mercredi 29 juillet 2020

24 au 29 juillet



Vendredi 24 juillet 2020  7h







Le lever du soleil de ce matin est en contrastes fantastiques : de lourds nuages sombres masquent un soleil éclatant bien décidé à percer là derrière.
Toute une allégorie des forces du bien et du mal, de l'ombre et de la lumière qui s'emmêlent et s'entrelacent se joue dans le ciel théâtreux.
Un bien joli spectacle, quand, comme aujourd'hui, on en connait la fin, heureuse.

Je fais rentrer mes génisses. Elles attendent sagement dans l'étable du fond.
Je distribue les rations dans les mangeoires, ouvre la barrière.
Elles se présentent toujours dans le même ordre: Graziosita la première, puis Buru Haundi, Neska motz. Katto pelato, fidèle à elle même, ne se précipite jamais. Elle considère le mouvement pressé des autres, et s'avance la dernière, royale. Ces jours-ci, la fraîcheur des petits matins de rosée me la ramène chatoyante, d'une robe de velours soyeuse et bien brossée.
Je les flatte au passage, les frictionne vigoureusement, sous le col. Elles sont trop occupées à manger pour s'apercevoir de mes caresses. Rassasiées, elles allongent ensuite le cou, me posant leurs mufles lourds sur l'épaule.
J'aime ces moments de connivence avec mes bêtes. Ma relation à elles se construit jour après jour. Nous avons en principe de longues années devant nous.


Lundi 27 juillet 2020 19h

Nous revenons à peine d'une très longue promenade.
Nous sommes restés à l'ombre des arbres, sur les chemins ocellés. La poussière grise les fourrés. Les aubépines et les acacias jaunissent déjà. Il fait sec, et, dès que l'on s'éloigne des eaux vives, la nature montre des signes de souffrance. Elle recroqueville des feuilles, et les laisse tomber, si besoin.

Nous avons longé les bords d'Adour, où l'onde frissonne en oblique, par endroits, quand elle s'étale en surface plane comme le verre, près des berges.
Les ramures vert sombres et tendres se perdent en reflets mélangés sur l'eau à peine mouvante.
Nous avons contemplé, nous nous sommes imprégnés.
Nous sommes rentrés, alanguis et un peu fatigués.


Mardi 28 juillet 2020 21h

Un très joli moment, ce matin : burlesque et naïf.

Nathalie travaille tête basse sur son ordinateur. On n'aperçoit derrière l'écran que le haut de son crâne brun et pointu. 
A un moment, elle relève la tête : "j'entends la pluie ?"
Moi, évidemment, je n'entends rien !
Sophie répond que c'est la bouilloire.
Nathalie n'entend pas Sophie.
Tendant le cou vers la fenêtre, elle dit :
"Attends, je mets mes lunettes".
Et les chausse, en effet, pour "entendre" la pluie.

Tout est dans le tout, chez Lafitte, et l'espace, le temps, les sens, vont et viennent sans rime ni raison.
J'en souris encore...


Mercredi 29 juillet 2020 16h

Je descends dans le pré. Oréo mignotte les pousses d'herbettes, mâchouillant les épis des graminées à son goût. Les chiendents gluants, elle les écarte, dédaigneuse.
Cette biquette est jolie comme un cœur !






Katto Pelato et Neska Motz sont rentrées dans l'étable du fond.
Elles sentent peut-être la chaleur. Ou alors, l'herbe séchée du pré sevré d'eau ne les nourrit pas suffisamment. Elles savent trouver du bon foin dans leurs râteliers, ici.
Buru Haundi et Graziosita sont dans la combe, plus bas.
Buru Haundi est dans sa période de rut.
Aveuglée par ses hormones chamboulées, elle en oublie sa grosse gourmandise. Elle reste là, tournée vers l'est, le mufle au vent, sans trop savoir que faire.
Graziosita reste auprès d'elle, par solidarité. 
Quand je viens, elle s'élance quand-même, direction le râtelier garni, toutes !







La grosse noire finit par comprendre, et se hisse, lourde et indécise, encore.
A la rentrée dans l'étable sombre et fraîche, elle chahute Katto Pelato, grimpe sur elle, en simulacre d'accouplement. Je lui donne un bon coup de bâton. Elle retombe en arrière, heurtant durement la bennette attelée à Karrarro. Son postérieur gauche s'écorche un peu sur le rebord métallique.
Je frappe encore, elle se met à sa place.
Je l'attache. Elle se souvient enfin de la mangeoire devant elle, se met à manger.
Je me penche sur sa patte, pour voir si je dois la panser.
Non, l'éraflure se remarque à peine. Je vais juste vaporiser du désinfectant, pour que les mouches ne viennent pas y pondre leurs œufs.
Au moment où j'approche sous le ventre de ma grosse, un taon s'excite, et la pique.
Surprise et douloureuse, Buru Haundi s'écarte vivement. Elle me bouscule, et je me retrouve sous le ventre de la Graziosita. Celle-ci ne s'émeut pas, tourne la tête vers moi, et me tend un mufle bienveillant. Je me relève, sans mal, enfin, sans avoir pris mal, je veux dire !

Je considère ma grosse génisse d'un œil pour le coup beaucoup moins bienveillant, là !
Buru Haundi devient insupportable à chacune de ses chaleurs. Là, la température ambiante élevée la rend plus idiote encore.
Je regarde ses grosses cuisses musculeuses. Ma bête doit maintenant peser dans les 700 kgs vifs.
De la bonne viande de haute qualité, déjà.
L'idée m'en effleure, frissonnante. Puis, s'éloigne, piteuse de ma culpabilité réveillée à ces funestes projets.
Allez, allez, je me l'aime bien, ma Buru Haundi bêtasse. Deux jours tous les 21 ne me la feront pas suspendre à un crochet de boucher.

"Pardonnez-leur, disait le Christ en croix, car ils ne savent pas ce qu'ils font".
Elle non plus, ma grosse abrutie, elle ne sait pas ce qu'elle fait...

Et puis, en boucherie, ma Buru Haundi, aussi lourde soit-elle,  ne me paierait même pas le prix du traitement xylophage d'une seule des pannes familières de la charpente mitée d'Agorreta. Alors... alors, je vais la garder là. La contempler mangeant le bon foin parfumé, avec ses sœurs. La laisser m'offrir ce si joli moment de paix :








mercredi 22 juillet 2020

15 au 22 juillet



Mercredi 15 juillet 2020 16h

L'après-midi maussade et tranquille m'invite à retourner dans mes paysages.
En bout du petit bois de l'anglais-espagnol, le grand pin est tombé. Il était en mauvais état, hirsute de ses bois morts aux moignons déchirés.
Il gît maintenant, affaissé sur lui-même. Son voisin n'est pas reluisant lui non plus. Une des prochaines tempêtes aura sans doute raison de lui aussi.
Plus bas, sous le chêne ancestral, le jeune châtaignier a, cette année encore, perdu sa course vers la lumière. La canopée de son aîné reste entre lui et le grand ciel ouvert au dessus. Ces deux-là n'ont pas fini de lutter.

Les graciles ombelles des acacias du sous-bois balancent légèrement dans la brise câline.
Sur le chemin à flanc de côteau, les berces élevées étalent à la grisaille immobile leurs napperons délicats.
Des papillons mordorés chahutent, vifs et gais de leur vol saccadé.

Je descends la pente raide. Deux hautes murailles de fougères charnues me caressent les joues un peu rudement. Je les écarte, évite autant que je le peux les griffures des ronces sournoises.

Ca faisait un moment que je n'avais pas ainsi déambulé dans mes alentours.
Ca m'a fait du bien.

Jeudi 16 juillet 2020 21H

Je vais faire un tour dans le soir.
Un magnifique arc-en-ciel enjambe le paysage de part et d'autre de Mère-Rhune.
Les bosquets plaqués sur le ciel gris métal irradient  la lumière du soleil couchant.
Deux ailes volantes planent vers la mer. Deux mouettes immaculées et scintillantes les escortent.
Le grand silence enveloppe mon horizon. 
Je ressens cette liberté de voler haut, ce calme, cette volupté. Le luxe, je n'en ai pas besoin.
Mes acouphènes en sont presque éteints.
Un jour peut-être retrouverai-je le repos du silence ?
J'ai le sentiment exaltant d'une perfection toute proche.

Dimanche 19 juillet 7H







Le soleil franc nous est revenu après des journées grises.

18H






Au soir d'un dimanche tout de paix, revenant avec Olivier du cimetière où nous avons abreuvé les fleurs, nous nous accoudons à la barrière sous l'arcade.
Je m'aperçois alors d'un vide en milieu du bosquet, à l'est, de ma pinède fantasmée.
L'arrondi jusque là bien garni se mite comme une bouche édentée.
Quelques coupes ont du passer par là, à moins qu'un coup de vent ait ici aussi sévi.
Ces vieux arbres s'effondrent parfois sans grand préavis, cachant leur misère de vieillesse entre les jeunes fûts vigoureux. Mon bosquet redeviendra dru, si l'entreprise n'est pas humaine.



Mercredi 22 juillet 2020  7H




L'orage gronde.
Des éclairs sont venus zébrer ma fin de nuit.
La moiteur pèse dans l'air.
Entre les vieux murs de la ferme, il fait frais, il fait bon.


20h20


Après des journées de veille un peu tardive pour moi, je suis bientôt prête au coucher.
Je vais lire, en levant parfois le regard sur la tombée de la nuit derrière la fenêtre aux volets grand ouverts.
Je suis en ce moment sur une histoire de psychopathe géant, meurtrier de ses grand-parents, inaccessible à toute morale sociétale. Ca s'intitule "Avenue des géants" écrit par Marc Dugain.
Ca me tient. Comme un bon livre vous mène.

