dimanche 21 mars 2021

19 au 21 mars

 


Vendredi 19 mars 2021 10h50


L'ambiance travaux vibre et résonne dans la ferme.

Comme nous sommes partis pour une bonne année au moins, autant que je m'y fasse au plus vite. Je pourrai toujours migrer à Rivière, si mes oreilles me le demandent.

Je passe chaque soir faire une visite. C'est très agréable de voir son projet avancer. 

Très agréable surtout d'avoir de bons artisans, capables de tout prendre en main, sans venir vous chercher à chaque imprévu. Et Dieu sait que dans une vieille bâtisse, il n'en manque pas, de ces surprises le plus souvent mauvaises... Rien que ce matin, j'entends le plombier s'échiner sur la dalle de béton sûrement un peu plus épaisse que ce à quoi il se serait attendu. En démontant l'existant, on met à jour quelques montages surprenants : une vidange encastrée en oblique dans le vieux mur de pierre, très pratique à modifier, ou encore un repiquage électrique hasardeux. Entre beaucoup d'autres...

Beaucoup d'artisans différents se sont succédés ici, chacun y allant de sa patte. Les empreintes des uns et des autres se chevauchent. Le résultat est souvent déconcertant, et laisse perplexe les plus hardis. Je reprends les mêmes professionnels, d'un chantier à l'autre. Ca m'évite d'avoir à expliquer, justifier, excuser, les anomalies trop fréquentes. Quand ils acceptent leur nouvelle mission, ils savent à quoi s'en tenir, et s'engagent, en me donnant quitus pour tout ce qu'ils pourraient légitimement contester, s'ils n'étaient pas coutumiers des parages. Mes équipes sont constituées d'aventuriers taillés pour braver les impondérables les plus improbables. 

J'ai bien gardé en tête le "aqui, no veo yo ninguna dificultad" (là, je ne vois aucun problème), de ce plombier flegmatique, mis au pied du mur devant le changement d'abreuvoir de ma Louloutte tant regrettée. Je suis bien sûre que la majorité de ses collègues y en aurait vues, des "dificultades"...

Je me repose ainsi sur eux, et m'allège d'autant. Comme disait Cavada, un autre guerrier de l'extrême en salopette, " tou payes, mais aprrès, tranquilo, hé ? 

C'est bien ça.


Ce vendredi, mon programme est plus plat que la semaine dernière. Un seul technicien en vue, connu de mes services, fort sympathique et diligent. Il me fera un agréable intermède, après la sieste. Enfin, sieste, si le plombier a réussi d'ici là à perforer la chape...

Le temps est à la pluie. Au froid, aussi. 

Hier, il faisait beau. Le soleil de mars "pega con el mazo" "cogne à la masse", certes, et, dans ses rayons, il fait bien bon. Un petit vent de noroît débusque ce bien-être. 

Hier, j'ai passé ma journée à enlever et remettre mon gilet au gré de mes activités. C'est bien simple, quand les clients me demandent conseil pour le choix d'une plante, je les oriente vers les jauges ensoleillées, au fur et à mesure de l'avancée de la journée. Je n'ai plus qu'à espérer que celui que j'ai guidé le matin ne revienne pas l'après-midi, tant d'une heure à l'autre la même plante passe de préconisation judicieuse, à erreur à éviter, selon qu'elle soit au soleil ou à l'ombre, pas dans le jardin du client, non, mais dans ma pépinière... Honte à moi !

Je m'allège aussi, dans mon travail salarié, d'une exigence professionnelle trop contraignante. Je compte sur l'expérience pour compenser mes baisses de performances. Je deviens de plus en plus efficace, d'après moi. De plus en plus fainéante, et inopérante, d'après mes collègues. 

Bah ! La vérité doit être quelque part entre les deux, par là.

Hier encore, j'ai aussi passé pas mal de temps les yeux au ciel : une immense grue mobile charroyait les pans d'une toute aussi immense grue de chantier. Le garage Porsche en devenir appelle quelques travaux, d'une toute autre envergure que les miens. Chacun ses valeurs, et son échelle.

Très haut très haut là haut, de minuscules ouvriers suspendus dans le vide, happaient d'énormes assemblages métalliques, d'impressionnants rectangles de béton, approchés pas ladite grue au bras puissant érigé magistralement. C'était saisissant de maîtrise et de technologie. Ca ne faisait pas trop de bruit. La perche géante pivotait sur sa base lentement, hissant sans effort des tonnes de matériel. La grue en construction s'allongeait sur le ciel pâle, où quelques oiseaux étonnés volaient derrière elle. Un ou autre avion, l'hélicoptère de l'hôpital de Bayonne, croisaient aussi le fer avec ce bras mouvant barrant leur trajectoire.

C'était prodigieux de puissance et de précision. J'en avais le souffle coupé.

Là encore, mes mises en place d'hier ont été très nettement conditionnées par les angles de vue sur les grues. Les plantes que j'ai disposées dans la même jauge sont de cousinages aléatoires.






Qu'importe, je pourrai les déplacer n'importe quand, plus conventionnellement. Quand je n'aurai peut-être plus jamais l'occasion d'assister à un tel spectacle.

Jean-Michel se demandait si les pièces présentées n'étaient pas aimantées, pour s'ajuster si facilement, vues d'en bas. J'étais sceptique : si l'engin avait été aimanté en son bout, quelques Porches garées non loin seraient montées avec, non ?

Enfin, je n'ai pas voulu polémiquer. Bien contente déjà que mon patron ne me sermonne pas de ma coupable distraction. 



