vendredi 18 décembre 2020

16 au 18 décembre 2020

 

Mercredi 16 décembre 2020 8h20




Je retrouve le plaisir de mes levers de jour à Agorreta.

Le plaisir de contempler ces paysages à l'horizon éloigné.

Ces paysages en bosquets et coteaux où la lumière se niche et rejaillit.

Je retrouve ce plaisir de partager une tisane avec mes frères, de bavarder avec mes nièces.


L'étable vide a renvoyé en écho mon désarroi, hier soir.

Antton l'avait joué psychologie, en barrant la première stalle de la vieille remorque d'Antxo. Cette caisse en bois, façonnée par un artisan charpentier de marine, parle d'une histoire où les hommes mettaient leur cœur dans leur ouvrage, et leur art dans tout ce qu'ils touchaient.

Plus loin le super3, (ou7, je ne sais jamais) arrondit sa calandre aux gros phares globuleux.

En fond Karrarro de Mizel, ou l'ère du tracteur moderne... de près de 50 ans !


Il n'y a plus de bêtes, ici. Plus cette chaleur, ces souffles, ces croupes puissantes et ces dos longs.

Plus ces grosses têtes tournées vers moi, ces bons yeux confiants.

Tout a été nettoyé : plus de foin dans les râteliers, plus de fougère, plus de poussière.

Je me sens vidée d'une partie de ma substance.

Toutes ces vieilleries me réconfortent, tout de même.

J'ai l'impression d'entendre les voix de ceux là qui ont si souvent posé leurs mains sur ces bois, ces tôles.

Ces mécaniques inertes chuchurrent à mon oreille qu'il y a parfois plus d'âme, là, que chez certains vertébrés physiologiquement animés.

Et je les crois...

Une respiration nouvelle m'aspire hors de cette ellipse où je torturais mes doutes.

Un temps se termine ici.

Je prends les paris pour le suivant. 

De quoi me priverais-je ?

Pour qui renoncerais-je ?

N'ai-je pas raison de vouloir tout garder ?

Ma famille et mes amis, mes paysages d'ici, pourquoi les oublierais-je ? Pour qui ?

Tout ce qui a fait ma vie, tout ce que jusqu'ici j'ai aimé, pourquoi tout cela finirait-il, là ?

J'en suis à une étape, et l'on me demande un choix.

Que je ne veux pas faire. Que je ne ferai pas.

2021 réorganisera Agorreta. Me réorganisera, moi.

Je ne referme pas de porte derrière moi. Ma "pause" de 2008, s'éloigne et retourne dans sa fiction.


20h40

J'ai vu ma Seugette cette après-midi. Elle a parlé de ces choses qu'on "m'impose". Je me suis demandée si elle n'avait pas lu mon "bloc" avant qu'il soit publié !

Au retour, j'ai écourté la virée cimetière. Un vent désagréable m'en a renvoyée.

J'ai pu après le goûter faire mon tour ici. La fougère roussit les flancs de colline. Il s'en récolte de moins en moins. Ailleurs comme ici, les vieilles étables se vident.

Le bois de l'anglais-espagnol se mite à vue d'œil. Après les deux gros pins du bout, toute une travée de grands arbres s'est disloquée. Les fûts effondrés et les bois morts s'enchevêtrent. Le grand hêtre, imperturbable, stoïque, tourne le dos à toute cette catastrophe.

J'aimerais bien avoir sa superbe et son "magnanisme".

Je suis, moi, pusillanime.

Je me moque gentiment de ce vocabulaire prétentieux, de cette culture que j'arbore, comme de la confiture, quand, moins on en a, plus on l'étale. Ce petit dicton m'a toujours plu.

Ces envolées pseudo dramatiques, ces mises en scènes tragi-comiques, ces forfanteries pathétiques, elles me font du bien. Elles m'exorcisent. Ma fameuse catharsis, elle passe par là, très modestement. 

Par ce goût des mots, de leur chant quand on les assemble en phrases. Mes petits textes, je les chantourne comme le frère d'Antxo à chantourné les tenons et les mortaises de sa charrette. Humblement, et pourtant, bouffie d'orgueil, j'écris, je pose les sons, moi qui ne les entends plus.

Je le fais comme ils me viennent. Je suis trop paresseuse pour m'acharner à une besogne de recherche, de correction. Je veux ma prose spontanée, écrue, naturelle.

