vendredi 12 mars 2021

10 au 12 mars

 

Dimanche 7 mars 2021 8h





Nous avons les dimanches bricolages, ces temps-ci.
Le coffre à grains se recycle en atelier improvisé.











J'en suis toujours à cette idée d'accueillir les hirondelles au mieux.
Les travaux dans la ferme vont les perturber. Je vais tâcher d'amortir tout ça. 
Et d'amortir en moi une onde de choc déraisonnable, rationnellement. Intuitivement, pourtant, je sens là une affaire d'importance...
J'ai vu dernièrement un reportage sur la reconstruction de nids d'hirondelle artificiels, destinés à être repositionnés sous le pont de Saubusse, maintenant rénové. Ceux en place avaient été détruits par les travaux.
Je ne suis donc pas la seule à m'intéresser à ce genre de choses. Cette communauté réconforte. 
Je suivrai le retour des hirondelles, de Saubusse et d'Agorreta. Dans une quinzaine de jours, la première devrait virevolter autour de l'étable, le dos arqué sur la fatigue d'un long voyage. Ce sera le moment d'étudier les issues et les entrants, de baliser pour elle un parcours acceptable.
Je croise les doigts. Presque hermétique aux sourires suffisants des fats.
Mes fleurs naïves feront panneaux de déviation efficaces, qui sait ?
A voir, très vite maintenant !



Mercredi 10 mars 2021  8h








Le levant estompe imperceptiblement le paysage dans cette laitance persistante. 

Je garde cette impression d'une densité dans l'air différente. Particules sahariennes ou pollution diffuse, quelque chose a changé. A moins que ma seule perception soit en cause. Ce qui ne m'étonnerait pas !

Le poirier fleurit triomphalement d'une blancheur scintillante, inentamée par mes doutes.


  9h30


La cuisine ensoleillée embaume la vanille. Mes pommes ont fini de cuire.

Le soleil est là, pas assez fort encore pour chasser le frais du matin. Je sortirai tout à l'heure.

Je relis en ce moment mes chroniques de la même période, sur l'année dernière.

Mon sentiment d'alors se confirme, à un an de distance. Cette période a été le juste aboutissement d'une course contre la montre, entre ma résistance et celle de mon père. Et nous avons gagné ensemble : lui, les meilleures conditions pour la fin de sa vie, et moi, l'apaisement du devoir accompli de justesse.

Je le redis : le coronavirus nous a été allié. 

La course contre la montre cette année se joue entre cadence de vaccinations, et mutations d'un virus tenace.

Je pense que c'est une question de temps. La mobilisation est mondiale, à l'échelle de la pandémie. Il me semble avoir pensé un moment, l'année dernière, que ce virus nous renfermerait sur nous-mêmes, quand l'autre devient menace. Les frontières alors étaient perçues comme des barrières protectrices. Les foyers confinés comme des abris à sauvegarder de toute intrusion contaminée. Ca n'était pas parti pour la grande ouverture, ni de corps, ni d'esprit !

Finalement, la recherche scientifique s'est déployée bien au delà des frontières. Elle a diffusé dans le monde entier, comme l'a fait la pandémie. Ces deux là s'affrontent encore, et se narguent. Je pense, j'espère, que la science aura partie gagnée. 

Et que la leçon de cette dernière année s'appuiera sur cette solidarité, médicale, économique, aussi, avec ces plans de soutien faramineux, impossibles à la seule dimension nationale.

Ceci pour la minute géopolitique, mauvaise resucée d'informations mal digérées, par une mal dégrossie qui veut paraître fine analyste.

Ma jolie poussée de zona s'est assagie. Les plaques sèchent en une géographie capricieuse. Mon méridien est caméléon en mosaïques carmines. 

Les névralgies thoraciques s'estompent, elles aussi. Les circuits fulgurants de terminaisons nerveuses connectées à l'improbable réveillent de vieilles sensations. 

Je constate une fois encore la congruence d'une unité corporelle dont les spécialistes médicaux se font des manteaux. A les voir faire, chacun plongé dans sa spécialité, chacun concentré dans son périmètre physiologique bien limité, on se sent vite comme un puzzle impossible à assembler.

 Quand, pourtant, à un moment, on est bien un tout, tout de même ! Et même au delà de nos simples corps physiques, quand les pressions atmosphériques, les températures, les ondes électromagnétiques et autres intervenants environnementaux, plus ou moins directs, s'invitent dans nos mécanismes internes, à travers une membrane de peau aussi perméable qu'une frontière ouverte. 

Sans me vanter, je suis devenue une experte certifiée du phénomène, avec mes vésicules auriculaires reliées en direct-live à l'ambiance terrestre. Je n'irai pas jusqu'à extra, terrestre, encore que.... mais là, je perdrais toute crédibilité, déjà, que...


L'épisode douloureux a été suffisamment aigu pour être signifiant. Assez bref pour que j'en garde l'idée d'un hiatus  très supportable, et, peut-être même, bénéfique. Ou quand on est décidé à tout prendre du bon côté, coûte que coûte ! (quoi qu'il en coûte, c'est Macron).

Je me suis à une ou autre occasion, penchée sur les théories de sublimation de la douleur physique. La mentale, c'est elle qui a plongé en moi, sans que je ne lui ai rien demandé.

Cette histoire d'accueillir la sensation douloureuse, de l'intégrer comme un sas vers un monde supérieur où la possibilité de s'y soustraire procurerait la jouissance et l'extase. Mouais...

N'est pas Marquis de Sade qui veut. Je me contente de calquer mon rythme respiratoire sur les flux douloureux, inspirant la montée en crise, et relâchant l'air au moment du reflux. Ca peut, ça pourrait, donner le commencement d'une ombre d'impression de contrôler le truc. De le canaliser, de ne plus y être soumis sans aucun pouvoir d'y résister. De reprendre l'ascendant.

Je sais trop maintenant la vertu de l'humilité, pour me laisser berner par cette illusion de contrôle. Je reste confiante dans l'idée qu'un minimum de participation positive ne peut pas nuire. Et je m'y tiens, gentiment.

Au milieu de tout ça, pour le moment, je m'en sors, pas trop mal.

Le soleil est maintenant conquérant.

Je vais de ce pas y réchauffer mes vieux os décalcifiés.


19h36


J'ai largement profité de la très belle après-midi, au grand soleil.

Je mène mes chiens dans des taillis broussailleux où ils se régalent à fureter.  Je les attends au bord, contente de leur joie.

Tous les talus se piquètent de couleurs printanières. De larges planches de délicates violettes azurent les chaumes des fougeraies. Les bourgeons gorgés de sève éclatent partout. Les chatons pâles des saules sauvages disséminent déjà leurs fétus mûris.

Je suis rentrée ravigotée de tout ce bon air.

Titto m'a fait choisir des couleurs : un gris léger très doux, au lieu d'un blanc trop dur. Un ton à peine plus soutenu, pour les belles pièces de boiserie. Les images colorées qui me suivent partout dans la ferme animeront toute cette élégante sobriété en éclats énergiques.

Les choses se mettent en place. Dans le bon ordre.


Vendredi 12 mars 2021 10h50


Je suis en vigie : j'attends la faïence. Je dois intercepter le livreur, le faire bifurquer vers l'itinéraire-bis via le remblai. Si je laisse ce pauvre homme arriver par le chemin défoncé, ma faïence,  je n'aurai plus qu'à l'éparpiller dans les nids de poule.

La téléportation vers mon nouvel habitat s'annonce. Je ne suis pas pressée. Je suis parfaitement bien installée, ici, pour attendre. Je me surprends même de cette patience, de ce presque détachement, moi d'ordinaire sur les charbons ardents pour le moindre projet initié.

Les charbons ardents, je les ai entre les omoplates. Forcément, ça calme !

Je suis moins sûre aujourd'hui des bienfaits de ces petites crises urticaires. Elles sont une saine alarme, sans doute. Mais peut-être pas tant le sas vers un monde meilleur que je le voudrais.

Je serine mon : "ce sera mieux, après". Pour m'en convaincre. Parce-que c'est quand-même mieux que de se dire :"ce sera de pire en pire"... Mieux que de se persuader du second, sans se donner la chance de vivre bien l'espérance du premier. Et, qui sait, son aboutissement ?

