vendredi 5 mars 2021

28 février au 5 mars

 

Dimanche 28 février 2021  8h



La journée s'annonce belle. La période est au beau temps.





11 h 

Compte rendu d'opérations :


Nous consacrons ce dimanche matin au contournement de notre satané surpresseur.
Je l'aime bien, celui-ci, finalement. Je commence à le connaître, l'animal !
Pour autant, je préfère dans ma visée prochaine d'une logistique sans soucis, m'épargner les interventions de réglage et autres nécessités de l'installation surpressée.
Puisque nous avons à disposition un méandre visible de notre tuyauterie enterrée, nous allons pratiquer un pontage simple. Prendre l'eau de là, et l'amener ici, sans passer par l'alambic autour de la cuve de réserve.











Dans l'idée d'épargner aux générations futures des recherches archéologiques pour retrouver les conduites d'eau et leurs cheminements cultes et occultes, j'utilise une fois encore mon "bloc". Ne serait-ce que pour cette seule fonction, gloires lui soient rendues.
Il s'est passé trente ans depuis l'enterrement de tous ces tuyaux.
Une petite quinzaine depuis l'installation de cet abreuvoir.
Les protagonistes d'alors sont, pour certains, perdus pour nous, et pour les autres, perdus dans leurs souvenirs flous.
Nous avons du tâtonner, explorer, expérimenter.
Eux se contenteront de tapoter sur leur clavier. Et de nous revoir, tous, au chevet de la tranchée pour alors redevenue invisible.











Une petite nostalgie nous gagnera peut-être, si nous y sommes encore.
Un peu de gratitude émue leur viendra aussi, sans doute, de cette prévoyance à leur égard.



 
Bullou accompagne tous nos chantiers. Elle a retrouvé la pépite brillante dans ses prunelles noisette. Elle a repris un peu d'embonpoint, aussi. En petite terrienne terrassière, elle s'estomaque de tant de terre remuée.
Les deux autres sommeillent à l'intérieur, attendant la chaleur d'un soleil plus haut pour sortir à leur tour.
Une vraie vie de chiens !



Pour la fin de matinée, la tranchée est académiquement comblée. D'ici quelques jours, la pousse de printemps la verdira.
Nous transmettrons sans regrets le surpresseur et sa notice, à qui voudra bien les recevoir, et s'y pencher. 


Mercredi 3 mars 2021 18h55
Rivière


Je suis entrée dans ma 56ème année en me boursouflant de pustules. Et pourquoi pas !
Je veux voir dans cette éruption disgracieuse, et douloureuse, l'exsudation de plus d'un demi-siècle de rétention de mauvais sucs. 
Ca m'arrangerait. Se sentir la peau en feu, serrer les dents aux contractions douloureuses et lancinantes d'un muscle ferraillé sans ménagements, me paraît un prix très raisonnable à payer, si c'est pour la vidange des circuits principaux et annexes.
Ce temps, dans mes espérances de plus en plus proche, où ma vie sera enfin un long, ou moins long, fleuve tranquille, mérite expiation et pénitence. 
J'espère en être à cette étape purgatoire.
J'ai admis mes limites, et je me suis adoubée au respect de cette barre abaissée.
Une autre aurait supporté les écueils de mon petit parcours sans ralentir la cadence à aucun moment, le sourire aux lèvres et le souffle égal.
Pas moi.
J'imagine que tout ça est question de constitution, de programmation, de conditionnement, sans démêler la part des uns sur les autres.
Je ne suis plus, si je l'ai jamais été, taillée pour supporter la moindre tension. Je dois rechercher assidument le relâchement, la légèreté, la béatitude, même" benête". 
Comme disait l'autre, "no haces tu un metro oxenta" : je ne mesure pas un mètre quatre-vingt.
J'ai du trop forcer sur la pointe de mes pieds pour atteindre à peine un peu plus haut que ce que je pouvais. Non pas que ce que j'essayais d'atteindre ait jamais été bien haut. Non. Juste qu'il l'était à peine un peu trop, pour moi. Les étirements imposés délient les articulations. C'est bon. Jusqu'à un certain point.

Ma petite crise urticaire manifeste enfin une démonstration extérieure, bien visible. Et très vilaine. C'est un bon début. 
Jusque là, mes cyclothymies déconcertantes et mes vertiges hallucinatoires laissaient perplexes, au mieux, dubitatifs, très vite, et carrément sceptiques, les quelques intéressés à mon cas, même bienveillants.
Si ce dernier épisode en date pouvait signer la fin des appels moins audibles de la carcasse, je veux bien résister à l'envie furieuse de me démanger. Et prier main dans la main avec Jeannot.
Pour la bonne cause.
Et si cet épisode signait la fin tout court de tous les précédents dans la même veine, ce serait parfait.
Je sens bien la naïveté d'une telle exhortation à un sort implacable. Mais bon, sait-on jamais, dans la grande famille des sorts, il y a peut-être un ou autre cousinage magnanime.
Espérer n'empêche rien, même s'il n'assure pas plus.