Cette spontanéité, cette manière de se livrer sans pudeur ni garde-fou, c'est ma manière de vivre.

Elle est un peu baroque, sans doute. Elle est aussi une petite aventure. La mienne.

Mes relations au jour le jour auront ce fumet authentique de qui se raconte sur le moment, sans connaître la suite. Mes petites histoires ne seront pas revisitées après-coup, arrangées. Elles diront mes clairvoyances, ou mes fourvoiements.

Le pari sur l'avenir n'est pas bien risqué. La fin, on la connaît, elle est la même pour tous.

Et pour le chemin pour y arriver, je le vois plutôt agréable, qu'il passe par ici, ou par là.

Je suis dans un bon jour, finalement.

Mon théâtre personnel a fait son travail. Il a expurgé les tristesses et les doutes mauvais.

Ca me fait grand bien de mettre ma petite vie en scène. Je la tiens à distance, je l'examine. 

Et si je la vivais, tout simplement ? Tiens, c'est vrai, ça, pourquoi pas !


Vendredi 18 décembre 2020  10H


Je suis seule à Rivière. Olivier travaille dehors toute la journée.

Le soleil vient de percer la brume accrochée aux grands arbres.

La journée est annoncée magnifique. 

Je compte bien en profiter.

J'ai expédié mes logistiques matinales. Ramené le petit domestique à un survol rapide des tâches ménagères. J'ai le coup pour décréter "a y est !", comme le font les enfants quand on leur confie quelque chose à faire, pour les éloigner et les tenir occupés un moment, et qu'ils vous reviennent trop vite, tout contents d'avoir déjoué la manœuvre.

Je suis l'as de l'esbroufe : pour un ménage très grande vitesse, je me contente des parties visibles. Parce-que j'ai quand-même une ombre de conscience, je m'arrange pour déblayer au maximum mes intérieurs. 

A la ferme, j'ai jeté par remorques tous les meubles auxiliaires ou secondaires, les bibelots, la vaisselle et le linge oubliés dans les armoires.

Comme, après cette opération drastique, il ne reste que l'essentiel, ces trois quatre bricoles dont on ne peut quand-même pas se passer, mes intérieurs sont monastiques. Dans la chambre, un lit, un rangement, point. Dans la salle, la belle table ronde, quatre chaises. Je ne prévois pas de convives surnuméraires. La règle des 6 subcovidique ne m'astreint nullement.

Les pièces sont grandes, là bas, et, maintenant, donc, vides. On nettoie là dedans comme sur une piste de bal, vite et bien.

Ici, Olivier est plus traditionnel. Il aime les meubles, il en a fabriqué plusieurs. Il a aussi reçu de ses enfants moult gadgets et colifichets, qu'il serait malvenu de fourrager au fin fond d'un placard, et criminel de jeter. Ils sont exposés sur les dits meubles.

Ca n'arrange pas mes affaires... 

Par petites touches, tout en délicatesse et finesse, (je suis connue pour ça), je range tel bibelot alambiqué dans la vitrine fermée, hors poussière. Je lui adjoins telle figurine pour rester dans le thème. Je pousse derrière cette statuette, en fond, elle rend très bien, non ?

Je propose d'enlever ci, de donner ça à Virginie, ou alors à Fabien, tiens.

J'y vais doucement, l'homme ne se laisse pas bousculer sans regimber.

Je n'arriverai pas à faire ici ce que j'ai conquis à la ferme : un espace épuré, à peine animé, où les seules bêtes (Aïee, là, je pense encore beaucoup à mes génisses...) monopolisent les accessoires.

Et bien, ce sera là bas, comme j'aime, et ici, comme Olivier le tolère.

Nous nous satisferons de ce compromis, de cette dualité de logis.

Nous répartirons le temps, les lieux, les goûts et les aspirations. Au mieux.

Je prends ce pari : réussir à trouver un équilibre sur deux sites, une vie sur deux systèmes.

Si je n'y crois pas moi-même, qui le fera pour moi ?...


Le soleil monte et je sens sa chaleur à travers le carreau. L'écran devient miroir.

Jeannot est passé chercher des œufs. 

J'arrête ici mes écritures, pour faire le tour du jardin, faire vrombir la soufflette.

Les voisins dans le quartier doivent se demander ce qu'il se passe, chez cet Olivier jusque là si tranquille : des chiens, du mouvement, du bruit, de la vie.

