dimanche 4 octobre 2020

23 septembre au 4 octobre

 

Mercredi 23 septembre 2020 20h


Le véritable automne a sonné à l'heure.

La journée a été de pluie, de vent. Les vaches sont à l'intérieur, avec la tempête mécontente de butter contre les portes closes.

Les chiens couchés dans la cuisine lèvent parfois une oreille, alarmés par une rafale plus colérique. Seule, Lola, dans sa bulle de vieille chienne sourde, soupire d'aise, sans s'inquiéter de rien. Comme j'envie sa quiétude ! Ma surdité génère au contraire une angoisse, celle de ne pas savoir d'où arrive ce que je crois entendre, ni ce que ça peut bien être. Comme si j'avais besoin de ça pour me mettre martel en tête !

Cette après-midi, nous avons été avec Lou et Tiago jusqu'au cimetière. Une sortie comme une autre, après tout ! Nous avons nettoyé le caveau, redisposé les plaques et les coupes. Arrangé cette dernière demeure comme on agence une pièce à vivre. Les petits, intrigués, m'ont interrogée sur les noms gravés dans la pierre. Pour eux, tous ces noms parlent d'une préhistoire, quand, pour moi, ils sont la mienne.

Une averse plus sévère nous a remisés sous le parapluie, accroupis contre une tombe voisine, avec les trois chiens collés à nous. Nous avons ri, irrévérencieusement. Nous avons ri, réconfortés dans notre petite bulle abritée et crépitante.

Je ne sais pas si ce moment restera pour eux en souvenir. Pour moi, je l'ai trouvé agréable, et mémorable.

Au soir, Tiago est revenu vers moi, pour une promenade dans la campagne proche.

Je l'ai regardé courir en sautillant devant moi, enfant insouciant aux boucles dansantes. Petit ange blond et rieur.



Vendredi 25 septembre 2020 21h50


J'arrive au soir d'une journée de grande tempête.

J'ai regardé un long moment les mouettes voler contre le vent, montant et descendant sans avancer, à quêter un couloir de courant favorable.

Les ramilles brisées des carolins roulaient dans la prairie. Les feuilles sèches et les pailles de maïs chuintaient dans l'étable. J'ai ramassé plusieurs brouettes de détritus agglutinés dans les coins de la cour. J'ai eu le temps de panser mes génisses, de les contempler, rassasiées, tranquilles, dans la quiétude de l'étable silencieuse.

Le temps de penser l'avenir, de voir arriver dans mon paysage de nouvelles silhouettes, amies.

Je vais me coucher, laisser dehors le tumulte.



Dimanche 27 septembre 2020  11h30


Je vais cette après-midi à la jardinerie. Après l'été, nous recommençons à ouvrir les dimanches. Les grandes surfaces de bricolage s'y sont mis, amplifiant le mouvement par des ouvertures depuis le matin et jusqu'au soir. J'imagine que nous allons nous mettre au diapason. Et bien, ça nous fera davantage de repos en semaine ! 

Difficile pour les jeunes parents de sacrifier les dimanches en famille, évidemment. 

Nos cadences se diluent dans des préoccupations de performance économique. Notre réalité se dissout dans un virtuel où se montrer suffirait à être. Et pour autant, n'est pas, évidemment...


Je me faisais ces réflexions faussement profondes, en cheminant avec Olivier, ce matin, le long d'un ruisseau près de la barthe.




La brume sur l'étier se soulève doucement. Les plans émergent. Les doutes s'estompent ? Peut-être...






Le petit pont des barthes aux pierres moussues parle d'un ouvrage d'art perdu dans la campagne.








Un concours de chevaux lourds réunit à Saubusse des éleveurs fiers de leurs bêtes aux croupes puissantes et aux crinières brossées.


L'écluse de pierre paraît bien solide.

Les hirondelles parties d'Agorreta feraient-elles une pause à Rivière ?
Elles sont encore là, sur les fils électriques, petits elfes mutins aux ventres clairs.




Je retrouve ici les deux petits ânes du bois.




Le pont Saint Jean, appelé ici d'Eugénie Desjobert arrondit ses arches blanches sur le ciel bleu de la brume levée.
Il va être restauré. Les travaux commencent dans la semaine.

En 1878, les autorités locales décident de relier le Maransin et le Pays d'Orthe, en construisant ce pont au dessus de l'Adour, entre Saubusse et Orist.
Le financement manque. Eugénie Desjobert, une riche veuve retirée à Saubusse, fera don de 400000 francs or, une somme considérable à l'époque. C'est elle aussi qui financera le sanatorium de Capbreton, devenu maintenant le Centre Européen de Rééducation Sportive.






C'était la minute historique...



Vendredi 2 octobre 2020 17h30


Je passe dans mon nouveau bureau-ancienne chambre paternelle. Je vais refermer les volets sur la tempête revenue.

J'ai goûté seule, à la grande table ronde de la cuisine silencieuse. Tartines grillées nappées de confiture d'orange (merci Paulette !), trempées dans un bon vieux thé au lait. Très classique, jamais décevant, une valeur sûre. Mon arbre rupestre aux dorures titillées de pluie a enlacé mes pensées vagues dans ses branches sinueuses.

J'ai l'impression en ces moments dolents de profiter pleinement de l'ambiance de la ferme.

Les chiens dorment, après la promenade vivifiante dans une percée inattendue de soleil, entre deux ciels plombés, aux ventres lourds, arrondis sur une mer crénelée.

Les vaches sont couchées elles aussi, dans un paillage froufroutant de fougère rousse mêlée à du foin pâle. Elles sont rassasiées, mes belles. Leurs panses rebondies les obligent à étirer les pattes, en soufflant de bien-être. Katto Pelato nichait une petite gale, dans son entrecuisse serrée. Je l'en ai débarrassée, je l'ai pommadée. Elle a étiré son cou musculeux, les yeux un peu exorbités sur un plaisir langoureux.

Par le petit volet ouvert de la grande porte, je voyais les hordes de pluie cingler la cour. Les nappes d'eau se chevauchent en désordre, roulant et boulant dans une urgence clapotante.

J'ai étrillé les génisses, aux croupes tendues à la morsure sensuelle de la carde.

Tout ce petit monde est maintenant au repos, grosses têtes tournées sur les antérieurs repliés. Elles soufflent et soupirent en cadence.

Je vais préparer le dîner, en regardant le mauvais temps laissé dehors comme un malvenu.

Je savoure ces moments ordinaires comme on lape le fond d'un bol de gourmandise.

C'est ma seule journée ici, cette semaine.

Mercredi, nous avions notre inventaire annuel, à la jardinerie.

Le (la ?) Covid nous a amenés à décaler cet inventaire à fin septembre, quand, jusque là, nous le faisions fin juin. Nathalie a ses raisons que la raison ne connaît pas...

Je reconnais cette excitation des remises à jour des compteurs. J'ai toujours adoré ça.

 Simplement, ce qui, quand on a l'énergie et la fougue de la jeunesse, vous porte, vous bouscule alors que les forces vous lâchent. Au soir de deux jours de comptages intensifs, de contrôles agaçants, nous étions tous assez éprouvés. Oui, parce-que, évidemment, pour cette session encore, j'ai du, impuissante, supporter, navrée, de méticuleuses vérifications, pour savoir si on avait bien différencié les gants roses, des gants verts, (deux gencods différents, pour un même prix d'achat !), quand, juste à côté, trois pans entiers de gondoles avaient été sautés ! Bououhhh, quelle fatigue !

Un moment après, Antoine me hèle, impérieux, pour me demander d'où je sors un daphné à 15 euros... Je le lui sors, ce malheureux petit pot, perdu en effet au milieu d'un carré d'azalées. Il marmonne contre un rangement approximatif, que je lui reproche illico, puisqu'il en a la charge autant que moi !

Vexée et vicieuse, je l'envoie contrôler une zone piégée : entre mon comptage de la vieille (ma,gasin ouvert) et aujourd'hui, nous avons vendu deux grosses pièces, des magnolias sur tige à plus de 500 euros chacun. J'ai fait rectifier à l'informatique, en laissant sur place le feuillet d'origine. Logiquement, il doit repérer l'erreur. Je le surveille du coin de l'œil. 

Nonchalant et pourtant appliqué, ce grand échalas déambule autour de la jauge à vérifier, tournant les pages de sa liasse au fur et à mesure de son avancée. Il relève la tête de sa lecture, à chaque ligne, pour ce que j'en vois de loin. Vérifie méticuleusement chaque étiquette, compte et recompte, pour être plus sûr encore. Il s'attarde sur deux lignes de soulangeanas à 12 euros, déplaçant les conteneurs, les sortant dans l'allée, pour pouvoir les inventorier sans se tromper. 11. Bien. Il y en a bien 11 sur le papier. Ca va. Je le vois penser comme si j'étais dans sa tête !

Pendant ce temps, moi, je ne fais rien, mais c'est pour la bonne cause...

Il termine sa tournée. Il a contrôlé que toutes les plantes présentes dans la jauge étaient bien répertoriées sur les feuillets. Je le vois replier la liasse, satisfait, ou alors, déçu ? de n'avoir pas trouvé d'erreur à m'imputer. (Là, c'est mon côté Machiavel qui parle... et ma propre expérience, allez !)

Pour autant, les deux magnolias sournoisement glissés entre deux lignes anodines ne l'ont pas interpellé. Du moins, leur manque physique ne lui a pas sauté au visage. Et oui, il s'attend à ce que j'oublie des plantes, pas à ce que j'en invente, là où elles ne seraient pas ! 

Sardonique,( honte à moi), je jubile : je vais lui claquer son beignet, à cet impertinent !

Au moment où il revient vers moi, il se fige, tel le chien de chasse à l'arrêt. Il hume l'air, avance une lippe boudeuse, penche la tête sur le côté et fronce le sourcil. Ah, quelque voyant s'est allumé dans les méandres de son cerveau. 

Antoine est un jeune homme très érudit, très savant. Il a enregistré une quantité incroyable d'informations. Il possède une culture époustouflante, en histoire, notamment. 

