mercredi 7 avril 2021

26 mars au 07 avril


 Vendredi 26 mars 2021 19h


Nous rentrons d'une longue et lente balade en forêt. Les chiens s'affalent à mes pieds.

La matinée fût horticole, avec le rempotage des agrumes de Paulette. Déjeuner pleines papilles, avec lapin aux pruneaux et œufs au lait. Ca demandait une bonne sieste digestive, avant la promenade sous les chênes en début de feuillaison. Les bulbilles jaillissent partout.

Mon zona finit sa course. Un petit mois de désagrément, pour ponctuer la fin d'une période, je pense.


Dimanche 28 mars 2021  8h




Une belle journée s'annonce.






Les hirondelles attendues sont arrivées. Samedi soir, 27 mars, deux petits elfes bruns perchaient sur le timon du tombereau de Antxo. Je pressentais juste quand je comptais sur l'esprit de ce charpentier de marine, frère d'un paysan pur jus. L'affaire paraît bien engagée. 
Nos emplacements proposés iront-ils à ces dames ? Nous verrons bien. Pour le moment, la vieille étable est encore accessible. Je vais surveiller, déloger si nécessaire, si les hirondelles se mettent à nicher entre les vieilles poutres bientôt démontées. Ce qu'elles feront sûrement.


10h :

Le calendrier païen est respecté à la lettre : les hirondelles arrivent, les bêtes hivernées sont de sortie. 





Zaldi fait la belle, blanche sur le pré vert.
Ses copines bovines vont maintenant lui tenir compagnie.










Les plus jeunes ont un peu batifolé, avant de se mettre à la pâture.

La doyenne surveille, placide.



Mercredi 31 mars 2021 10h45


Arrêt rapide et sans images.

J'ai de moins en moins de choses à faire, et j'y mets de plus en plus de temps quand-même... Tiens donc !

Je suis ce matin en presque deuil national : j'ai du jeter bas plusieurs nids d'hirondelles de la vieille étable. Nous en avions récupéré plusieurs, pour les réinstaller sur la timonerie d'Antxo. Voir les premières hirondelles se percher sur l'ouvrage fut très encourageant. Espérer qu'elles nichent dans leurs habitats délocalisés relevait d'une foi ardente et trop naïve, peut-être.

Mes brunes sirènes des airs reviennent à leurs origines. Elles volètent ici, cherchant leur équilibre sur les longs clous charpentiers. Ce matin, l'une d'elles s'était mise en position couvaison, son petit poitrail bien rond ourlé sur le rebord d'un vieux nid. Danger. Point de salut par ici pour toute nichée démarrée. Notre calendrier des travaux se calque sur celui des artisans. Pas sur celui des migrations ornithologiques. 

Je dis notre, quand, moi, j'aurais bien été capable de retarder tout ça jusqu'à l'automne, histoire de laisser les hirondelles accomplir leurs cycles de reproduction. J'ai l'usage maintenant de ne plus n'en faire qu'à ma tête, et de tenir compte des autres, quand avant je les ignorais superbement, dans mes plans de carrière.  

Je dois aussi admettre l'exigence de mes impatiences, prépondérante encore sur mes scrupules écologiques. J'ai hâte d'inaugurer nos nouvelles installations. Et ma hâte égoïste musèle mes préoccupations environnementales plus nobles.

Tout ça mêlé me mène ce matin à une conduite éhontée et douloureuse : la profanation des nids sanctuarisés de la vieille étable. Le premier écart de ce genre plonge dans la désolation d'une culpabilité impossible à dédouaner. Pas d'expiation ni de pardon pour un tel sacrilège, quand on y est primipare.

La deuxième fois, on voit les choses plus légères. Et les fois suivantes, quand le filon est pris, on agit sans états d'âme, ou presque. On s'absout, on se pardonne. C'est sûrement le mieux à faire...

Au premier nid démonté sans ménagement, j'ai serré les dents. La petite hirondelle arquée en un vol affolé, tout près, m'a crevée le cœur. Connaissant la fin de l'histoire, j'ai fait taire cette sensiblerie qui prend maintenant trop souvent la parole en dame patronnesse. 