Pour exemple, à chacune de mes crises de Mesnière, je me dis que c'est peut-être la dernière. J'ai bien lu quelque part que la maladie s'arrêtait, au bout d'une durée d'entre quinze et vingt-cinq années. Tout de même...

La maladie s'arrête, me certifie-t-on, quand le malade se rend compte qu'il peut contrôler les crises. Et cet apprentissage demande un certain temps. Soit. Encore une démonstration que la science seule ne suffit pas. Il y faut l'enseignement et son lent cheminement. Savoir ne sert de rien, si l'on ne sait pas comment on a appris.

Je sais que mon cerveau doit être capable de contrôler les crises. Mais il ne pourra le faire que quand il aura appris comment. Bon.

En attendant, ce terme m'est promis, et me rend bien mieux supportable le parcours qui m'y mène.

J'en suis à une bonne dizaine d'années de combat. Deux tiers du chemin accompli, au mieux, près de la moitié, au pire. Allez, allez, ne perdons pas courage, et continuons !

Toujours persuadée de ma supériorité sur la moyenne, je me dis que j'arriverai peut-être, moi, à faire le tour du truc plus vite que les autres. Chaque nouvelle crise me jette à terre, et me ramène à moi-même, vaincue par une humilité obligée.

Qu'importe, je suis bien mieux que je n'ai été. Le pic est passé. Et le port en vue.

Mon défunt père disait bien dans sa 90ème année, qu'il n'avait jamais été aussi bien !

Il devait bien le savoir, tout de même, et être en état de tenir une comparaison fiable, au bout de tout ce temps. 

Alors, on peut vieillir et se trouver mieux ? Et, si lui, pourquoi pas moi ?

Ma regrettée mère, elle, se lamentait des misères de l'âge. Son parcours fût bien différent, tristement inscrit dans une déclinaison sans grands sursauts, dès après 70 ans. "D'ici avant", disait-elle, (le "dorénavant" lui a toujours tourné le dos, grand bêcheur trop précieux, va !), rrién dé bonn ! Cette femme, après 80 ans en France, a toujours gardé l'accent espagnol.

Je m'accroche à la visée paternelle. Sachant bien qu'on ne décide pas. Qu'on peut quand même espérer. Tant qu'on espère, on est bien, pour attendre.

Mes petites pointes de découragement, quand je me lamente avec Joseph-Louis, lui disant que "emendik aintzina" (le d'ici avant maternel), deus onik ! (rien de bon !), sont plutôt une façon d'accorder mes pas aux siens qu'une conviction.

Même si nous ne manquons pas d'un certain bon sens, lui et moi, en présageant qu'il nous viendra sans doute plus de petites avanies dans le genre de mon désagrément du moment, que de billets de 500 euros tombés du ciel devant nous !

Bah ! En sortant de Leroy Merlin, après avoir acheté ma faïence, justement, j'ai bien ramassé un petit 5 euros perdu sur le parking...

Alors...


16h30


Je reviens par ici, en attendant la défibrillation du site Bouygues. Je dois l'avoir engorgé, à trépigner mes clics en panique.

Mon portable a atterri dans l'eau, par maladresse. Je suis comme beaucoup, maintenant : persuadée que ma survie tient à ce petit boîtier qui me relie au monde. Le sentir inopérant me laisse vulnérable, comme le vieux chien abandonné sur une aire d'autoroute.

Que faire, sans ces SMS salvateurs qui vous débloquent un mot de passe oublié ?

Où aller, chercher l'opérateur logé dans le boîtier muet ? Je tâtonne sur le site, et m'y perds.

Cette après-midi ne me plaît pas du tout !

La journée avait pourtant bien commencé : les intervenants électriques, prévus dans la matinée, étaient là pour 8 heures. En une demi-heure, l'affaire était bouclée.

J'ai pu ensuite avec Beñat déposer Grand Modus au garage, au moment de l'ouverture.

