vendredi 12 février 2021

27 janvier au 12 février

 

Mercredi 27 janvier 2021 15h14


Je m'apprête à retourner faire mes valises en carton.

Une bonne sieste et un café fraternel en ce début d'après-midi, et je repars !

Je passe ici comme on entrouvre son placard préféré, là où on entrepose les gourmandises.

Un petit message en réponse à celui de mon pilier délicat m'en donne le prétexte.

Il pleut. Il fait doux, dehors. Ici, il ferait presque trop chaud; tant pis pour la dépense de bois, je tiens à garder mes intérieurs sains !

Après la prochaine palette, (ma carrière en magasin me conditionne totalement), j'irai jusqu'au cimetière. Les chiens gambilleront irrévérencieusement entre les tombes.

Bullou a retrouvé la pépite d'or dans ce bon regard où je plonge le mien. 



Jeudi 28 janvier 2021 19h


Olivier venu me voir me raconte son chantier du moment :








Il s'amuse comme un petit fou avec ces gros jouets.





Dimanche 31 janvier 2021  8h






Nous avons prévu d'attaquer le réaménagement de l'étable, ce dimanche.
Le chef de chantier jauge son ouvrage. Il y a du bois, des vieilles pierres, des conduites en cuivre, plomb, fonte. Un peu de tous les matériaux utilisés durant  le siècle dernier se retrouvent ici.







La remise à grains sert d'atelier de fortune.
L'équipement est prêt; au garde à vous.

Et go ! Top départ des festivités :









Antton et Beñat en prompt renfort sont arrivés au port.
Ca meule en gerbe d'étincelles. Ca tronçonne. Ca débite. Ca démonte et ça déboite.

C'est de la destruction pas trop massive. C'est pour la bonne cause. 
J'ai en tête mon étable en devenir.
La reconstruction s'annonce.






On va redémarrer.
Pas à zéro. Les enduits encrassés de toute la vie animale passée ici gardent la mémoire de ce temps où je me fonde et me base.
Et mon temps à venir renaîtra de là.

En attendant, je distribue des "biscottes neuves" (sic Antton) à Zaldi et aux deux génisses cousines.






Pour ne pas perdre la main.


Mercredi 3 février 2021 19h25

La future équipe chantier vient à peine de vider les lieux.
Je me fais rabrouer pour mes termes de profane non autorisée. Un ancrage en tire bouchon n'aurait rien à faire avec le même en queue de cochon...Bon. Une porte sur rail, d'après moi très explicite, ne désignerait sûrement pas une fermeture coulissante. D'accord. La sémantique professionnelle spécialisée a ses règles, et on ne s'y aventure pas sans montrer patte blanche. Je ne me formalise pas, je suis moi-même assez pointilleuse sur le bon usage des mots, pour admettre la même intransigeance chez mes interlocuteurs.

Tout se met en place gentiment, fluidement.
Autant il faut parfois désemberlificoter un écheveau hostile, autant, là, tout glisse comme sur du velours. Que cela nous dure !

Je continue mollement de préparer les dernières palettes. Je vais devoir m'arrêter : je ne vais quand même pas plonger la tête dans les cartons à chaque fois que j'aurai besoin de quelque chose, pour la seule satisfaction d'être prête à temps, trois mois trop tôt ! Ca me ressemblerait pourtant assez, ça...

Pour me détourner de cette tâche obsessionnelle, et contreproductive, je suis allée promener ma mini-meute à la montagne.
Le bois m'a paru laid de ses arbres morts, couchés, fracassés, en un vilain désordre. Les quelques plants graciles et fervents de lauriers d'Espagne, tirés vers la lumière en silhouettes élégantes, n'ont pas suffi à délayer toute cette tristesse grise.
J'ai quand-même trouvé du réconfort contre le tronc moussu d'un grand chêne ami. Txief s'est coulé contre moi, pendant que Bullou et Lola furetaient entre les grosses racines.
Ma petite Bulle a résolument retrouvé son allant. Le mal du pays le lui avait perdre, là bas, à Rivière. Nous y retournerons, en villégiature, et ma Bullou Bullette adorera fouiner le long des berges de l'Adour, sachant qu'elle rentre à Agorreta juste après.
Dès que les eaux me l'auront rendue, je retournerai dans la grande forêt. J'ai hâte. Il va me falloir attendre, là encore.
Et bien, puisqu'il faut attendre, attendons.
Et goûtons sans vergogne le bon repos, pour patienter sainement.