Ce matin, douillettement installée dans la vieille cuisine tiède, je savoure le bien-être de mon zona en voie de guérison. J'avais imaginé, espéré ?, que l'éruption des plaques pustulantes signait la fin d'un phénomène ourdi là dessous à bas bruit. Encore une fois, je me trompais. 

Quand comprendrai-je enfin que je suis toujours à côté de la plaque, même prise dessous ? Ne me l'a-t-on donc pas déjà assez dit ? Et bien,... non, non, non,...il faut croire que non. Je persiste à me penser fine et clairvoyante, quand, manifestement,  je suis obtuse et dans les choux. Passons.

Le phénomène éruptif n'est pas la fin de l'histoire. Non. Elle en est l'avant-garde. La plaque arrive sur la peau comme l'écume arrive sur la grève, juste avant que l'eau lourde de la vague derrière ne s'effondre dessus.

Concomitantement  aux petits boutons purulents massés diaboliquement dans les plis délicats, de sourdes douleurs lancinent tout le long du flanc, en un pourtour enveloppant. Un genre de herse bien serrée autour de l'abdomen et jusque sur le poitrail, qu'un mauvais malin génie tire à lui, sans semonce ni préavis. 

Les douleurs avancent au fur et à mesure que les vésicules sèchent en surface. Le tout irradie parfois sur l'ensemble du périmètre, pour s'assurer sans doute de l'effectivité des connections nerveuses. La peau brûle et la chair se contracte en crampes brutales.

Dieu merci, tout ça finit par se calmer. De petites démangeaisons taquines annoncent la fin du supplice. Le muscle se détend, appelant quelques étirements voluptueux. J'en suis là, alanguie comme après une rude épreuve sportive.

Ma journée de total repos aujourd'hui achève de décrisper les derniers nœuds. 

Comme il est bon de retrouver une forme jusque là dédaignée comme moyenne, quand on l'a quelques temps perdue !

Ou les vertus réparatrices de l'absence...


17h30

J'ai fait un saut à la bibliothèque. J'en suis ressortie les bras chargés de livres. Satisfaite comme quand on aligne des bocaux de conserve sur ses étagères. Ma provision de bons moments de lecture est assurée.

Au retour,  j'ai lâché les chiens dans le cimetière. A un moment, j'ai perdu Lola de vue. J'ai fini ma tournée des caveaux, sachant la retrouver près de la voiture, si je ne croisais pas sa route de petite chienne fureteuse d'ici là. 

Le cimetière est un petit "bloc" à sa manière. Laconique de ses dates gravées sur les pierres lisses, il égrène sobrement toutes ces histoires des gens qu'on a connus, et qui ne sont plus.

Je suis souvent surprise, quand je vois inscrites les dates de morts de mes connaissances. Par exemple, cette après-midi, je me suis arrêtée devant le caveau des Lacroix : Koxemartin est mort en 2006. Je me vois très bien allant saluer sa dépouille mortuaire, dans une chambre sombre de  Mailharrenia. Mais j'aurais situé ce moment bien plus loin dans le temps. Sa sœur Alexandrine l'a rejoint en 2011, quand j'imaginais que ma mère lui avait survécu.

Dans nos souvenirs, les temps se mélangent. Sur la pierre ou le papier, ils se gravent et restent là, pour le passant ou le lecteur qui flâne. 

Revenue dans notre décennie, je me suis avisée que je ne voyais toujours pas Lola. Ma petite vieille est sourde. Les volées venteuses devaient la perdre plus encore. Retournant vers la voiture, je ne l'y vis pas. Je rebroussai chemin, refaisant notre parcours en sens inverse. Bullou et Txief trottinaient autour de moi, sautant irrespectueusement sur les tombes les plus basses.

Nous avions bouclé notre périple en revenant vers notre caveau familial. Et là, du bout de l'allée, je vois ma Lola, juchée sur une tombe de pierre grise, près de la nôtre. Elle regarde en direction du fronton où notre nom luit dans un rayon de soleil rescapé. 

Je sais bien que ça ressemble à un effet romanesque. Et que je suis bien du genre à voir des choses qui n'y sont pas. Pourtant, le croira qui le voudra : ma Lola assise attendait mon retour, du côté de là où ses vieux maîtres reposent. 

Le vent en rafales soulevait ses poils drus en petites ondes mouvantes. Son regard restait rivé sur la tombe. Elle n'entendit pas notre approche, et sursauta, quand elle me vit tout près d'elle. Je l'avais à hauteur de poitrine. Je la pris contre moi, et elle appuya son museau froid contre mon cou. Une onde de chaleur me parcourut étrangement.

Nous sommes rentrées à la ferme, elle toujours lovée contre moi.

Je sais bien qu'une explication toute rationnelle me tend les bras : Lola seule dans le cimetière est revenue à l'endroit où elle me voit le plus souvent. Evidemment. Mais l'histoire est plus jolie comme je la raconte. 

Ca sert à ça, entre autres, écrire : raconter pour faire de ce de quoi on parle quelque chose de plus joli.


Dimanche 21 mars 2021 19h30


Le froid saisit désagréablement au détour du moindre flanc mal exposé.

Le grand soleil nous a tout de même tirés dehors, là où partout dans la nature le printemps ramène les verts tendres, dorés, froissés. Les couleurs gaies piquètent les talus. C'est la jolie saison. Quand ces coulées froides remonteront dans leur nord, ce sera parfait.








Ce matin, c'était l'opération Olivier sur un toit vraiment pas brûlant.

Harnaché comme pour la haute montagne, il a fait le tour de la toiture. Ca paraît extravagant, peut-être, mais mieux vaut avoir l'air extravagant que de finir démembré quelques petits mètres plus bas. 



Ce serait bête :  avec un peu de chance, nous avons peut-être encore un peu d'avenir à vivre.

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