Après la sieste, extérieurs toutes. Nous allons longuement longer les rives de l'Adour. Elle rentre doucement, paraît-il, dans son lit. Jeannot finit de nettoyer la boue dans son garage.

L'eau ici est partout. Je me demande où je vais retrouver les chevaux de la barthe.


18 h

J'ai marché longtemps, flâné sur le chemin de halage bordé des berges inondées.



L'eau reste haute. La petite pancarte-toise sort à peine la tête.







J'ai retrouvé trace des chevaux, sur un tertre replanté en chênaie.
Ils ont du se retirer ici, quand l'eau les a encerclés. Les jeunes plants, protégés dans les fourreaux en plastique noir, ont été bousculés. Cette parcelle est en principe inaccessible aux chevaux. Là, les bêtes ont du pousser une clôture, pour se mettre au sec. Certains plants sont juste ployés, ils repartiront. D'autres, sectionnés à la base, referont peut-être des rejets, en cépée.
Les chiennes sont parties comme des flèches dans les fourrés. L'eau, en se retirant, a aplati les ronciers, modifié le paysage. Tout est gris d'une fine pellicule de boue séchée, sur une certaine hauteur. 
L'eau a du laisser sur la végétation un mélange de senteurs affriolantes. Les deux chiennes ne savent plus où donner de la tête. Txief, égal à lui-même, reste en arrière. Il hume goulument sur Lola des fragrances qui l'affolent et le chavirent. Il est chamboulé entre des pulsions mélangées, et ses névroses contradictoires. Ce chien est un grand tourmenté. Rivière l'a pacifié, mais il ne sera jamais serein, j'en ai peur...
Je me familiarise à côtoyer d'aussi près l'onde vive et les eaux dormantes, de part et d'autre du chemin.






Ma promenade me renvoie la métaphore d'un parcours où le cheminement sinue entre des rives noyées dans l'incertitude.
J'ai réalisé ce cliché d'après moi très réussi, sans trop savoir comment. Par un de ces hasards où le destin guide vos pas dans la bonne trajectoire.

On ne sait plus trop ce qu'il y avait, sous toute cette eau.
Lola et Bullou en savent quelque chose : revenant guillerettes d'une exploration parallèle, elles s'avancent, conquérantes. Une nappe d'eau grise s'étale sur le passage canadien, cette grosse grille de cylindres métalliques espacés pour empêcher les chevaux de sortir du pacage. Mes petites chiennes adorent maintenant patauger dans la boue, dans les flaques. Elles plongent volontiers dans la rivière, amphibies qu'elles sont devenues, presque. 
Cette nappe-ci, elles ne s'en sont pas méfiées : Bullou la première s'y est pris les pattes, sentant brutalement le sol se dérober sous elle. Elle a basculé, les antérieurs dans le vide, plongé la tête sous l'eau, est remonté, s'agrippant tant bien que mal au cylindre suivant. Elle a roulé sur la barre, a fini par rebrousser chemin, et faire le tour.
Lola, occupée à chasser, n'a pas vu la scène. Elle s'est présentée à son tour, un moment après. J'ai essayé de l'attirer vers le côté, pour ne pas risquer de la voir se faire mal, en faisant la même expérience que sa cadette. 
Lola est plus vieille, plus lourde, moins leste.
Plus sourde, aussi : elle ne m'a pas écoutée. Elle s'est avancée bille en tête, fiérote de son expédition dans les broussailles, portant haut sa queue en panache.
Et vlam, elle s'est rétamée, le menton sur le fer, dans un glouglou tumultueux. Bien vite, elle a compris que quelque chose n'allait pas, et, sans demander son reste, a fait demi-tour. Même pas vexée, elle s'est ébrouée, et nous a rejoints.

Nous avons continué notre promenade sous les arbres. Un dépôt de limon gris faisait du halage une grève au sable mouillé.






Le grand chêne penché sur mon ponton à mélancolie veille toujours.








Et, là encore, la magie d'un flash désactivé, la conjonction d'un rayon de lumière et d'un angle de visée, m'ont offert cette image presque surnaturelle. J'ai le sentiment d'une réalité déjà belle telle qu'elle, sublimée par ce qu'on y met.






Nous sommes revenus vers le Vimport. Les peupliers droits dans l'eau plate renvoient vers le ciel leurs reflets inversés.

A la maison, j'ai nettoyé soigneusement les chiens. 

Ils se sont affalés sur les tapis, yeux fermés sur toutes ces sensations mélangées.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire