dimanche 24 janvier 2021

15 au 24 janvier

 


Vendredi 15 janvier 2021  17h40


L'eau a bien voulu me rendre la forêt. Enfin...

Elle emporté les couleurs avec elle. Seule, la mousse sombre verdit en pied des troncs calleux. 

Tout le reste est gris de boue et de feuilles molles mêlées.


















J'ai longuement marché sous les arbres, avec mes trois chiens. Eux aussi étaient heureux de retrouver leurs futaies odorantes. Et moi, plus encore de les regarder trottiner de l'une à l'autre, tous les trois.


Ma Bullou était tracassée, ce matin. Hier soir, en rentrant de la jardinerie, je l'ai trouvée amaigrie. Je ne l'avais pas vue depuis mardi matin, puisque le mercredi, je suis à la ferme, sans les chiens restés à Rivière. Cette subite perte de poids m'a fortement inquiétée. 

On m'a rapportée la triste histoire de ce si sympathique maçon, dont plusieurs chiens ont succombé à une contamination foudroyante. Ces temps-ci, les viroses palpitent dans l'air comme des menaces sourdes.

Ma Bullou est naturellement enjouée. Quand je la retrouve à Rivière le jeudi soir, après une absence de 2 jours, elle se jette sur moi, avec ses deux compères, en une bousculade joyeuse.

Là, elle s'est à peine laissée glisser du canapé, frétillant mollement de son petit moignon serré bas sur les cuisses. Quelque chose n'allait pas.

Olivier n'a rien remarqué de particulier. 

Quand on a une bête et qu'on y tient, on y est attentif. On sent vite, au changement de comportement ou d'attitude, l'anomalie en son départ.

Mes chiens sont à Rivière en invités collatéraux. Le maître des céans n'est pas le leur. Il s'en occupe, par procuration. Son intérêt pour eux est raisonnable. Quand le mien pêche par excès, je l'admets.

Toujours est-il que ma Bullou m'inquiétait.

Depuis ce matin, profitant de mon jour de congé, je l'observe, entre deux tâches.

Je lui assure un soutien psychologique sans faille, multipliant caresses et psalmodies amicales.

Je lui ai présenté de la viande hachée. Elle l'a dévorée, comme une affamée. Cet appétit m'a rassurée. Ma chienne n'allait pas si mal. Pour autant, elle déglutissait avec difficulté, tirant loin la langue. Il y avait donc une entrave mécanique dans les parages.

A l'examen poussé, j'ai décelé entre les crocs jaunis de ma chienne vieillissante, quelques brins couleur prune. Dans le fond, même, aggloméré en une petite masse dure, un cocon de ces mêmes brins de laine. Il ne fallait pas aller chercher bien loin : à nos pieds, le tapis du salon plaidait coupable. 

Ma Bullou est une petite terrière. En intérieur, elle se souvient du dehors, en griffant consciencieusement le tapis. Elle racle avec application, tournant autour de son point de travail, pour l'examiner sous tous les angles.

Le pauvre tapis ainsi labouré se boursoufle de bourres laineuses légères et volatiles. On en retrouve disséminées dans toute la maison.

Je la vois faire souvent : après avoir débourré le tapis, elle s'allonge sur le canapé, et se lèche les coussinets échauffés. Longuement.

J'imagine qu'elle ingurgite alors tous ces brins. Qu'elle n'assimile pas. Qui gênent le trafic, et engorgent ma petite. 

Le souvenir de ma Bigoudi me vient, quand, pour elle, on évoquait une avanie similaire. Une petite peine me mord encore. Et un sale goût en bouche, quand je regarde ma Bullou, qui elle aussi laissera sans doute un jour sa vie filer entre mes doigts. 

En attendant, elle n'en est pas là. Je lui administre de la paraffine, pour fluidifier le transit de ces fibres mauvaises. Je vais surveiller tout ça. Sans autres suites, je l'espère.

Ravigotée par une bonne portion de viande, rassérénée par ma présence, ma Bullou se porte déjà mieux.

Je l'ai regardée pendant la promenade : penaude au début, elle a vite retrouvé son allant. 

Tout ça est en bonne voie, je le crois.

Mes chiens à Rivière perturbent l'ordre local.

Ici, jusqu'à eux, quelques gros matous régnaient en maîtres. Ils se battaient entre eux, périodiquement. 

Maintenant, à chacune de nos arrivées depuis Hendaye, si nous n'y prenons pas garde, mes trois chiens tracent comme des fusées, à peine sortis de la voiture. Ils en jaillissent, se précipitent en hurlant aux trousses des chats embusqués derrière les haies. Nos cris de rappel n'y font rien. Le tapage fait voler en éclat le calme et le silence du lotissement bien tranquille jusque là.

