vendredi 16 octobre 2020

13 au 16 octobre

 

Mardi 13 octobre 2020 9h30


Je suis à Rivière. Les arbres élevés du bois s'empourprent au soleil pâle. Des nuages cotonneux avancent doucement dans le ciel parsemé d'un bleu timide.

Ma fin de semaine a été maladive. Je traînais depuis une bonne dizaine de jours une forme dégradée. Entrailles en désordre complet, puis gorge enflammée et nez bouché. J'ai mis ça sur le compte de l'inventaire, de mon seuil de tolérance à toute pression, effondré.

Tout de même, l'affaire perdurait.... A samedi matin, j'étais misérable au fond de mon lit souillé d'une nuit de transpiration intense, alternée par des épisodes aux frissons glacés. La commode  juste à côté de la tête de lit était encombrée de tout un nécessaire de détresse : cuvette, serviette, (quelques nausées bilieuses contractaient mes viscères en alarme), mouchoirs froissés, tablettes de paracétamol éventrées, une bouteille d'eau (heureusement fermée) renversée.

Les losanges alvéolés imprimés au plafond par ma si jolie lampe de chevet ne parvenaient  pas  à me rendre l'avenir souriant. Ma nuit désastreuse était atypique d'une de ces crises de Ménière que je connais maintenant si bien, bonnes copines que nous sommes devenues, elles et moi.

Là, un sale mal de tête enserrait mes tempes, en plus du cerclage déjà bien tendu autour de mes oreilles. Une nouveauté. Pas très sympathique, comme visiteur.

Je ne suis pas migraineuse. Au moins ça !

J'avais la veille déposé mon portable sur la commode, au cas où. Depuis la mort de mon père, je le laisse facilement loin de moi. Je ne subis plus le joug oppressant de cette alarme latente, ceinte autour de moi comme une couronne de ronces. (Celle d'épines, c'était pour le Christ, ne mélangeons pas tout).

Si je me tiens le petit boîtier de liaison à portée, c'est que, soit j'attends un appel espéré (ou craint), soit je pense avoir besoin, moi, de pouvoir communiquer en cas de mobilité réduite.

Là, j'en étais à la seconde éventualité.

Ainsi, samedi matin à l'aube, j'ai pu contacter mes satellites numéro un et deux. 

Je hélai par la voie des ondes téléphoniques Antton, d'abord, pour lui demander de s'occuper des génisses, puisque j'en étais bien incapable moi-même.

Ensuite, l'heure correspondant à celle de mon départ pour la jardinerie, j'appelai Olivier, comme je le fais les matins où il n'est pas physiquement avec moi : jeudi et samedi.

Pour la suite, j'attendis un horaire décent pour prévenir mon bien-aimé patron, Jean-Michel.

Il leva immédiatement une oreille alertée à mes lamentelles : tu te fais tester, m'intima-t-il, tu reviendras après. Nous étions samedi. J'étais mal, oui. Pas au point tout de même d'ameuter les services médicaux de garde ou en urgence. Non, non, non.

Délestée de mes logistiques, je me sentais d'ailleurs déjà un peu mieux. A me demander si mes symptômes n'étaient pas psychotiques. Connaissant la cliente, on peut se poser la question. Je me la suis posée. J'ai répondu : non, non, non. Ou alors, au pire, pas que...

Un peu de "xintxa", à prononcer chintcha ? A traduire par comédie, plus ou moins ? Boohh, non, non, non, et alors là, pour le coup, toujours non. La première abusée en serait moi-même, et là, ce n'est plus de la xintxa, c'est du déni : je suis complètement ravagée du ciboulot, mais, comme je ne veux pas me l'admettre, je mets devant tout ça que je ne veux surtout pas voir, l'écran de maux fantasmés. De mots "politiquement" corrects. 

Dieu sait que je ne serais ni la première ni la seule à le faire, allez !

Pourtant, essayant avec application d'être objective, tentative évidemment avortée dans l'œuf pour ce cas de figure, je m'exonérai de cette esquive nocive. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt. Bien au contraire, j'écarte large tous les paravents et autre artifices, pour clamer haut et fort, revendiquer crânement, pathétiquement, sans doute, aussi, ma tare. Oui, je suis ravagée du ciboulot. Oui, je le sais. Et oui, je le dis.

