lundi 4 avril 2016

UN NOUVEAU VENU



Pour ne pas vous laisser dans cette tristesse grise, je vous livre bien vite un épisode plus clair.

Nous avions dormi une heure ou deux.
Je me demandai quelle était la meilleure manière de tirer la vache morte hors de l'étable. Les services de l'équarrissage ramassent les cadavres d'animaux, mais ne sont pas équipés pour rentrer dans les vieilles étables comme la mienne. Il faut tirer la vache à l'extérieur, avec le tracteur, et c'est là encore une scène bien pénible.

Au tout petit matin, Olivier descendu en éclaireur à l'étable remonta, un grand sourire aux lèvres :

          - Tu l'as enterrée un peu vite, ta Fauvette ! me lança-t-il depuis la porte.

Je me passai de l'eau sur le visage, les traits tirés par la nuit blanche.

          - Elle n'est pas morte, elle a même bougé. Elle s'est couchée dans la fougère !

Je me précipitai à sa suite. Au fond de l'étable, Fauvette, effectivement, était couchée dans la litière, la tête bien relevée. Elle ne paraissait pas bien fringante, peut-être, mais bien vivante !

Je lui proposai de l'eau sucrée. Elle but, un seau, puis un autre.
Nous étions au vendredi matin. Je ne travaillai que l'après-midi.
Je distribuai les rations à tout le monde, puis ouvrit la grande porte métallique sur le pré.
Les vaches défilèrent les unes derrière les autres, reniflant toutes ces odeurs fortes. Elles humèrent  le petit cadavre allongé dans un coin, et s'en détournèrent. 
Fauvette continuait de venir le lécher de temps à autre. Elle s'était relevée, se déplaçait, avait même mangé et bu. Elle semblait sauvée, elle au moins ! Les restes placentaires pendant derrière elle la gênait, elle maintenait sa queue relevée. Je tirai sur ses mamelles congestionnées pour la soulager de son trop plein de lait qui gouttait. Elle se laissa faire, sans trop bouger.
Elle sortit avec les autres.

Je nettoyai le fond de l'étable souillée. Le cadavre du veau mort serait enterré.
Il fallait maintenant prévoir la suite des opérations. 

Fauvette vivait, et elle allait produire du lait. 
Je pouvais la tarir artificiellement, avec des seringues de pommades antibiotiques poussées dans ses mamelles. Fauvette est une croisée normande et blonde. Pas une grande laitière. C'était faisable.

Je pouvais la traire matin et soir, et consommer ce lait. Tout de même, même en aimant le lait, une dizaine de litres par jour, il faut y aller !  Il n'y a plus de cochons à Agorreta. Ce débouché m'était refusé...

En troisième option, je pouvais trouver à ma Fauvette presque ressuscitée, un veau adoptif de substitution. Le lui proposer, essayer de le lui faire accepter pour sien. Ça aussi, c'est faisable, mais pas toujours gagné d'avance !
La mère ne s'accommode pas facilement d'un autre veau, le veau n'est pas toujours habile à téter le pis, s'il n'y es pas habitué...
Une période d'adaptation est nécessaire, avec volées de coups de sabots, et contorsions difficiles à l'appui.
Au risque de devoir traire la vache, comme dans la deuxième option, et faire boire le petit adopté rejeté au seau. Envisageable...

Après rapide réflexion, je choisis la troisième option. La plus optimiste !
Marcel, notre maquignon maison, fut missionné à la recherche d'un petit veau nouveau-né à vendre. 
Toujours efficace, il en trouva un dans la matinée.

En rentrant de la jardinerie, le soir, je trouvai un petit breton sagement attaché à la première place. Tout propret et mignonnet. Ce Marcel est un vrai professionnel. Il ne vous livre jamais une bête, petite ou grande, sans l'avoir soigneusement apprêtée. Celui-ci semblait sorti d'un institut de beauté !
Dans l'idée d'abuser Fauvette, je frictionnai le nouveau venu avec des bribes de placenta conservés pour cet usage. Il aurait l'odeur du veau mort-né, et Fauvette le prendrait pour lui. Peut-être...

Mes vaches rentrant du pré s'étonnèrent de cet intrus. Encore perturbées par les odeurs persistantes dans le fond de l'étable,  sentant la présence du petit breton en bout, elles ne voulurent pas venir se ranger à leurs places.
Ma ruse grossière n'avait pas fait long feu.... Fauvette avait flairé, puis envoyé un jet de naseau répugné sur celui que je voulais lui  faire prendre pour sien. Quelle grossière erreur ! Ma Fauvette ne s'en laissa pas conter une demie seconde, et se détourna.

Olivier dut sortir le nouveau venu dans la cour, pour que les grandes daignent entrer.

Ce fut ensuite la séance de présentation à Fauvette.
Le petit n'avait pas mangé depuis le matin. Il avait faim. Il buvait jusque là au seau. Il faudrait lui faire comprendre que la posture pour se nourrir avait changé !

Fauvette, maintenant attachée à sa place, toujours entravée par le placenta qu'elle n'avait pas expulsé, inquiète et fatiguée de l'épreuve de la nuit précédente, était douloureuse de son pis renflé.
Elle envoya quelques coups de sabots au petit que nous maintenions contre son flanc. Mais sans grande méchanceté, juste pour marquer sa désapprobation.
Le petit se montra un élève vif et décidé. Il repéra la mamelle, comprit le phénomène de succion en quelques secondes, et se gorgea de lait, entre deux poussées de Fauvette mécontente.
Le lait du premier jour, le colostrum, est un liquide particulier. Je ne voulais pas rendre le petit veau malade. Je l'écartai du pis assez vite, et terminai l'ouvrage à la main.
Fauvette fut magnanime. Elle protesta encore une fois mollement, mais se laissa finalement soulager sans trop broncher.

