mercredi 15 mai 2019

15 mai



Mercredi 15 mai 2019 14h30



Des journées radieuses d'un printemps idéal allègent les humeurs chagrines.
A peine un voile diaphane s'étire sous le ciel haut, à l'azur sinon intimidant.
Un petit vent toujours frais vivifie le teint, atténuant la chaleur déjà mordante d'un soleil haut.
Les hirondelles fusent comme des jets, entrent et sortent dans la ferme par les portes grandes ouvertes de l'étable.
Les chiens s'allongent, se déplaçant de l'ombre au soleil, suivant leur meilleur confort.
A la jardinerie, les clients achètent, heureux dans leurs jardins, pleins d'idées et d'envies.

Je suis dans une bien bonne passe, sereine et légère. Que cela me dure !

Entre la blanche cigogne et le noir corbeau, entre le bien et le mal, entre l'ombre et la lumière, j'ai eu lundi dernier l'occasion d'éprouver le bienfait d'une bonne action. Quand elle ne demande pas trop de peine, évidemment…
Les anges désintéressés se font rares, de nos jours, et je n'en suis pas !

Lundi après-midi, je me promenais dans la campagne paisible et scintillante de ce printemps idéal.
Je lambinais voluptueusement le long du bois de l'anglais. Nous continuons de l'appeler ainsi, même s'il y a belle lurette que "l'anglais" n'y est plus, faisant fi de l'actuel espagnol. Le "bois de l'espagnol", ça sonne nettement moins bien que le "bois de l'anglais", je trouve.
Le soleil tamisé des frondaisons encore tendres parsemait le chemin d'ocelles lumineuses.
J'avançais, respirant largement; les chiens trottinaient autour de moi.
En ligne de mire, Mère-Rhune isocèle pointait le mitan de mon monde.

Au bout du petit bois, je bifurquais à droite, dans l'herbe déjà haute aux épis lourds à ployer les tiges minces. Je voulais aller voir où en était la floraison de mes châtaigniers témoins.
Je m'avançais, un peu courbée, pour passer sous les branches basses.
Là, un vieux chien, en fait, je le sus plus tard, une vieille chienne, furetait dans les restes de feuilles mortes craquantes.
Je m'étonnais de la trouver là, seule. Elle devait s'être perdue, et son maître la cherchait sans doute. Elle vint vers moi, agitant sa queue poilue en signe d'amitié. Les miens ne lui firent pas mauvais accueil, flairant peut-être sa détresse ?
Elle était longue comme un teckel, poilue, je l'ai dit, comme un griffon, couleur sable comme un labrit. Son museau blanchi et ses yeux larmoyants disaient les années.
Une vieille chienne bien fidèle, sans doute.
Je lui parlai, la flattai derrière ses oreilles pendantes.
J'en étais à me demander si je devais la ramener à la ferme, ne voyant personne alentour.

Cherchant mieux trace d'une présence humaine, essayant d'apercevoir entre les futaies le chemin en contrebas, j'entendis un appel sourd :

- Il y a quelqu'un ? Aidez-moi !

Je localisais mal la source de cette détresse. Mes oreilles, même appareillées, restent imparfaites.
Je m'avançais dans l'herbe haute, par le bord, pour ne pas compromettre la fanaison proche. La vieille chienne me suivait, accrochée à mes talons. Les miens fermaient la marche.

A quelques mètres seulement, une piste d'herbe écrasée me renseigna sur une trajectoire toute récente. Je ne voyais toujours personne, mais j'entendais les cris plus proches.

- J'arrive, je suis là.

Toujours rassurer, rassurer encore, dans les cas d'alarmes.
Je mis mes pas dans ceux, coupables, de celui qui avait ainsi piétiné le foin à venir.

Au bout de ma piste, je vis. 
Je vis une pauvre femme couchée dans les herbes hautes, la tête vers le bas, glissant dans la déclivité à chaque mouvement qu'elle tentait pour se relever.
Ses jambes formaient un angle bizarre, elle essayait de se protéger la tête de ses bras. Elle avait perdu une chaussure. Son visage cramoisi aux joues striées de larmes disait la panique de sa posture inconfortable.
Je m'approchai, réitérant mes assurances d'assistance immédiate.
Le femme était dans mes âges, un peu plus vieille peut-être. Son visage rougi aux traits gonflés se perdait dans les herbes froissées.
Elle était sur le côté droit, une jambe pliée sous l'autre, le menton sur l'avant-bras replié lui aussi, mains au dessus de la tête, ou, plutôt, dans la configuration, au dessous.
J'ai entendu parler de la position latérale de sécurité. Jamais je n'ai pu retenir s'il fallait mettre la personne en danger sur sa gauche, ou sur sa droite. Confondant moi-même allègrement les deux, un peu prise de l'urgence à tenter quelque chose, oui, mais quoi ? je préférais la laisser telle quelle. Ne pas essayer de bouger la victime, n'est-ce pas ?

La femme enfin entendue dans sa plainte se rassénérait.
Sa vieille chienne lui tournait autour, et agitait sa queue poilue de plus belle, couinant de tout petits gémissements.
Je m'accroupis doucement, à hauteur du visage de la femme.

- Vous avez mal quelque part ? 
- Non.

- Que vous-est-il arrivé ?
-  J'ai glissé, je ne peux plus me relever.

- Avez-vous des problèmes d'équilibre ? Des ennuis de santé ?

Moi-même coutumière de vertiges et autres chutes, je me sentais compétente dans la situation.
J'improvisais un questionnaire de première intention, sensé m'aiguiller sur la meilleure conduite à tenir.
Je reprenais la maîtrise de la situation; le cas semblait sérieux, mais pas désespéré. Tout à fait dans mes cordes, à priori.