A Hossegor, Olivier continue de jouer avec les grosses machines :















De celles qu'on regarde autrement, quand on a suffisamment éprouvé dans les bras la peine qu'elles vous épargnent...







Vendredi 5 février 2021  18h23


Le couvre-feu ramène chacun chez soi.
J'ai la soirée pour moi, seule avec les chiens dans la ferme tranquille.
La fumée en volutes ondule sur le pré. Le poêle tourne rond. Cette semaine, l'odeur un peu acide des bois de l'ancien râtelier planait sous le plafond. Ce sera le tour ensuite des vieilles planches débitées et entassées dans le fond. 
J'ai fait à peu près le tour des dernières niches. Retrouvé avec nostalgie ces autres, confectionnées avec mon père. Ressenti à distance cette complicité pudique des gens taiseux qui font sentir, mais ne savent pas dire.
Moi, j'essaie de dire, d'écrire. Pas tout, ni partout. Ce que je crois devoir, et à qui bon me semble.

En ces périodes où on sait aujourd'hui ce que l'on devient le lendemain, autorisé, toléré, admis ou réprimé et interdit, cette liberté immense de déposer sa parole et ses mots ici plutôt que là, me griserait presque !


Lundi 8 février 202 18h59


Je me fais une petite séance avant le dîner.
La journée annoncée mauvaise a finalement été bien agréable. Nous avons même pris le soleil, face à la mer, ce soleil coulé entre les strates de la falaise, au dessus des flots émeraude dans la crique profonde. La muraille parfaitement bâtie, entre plaques de roches et couches de sédiments, frappée de l'eau forte à l'écume colérique, résiste à l'effondrement par pans de la terre plus molle.
Le relief se creuse en combes aux courbes profondes.

Nous avons pataugé dans la boue, mal chaussés pour une telle équipée, en touristes moyens.
Qu'importe ! La promenade fut vivifiante, et le panorama dépaysant.
Je découvre avec Olivier les parages côtiers, moi, citoyenne Hendayaise de près de 60 ans.
 
Avec lui, je découvre ma ville, plus largement les civilités, la civilisation, les règles de la vie communautaire. Toutes ces choses presque étrangères jusque là.
J'apprends  les bonnes manières. J'apprends à mieux faire, à ne pas tout dire.

J'apprends à museler une spontanéité pas toujours heureuse,  quand la mauvaise ironie y fait sa litière. J'ai ce penchant familial, racial ! peut-être ? à décocher des flèches imbibées de fiel, sous couvert d'une plaisanterie trop perfide.
Le trait me vient facilement, le bon mot me fait souvent marchepied.
La répartie ne me manque généralement pas. Même si, quand elle fait défaut, elle m'en manque encore davantage que si je ne l'avais pas si souvent trouvée à son poste.
J'ai remarqué combien une once de méchanceté colore vivement mes échanges. Et combien, cette once de méchanceté est coupablement appréciée par ceux-là qui n'en sont pas victimes, évidemment. Tant il est agréable de s'amuser aux dépens d'autrui, plutôt qu'à son bénéfice, dirait-on. Et tant il est plus amusant de mordiller, mordre, lacérer, que caresser dans le sens du poil. L'audience accélérée de certains de mes articles ne trompe pas : les coups d'aiguillons, bien plantés dans la chair sensible, lèvent manifestement plus l'intérêt des lecteurs que les dissertations  bucoliques ou simili-philosophales. Vilaine nature que la nature de l'homme...

