où les vieux arbres s'effondrent, libérant l'espace et le chemin vers la lumière, pour laisser place aux jeunes plants vigoureux et impatients.
Ce chêne vénérable, cet arbre à la ramure immense et souveraine dans ce coin de bois, a fait son temps. L'incendie  d'il y a presque cinquante ans dans ces parages a du abréger ce temps, il ne paraît pas si vieux.
Les forêts sont vivantes et les arbres s'en partagent la partition.
Le monde végétal est vivant, et nous pouvons accéder à cette émotion de vie, si nous nous projetons dans son échelle temporelle.

Pour moi, la barrière n'existe pas entre notre monde humain, le règne animal et le végétal. Même le minéral me paraît "compréhensible" à nos perceptions d'hommes.
Je dois trop transposer,  peut-être…
M'imaginer à m'en perdre, sûrement.

Je me souviens bien combien j'étais bouleversée par la mort d'une vulgaire cane de basse-cour, ravalant mes larmes pour ne pas entendre les remarques méprisantes de ma mère, qui ne voyait dans la cane que le repas du dimanche. 
Je me rappelle combien l'agonie d'un grillon enlisé dans le mélange de farine et de vin que nous lui proposions comme pitance, quand nous l'enfermions dans un bocal, pour le faire "chanter" à en mourir, me serrait les entrailles. Je l'avais pourtant traqué dans son trou, ce grillon, fait monter le long de la tige d'herbe introduite dans la galerie étroite, pour l'en débusquer, et déposé moi-même sur le fond de verre. Le bourreaux doivent fonctionner ainsi, détachant leur sensibilité d'une partie de leurs actes. Ils sont sûrement capables eux-aussi de s'émouvoir aux larmes à la vue d'une fourmi amputée, quand ils tranchent des gorges sans se poser de questions. 
Là encore, une histoire de sas trop perméable, où l'on passe d'un côté à l'autre d'une barrière invisible, en se diluant au passage.
Quelle curieuse chose que la nature humaine, tout de même !

Dans le même registre, même si le rapprochement semble aléatoire, mais je n'en suis vraiment pas à un aléatoire près,  j'ai toujours été ahurie par la violence diffusée en pleine journée, dans ces documentaires animaliers, où la gracile antilope court de toutes ses forces devant la lionne lancée derrière elle. 
L'antilope bondit et étire ses sauts, autant qu'elle le peut. Le fauve s'aplatit dans sa course et la talonne. L'antilope se fatigue, les yeux exorbités, terrorisée et rendue, déjà.
La lionne la rattrape, elle plante ses griffes sur la croupe striée d'écume. L'antilope en un dernier sursaut se dégage, encore, le sang perle, elle court. La lionne enragée par cette fuite et ce sang accélère elle aussi. Elle bondit, lourde de son poids de fauve et de sa colère. Elle écrase sous elle l'antilope. 
La bête cornée se débat, tente de se libérer, n'y parvient pas. La lionne plante maintenant ses crocs dans le flanc palpitant. Elle remonte à la gorge d'où le sang chaud gicle en salves d'une vie à défendre. La lutte soulève la poussière dans un désordre brutal et sanguinaire. L'antilope se débat toujours, autant qu'elle le peut. La lourde lionne sur elle arrache déjà des lambeaux de chair chaude, elle éventre et fouaille, fourrage dans la pelure soyeuse maintenant salie.
Longtemps l'antilope lutte. Et longtemps, la lionne déchire.
Enfin, l'antilope laisse tomber sa tête au bout de sa gorge ployée et offerte.
La lionne se couche, et mange, cette viande encore palpitante.

Ma mère adorait regarder ces documentaires. Elle suivait les images d'une attention gourmande. Moi, je ne les supportais pas, et je ne la supportais pas, elle d'y prendre du plaisir.
Ces documentaires sont très prisés je suppose, puisqu'ils continuent d'être diffusés.
La brutalité et la violence seraient-elles mieux supportables, quand on parle de jungle sauvage ?
L'ailleurs et l'autrement nous carapaçonnent-ils dans notre capacité à ressentir ? Ou le décalage nous exonère-t-il ?
Je dois avoir un caparaçon trop perméable….
La molécule pare. Elle rend étanche ce sas où la terreur et les horreurs restent dehors.
Intellectuellement, je fais mes rapprochements d'avant, mais mon petit monde ne s'en bouleverse plus. 
Je vis "à côté" de moi. De ce moi trop lucide ou sensitif pour ignorer la vanité de nos illusions "préservatoires".
Et c'est bien plus confortable ainsi.

