lundi 26 octobre 2020

18 au 26 octobre

 

Dimanche 18 octobre 2020 12h


Nous rentrons pile poil pour le déjeuner d'une longue promenade dans les barthes.

Un enchantement, une féerie, toujours. Et ma modération, encore...





Entrant dans la barthe, je me suis étonnée de ce voile de tulle posé sur la végétation rase. Vu de loin, on aurait dit une couche de givre. Il ne fait pas assez froid, ça ne peut pas être ça.
Je me suis approchée, j'ai regardé de plus près. Un tramage léger de fils de soie, monté en tipis sur les tiges émergentes, recouvre la plaine. 
Quelle chose curieuse, et quelle jolie chose !
Olivier, souriant de me voir émerveillée de cette magie naturelle, m'a expliqué :

Ces rideaux soyeux accrochés aux tiges et aux branches sont des toiles d'araignée. Des toiles d'épeire, précisément, ces araignées des champs. On les appelle les fils de la vierge.
Pourquoi toutes ces toiles, là, au même endroit, et au même moment ? Y-a-t-il des rassemblements d'épeires, comme des rassemblements de gitans ? Des congrégations annuelles en masse dans les champs ?
D'une certaine manière.
Un voisin féru de phénomènes naturels, tenancier du camping proche, promenant lui aussi dans la barthe, nous a décortiqué le phénomène en détail.

Les épeires sont des araignées nomades. Elles voyagent, sur près de 100 kms autour de leur habitat sédentaire. L'épeire n'est pas en elle-même bâtie pour se télé-transporter sur autant de distance. A petits pas d'araignée, même d'araignée pressée, trottinant lestement entre les herbes hautes, la petite épeire immaculée ne peut pas aller bien loin.
Son aspiration voyageuse la rend imaginative et ingénieuse.
Observant ses consœurs, le moment venu, elle chemine, grimpe en haut des arbres élevés, et attend. Elle tisse de longs fils de soie, tout au bout  des ramilles extrêmes,  s'y arrime, et attend.

Quoi ? Qu'attend-elle donc, cette rêveuse perdue par des aspirations d'une qui voudrait avoir des ailes, et n'en a pas ?
Elle attend, elle sent, et se laisse guider par son instinct.

Je me demande au passage par quel accident, quel hasard ou quelles contingences,  la première épeire migratoire s'est laissée emporter ainsi par le vent, et déposer à plus de 50Kms de sa base, affolée et en même temps grisée par l'aventure et l'inconnu.
Je crois dur comme fer que notre science la plus sûre est celle qui nous est donnée sans qu'on la cherche trop. Que besogner avec ténacité à l'accomplissement d'un but, s'acharner en tentatives têtues et harassantes, débouche heureusement parfois sur l'objectif en visée, mais mène tout aussi souvent sur des chemins parallèles, complètement étrangers aux contrées convoitées. Et que ces contrées nouvelles, offertes par un sort arbitraire, sont souvent tout aussi intéressantes que ces autres, dont la conquête nous paraît alors secondaire.
Ceci est ma mienne théorie, bien commode quand une grande fainéante comme moi, prend pour crédo, le postulat que s'échiner ne sert de rien, quand tout vient à point, à qui sait attendre...

La première épeire suspendue à son fil au plus haut de la ramille la plus élevée d'un arbre, par un joli matin de mai, ou un beau soir d'octobre, soulevée avec sa toile par le courant ascendant d'un vent pris entre nappes tièdes sous air frais, emportée vite et loin dans le ciel, déposée à des dizaines de kilomètres de là à la faveur du phénomène inverse, quand l'air d'altitude refroidi redescend vers la terre plus chaude, a du se trouver toute ébouriffée, chue au sol, emmêlée dans ses voiles enchevêtrés, comme une mariée bousculée par un fiancé trop impatient.
Ces bêtes là sont grégaires, et les familières de la première lui ont emboîté le pas. Elles se sont retrouvées, toutes, chavirées par le voyage, ahuries de se revoir là, se cherchant les unes les autres, comme les rescapés sur la plage après un naufrage terrible et violent.
Puis, comme c'est ce qu'elles savent le mieux faire, pour se rassurer et passer le temps, elles se sont remises à tisser de la toile, enveloppant de tulle léger la prairie où le vent taquin les a déposées.