J'ai continué, avançant méthodiquement dans mon ouvrage de destruction. Carapaçonnée dans une légitimité intransigeante, j'ai éloigné de ma pleine conscience la vision des fines silhouettes bifides zébrant mon horizon en cris de détresse déchirants.  

Pour me donner courage, et bonne conscience,  je jetais de temps à autres un coup d'œil sur les nids réinstallés dans le fond. Avec Olivier, nous y avions mis la meilleure des bonnes volontés. Nous nous étions donnés du mal, en prévision de celui que nous allions faire. 

Mes remords inconfortables m'ont rendue mauvaise : après tout, ces hirondelles têtues, elles n'avaient qu'à suivre les panneaux de signalisation : ici, c'est stationnement interdit. Là bas, le confort de leurs anciens nids douillets leur tendait les bras.

Comme souvent, la compassion se mue en colère, quand la victime titille la culpabilité du bourreau par son martyre affiché. Enfin, du bourreau mal taillé pour sa besogne, il est vrai. Le bon bourreau, lui, le vrai, de culpabilité, il n'en ressent pas. Ni de culpabilité, ni d'autre chose, puisque, ressentir, déjà, sentir, même, ne serait-ce que, il ne peut pas, puisqu'il ne sait pas !

Bref, moi, je ne suis pas meilleur bourreau que pieuse bonne-sœur : je ne supporte pas d'infliger la souffrance, et, pour me tirer de ce mauvais pas, j'impute la faute à cet autre que je tourmente.

Dans ce cas d'école, ces hirondelles idiotes, incapables de comprendre mon dessein. Quand, moi, je crois si bien comprendre le leur. Ou des limites de l'anthropomorphisme...

A la décharge de mes persécutées, le jeune électricien à l'ouvrage n'incitait pas spécialement à se lancer là bas dans un projet familial. Percussion trépidante et vrilles lancinantes saccageaient l'effet bucolique de mes nichoirs improvisés. Ce petit jeune est un de nos presque familiers. Il est frère d'un qui s'occupa si bien de mon père, lequel s'occupa lui-même un peu de la grand-mère. Une grande histoire de famille, toujours, cette Agorreta, où tout est boucles et retours de manivelles. 

 Là, notre électricien a terminé le travail dans cette partie. Je laisse la porte métallique du fond ouverte, comme un engagement béant à entrer là. Pour autant, je ne ferme pas celle de devant. Vivre dans le noir par une aussi belle journée finirait de renflouer un petit blues sous-jacent.

Je vais laisser tout ça en l'état. Et voir.

Pour me remonter le moral, j'irai regarder mes nuances subtiles de gris à l'étage.

Imaginer dans ma prairie pour le moment déserte les silhouettes de quelques bêtes au pacage.

Mes bulles de niveau flottent un peu molles. L'activité frénétique au magasin, le bruit assourdissant des chariots et des rolls, la brusque chaleur de ces deux derniers jours, me les perturbent. Chahutées par les masses atmosphériques en turbulence, énervées par le changement de saison, agitées par toutes les émotions d'un moment de forte transition, elles se bousculent en désordre et complète assonance.

J'essaie de retrouver l'harmonie. Je la sens, pas trop loin. 

Ma seuguette Karine va me refaire les constantes.


16h20

Je reviens de ma remise à niveau, confortée par le laissez-passer professionnel.

Il fait bien chaud. J'irai par les champs au soir tombé. Les chemins s'empoussièrent de sécheresse comme au plein été. Nous virons Méditerrannée, semblerait, avec ce vent de plus en plus souvent, ces printemps secs, et ces poussées caniculaires trop fréquentes.

Le climat se détraque, et détraque les gens à forte connotation cosmique, dont je suis. Mon enveloppe corporelle est trop perméable. Mes fluides auriculaires se congestionnent de la pression atmosphérique, et les perturbations météorologiques filtrent jusque dans mes neurones. Vite, la molécule !