Il se passe un bon moment avant que nous rameutions notre troupe désobéissante, haletante et furieuse encore après les chats déguerpis en feulant. 

La dernière fois, les choses se sont mal passées pour mes chiens. Bullou est revenue égratignée. Et Lola se remet à peine de deux longues estafilades qui lui pèlent le dos.

La contrée est hostile.

Nous avons pris le pli, quand nous arrivons en voiture,  d'attraper Lola et de la rentrer dans le jardin en la prenant sous le coude. Les deux autres, seuls, ne s'aventurent pas à la chasse.

Ainsi, le quartier retrouve son calme, ma Lola ses poils, et Bullou, son tapis néfaste.


Txief est celui qui s'en tire le mieux. Il excite tout le monde de son aboiement suraigu, et reste en arrière, loin du front de bataille. Le petit couard...



Ce soir, après la longue promenade, après le salut au vénérable, tout le monde repose.

Les chiens, leurs entailles et leurs entrailles, les chats, les voisins et leurs bagarres.

La guerre est ajournée : les combattants sont fatigués, et pansent leurs blessures.

Entre oubli et pardon, la brèche est étroite où faufiler une éclaircie sereine.


Lundi 18 janvier 2021 18h33


Au soir d'une magnifique journée sortie des brumes, je contemple, derrière le carreau, le ramage conique des chênes rouges ciselés dans le crépuscule rose. La lumière baisse, je ne verrai bientôt plus le dehors.

Nous sommes rentrés d'Hendaye ce matin. 

Je préfère ça à une journée tronquée par un départ en plein après-midi. 

Le couvre-feu à 18 heures s'impose à nous. Il colle encore à mes rythmes de vie, calqués sur la lumière du jour. La jardinerie ferme une heure plus tôt. En écervelée irresponsable et courte-vue, j'apprécie. Et je ne suis pas la seule, allez... 

La chape d'autorité arbitraire qui gouverne maintenant nos jours m'exonère : je fais ce qu'on me dit. Si j'en tire profit, tant mieux pour moi. Honteusement, in-citoyenne-ment, je ne me préoccupe pas des répercussions financières de toutes ces mesures sanitaires et conservatoires. 

Honte à moi ! Je ne réfléchis pas, j'applique. Je trouve que c'est tout aussi bien, quand je vois les "délibérateurs" protester, et rajouter du désordre à la chienlit.

Je n'ai jamais aspiré, et j'aspire maintenant moins que jamais, à la place de décideur, en ces circonstances mouvantes.

Je laisse les gouvernants gouverner. Je laisse les râleurs râler. Je n'ai pas de solution, pas de meilleure idée. Je suis, comme je le peux. Et je me prépare, comme tout un chacun, sans doute, à payer les pots cassés. Et Dieu sait que l'addition s'annonce lourde !


Pour en revenir à mon insignifiant périmètre, l'affaire de cette fin de semaine, ça a été ma Bullou :



Ma petite chocolate m'a fait souci : vendredi, je la voyais mieux, samedi, ça n'était plus ça.

Olivier ramène la mini-meute à Hendaye le samedi. Il s'arrête à la jardinerie pour me prendre au passage. Samedi dernier, notre covoiturage a été contrarié par ce fameux couvre-feu : lui devait être rentré à 18 h. Moi, je quittais la jardinerie à cette même heure. 

Nonobstant, il s'est quand-même arrêté à Bayonne. A l'arrière de sa voiture, les trois chiens. Nous les avons libérés sur le parking, pour qu'ils se dérouillent les pattes à l'étape. Mes collègues ont ainsi pu admirer mes spécimens canins. 

Les trois lascars commençaient à naviguer un peu large. Nous avons du donner de la voix pour les réintégrer dans la voiture.

Ma Bullou a suivi le mouvement, mollement. Remontée dans le coffre, elle s'est aussitôt couchée, se léchant cette patte que j'avais soigneusement examinée la veille, sans rien y trouver.

Je la voyais tristotte. Dans son comportement, dans son allure, ma petite chienne manifestait son malaise.

J'étais désolée, inquiète.

Dans sa petite jeunesse, Bullou a eu un accident sérieux. Elle devait avoir dans les 6 mois. Je venais de la faire stériliser. Par un joli soir de début d'été, je crois, ma jolie chienne est passée sous les roues d'une voiture, dans la cour, devant moi. Je l'ai récupérée, sanguinolente et douloureuse. Je l'ai immédiatement menée chez Champion, notre vétérinaire. Il me semble que c'est Bégonia qui s'était occupée d'elle. 

Son bassin avait été fracturé en plusieurs endroits, mais aucune viscère maîtresse n'était endommagée. La petite s'en sortirait. Il fallait lui prévoir plusieurs semaines d'encagement, pour que les os se ressoudent.