J'ai appris tout ceci de la bouche de cet homme aux histoires passionnantes.
Et compris ainsi la magie de ce dimanche matin.
Cette science nouvelle a défloré un peu mon émerveillement de vieille enfant.
Tant la science à trop vouloir expliquer, ramène à terre les envolées fantastiques.
Je suis un peu comme l'épeire, décidée à me laisser porter.
Sans avoir renoncé à trop décortiquer, fate humaine cartésienne que je suis.

La palombe bleue ne m'a pas attendue pour prendre elle aussi le train du vent favorable.
Sa migration est plus connue que celle de ma blanche épeire. Moins magique, tout de même, à mes yeux. Trop connue, sans les voiles légers et mystérieux de ma petite araignée.






Avançant dans l'immensité de la plaine, nous avons croisé Beltza le poney barthais.
Il s'est amusé de nos ignorances.
Très urbain, il nous a dit :

- allez, suivez-moi, je vais vous montrer !

Cheminant, nous avons croisé une connaissance à lui.









et débouché dans une prairie blanchie comme au plein hiver, de ce tulle délicat posé comme une brume légère.








Une bande de plus de cinquante cigognes arpente mollement le champ, au loin.
Celles-là aussi, ont du sentir tourner le vent.







Notre ami l'âne s'est approché pour nous saluer.
Ses deux compagnons, deux chevaux lourds et longs, sont venus aussi.








Nous retournons cette après-midi à Agorreta.
Les chiens maintenant coutumiers des migrations suivent le train sans difficultés.
Nous retrouverons nos bêtes et notre vie de là-bas. Nomades et sédentaires à la fois.





Mardi 20 octobre 2020 19h30

Je rentre de la jardinerie. La tempête Barrrbara est annoncée : pointes de vent à 180Km/h.
Le vent me fait peur. Mes vieilles toitures vont-elles résister ?
Pour le moment, pas un souffle. Le grand calme...d'avant la bataille ? Verdun au petit matin devait être comme ça.

19h50

Les premières volées arrivent. Je barricade les volets du grenier, les portes de l'étable. La ferme s'apprête, fait le dos rond.

Mercredi 21 octobre 8h-8h10

Pas de dégâts dans les alentours. Le grand vent a du passer au large d'Agorreta. Je n'ai rien entendu. Ca ne veut pas dire !

A l'est, l'incendie joufflu gonfle en soufflé.
Le feu irradie et se niche dans le grand nuage plat :

Quel dommage ! J'avais pris deus jolis clichés. Je les ai perdus, par une manipulation hasardeuse !
Et bien, faisons travailler l'imagination. C'était bien joli à voir. Plus joli encore si on l'imagine.


Lundi 26 octobre 2020 19h

Changement d'heure cette dernière fin de semaine.
Il fait nuit noire derrière le carreau où la pièce se reflète, baignée de l'or de la lampe posée sur le bureau.

Nous avons été marcher. Entre deux averses, entre deux coulées dorées.
Les chevaux en hordes courent dans la plaine.
Les feuilles tombent très tôt cette année, sans trop se parer des couleurs flamboyantes de l'automne.
Les arbres sont épuisés d'avoir lutté cet été, sans eau. Ils n'en peuvent plus, et ont besoin de se refaire des forces.











Les paysages restent beaux, calmes, sereins d'une onde tranquille aux reflets ors et roux.
J'essaie de capter cette sagesse d'un temps long où les remous se diluent et se fondent.
J'essaie.

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