Et la pensée positive :

Je regarde faire mes trois hirondelles. Pour le moment, elles sont perdues, ne comprennent pas. Le fond redevenu calme devrait leur paraître plus accueillant.

Je le savais : cette histoire d'hirondelle va me tenir un moment.

Je pratique à fond la cognition bénéfique. Ca a eu marché...


19h30

Je rentre dans la paix du soir tranquille.

J'ai croisé des promeneurs et leurs chiens. Les miens se montrent plus urbains, je trouve. On se salue, quelques flairages de postérieurs, et on passe son chemin. Les paysages sont irradiés de la lumière de fin de journée. La chaleur est retombée. Une brise tiède caresse les peaux nues.

En contrebas du bois de l'anglais-espagnol, le jeune châtaignier s'élance, encore une fois. Et, encore une fois, le vieux chêne goguenard le chapeaute. Un chèvrefeuille endiablé et une ronce survoltée s'enlacent à son pied. C'est une course folle et silencieuse, un élan irrépressible, exaltant.

En revenant par ici, je remarque, dans les rais du soleil bas, une nuée de crosses encore fermées, dans l'ancienne fougeraie retravaillée en prairie. Ici, la nature reprend ses droits : les prothalles fragmentés se sont régénérés et les tiges dardent à profusion. Très vite, les larges ombelles vont pulluler.

La fougère et l'hirondelle sont toutes les deux bien têtues...


Dimanche 4 avril 2021  8h


Pâques chrétiennes.

Le soleil se lève au juste mitan d'une vraie pinède, cette fois. Comme quoi, cette histoire de pinède, à quelques semaines près, on y est.






La période est belle. Il manquerait une belle averse, pour rincer la poussière sur la végétation.

Une belle averse, aussi, pour abreuver mes plants de châtaigniers en début de feuillaison. Les jeunes pousses tendres se sont froissées à la grosse chaleur du milieu de semaine. Les racines sont encore en surface, elles ne plongent pas suffisamment pour pomper l'eau juste dessous.

Puisque la pluie annoncée pour Pâques ne viendra pas, je décide une intervention arrosage de printemps. Germain Lafitte le préconisait, je suis.

Nous allons quérir une cuve, l'emplir, descendre tout ça dans le champ. Un petit demi-quintal d'eau par plant assurera le débourrement des bourgeons en souffrance.

Ce matin aussi, nous allons raccrocher l'un des perchoirs à hirondelles, déplacé pour les passages des câbles électriques.

Mes petites protégées font la sourde oreille à tous nos appels du pied. Elles persistent pour le moment à vouloir reconstruire des nids dans la vieille étable. Mes mesures d'expulsion ne les découragent pas encore.

Je garde maintenant la grande porte en bois fermée. L'ancien sanctuaire est plongé dans une pénombre dissuasive. La lumière est là-bas, au bout du tunnel, avec l'accès libre sur le grand air extérieur.

Les couples d'hirondelles arrivent formés. Les partenaires commencent la parade amoureuse. Les femelles cherchent les nids, ou se mettent à les faire. Tout ce petit monde s'affaire, poussé par l'urgence de la reproduction. Il y a maintenant quatre couples dans les parages.

Je parie sur la presse d'une exigence supérieure. Les hirondelles se retrancheront dans leurs anciens nids, en construiront de nouveau, tout à côté.

Ca, c'est mon espérance vive...



Nourrie tout de même par une observation patiente et une foi fervente en la chance d'Agorreta.

Ce petit couple-ci étudie le coin. Tête levée vers les fétus suspendus, la femelle interpelle son homme :

- dis-donc, regarde un peu par là : ça n'irait pas, ça ?

Lui, bougon,  hausse les épaules :

- faudra bien, puisqu'on nous chasse d'à côté...


Christ a paraît-il ressuscité. Mes hirondelles peuvent bien déménager !


Mercredi 7 Avril 2021 7h40






En trois jours, le soleil s'est avancé d'un bosquet. 