Nous étions allés avec Olivier la récupérer, le samedi soir suivant l'accident.

La vétérinaire l'avait déposée sur la table d'examen.

- Elle ne se lève pas encore, nous dit-elle en s'avançant vers nous pour nous saluer. (En ce temps lointain, on se serrait la main, ce vieux geste étrange dont on ne se souvient plus bien).

Bullou, derrière elle, se releva, chancelante et souffrante, son œil noisette allumé d'une étincelle joyeuse.

Je me précipitai pour la prendre dans mes bras, ma petite convalescente. Elle se tortilla de plaisir, couina aussitôt de douleur. Je la pris contre moi précautionneusement, tâchant de la tenir sans lui faire mal. Je me la calai, elle reposa tout son poids contre moi, chaude et gémissante encore.

Nous la ramenâmes, Olivier nous couvant toutes les deux comme un jeune père sa nouvelle famille.

Bullou se remit. 

Elle garde de cet épisode un petit déhanché à la Marylin Monroe, chaloupant du bassin en une ligne de fuite oblique.

Je garde du même épisode une attention accrue à ma petite que j'ai crue un moment perdue.

Samedi soir, je la couvais, alarmée.

Olivier ne la trouvait pas spécialement mal. Je ne la trouvais pas spécialement mieux.

Je lui administrai une autre dose de paraffine liquide. Depuis Bigoudi, l'année dernière, j'en ai 6 litres en réserve !

Dans le courant de la nuit, je me levai plusieurs fois, pour vérifier l'état de ma chienne.

Elle était là; là et là.

Au petit matin, je décidai de la mener chez le vétérinaire, dès le lendemain, aujourd'hui.

Au jour levé, je fis sortir les chiens. Bullou traînait un peu la patte, mais, exhortée, elle passa dans la cour, puis dans le pré.

Je la vis couper des brins d'herbe haute. Elle les mâcha consciencieusement.

Ah, me dis-je, il y a là quelque chose en préparation. 

Avec Olivier, nos fines observations depuis le vendredi, nous avaient menés à diagnostiquer une panne digestive. Un de ces blocages intestinaux fort désagréables impactait probablement ma Bullou. L'ingestion de toutes ces fibres de tissu, quelques journées sédentaires, un coup de blues, peut-être ? 

Bullou en sa viscère était à l'arrêt. Ma paraffine pouvait y remédier, en première intention. Il fallait surveiller, attentivement. Repérer l'éventuelle délivrance, et en examiner la substance.

Dimanche matin,  Olivier et moi-même, dans la rosée froide, nous suivîmes de loin Bullou.

Elle fit quelques pas précautionneux, levant haut les pattes, elle d'habitude intrépide.

Tourna, huma, hésita, s'arc-bouta.

Se délivra.

AAAhhh, nous étions soulagés et heureux comme devant un exploit. Emus. Idiots.

Depuis, ma Bullou semble aller mieux.

En bons maîtres, nous surveillons, évidemment.

La Bullou a minci. Ca ne lui va pas mal.

C'est une petite chienne rustique et solide. Un début d'embonpoint la faisait rustaude.

Sa nouvelle silhouette lui va à ravir. 

Il ne lui manque plus que de retrouver le pétillant de ses prunelles dorées.


Mercredi 20 janvier 2021 


8h15





Une féerie à contempler, des lumières fantastiques et une sensation de vertigineux bien-être.


19h35

Le vent du sud souffle fort, dehors;

Ce matin, sur les coups de 7h25, une explosion a alarmé la contrée. Je pensais être en fin de rêve, douillettement lovée dans mon lit, à cette heure pourtant avancée. Grande fainéante !

Maïlis m'a appelée, me demandant si tout allait bien. Me parlant de cette détonation, accompagnée pour ce qu'elle en avait vu d'un éclair de lumière. Je l'ai rassurée, puis, j'ai fait le tour de la ferme, sans rien remarquer de particulier.

A l'heure où j'écris ces lignes, je ne sais toujours pas de quoi il en retournait. Sans doute, l'un ou l'autre de mes informateurs me rapportera-t-il quelque chose à ma prochaine visite.

Pas plus tard que vendredi.

Je ramène en effet vendredi ma mini-meute à la ferme.

Renseignements pris auprès des spécialistes vétérinaires de la jardinerie, j'apprends que ma Bullou est en grande détresse psychologique. Sa manie de se lécher la patte, c'est le début d'un comportement névrotique. Si je ne fais rien, elle finira par se mordiller les coussinets jusqu'au sang.