Pour autant, et subséquemment à cette tare, je suis "mañuntzi". Je fais facilement des "manières". "mañak". Pas dans le sens de bonnes manières outrées : les bonnes manières civilisées, c'est à l'autre bout géographique de ma sphère. Non, des manières dans le sens de faire des mines, prendre des poses, jouer la comédie (tiens...), être théâtreuse. Limite faire des caprices. Etre alambiquée. Chiante, quoi.

Chose que de moi j'ignorais totalement jusque là. Chose qui me répugnait complètement. Comme vous répugne le plus fort ce qui en vous s'enfouit comme un gros kyste plein de pus jaune.

Quoi qu'il en soit, pour les raisons apparentes ou obscures, (comme on dit dans les actes de vente notariés : les servitudes cultes et occultes), je me rendormis presque paisible, frissonnante et suante encore, mais soulagée.

Le covid avait la main mise sur mes jours. Beñat l'appelle la "Covédie", joliment, comme on dirait la "Comédie", pas del Arte, un peu quand-même, parfois. Et pour moi, suivant le développement ci-haut...

J'admets la trame d'un faisceau d'indices convergeant vers une culpabilité étayée.

Je demande le bénéfice du doute, et en appelle à la présomption d'innocence !

La suite s'est enchaînée gentiment. Je me suis isolée, par précaution principale et injonction supérieure.

Olivier est venu me chercher à Agorreta, pour préserver mes frérots "fragiles", d'après lui. Parce-que lui, ne le serait pas, d'après lui, toujours. Bien.

J'ai emmené ma mini-meute avec moi, au cas où je devrais rester confinée à Rivière plusieurs jours. Nous sommes partis, comme dans les Vacances de Mr Hulot, la voiture un peu encombrée, plus par les affaires des chiens que par les miennes.

Mes bêtes ne sont pas grandes voyageuses. Elles ne sont pas coutumières des trajets en voiture. Txief et Bullou vomissent facilement leur inconfort. Même si je les emmène souvent jusqu'au cimetière, en quelques minutes, un aller Hendaye Rivière, c'est presque une heure.

Olivier avait pris ses précautions. Il ne tordit même pas le nez, quand j'étalais sur ses draps recyclés en chiffons, (quand chez moi ils auraient encore fait usage très honorablement), les couvertures puantes de mes chiens campagnards.

Le voyage se passa fort bien.

Nous arrivâmes au port, courbatus mais dignes, tous et chacun.

Depuis, mes chiens apprivoisent Rivière. Comme je suis avec eux à chaque instant, ils l'aiment bien, ce Rivière qui leur rend leur patronne.

Même le passage à la douche les a amusés, c'est pour dire...

Et oui, nous arrivons ici "en ville", même si Rivière est un bourg de moins de 1500 âmes, niché dans une magnifique forêt.

Un coquet pavillon en lotissement, ce n'est pas une ferme avec ses sucs riches et puissants, ses parages boueux et le tas de fumier tout proche.

La maison d'Olivier, ce n'est pas une étable avec des gens autour. On ne passe pas d'une litière souillée à la pièce de vie en maculant le carrelage à chaque pas.

Non, chez Olivier, c'est classiquement propret. 

Mes trois vieux chiens pouilleux et puants y font désordre. La patronne elle-même y est assez exotique.

Alors, en obédience au maître de maison, nous sommes tous passés au pédiluve : nettoyage en profondeur des bêtes, des vêtures et des cas contact.

Nous sommes ressortis de là froufroutants, parfumés. Nous nous sommes humés, intrigués par cette étrangeté d'être trop propres. Vite conquis par le soyeux au toucher, le séduisant à l'odeur, vite oublieux d'une religion tout nature et authenticité, fi des artifices et des conforts factices.

Je me reconnais maintenant femme de peu de foi, vite convertie à une croyance et à son contraire. En plus d'être "mañunzi", je suis aussi "txorua": la tête vite tournée par le bout du nez par où je me laisse mener.


18H

J'ai été me faire explorer les naseaux. J'appréhendais cette investigation. Je suis très moyennement sereine, dès qu'il s'agit d'attenter à mes intégrités.