Après les fortes chaleurs de la semaine passée, nous sommes maintenant transis d'une brise nordique. J'ai remis le poêle en fonctionnement depuis le matin. Ca paraît incongru, de se retrancher ainsi dans la tiédeur d'une maison fermée, quand dehors il fait grand bleu scintillant sur moults bourgeons anisés. 

Si mes courbes d'humeur "sinusoïdent"  en pics et plonges à l'amplitude effarante, le thermomètre n'est pas en reste.  Une manière de réconfort me vient, quand mes tumultes et ceux des airs se répondent. Je me sentirais presque universelle...



Je surveille mes hirondelles. J'attends le moment où je verrai une petite femelle se lover dans le timon d'Antxo. Moment toujours espéré, mais pas encore venu.

Les petites entêtées persistent et signent, à coups de giclées boueuses crépies sur la moindre aspérité de la vieille étable. Mon hôtel quatre étoiles ne les détourne pas de leur trajectoire.

Les jours passent, elles vont prendre du retard. Je n'aime pas du tout détruire le soir leur ouvrage du jour, brossant à coups de balai les fondations sombres plaquées sur les bois blanchis de chaux.

Il le faut pourtant : quand les artisans se mettront au travail, par ici, il ne fera pas bon être oisillon au nid. 

Dans le fond aussi, il y aura quelques jours de grisous. Le temps de bétonner le sol, d'ouvrir la cage d'escalier, et de hisser les murs de séparation. A quelques semaines près, tout ça aurait pu être fait avant l'arrivée des hirondelles. Mais ne l'a pas été...

Je garde confiance et espoir dans les fluides positifs conjugués des artisans, passés, présents et à venir. Mes hirondelles zébrant le ciel pur de cet avril incisif glisseront dans des courants où "congrueront" leur destin et le mien. La première couvée risque d'être compromise. Et la seconde ne jamais advenir. Et bien, j'espérerai pour l'année prochaine !

Nous avons pris date avec Antton et Beñat pour le 24 mars 2022. 

A ce jour là, si Dieu, ou ce qui nous tient lieu de Providence, nous prêtent vie, toutes les perturbations inhérentes à notre nouvelle organisation seront aplanies.

Nous devrions avoir retrouvé stabilité et harmonie. Celles-ci ou d'autres hirondelles nicheront dans la nouvelle étable. De nouvelles génisses, ou alors, deux vieilles vaches éthiques, paîtront, paisibles, dans le soir calme. 

Je les hélerai depuis la rampe : "Anttony ! Petra ! Zatozte onea !". Elles s'avanceront... ou j'irai les chercher, pestant contre leur indiscipline.

Lola restera sur le ciment, dans une tâche du soleil chaud. Txief et Bullou s'avanceront dans l'herbe, furetant pour dénicher les mulots.

Mes châtaignes auront moins de mal à feuiller. Leurs racines seront plus profondes.

Remontée du champ, je refermerai la grande porte métallique, panserai mes bêtes.

Je monterai ensuite à l'étage, pour faire le tour de mes bacs à fleurs autour de la cour tiédie au grand soleil de tout le jour.

Je saluerai pour la nuit mes familiers et m'apprêterai à retrouver Olivier. Si Dieu, ou ce qui nous tient lieu de Providence,  nous prêtent vie, à tous.

Je rentrerai, m'installerai à cette même grande table ronde. Et je raconterai ma journée d'alors.

Si je me souviens de celle d'aujourd'hui. Ou alors, si je puise ce jour là dans la mémoire de ce "bloc", et y retrouve cet instant de maintenant.

Notre mémoire humaine est faillible et indulgente. Elle s'arrange du temps passé et redessine l'histoire pour nous la rendre plus jolie.

C'est dans cette brume entre l'oubli et le pardon qu'est notre salut.

Oubli de nos manquements et pardon pour nos fautes.

Je me plais à cette romance en une fiction avenante.

Je me plais à ces retours où ma bienveillance m'exempte.

Si cet avenir là m'est laissé, je tâcherai d'y graver la course légère d'un temps aussi filant que le vol de mes hirondelles égarées.

Et, s'il ne l'est pas, au moins aurais-je eu la douce illusion de l'avoir à portée.

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