J'ai tâché de retrouver le moment où ma Bullette a commencé à se lécher les pattes de cette façon compulsive. Je me suis souvenue d'un retour de la jardinerie, le samedi soir, où j'avais remarqué cette attitude : la chienne se léchait la patte avec frénésie, relevait la tête, haletait, tirant loin la langue. Ca date donc des semaines où je rentrais à Hendaye le vendredi. Soit fin novembre, un mois après notre arrivée à Rivière.

Enquête menée sur les éventuels traumatismes pouvant être la cause de ce comportement autodestructeur, j'ai récapitulé :

- la mort de son vieux maître en mai.

Trop loin des manifestations de stress, apparues 6 mois après.

- le déménagement dans les Landes.

Là, ça pourrait très bien coller. Pourtant, Bullou est avec son frère et sa vieille tante, et semble se plaire à Rivière. Elle adore nos promenades en forêt.

 - les journées sans voir ses maîtres.

Il nous arrive de travailler.

-  les journées en intérieur.

Avec le froid, mes chiens préfèrent rester dedans. Quand nous ne rentrons qu'au soir, ça fait long, sans sortir. En plus, avec ces gros chats maintenant victorieux dans les bagarres, ils ne seraient pas en sécurité, dans le jardin, sans nous.

Le tour du pâté de maison, dans la nuit, leur plaît beaucoup. Mais ce n'est peut-être pas assez.

Ici, à la ferme, mes portes sont équipées de chatières. Les chiens vont et viennent, comme bon leur semble. Ils descendent dans le pré, trottinent dans la cour, vont jusqu'au remblai. Ils croisent l'un ou l'autre de mes frères.

Même quand je suis à la jardinerie, ils ont une vie sociale divertie.

Conclusion de tous ces indices croisés en pistes convergentes : ma Bullou s'ennuie, et déprime.

Plan d'action : 

dans un tout premier temps :

- pulvérisation de spray désinfectant sur les pattes pour empêcher qu'elle se les lèche.

- rapatriement sanitaire à la ferme, dès ce vendredi.

Bullou retrouvera son environnement. Supportera-t-elle mieux une solitude plus légère ?

Je la laisse là samedi, pour aller travailler. 

Pendant quelques jours, je vais tester ses réactions.

J'espère ne pas la déstabiliser plus encore qu'elle ne l'est.

J'espère retrouver dans ses yeux maintenant tristounets la faim de vivre de ma petite chienne enjouée.

Txief et Lola vont bien.

Enfin, Txief, lui, névrosé, il l'a toujours été. 

Tels maîtres, tels chiens ?

Les jours prochains nous feront sentence.


Vendredi 22 janvier 2021 20h35


Le vent souffle encore. 

Je suis à la ferme. Le poêle tourne rond. Il fait tout à fait bon.

J'ai donc ramené mes chiens. Ils sont réinstallés, contents.

J'ai vaqué dans la journée entre les étages. Je prépare mon prochain transfert.

Dans l'après-midi, j'ai pris le temps après la sieste, d'une promenade dans les champs.

Le petit bois de l'anglais-espagnol ne peut pas entrer en concurrence avec la forêt Riviéroise. 

On ne peut pas tout avoir. Je retrouverai ma forêt périodiquement. Et j'y emmènerai les chiens.

Ici, les visites se sont succédées. Je dois refaire ma réserve de café. 

J'aime cette atmosphère. Une petite effervescence me gagne. Je dois prendre garde de ne pas la laisser exciter trop fébrilement mon pauvre cervelet vite débordé.

J'ai travaillé gentiment jusqu'au soir. Intercalé les pauses conviviales, la promenade au grand air, la douche de Lola, dans tout ça. 

Je segmente différemment mes journées. Ca me donne un sentiment de grande liberté.

Cette station écriture est une gourmandise. Je la savoure.

Je vais bientôt appeler Olivier resté dans ses Landes. Faire une grille de Sudoku, (mon quota quotidien), lire, m'endormir. Et faire de beaux rêves.


Dimanche 24 janvier 2021  19h


Le couvre-feu ramène le monde en intérieur.

En rentrant par la barthe, nous avons vu des milliers de palombes tourner en ellipses gracieuses au dessus de la forêt. Elles se posaient sur les cimes, ponctuant la masse sombre de leurs silhouettes légères.

L'eau est de nouveau montée. La promenade reste possible, boueuse, mais possible. Au prix d'un pied mouillé, j'ai pu marcher le long de l'onde, sous le couvert des arbres nus. Les chevaux sont revenus.

A Hendaye, les chiens retrouvent leur vie d'avant ici.

Je continue de faire mes petits ballots. Je conditionne tout ça sur palettes, filmées, impeccables.

J'ai hâte de nous voir installés, les uns et les autres.

Il faudra plusieurs mois. Et mes impatiences s'y assagiront, peut-être... ou pas !

Je regarde Bullou et la malice revenue dans ses prunelles. J'y crois.










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