J'essaie de prendre maintenant garde de filtrer ce fiel acide, au moins quand je m'entretiens avec des gens aimés. Ce n'est pas chez moi un mouvement naturel. J'ai l'usage facile d'une ironie mordante. Cette capacité sarcastique s'aiguise d'un usage assidu. J'y suis aguerrie. J'y suis addicte. M'en libérer sera difficile. Je le dois pourtant, si je ne veux pas détourner de moi ceux-là que mes égratignures finiront par blesser assez pour me les éloigner.
Je m'astreins maintenant à museler  ces remontées aigres. Je renvoie dans les cordes les remarques à l'épice trop forte. J'en regrette encore un peu la saveur pimentée et le pouvoir exutoire. J'en admets la portée douloureuse et les conséquences stériles, quand elles ne sont  pas carrément néfastes.

Cette ironie mordante et méchante m'a longtemps été jouet favori.
J'en ai trop tiré les ficelles, et elles me restent dans les mains, molles et pendantes.
J'apprends la civilisation. J'apprends à refouler les instincts d'un naturel sauvage qui la contrarie.
Je me demande si, de ne plus trop servir, mes penchants agressifs ne vont pas s'émousser, et se laisser oublier.
Et alors, je deviendrai une petite vieille gentille, fadasse, mais gentille...
Peut-être, un jour, plus tard, bien plus tard ?


Mercredi 10 février 2021 15h25

J'ai rendez-vous avec mon pilier délicat, pour un petit goûter entre amies.
Je suis prête à l'avance. Une petite demi-heure me tend le clavier.
Je relis le dernier paragraphe. Je retrouve bien ici ce foutoir où le raisonnement se perd, et le bon sens abandonne.

J'avais pendant mes études rédigé un texte d'après moi très réussi. Il me semble que le sujet en était le voyage. J'en avais fait un tel salmigondis que ç'aurait pu être n'importe quoi, aussi bien la soupe aux choux. 
Je m'y ébattais gentiment, entre métaphores obscures et paraboles improbables. Pendant que j'écrivais, pendant que je dévidais une litanie de mots agréables, j'étais plus ou moins guidée par une idée plus ou moins confuse. Plutôt plus que moins. Un semblant de lueur me suffisait à décréter que l'ensemble se tenait, et tenait au sujet.
J'écopais d'une note déplorable : mon texte si réussi avait été jugé complètement hors sujet.
A l'époque, j'étais encore plus imbue de ma science que je ne le suis aujourd'hui. C'est dire !
J'estimais que le pauvre correcteur, limité dans son entendement et sans doute étriqué dans une perception borgne, n'était pas à la hauteur de la qualité de mon œuvre, dont la subtile spiritualité l'avait égaré.
Je lui pardonnais, magnanime, un peu vexée tout de même de l'ingratitude de ce pourceau à qui j'avais tendu des perles.


Je n'ai pas gardé texte : le jugement défavorable m'avait sans doute un peu égratignée.

Maintenant, je suis toute aussi difficile à suivre, y compris par moi-même.
Je revendique cette incohérence. Je m'en suis fait une amie. Par force, sinon à me méjuger !
Je suis tout de même suffisamment coutumière de moi-même pour remonter la filière de mes pensées brouillonnes. Pour en approcher les sinuosités, pour le moins.
Pour les autres, je leur souhaite bien du courage. La plupart se détache dès les premières phrases parcourues, perdue et lassée dès alors. Pour les persévérants émérites, il arrive parfois qu'ils voient dans mes logorrhées insipides ce que je ne pensais même pas y avoir mis. Ils m'apprennent le chemin de moi-même... Ou alors se fraient le leur dans mes pas. Comme quoi, mes divagations peuvent faire œuvre utile.

Quand, partant d'une promenade bucolique dans les rues pentues de la vieille ville, sur les hauts ventés de la falaise oblique, je bifurque ni une ni deux sur des considérations bien étranges, il y a une cause à l'effet. 
Raison serait présomptueux. Restons-en à cause. Ca paraît moins cartésien. 
La cause se détermine mal. Elle s'entraperçoit. Enfin, je, l'entraperçois. Elle se faufile en ombre sur l'arrière de la scène éclairée. La raison, elle, enchaîne des bifurcations implacables, où mes égarements souffriraient de la contention trop étroite.