J'ai tâché de respirer profondément. Mon erreur a été de ne pas calquer ma cadence sur le mouvement entrant. J'aurais du alors inspirer, accueillant cette petite tête immaculée d'un coton-tige innocent. A mon crédit, j'ai corrigé le tir immédiatement, dès que la jeune laborantine charlottée joliment s'est dirigée vers la seconde narine. Et là, c'est passé comme une lettre à la poste.

Très fière de mon grand courage, je suis revenue à mon mari, comme une enfant rentre de l'école avec son bon point à la main.

J'attends maintenant pour demain le résultat de mon analyse.

Négatif, je retourne à la jardinerie jeudi.

Positif, je reste confinée ici les quelques jours réglementaires.

La "Covédie" m' a doucement détachée de mon père, ce printemps.

M'attachera-t-elle profondément à mon mari, à l'automne ?

En me détachant d'Agorreta et de ceux de là bas ?

Je ne sais pas. Ce que je sais, là, déjà, c'est que mon emphase, elle, n'a pas de mesure !

Les tests ne sont pas tous de laboratoire...

Et les questionnements de cet acabit pas tous existentiels, non plus...

Avec Olivier, nous avons des  soucis de trop nantis : deux maisons nous tendent les bras.

S'il n'y en avait qu'une, la question ne se poserait pas.

Et s'il n'y en avait aucune, nous serions bien assez occupés à nous trouver un toit pour nous le mettre sur la tête. Ca nous épargnerait de nous la casser bêtement...



Mercredi 14 octobre 2020 9h15


Il pleut de la pluie et des feuilles de chêne.

J'entends le bip d'un message sur le portable.

Je regarde : les résultats sont disponibles sur le site talali talala.

Eh ben, pour celui comme moi qui n'a qu'un vieil appareil tout juste capable d'imprimer un "texto", on n'est pas sortis de l'auberge. Même pour les "MMS" (après enquête poussée, j'ai fini par comprendre que c'étaient des images, enfin, je crois...), je suis infoutue de les voir, d'aller les chercher je ne sais où je ne sais qu'est-ce.

Bien. Etant dans l'instant sur l'ordinateur, je peux faire comme on me dit, et aller chercher cette information à l'endroit indiqué. 

Un petit suspense anime toujours ce temps d'attente des "résultats". Un examen, c'est un examen. Où l'on est jugé, toisé, évalué. Ce moment d'inconfort entre la prestation et son jugement, le test et le résultat de son analyse, laisse place libre à la sensation désagréable, quand on croit, sans savoir, qu'on se demande, et ne sait toujours pas.

Portable ouvert, écran allumé, lunettes ajustées, je recopie soigneusement les 25 caractères de l'adresse mentionnée : ce site est inaccessible pour le moment. Ah, j'ai du me tromper dans la calligraphie numérique. Je recommence, appliquée, langue tirée entre les lèvres entrouvertes. (Oui, fermées, ce ne serait pas possible).

Bam, même écran désolé, même message laconique.

J'imagine la foule fébrile pianotant frénétiquement la même adresse, au même moment.

Il y avait pléthore de présumés malades, hier, devant le laboratoire.

Pléthores d'anxieux avérés, aujourd'hui, au dessus des claviers.

Je réessaierai plus tard.


10h24

Ah, ça y est, le site est désengorgé.

Là encore, on ne va pas au plus simple, avec un identifiant à retranscrire, long comme un jour sans pain.

Qu'importe, toujours pareil, je m'applique.

Je tiens la feuille à en-tête. Je n'aime pas rechercher une info sur l'écran. Je préfère la tenir sur papier, comme au bon vieux temps. Je m'apprête à imprimer. Bien-sûr, maintenant, avant d'imprimer, il faut enregistrer. Soit. Je m'apprête à enregistrer. 

Olivier arrivé derrière moi lit l'écran par dessus mon épaule. Me voyant tâtonner pour savoir où aller mettre ce fichu papier pour pouvoir l'avoir dans les mains, un jour, il s'impatiente.

Olivier n'est pas prêteur. Quand on lui demande un outil ou une machine, il tique. Et, s'il y a moyen, feinte, pour se dérober : l'outil est sur le point de casser, il n'a plus de carburant pour la machine.

Quand, pour mes moments d'écriture, j'utilise son ordinateur, il consent, sans trop grincer des dents, mais pince quand même un peu les lèvres. 