Vendredi 5 mars 2021 10h49

Je retourne cette après-midi à Rivière, pour la deuxième séance rituelle de dépustulation, avec Jeannot. Entre autres. 
Je vais aussi réinvestir avec ma mini-meute la forêt grisée de boue et de bois morts enchevêtrés. Tout réclame la vie à revenir, par ici. Les ronces ouvrent leurs jeunes feuilles fripées, le long des lianes épaisses de l'année dernière. Quelques bulbilles pointent à peine. Les silhouettes élevées des grands arbres restent majestueuses, intouchées dans leur beauté par les tristesses hivernales.
Partout, on commence à voir les gros tracteurs. Ils sortent d'hivernage, prêts à reprendre les travaux dans les champs encore pelés.

Cette compulsion à accompagner la renaissance printanière remplit les allées de ma pépinière.
La journée d'hier fût laborieuse. Mon dos en feu, le côté hérissé de cratères violacés, interdisent l'assise ou le coucher. Les douleurs sympathiques d'une chair fouaillée comme au poignard se laissent mal calmer par des antalgiques démunis. Le moindre frottement, étirement, simple mouvement, est une prise de risque, vertement semoncée dans l'instant.
Je me plie à cette dure pénitence : comment faire autrement ?
La valeur de l'expiation se mesure aussi au degré de souffrance. Allez, d'inconfort, n'exagérons rien !
Cette joyeuse affaire doit durer plusieurs jours, paraît-il, voire quelques semaines. Bon.
Je me suis souvenue à retardement d'un épisode semblable, du temps de ma prime jeunesse. J'étais adolescente, 13-14 ans dirais-je, à la louche.
Au passage, je déplore encore ici la disparition de mes carnets tant regrettés. J'aurais à cette occasion encore recherché l'épisode, et en aurais retrouvé précisément les tenants et aboutissants. Faute de quoi, je tâtonne, entre souvenirs fugaces, et informations approximatives.
C'est ainsi, n'y revenons plus. Pour le moment, au moins. Ce genre de pensées négatives va me boursouffler une nouvelle vésicule. Je n'ai vraiment pas besoin de ça !

J'étais donc jeunette, fraîche, et presque innocente.
Cette flambée purulente s'écoula le long de mon oreille droite, et jusque sur l'avant de mon cou, en une lave rugueuse et suintante, pendant plusieurs semaines, je crois. Je ne me souviens pas d'avoir eu mal, à l'époque. Sinon à mon amour-propre, durement malmené, quand une grâce toute relative s'entachait vilainement de cette ignominie désastreuse. Ma carrière amoureuse dût en pâtir. Là encore, je ne me souviens pas bien. Et n'ai plus le moyen d'y retourner voir.

Renseignements pris, je repère maintenant dans ces phénomènes distants de plus de 40 ans, la même réactivation d'une varicelle mal traitée. Celle-ci aussi, je l'ai eue tardivement, vers les cinq ans. Ma mère en me coiffant égratignait les boutons poussés en capsules sur ma tête. Un petit sadisme couvait-il sous cette braise ? Non, je ne le pense pas, ou ne veux pas le croire. (Tout en le sous-entendant...). 
Plus raisonnablement, la pauvre femme éreintée par de multiples tâches devait-elle expédier les soins à la mouflette, décidée à l'emmerder, en déclarant cette varicelle tardive.
La même réactivation de ces deux flambées inassouvies ne se laissera pas cette fois sans dommage traiter par dessus la jambe. Je le sens bien. 
Déjà, mes terminaisons auditives abimées ne se souviennent que trop bien de la rancune de la mère maquerelle, euh, non... varicelle !
Je dois prendre la requête en considération. En tenir un compte suffisant.
Ce petit piquet de grève improvisé s'inscrit dans la trajectoire déjà bien amorcée.
Je m'en serais passée. Je n'attends plus confirmation de ma vulnérabilité. Cette dernière démonstration est superflue. La prise de conscience est consommée.
Malheureusement, je ne suis pas aux manettes, semblerait. On me met le curseur, et pas à ma guise.
Alors, je louvoie là dedans de mon mieux.
A aujourd'hui, les bouillons en cratère d'une nappe en fusion s'assèchent, et rentrent sagement sous une cape brunâtre assez peu ragoûtante, mais bien plus confortable.
Je peux même m'appuyer contre le dossier, sans sursauter.
La dernière nuit a été bien meilleure que la précédente, qui fût blanche.

Je garde bon espoir.
Le circuit sanguin échauffé sous ma peau ne l'est pas davantage que les circonvolutions neuronales grésillant dans mon cerveau.
Tout comme elles, il baissera en température.
La science académique n'explique pas tout. Elle admet et intègre un enseignement empirique qui lui fait bon complément.
A eux deux, ils devraient me sortir de ce mauvais pas.


19h18

Jeannot a renouvelé avec moi le rituel décontaminant.
Ce "mal donné" sera renvoyé dans les cordes. Alléluia !

En plus du réconfort de se savoir accueillie et soutenue, j'ai ajouté à la thérapie l'agrément d'une lente promenade en forêt avec Olivier et les chiens.
Le soleil d'aujourd'hui anime une végétation encore grisée de boue.
Nous avons regardé dans l'anse de la clairière, l'eau plane où les silhouettes des chênes se mirent.
L'agitation, les doutes et les tourments glissent là dessus et n'y font pas empreinte.

Sous ma peau encore grumeleuse, je sens le satin d'une douceur toute proche.
Un peu de patience encore, quelques semaines à tenir.
Je résiste à l'envie de gratter. Je laisse le travail œuvrer là dessous. Le mal mûri ne s'enkystera plus. Il aura accompli son devoir, et me rendra mes droits.

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