Me revoilà perdue dans mes forêts intérieures ! Je n'essaie plus de me suivre, je me tiens juste à vue, de loin, et laisse errer mes pensées. Ces errements me plaisent et je m'y trouve bien.

Je me raccroche aux branches basses, rattrape la lumière diffusée au travers de la canopée, et reviens vers la bonne rive.
Les bosses aplaties des Trois Couronnes me ramènent à la douceur de vivre.






Je continue ma tournée d'observation.










Ce châtaignier-ci, résolument typé japonais, conforte les premières comparaisons. Les hybrides asiatiques fleurissent les premiers, par dessus les feuilles étroites.









Mon petit dernier, en bas de la fougeraie donnant sur la mer, allonge de fines panicules délicatement ciliées.
Les groupuscules s'emboîtent en séquences régulières, arrondies, très différentes des géométries à plusieurs facettes des premiers.

Toute cette diversité dans un si petit périmètre laisse imaginer le foisonnement des combinaisons possibles entre les différentes variétés de châtaigniers.
Je me cantonnerai à ces six là, pour ne pas me perdre davantage que je ne le fais déjà !

Mes chiens, eux, ne se perdent pas. Ils dressent les oreilles dans cette ambiance "djeunguel' fantasmagorique. Le chemin se perd, lui, dans la végétation exubérante, affolée par les séquences humides, fraîches, puis, subitement, chaudes.
Quand je n'y passe pas de trois jours, les lianes des ronces s'entremêlent à partir des deux côtés, et les frondes souples des fougères ployées recouvrent la piste ténue.









Les minuscules étoiles de la légère stellaire piquètent les tiges raides des graminées épaisses.



Je rentre à la ferme, avec l'impression d'avoir parcouru des mondes...

dimanche 9 juin 2019

4 au 7 juin



Mardi 4 juin 2019 6h25

Mon lever de journée :







Mercredi 5 juin 2019 14h40

Une toute autre ambiance :







Vendredi 7 juin 2019 9h40

Mes belles au pré :





Bigoudi, égale à elle même, attentive sans être inquiète. Elle regarde l'avancée de sa troupe de petites :







Et les petites s'assurent qu'elle n'est pas trop loin. Entre deux bouchées.







Graziosa, la gourmande un peu godiche,






Katto pelatto, intuitive et sereine,









Neska Motz, la plus petite, courtaude et coulée dans l'ombre portée de Bigoudi,







Buru Haundi, concentrée sur la pitance, l'aînée de la fratrie des Neskak, noire tachetée de blanc, avec sa bonne grosse tête, elle mérite bien son nom.




Ma belle  équipe au champ, mon petit monde et ma joie.
Mon plaisir de vivre entre bêtes et plantes.





15h20

Le petit vent frais a séché la croûte dressée des sillons hauts. Toute la pluie de mercredi a filé plus bas. La terre peut se travailler en surface.
Je vais semer mes citrouilles. La saison s'avance, les conditions sont bonnes, on fonce, en famille.
Tout le monde est mis à contribution, gens et machines.
Le petit Super 3 d'Antxo, l'homme au navet, prend l'air, tirant la sillonneuse maison, légère sur le lit de semence fine derrière le massif Rotavator.






Le paternel surveille, en forme, content de participer à cette marche, de perpétuer ce qui a fait toute sa vie d'homme.
Je me distrais au grand air des affaires administratives courantes et obligées.



Toujours mes petits projets, mes petits plan(t)s  d'avenir.


lundi 3 juin 2019

30 mai au 3 juin



Jeudi 30 mai 2019 6h40

Jour de l'ascension. Enfin, quelque chose qui ressemble à une véritable journée de printemps !










Les vaches du cousinou attendent au portail. C'est l'heure de la ration matinale.



7H00 
Le soleil arrive, à gauche de la pinède, loin de Mère-Rhune au repos.



7h50

A Agorreta, les vaches ont mangé. Elles se reposent, avant d'aller au pré.
J'ai fait un tour au cimetière, retaillé les eucalyptus et nettoyé les pétales des fleurs. Des flocons brumeux se soulèvent entre les flancs ronds des montagnes espagnoles.