Là, voyant la fléchette sauter d'un coin à l'autre de l'écran, il prend peur. Il est comme moi : il maîtrise moyennement l'informatique, et panique vite quand un dossier disparaît, emporté vers l'abîme par un seul clic maladroit.

- Attends, me dit-il en prenant la souris, je vais te l'imprimer. Et bim ! mon feuillet disparaît !

Plus tendue par l'attente des résultats que je ne le pensais, je sur-réagis :

- Casse-couilles, à croire que tu sais tout mieux que les autres !

Oui, je deviens maintenant parfois grossière, quand les nerfs me lâchent.

Le soufflé monte vite, la crispation critique nous gagne.

Olivier s'éloigne. Le champ magnétique dans la pièce retombe dans des fréquences supportables.

Je reprends mon code à 25 chiffres, répète ma manœuvre initiale. Gentiment, le feuillet revient se plaquer sur l'écran. J'enregistre, académiquement. Et, comme j'aime, j'imprime.

Les mains encore un peu tremblantes de la scène précédente, ou alors d'appréhension, puisqu'en plus de tout le reste je me suis aussi découverte couarde et poltronne, je lis : négative, virus non détectable. Aaaahhh.

Je ne suis pourtant pas spécialement à risque, ni obèse, ni diabétique, ni asthmatique.

Pas égoïste non plus au point de ne pas penser à mes frères, qui, eux, sont un peu tout ça.

L'idée d'une villégiature à Rivière, avec mes chiens, promenant lentement au bord de l'onde sous les grands arbres aux couleurs automnales, ne me déplaisait pas, si le virus ne me mettait pas plus mal que là.

Même en si peu de jours, le quotidien ici me devient familier, et agréable.

La fainéantise m'est rentrée dans la moelle.

Là, puisque le Covid ne me sera pas toujours alibi, je vais retourner à la jardinerie demain.

Rester là quand-même un peu, jusqu'à dimanche, pour ne pas ruiner trop tôt le bénéfice de mes chiens tout proprets. Et continuer l'expérience.

Cela nous aura fait une parenthèse agréable. Et un test édifiant.


Vendredi 16 octobre 2020 11h49


Les petites logistiques m'ont amenée jusqu'à presque l'heure de déjeuner.

Olivier est en chantier à Soustons, il mangera sur place.

Ca me laisse le loisir d'une journée où je pourrais voleter en horaire libre, casser une petite croûte ici, ou prendre une tisane là, entre deux tâches légères. Me prélasser dans un temps où aucune contrainte domestique ou professionnelle ne me tient.

Evidemment, dans la réalité, je vais écourter mon moment d'écriture, pour ne pas déjeuner plus tard que d'ordinaire, ou alors à peine, dans cette amplitude de quelques minutes avant ou après, où s'ébat largement mon idée de la liberté...

Je suis en mes jours, et dans ma vie, aussi prévisible et localisable qu'un totem habité d'une horloge suisse. Même femme, peu je varie, et, pour ce qui est de la routine, au moins, peu fol sera celui qui s'y fie.

Je viens de terminer le livre "Yoga" d'Emmanuel Carrère. Je l'ai lu d'un trait, à la faveur de mon séjour ici. Mon pilier délicat me l'avait recommandé, enthousiaste, après avoir entendu l'interview de l'auteur à la radio. Ma mienne nièce libraire me l'a approché.

J'ai lu, tirée par le bout du nez, par l'idée que l'ouvrage traitait de la bipolarité. Il en est question, oui, mais entre autres choses. Yoga (d'où le titre, quand-même), terrorisme, migrants, art d'écriture, polluent, d'après moi, ce sujet central. Pour moi. Toujours. Evidemment.

Je suis égocentrée de manière navrante. Je ne m'intéresse pas au delà de mon périmètre étroit. A lire Emmanuel, je ne serais pas la seule, d'ailleurs !

De ce côté, il n'est pas mal non plus. Avec l'érudition, la culture, l'exotisme d'une classe sociale étrangère à la mienne. Cette tendance à sauter d'un sujet à l'autre, entraîné par une réflexion dispersée, je la connais bien. Ramenée à mon échelle et à ma condition (même si je n'établis pas de hiérarchie particulière entre un haut lettré et une pépiniériste paysanne, je reste dans les classiques schémas  de classe), les arborescences d'un cerveau anarchique me sont familières.