- Je suis handicapée, j'ai du mal à respirer.

Aïe, là, ma belle assurance fondit comme neige au soleil. Problèmes respiratoires, cardiaques, peut-être ? Je me demandais si je ne devais pas appeler du secours.
La laisser là me paraissait cruel. Elle continuait de vouloir se relever, et sa station dans l'herbe empirait d'autant.

- Je vais vous aider, décidai-je. Ecoutez-moi, vous voulez bien ?
- Oui, souffla-t-elle.

Cette confiance inconditionnelle aiguillonna mes aspirations secouristes.
Forte de moultes séances relevages, avec ma mère d'abord, puis, mon père ensuite, je me targue d'avoir en la matière une expérience avérée.
Je me plaçais sous la femme, maintins ses épaules fermement, glissant mes genoux sous sa tête inclinée.
Elle se laissait faire comme une grosse poupée désarticulée. Les quatre chiens furetaient autour de nous.
- Pouvez-vous déplier votre jambe ?
- Je vais essayer.

La pauvre femme soufflait.

- Attendez, vous allez d'abord respirer.

J'accompagnais mes paroles d'une respiration profonde et lente. Elle suivit mon rythme, soufflant bruyamment par la bouche. Un petit fond d'haleine avinée me donna à comprendre sa chute, entre autres motifs, peut-être, mais bon, quand-même...

Je remis la chaussure perdue en place, massai les articulations, pour vérifier l'absence d'une douleur aigue, signe de fracture ou d'entorse. Toujours forte de mes expériences médicales tout de même poussées. La femme ne manifestait pas de souffrance particulière, elle se rassurait, me tenant la main comme une perdue.
Elle était petite, avec des jambes toutes fines, quand son buste par opposition semblait bien généreux. Penchée au dessus d'elle, j'atteignais ses pieds, au bout de ses jambes repliées.
Je soulevais un peu son buste, jaugeais ses capacités et son ressort.
Elle paraissait suffisamment tonique.
Je connaissais bien la manœuvre pour rétablir une meilleure position :

- Vous allez vous mettre à genoux sur ce côté.

Je pivotais doucement ses épaules, soulevais la jambe qui pesait sur l'autre. Avec un han d'effort, elle la dégagea, et l'allongea devant elle. La seconde suivit, propulsant les extrémités inférieures hors de mon atteinte.
Elle continua elle-même les massages, arrondissant son dos contre mon flanc.
J'écartais les chiens, appuyais mon soutien, et accompagnais le mouvement de la femme pour se mettre à genoux. La déclivité du terrain, sa position tête en bas, n'aidait pas. Pourtant, elle donna un petit coup de reins assez vigoureux, et, tout fluidement, pris un meilleur appui sur ses genoux. Là, elle voulut se redresser, derechef. Trot tôt, trop vite !
Elle s'était décollée de mon appui, et me revint, bille en tête, et tête en avant. J'esquivai de justesse son crâne contre mon front. Je rattrapai comme je le pus la chute. La femme était retombée sur ses genoux, toujours tête en bas.

- Retournez-vous doucement, à quatre pattes.

Elle obtempéra, avec davantage de précautions.
Les chiens, amusés de ce semblant de jeu, suivaient le mouvement. La vieille, à petits pas. Les miens, à petits bonds amusés.
Pour faire bonne mesure, je faisais de même. Tous au même niveau, au ras des herbes saccagées.
Ce petit mouvement rotatoire nous mena dans le sens de la pente, bien plus confortable au redressement envisagé.
La femme, soufflant toujours, mais pleine de bonne volonté, souleva dans un autre han d'effort sa jambe, posa un pied devant elle, et, s'appuyant lourdement sur moi, se releva.
Une laisse rouge se balançait autour de son cou. Elle flageolait un peu, mais tenait bon. Respirant toujours par la bouche, elle reprit contenance, épousseta son tricot en velours côtelé, rajusta les jambes de son pantalon en toile fine.
Relevé, son visage restait congestionné, mais de meilleure augure.
Un temps de repos encore, et nous nous remîmes tous en route. Elle levait bien haut ses jambes à chaque pas, un peu comme les soldats russes à la parade.
Cahin-caha, nous revînmes sur le chemin caillouteux, sur le plat sécurisé.
Elle me remerciait, serrait encore ma main avec effusion.
Je lui souris, bien contente de cet épilogue heureux.

Mes chiens attendirent ce moment pour se rendre compte de la présence de ces intrus dans notre promenade.
Subitement, quand jusque là tout le monde marchait tranquille, ils s'en prirent à la vieille chienne. Je calmai mon petit monde à coups de pieds et de cris. Une récente trachéite rendait ma gouaille bien rauque, et peu efficiente. Les coups de pieds compensaient.
Ma mini-meute finit par comprendre qu'il fallait laisser les deux rescapées en paix. Elles cheminèrent dans les tâches de soleil, la femme un peu vacillante mais assez droite quand-même, la chienne mufle bas et queue ballante.

Nous reprîmes le cours de notre sortie.
J'étais contente, contente de moi et de la femme.
Moins contente de mes chiens, si peux compatissants et vite redevenus mauvais.

Dans ces petites têtes, ange et démon, noir et blanc, bien et mal, tout ça se mêle et se confond bien vite :





Voyez ce petit Ttiki, fruit des amours de Kaxu la jolie et de mon Ballurdo si gentil et tant regretté.
C'est un chien fidèle et câlin.
Voyez-le ici : n'est-il pas bien vilain, retroussant ses babines sur une hargne vive ?

Tout se mêle et se confond, c'est bien ça...










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