Samedi matin, après la tétée encore une fois un peu acrobatique, je laissai Fauvette et le petit breton ensemble dans l'étable calme, attachés l'un à côté de l'autre. Les autres, au pré !
Ils pouvaient se humer, mais Fauvette était attachée suffisamment court pour ne pas avoir la possibilité d'encorner le petit. On ne sait jamais !
Notre petite vétérinaire locale, la pimpante Bégonia, devait passer dans la journée, pour décrocher le placenta adhérent, et s'assurer que tout allait bien pour Fauvette.

Au soir, la tétée fut presque tranquille. 
Dimanche matin, Fauvette et son petit breton faisaient connaissance dehors, à l'écart des autres.




Au début, le petit et la grande s'ignoraient.



Puis, le breton repérait ce pis ma foi dispensateur de bon lait.

Il suivait Fauvette pas à pas, se mettant dans son ombre, sans trop s'approcher encore.

Les choses ne se présentaient pas mal.

Fauvette acceptait de nourrir ce petit étranger. Elle ne le repoussait pas.

Ils s'apprivoisaient l'un l'autre gentiment.




Les ayant laissés ensemble, à l'écart des autres, toute la matinée du dimanche, je décidai de passer à l'étape suivante : présentation au troupeau.

Les vaches sont en général pacifiques. Elles n'attaqueraient pas un petit veau vulnérable.
Lui, perdu de tant de nouveautés, errait, gambillant de ci de là, meuglant son désarroi.
Fauvette, contente de retrouver son groupe, le laissa là et s'en alla paître plus loin.

Bigoudi et les deux génisses s'approchèrent, curieuses. Le petit breton s'affolait un peu. Il se mettait à courir dans le champ, laissant mes vaches perplexes.

Avec Olivier, nous surveillions. Le petit allait se calmer. Les grandes viendraient le flairer. Il retrouverait Fauvette et sa bonne odeur de lait. En quelques jours, elle se laisserait téter dehors, et ce petit breton nouveau venu prendrait la place du veau mort-né. 

Ça, c'était mon idée, mon espoir.
C'aurait pu être la réalité. Ce ne le fût pas !

Petit breton courait tant et si bien qu'il finit par inquiéter Pollita, vite en alerte quand elle sent quelque chose d'anormal trop près de son petit.




Se méfiant d'un danger potentiel pour lui, elle considéra quelques secondes le petit agité, et, d'un élan lourd et agressif, elle le chargea, tête baissée.
Elle aurait pu se contenter de le repousser, et le laisser vaquer plus loin.
Mais là, non, elle ne le voulait pas dans le même champ que son petit, et elle le lui fit savoir. 
Elle le coursa, cornes en avant. Le pauvre petit breton détala de toute ses forces, complètement paniqué. Il alla se faufiler entre les rangs de barbelé de la clôture, s'égratignant salement au passage.
Il était dans la prairie voisine, chez Conchita. Il avait glissé dans le fossé où l'eau des dernières pluies coulait encore.
Olivier accouru le trouva là, misérable et tétanisé d'effroi.
Je les rejoignis, et nous dûmes attendre un bon moment que Petit Breton retrouve son souffle, pour songer à remonter de là.
Il soufflait, le pauvret, et s'appuyait de son flanc soulevé par saccades contre la jambe d'Olivier qui l'empêchait de glisser.

Au bout d'un long moment de pause, où Lola et Bullette réconfortèrent le petit veau à coups de langues et de museau,  où, assis dans l'herbe nous savourions tous ensemble la douceur du début d'après-midi, Petit Breton se remit sur ses pattes sans trop flageoler. 
Nous repartîmes vers la ferme. Au passage, dans les parages de Pollita, nous comprîmes à son attitude toujours hostile qu'elle n'avait pas changé d'idée sur la question. La triste figure du tout petit ne l'apitoya nullement, et elle entreprit même une petite charge d'avertissement.

Échaudés, nous n'insistâmes pas davantage. 
Nous ramenâmes Petit Breton à la ferme. Installé à sa place, il se coucha comme on tombe, et dormit tout son saoul jusqu'au soir.
A la rentrée des grandes, il retrouva assez d'allant pour se remplir le ventre au pis de Fauvette.

Ce matin, il est resté à sa place, sagement. 
J'ai renoncé à retenter une intégration dans le troupeau. Pollita est trop protectrice avec son petit. Et petit Breton trop exotique encore pour qu'elle le voie d'un œil moins noir.

Pour le moment, ce petit veau attendra dedans, tranquillement. Il boit tout à fait bien, digère parfaitement, et grandira dans le calme de la vieille étable.

Ah oui, vous ne le savez peut-être pas. Les vaches noires et blanches sont issues de la race nommée "bretonne". D'où mon Petit Breton.
Un début un peu mouvementé pour lui à Agorreta. Mais bon, plus de peur que de mal.
Et ma belle Fauvette tirée d'affaire.

Je vous montrerai évidemment l'évolution de ces deux là.

Bonne chance à notre Petit Breton d'Agorreta !

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