La bipolarité est dans ce livre au centre du chapitre évoquant l'internement à Sainte Anne. Mais j'ai comme une impression de survol. Sans doute parce-qu'on préfère ne pas revenir trop près de ces contrées dangereuses, quand on les a frôlées.

La bipolarité s'inscrit aussi en filigrane quand il est question d'aventures amoureuses, où l'exaltation des états hypomaniaques vous fait décoller et vous porte haut.  En arrière-plan rapproché, quand, professionnellement, l'hypomanie décuple votre énergie, votre créativité et vos performances.

Je repère maintenant, avec le recul, ce fonctionnement radical et chaotique, dans mes amours et dans mon travail.

J'ai aimé, avec passion, et quitté, avec brutalité.

J'ai travaillé à un projet, avec ardeur, et l'ai abandonné, dans l'instant, pour m'atteler au suivant.

Le temps et la molécule ont arrondi mes pics en mamelons plus sages.

J'aime toujours, avec passion. Je travaille encore, avec ardeur (?) parfois...allez !

Je me méfie davantage de mes tendances autodestructrices. Je tâche de les canaliser, d'en tempérer les brusqueries et les conséquences.

L'objet de mes passions m'est devenu précieux, plus précieux qu'une image surfaite de moi-même à laquelle j'accrochais un orgueil dévastateur. 

Mes jours sont encore tempétueux, cycliques, mais ne seront plus, je l'espère, cycloniques, cataclysmiques. Toujours dans la modération, hein ?!

Toute à l'étude concentrée de moi-même, je m'attelle, pour résister.

Cet égocentrisme, je le constate, mais je me le pardonne. Même, je pense que ce "je" si présent en ces pages, parle bien à beaucoup d'autres "je", parmi mes quelques lecteurs assidus.

Je n'ai pas le talent d'un Emmanuel Carrère. Je ne saurai pas comme lui faire toucher du doigt cette réalité fuyante d'une maladie sournoise autant que séduisante. (Parce-que si séduisante, justement).

C'est pour ça que je suis une vieille pépiniériste paysanne, et lui  un écrivain reconnu. Et oui !

Et alors ?

Cela me musèlerait-il ? Que nenni. Je persiste. 

Si un seul des errants perdus en ces lignes se sent soulagé de partager une sensation qui lui pèse et le fait souffrir, j'aurais été présomptueuse, oui, d'accord, mais aussi, source de soulagement. Et rien que pour ça, je veux bien endosser toutes les critiques sur un tempérament vain et ampoulé.

Emmanuel Carrère est bipolaire type 2, comme je le suis aussi, si tant est qu'on puisse catégoriser aussi simplement des affections un tantinet complexes. Phases dépressives profondes, et hypomanie. Pas de phases maniaques caractérisées.

Les phases dépressives si sympathiques du bipolaire, qui vous engloutissent, vous envasent dans un marasme où l'on ne voit pas d'autre issue que la mort libératrice, j'ai suffisamment connu pour avoir une bonne idée de ce qu'il relate. Suffisamment aussi pour éviter de m'y attarder, ne serait-ce qu'en narration.

J'essaie de m'en tenir à sa sage ligne de conduite : là, à l'instant présent, ça va.

Très adhérente aux théories d'Emmanuel Carrère, je ne partage quand-même pas son pessimisme sur un possible avenir amoureux positif. Serein, non, je n'y crois pas. Partager la vie d'un bipolaire n'est pas "un long fleuve tranquille". Tranquille, ça n'existe pas, pour nous. Gerard Garouste n'a pas appelé son livre "L'intranquille" pour rien.

A condition de s'amarrer ferme, à condition d'avoir été prévenu, on peut embarquer. Et connaître quelques sensations fortes, agréables, ou pas. 

La molécule est là, garante et garde-fou.

Au moment de l'endormissement, quand le corps se relâche, je sens une onde frémissante parcourir ma chair. Le demi-sommeil me la rend palpable aussi. Le cerveau traité en ses circonvolutions les plus intimes frissonne et rayonne son frisson par toutes les terminaisons nerveuses. Je suis peut-être la seule à m'émouvoir de ce phénomène. A me l'inventer, peut-être, je ne sais pas.