Le frérot maintenant à la ferme lâchera Bigoudi et les Neskak tout à l'heure, quand le soleil haut aura lapé la rosée de la nuit.
Les cadences ici sont maintenant formatées à la carte, pour les bêtes et les gens.

La jardinerie ouvre plus tard en ce jeudi de l'ascension.
Je vais y aller tranquillement. Saluer d'abord Doudou, puis la laisser avec mon père pour la journée.
Tiens, justement, en parlant du loup, je l'entends en bas se lever, ébouriffer  Bullou dans notre langage chien.

La journée commence en beauté.


Lundi 3 juin 2019 14h38

Les tracteurs vrombissent alentour. 
Les foins sont rentrés, pourtant. Plus que séchés, ils ont été saisis, par la brutale et trop forte chaleur. Février et mars secs, puis mai froid, ont paillé les herbes hautes de l'hiver, sans laisser le temps à la fraîche repousse d'apporter son complément nutritif.  
Ce foin a manqué d'eau, de chaleur, de temps, pour se gorger, s'enrichir de nutriments et maturer à la bonne température. Coupé et couché sur un sol froid et mouillé, il a subitement était vidé de son eau par un soleil écrasant et excessif. Ces écarts dans le rythme lent d'une nature bousculée se répercuteront sur  la qualité de fourrage, sur sa digestibilité et ses apports nutritionnels.
Les vaches mâcheront sans plaisir un foin sans saveur et sans odeur.
Il faudra se souvenir longtemps du parfum de foin coupé dans le champ…

Ici, nous attendons sans précipitation l'herbe rasée en fin d'hiver par les brebis de Joseph-Louis. Nous attendons qu'elle pousse drue, épaisse, et riche. Nous attendons que le sol ressuie en profondeur. Nous attendons une période propice, des journées sans pluie, un soleil bien présent mais pas tyrannique, une brise légère et amicale.
Nous attendons, ces conditions optimales, et peut-être jamais réunies !

Evidemment, notre attente se titille d'une impatience chatouilleuse, de ce petit suspense crispant du foin "à rentrer", de ce doute de ce qui doit être, et ne se pourra peut-être pas...  Notre sagesse de surface se lézardera sûrement à la prochaine éclaircie annoncée. Nous nous précipiterons, alors, invoquant à quelques jours près la saison qui avance, l'épi qui se vide, et les tiges qui cassent.
 Nos théories se couleront dans le pragmatisme des attitudes volages dont nous sommes les jouets soumis, oui, mais lucides, allez !

Mes vaches mangeront ce que nous pourrons leur offrir, avec notre meilleure volonté, certes, mais surtout celle d'une nature capricieuse.
Mes vaches au pré, les Neskak couchées tranquilles autour de la royale Bigoudi, observent sans inquiétude l'avancée de l'attelage de mon frère.







 Il broie les quartiers menacés d'invasion par les "cornes rouges", comme les appelait Mizel, ces rumex aux lances dardées de graines agglutinées, prêtes à se laisser essaimer au premier vent venu.
Elles grapilleront les brins déchiquetés. La repousse sera gorgée de sucs. La prairie toute régulière, sans ces refus disgracieux, disséminés comme de vilaines verrues sombres.

Je prépare mon semis de citrouille. Je suis en plein progrès, capable d'attendre la chaleur infusée sous la croûte, capable de ne pas me précipiter, ou pas trop. Juste assez pour m'en féliciter, du moins.

Je reste corrigible, en chemin, mais loin d'un but qui ne me tente d'ailleurs guère.
Mon tempérament, ma fantaisie dépolluée de ses excès fermement contenus par la molécule, me satisfait pleinement, pour le moment. Je sais la fragilité de ces équilibres vite malmenés, et je tâche de ne pas me réjouir trop vite. Je sais aussi la stérilité des craintes anticipées, la vanité des tentatives d'un raisonnement étriqué.
Je vis mes jours de plénitude et de sérénité, sans arrogance, en presque confiance, en pleine conscience, du moins dans la latitude que nous laisse cette conscience brouillée par l'autre, l'"in", roublarde et manipulatrice, cachée derrière.

On ne refait pas sa nature. On ne la commande pas plus que l'autre, la souveraine.
On s'y plie et on s'y fait une place, la plus confortable possible...