Restait cette affaire de faïence à réceptionner. La plage horaire convenue allait de 11 à 14H. Ca risquait de contrarier un peu ma sieste, mais bon, exceptionnellement, ça pouvait faire. Et puis, sur la belle lancée du matin, le camion serait peut-être reparti pour midi.

Mais non. A 13h, pas d'appel du chauffeur sensé prendre les directives finales de trajectoire par téléphone. La sieste était compromise. 

J'aime à m'allonger à ce moment. L'assoupissement me vient tout de suite. Je me réveille comme une fleur une heure et demie plus tard.

Là, évidemment, je n'allais pas m'endormir, sachant que je serai tirée en sursaut de ce si bon repos. Je m'allongeai quand-même, posant le téléphone sur le rebord au dessus du lit, du côté de ma bonne oreille. Enfin, de la meilleure.

Je sentais bien le sommeil me venir, et combien il aurait été bon de s'y laisser glisser.

Le téléphone tinta. Et je sursautai. C'était bien le chauffeur, me demandant par où il devait passer. Je le renseignai, et m'apprêtai à aller au devant de lui, l'itinéraire n'étant pas très protocolaire. Dans la précipitation, et sans entrer dans des détails scabreux, le téléphone se retrouva dans l'eau. Mince ! Je le repêchai au plus vite. L'essuyai du mieux que je pus. Le chauffeur devait me rappeler quand il serait arrivé sur zone. Notre seul lien glougloutait dans les circuits noyés ! 

Je vérifiai le fonctionnement de l'appareil. L'écran vacillait d'une lueur tremblante. Il répondait aux sollicitations des touches. Je faillis le relaisser tomber par terre, quand il grésilla de nouveau. Le chauffeur arrivait, mais n'était pas bien-sûr d'être sur la bonne voie. Je le rassurai, me rassurai au passage de sentir mon petit boîtier encore vivant.

La rencontre physique eut lieu dans le vent désagréable de cette journée mitigée, entre averses et éclaircies froides. La manœuvre ne se passa pas trop bien. Le camion était gros, les parages étroits et agraires. Le chauffeur s'impatientait, perdait en adresse ce qu'il dépensait en nervosité.

Après quelques essais infructueux d'une approche difficile, je préférai lui faire décharger sa palette sur place, sans l'exhorter davantage à s'approcher du but. Rasséréné, il se montra immédiatement plus conciliant. Il poussa l'urbanité jusqu'à faire un brin de conversation à Lola, hissée sur le haillon.

Nous nous quittâmes bons amis, lui et moi.

J'ai charroyé ma faïence à la brouette, dans le vent toujours vif. Les chiens me faisaient escorte dans mes aller-retours. Ce passage là me plut bien : j'ai toujours apprécié la travail physique où rien ne requiert le neurone. Là, il n'y avait vraiment pas loin à calculer : charger trois paquets dans la brouette, assurer l'équilibre, descendre la pente raide en évitant les ornières, et rouler jusque dans le grenier pour empiler les colis contre le mur. Recommencer, dans le même ordre, jusqu'à tant que la palette se vide. Ca me consolait bien de ma sieste manquée.

Le seul désagrément soufflait dans ce vent froid à rebrousse-poil d'un soleil impuissant.

C'est ensuite que je constatai la défaillance de mon téléphone. Je l'ouvris pour regarder l'heure. L'écran noir me tendit son désespoir.

Je pratiquai les gestes de premiers secours en ces circonstances : démontage, extraction de la pile, exposition du tout à la chaleur asséchante. Quelques gouttelettes humides arrondies sur les minuscules platines chromées ne parlaient pas de beau temps. Aïe !

A l'heure où j'écris ces lignes, le petit boîtier rouge éventré repose sur le poêle.

J'essaie d'appeler à la rescousse sa maison natale. Qui ne me répond pas.

Finalement, je vais juste aller rechercher Grand Modus révisée. 

Attendre Olivier annoncé, et lui mettre tout ça dans les mains. Que mes liaisons au monde passent par lui arrange assez bien mes affaires. Il n'y sera jamais plus maladroit que je ne le suis moi-même...


19h30


Tout va mieux.

Une petite virée dans le soir a fini de me rendre un monde meilleur.

La nuit tombe, piquetée des lumières d'Orio.






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