En dehors de ça, pour le moment, la molécule pare, se laisse gober et oublier.

Toujours pareil, là, à l'instant présent, ça va.

Dans la lignée de ces choses qui posent aux nerveux dans notre genre des abîmes de réflexion insondables, l'organisation prochaine de mon avenir.

Je suis en pleine domestication de ce sentiment d'écartèlement entre Agorreta et Rivière.

Agorreta me manque : ses bêtes et ses gens me manquent. L'ordre n'est qu'affaire de musicalité de syllabes, attention !

Cette transition d'alternance de séjour entre les deux sites devrait être provisoire. De ces provisoires qui durent longtemps... 

Je regarde cette alternance géographique avec plus d'amitié, la considérant comme une opportunité, une chance. Au lieu d'un démembrement douloureux, j'essaie d'y trouver la possibilité d'un équilibre avec deux points d'appui au lieu d'un. 

L'équilibre et moi, ça fait deux, on le sait. (bipolaire, 3% de la population, Ménière 2 %, pour ce que j'ai retenu des statistiques. Pas de bol quand-même de cumuler les deux !). J'apprivoise mes bêtes intérieures avec circonspection et délicatesse. Elles sont comme mes génisses, mes mécaniques internes : follettes, parfois, et bien moins prévisibles que mes cadences ou mes horaires.

Je me giflerais d'être aussi nombrilique. Je le suis pourtant, et dois m'en accommoder.


Allez, j'ai quand même écouté le Président mercredi soir.

Adhéré à ses propos et recommandations.

Comme on adhère très facilement, quand les recommandations ne bousculent pas d'un iota vos habitudes. Couvre-feu à 21H, ils peuvent bien l'instaurer partout, ça ne me changera pas. La règle des 6, bien longtemps que j'ai limité mes cercles à beaucoup moins.

Hier matin, en route pour la jardinerie, j'entends à la radio le préfet de je ne sais où, assurer que les habitants des grosses agglomérations concernées par le couvre-feu ne viendront pas en masse, à l'occasion des vacances de la Toussaint, avec leurs virus débridés. Ils y sont autorisés. Et je conçois facilement qu'ils soient tentés de fuir des conditions restrictives, pour savourer la liberté d'un temps de vacances, là où c'est encore possible.

Mais non, a dit le digne préfet, les gens sont responsables, et bougeront peu.

Ah...bon.

Nos museaux muselés nous rendraient le sang froid ? Je parierais plutôt sur le contraire...

Alors voilà, si, quand je m'intéresse au vaste monde, c'est pour appuyer sur les boutons qui virent au rouge, autant que je m'en abstienne, et en reste à ma petite personne. 

Insignifiante, oui, mais, au moins, anodine et sans conséquences.


Mes chiens à Rivière sont comme des coqs en pâtes. Ils apprécient énormément l'intérieur douillet, propret. Se prélassent sensuellement sur les tapis et le canapé. Olivier consent. Il est prêt à tout pour m'attirer dans ses rets, le bougre !

Ils ont parfaitement assimilé la notion de limites de propriétés. Ils chargent en meute contre tout ce qui se présente au portail, facteur ou animaux du voisinage. Ce qui se passe derrière les haies, même juste de l'autre côté de la haie, ils ignorent, superbement.

Je craignais quelque scandale de voisinage, avec mes chiens hurlant au moindre son du quartier.

Pas du tout ! Ils se tiennent tranquilles, assis dans l'allée. Ils ont déjà repéré les places au soleil, les bons coins par où observer. Ils attendent sagement notre retour quand la maison est vide, sans paniquer. Ils font fête, s'amusent entre eux.

Quand nous allons marcher en forêt, pourtant, ils font vite marche arrière, rebroussant vers la voiture, au lieu de nous suivre. C'est qu'ils commencent à prendre de l'âge, et les longues promenades les fatiguent. De vrais chiens de ville, de salon !

Txief s'est même beaucoup calmé, ici.

Quand à Agorreta il paraît toujours à l'affût d'un possible danger, sans cesse en appuis tendus sur ses jarrets, oreilles aux aguets, ici, il se laisse aller au repos, à l'abandon. C'est surprenant !

Je les regarde faire, j'apprends, j'attends, de voir, de décider, un jour, plus tard.






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