La moyenne intellectuelle dans l'équipe de la jardinerie ne doit être ni plus ni moins bonne que dans la plupart des groupes d'employés de base. Notre culture générale, aux uns et aux autres, nous suffit à assurer notre travail correctement. On ne nous demande pas de briller en société ou en conférence, et ça tombe bien : nos prestations seraient généralement assez décevantes.

Antoine sort du lot, sans conteste. Il culmine à des étages de savoir que nous ne soupçonnions même pas. C'est tout simple : quand une question nous vient, une question d'ordre général comme il s'en présente fortuitement à l'orée d'une journée ordinaire, nous n'avons plus le réflexe classique de consulter Ternet. Non, en toute première intention, confiant dans notre encyclopédie vivante, nous allons chercher Antoine, et sa science impressionnante. 

Rares les fois où il cale. Et terribles alors les conséquences subséquentes à une telle faille. Antoine pris en défaut n'est pas, comme le commun du mortel, raisonnablement mortifié. Vexouillé, boudeur un peu, et puis bohhh, passant à autre chose en haussant des épaules.

Non, Antoine pris en défaut hausse haut son menton pointu, dubitatif, d'abord, y croyant encore, cherchant dans ses circuits internes où se nicherait l'information qui forcément doit y être, puisqu'il sait tout.

Antoine pris en défaut rameute ensuite l'inspiration plus élevée dans un horizon lointain, roulant le blanc des yeux qu'il a bleu (le blanc, pas les yeux, les yeux, il les a noisette).

Là, on le sent vaciller. Sa certitude d'une omniscience incontestée chancelle. Il chancelle avec elle. Physiquement. Il balance d'avant en arrière, en un mouvement oscillant d'une amplitude discrète. Si je le remarque, moi, ce mouvement, c'est que j'en suis bien familière, avec mon maudit Ménière !

Antoine pris en défaut marmonne, va et vient de la mâchoire, comme une chèvre à la ronce.

Un moment après, encore, il finit par capituler, reconnaître l'écueil et se soumettre à l'opprobre.

Il se referme comme l'huître chatouillée, se resserre et s'en va, menton relevé sur le côté, et jambes serrées sur de petits pas rapprochés.

A la pause ou au soir, il s'enquiert académiquement de la science manquante.

Et nous revient, savant, heureux comme un enfant qui a trouvé son vieux jouet perdu.

Se justifie, trouvant toujours une raison, oiseuse parfois, mais bon, de n'avoir pas su, lui, l'homme qui sait.

Pour nous, nous ne nous tracassons pas plus que ça : la question, nous nous la mettons dans la poche, avec le mouchoir pas dessus. Assurés que notre Antoine éclairera notre lanterne, à un moment ou à un autre.

Mes espoirs de ce mercredi ont été déçus : Antoine ne s'est pas laissé prendre à mon piège.

Revenant sur ses pas, il a reconsulté le feuillet, réexaminé les carrés de plantes, et, triomphant, a entouré la ligne fautive, la ligne de la victoire : il avait repéré une erreur, et une belle, cette fois !

Je n'ai eu que la satisfaction de le voir tout penaud, quand, ramenant sa trouvaille à Sophie, il s'est fait rabrouer pas un "oui, ça, on l'a vu, c'est une vente d'hier".

Comprenant immédiatement mon pauvre stratagème, il s'est retourné, théâtral :


- Ah, Aaaah !, m'a-t-il renvoyé, tu pensais me piéger, fourbe que tu es !

Oui, Antoine goûte aussi les classiques antiques, et nous déclame ainsi des tirades improbables dont nous sommes bien incapables de situer l'origine. Mais qui nous sonnent, comme de lointains souvenirs scolaires stratifiés dans une gangue épaisse.

Antoine n'est pas rancunier. Dès qu'il s'est rassuré sur ses compétences intellectuelles, il consent à nous pardonner nos errances, comme nous lui pardonnons les siennes. Bien contents de n'avoir pas une telle capacité à nous y aventurer.

Antoine est mon petit chouchou de la jardinerie, tout le monde le sait.

Lui le premier.


Dimanche 4 octobre 2020 19h20


Nous avons pu marcher plus de deux heures, sans essuyer d'averses. Alléluia !

Les abats d'eau brutaux des deux derniers jours ont radicalement changé le paysage :

les barthes sont inondées, Rivière est à la mer !



Les bêtes se reculent sur les tertres près de la forêt.
Mon Dieu, je frissonne à la seule idée de voir un jour mes beautés dans ces parages !





L'Adour charrie ses flots jaunes mêlés à l'or des feuillages couchés dans l'onde.






Ces chevaux continuent de brouter, pas du tout inquiets de l'eau qui les encercle pourtant.

Nous croisons des éleveurs avec leurs vans en remorque : ils sillonnent les pâturages, pour rapatrier leurs bêtes au sec.

Cette année, l'arrivée de l'eau a surpris tout le monde.

Il y quelques jours encore, tous ces paysages étaient grisés de poussière sèche.

Nous sommes rentrés. Olivier allume une flambée. Je regarde les nuages plus légers dans le ciel du soir.





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