En arrière-plan de cette scène romantique, filtré d'un niveau de conscience mal enterré, il y a le dessous des choses. Ce dessous que j'essaie de laisser dessous. Pour ne pas en remuer la vase.
Parce-que je crois maintenant que c'est mieux. Après avoir cru longtemps que c'était beaucoup de fatigue pour un résultat piètre, puisque le dessous remonte tôt ou tard en surface.
La déviation dans ma trajectoire de pensée se love dans ce "tôt ou tard", plus précisément dans ce "tard", qui peut être suffisamment tard pour qu'on l'oublie dans ce futur incertain.
La plage temporelle jusque là peut donner l'illusion d'être plane et blanche comme la grève d'une journée sans vent. Et cette illusion d'une tranquillité définitive peut faire la vie douce.
Alors, pourquoi s'en priver ?
Est-on bien plus avancé d'une lucidité cruelle où le terme forcément fatal empoisonne tout ce qui avant lui pourrait paraître agréable ?
S'empêcher de vivre, bienheureux, puisque vivre finit malheureusement un jour ? Au mieux, sans trop de douleur, mais, le plus souvent, dans des affres terribles ?

Voici le genre d'enchaînement enjoué où mon esprit malade s'enlise, patine et cale.
Pour m'en sortir, j'ai maintenant la molécule et son rempart.
La molécule et son effet tampon, la molécule et son voilage atténuateur posé devant un paysage de cendres.
Il manque dans mon cerveau ce feu rouge où le tombeau ouvert stoppe net sa course.
L'ami lacté lance la herse devant. A quelques pneus crevés près, ça marche quand-même.

Latitude suffisante m'est laissée de libérer au petit trot les petits chevaux dans ma tête. Cette aire plus étroite, je m'y trouve assez bien.  Trop d'espace me perdrait, je le sais.

Parler comme je pense, sans filtre ni tri, je continue de le faire. Parce-que réfléchir à ce que l'on va dire, écrire, ça demande une certaine énergie. Et ça floute l'émotion à délivrer.
Je ne le fais plus à tours de bras. J'ai remarqué que les émotions ne sont pas toujours bonnes conseillères. La spontanéité, la sincérité, l'authenticité, c'est bien joli, et j'y suis attachée, on le sait. Ca fait aussi quelques ravages. Je l'ai compris.

Là encore, il faut avoir été dans ma tête pour comprendre.
Et bien, j'écris pour moi, aussi.


Vendredi 12 février 2021 10h32

La visite annoncée d'un ou autre artisan me retient à la ferme.
Un soleil blanc se couche sur le clavier. La chape nuageuse s'allège sur la mer. 
J'irai cette après-midi prendre l'air.
Pour le moment, je suis bien, ici. Lola craque ses croquettes. Txief sommeille. Bullou soupire de bien-être.
Je vais boucler ce long article avant ma pause de la matinée.

Ma visite à mon pilier délicat s'est alourdie de son Béni des Dieux. Long, large, lent. L'homme est féru d'économie, et ses considérations sur la crise à venir m'ont passablement ennuyée.
Le décalage entre nos mondes m'a laissée sur le bord.

Je ne me suis pas sentie à mon avantage, perdue entre les théories économico-politiques, et les références culturelles élitiques de mon pilier délicat, totalement hors de mon périmètre.
Par vexation et pour ne pas perdre complètement la face, histoire de ne pas paraître tout à fait stupide, j'ai dardé une ou autre petite flèche mi-figue mi-raisin, plantée droit là où ça chiffonne.
Le grand Béni a juste souri, relevé gentiment une finesse d'esprit qui n'y était sûrement pas, écarté ma mesquinerie d'un revers de sa grande main manucurée.
En voilà un dont les rouages sont parfaitement huilés, aussi fluides et lisses que son crâne nu.
Té, voilà encore une de ces méchancetés que je ne peux pas endiguer.
Allez, je vais m'atteler à cette tâche, m'y faire la main en petit comité.

Pour le reste, je vois venir les possibles en confiance.
Et m'apprête sagement à me laisser surprendre.




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