Quelques remous perturberaient ma sérénité presque conquise.
Toujours ces affaires familiales où les nerfs se mettent facilement en pelote. Ces affaires de partage, où, si classiquement, chacun y va de sa vérité, et toutes divergent. Ce moment critique, où les fratries se déchirent et se lacèrent.
J'ai donné, suffisamment, en 2016.
Je n'irai pas plus loin. Je vais juste arrêter les dégâts, là.
J'ai décidé de dépolluer mes chroniques. De me débarrasser en ces pages de tous ces miasmes putrides. Remuer la vase ne fait rien remonter de bon. J'essaie de laisser tout ça derrière moi, maintenant. 

Pour autant, fidèle à moi-même, je garde une mémoire scrupuleuse de ces péripéties de basse-cour.
Je couche tout ça dans un brouillon d'archives. Au fur et à mesure.
Un jour, peut-être, si ça me prend, je ramènerai l'historique au jour.
Je ne sais pas encore.
Le seul fait d'en faire un article factuel m'en débarrasse, pour le moment.

Je me souviens de ce livre de Delphine de Vigan. Elle y déballait son histoire familiale; Une histoire un peu lourde, certes. 
La plupart, de ces histoires, le sont plus ou moins : une famille, une fratrie, c'est beaucoup de passions, alors, forcément, ça égratigne vite. 
La nôtre, histoire,  n'est ni plus ni moins glauque que beaucoup d'autres.  
Delphine, en vive souffrance,  s'y écorchait, s'y dépeçait, faisait voler en éclats toute pudeur et retenue.
Elle livrait les hontes, les vilenies, s'en délivrait, sans doute.
Au prix d'un scandale où elle a laissé des plumes autant qu'elle en a arraché aux siens.
Je ne suis pas sûre de vouloir en arriver là.
Je ne suis pas sûre non plus de pouvoir m'en préserver, d'en préserver les miens.
Je vais essayer, là encore.

Le besoin de faire savoir, le besoin de faire porter par tous une histoire banale, pathétique et ridicule, ne me tenaille pour le moment pas.
J'ai retrouvé une forme de paix.
Mes priorités du moment vont à des intentions bien plus constructives.
L'écoute des autres, la légèreté d'échanges anodins et pourtant essentiels, suffisent à me réaliser dans ce rôle que je veux maintenant plus léger.
La tension de toutes ces années de veille autour de mes parents s'est enfin relâchée.
Je veux maintenant savourer une liberté retrouvée, me laisser aller à être dolente et paresseuse.
Mes crampes cervicales se relâchent. Mes vertiges s'atténuent.
Je suis sur la bonne voie.
Bien décidée à ne pas m'en laisser détourner.


mardi 14 juillet 2020

du 9 au 13 juillet




jeudi 9 juillet 2020  6h40


Le soleil levant de ce matin est doux comme une pleine lune :






Vendredi 10 juillet 2020  20h40

BuruHaundi a mugi son désir d'amour toute la journée.
Cette grosse bête sans imagination chavire dans sa bonne grosse tête quand les hormones la gouvernent.

Aahhh... l'amour, l'amour qui tourne les têtes et enflamme les cœurs...



Dimanche 12 juillet 2020  6h à 6h40






9h

Le matin n'a pas tenu les promesses de l'aube : un violent orage crépite ses gouttes lourdes dans la cour. Un véritable ruisseau tumultueux sinue, s'élargit, chevauche et se perd dans l'herbe du pré. J'ai refermé toutes les fenêtres, allumé le plafonnier dans la cuisine.
Je vais tout à l'heure à Rivière. La jardinerie est fermée les dimanches d'été. Je garde l'alternance ente les deux départements. Je la calque maintenant sur mes lundis à la jardinerie, un sur deux. 
Mon planning a changé. Mon rythme travaillé un jour sur deux n'a pas survécu longtemps à mon père. Il en a été longtemps la justification, l'alibi parfois, quand son état amélioré aurait largement permis mon absence de la ferme.
Après le "j'ai ma mèèèère" pendant une décennie et demie, j'ai usé jusqu'à la trame le "j'ai mon pèèèère" chevroté en litanie.
L'argument était de poids pour qui, comme mon patron, porte inscrit dans ses gènes le culte du soin aux anciens.
L'affaire a duré, bien plus que prévu. Si tant est que ces choses là se puissent prévoir. Et je sais de quoi je parle !
Institué en 2012, à la première grosse alerte, dont nous avions tous pensé qu'elle serait la dernière, cette cadence à deux temps a perduré huit ans, autant que son initiateur, mon vénérable père, malade, ou pas. 
On ne pouvait décemment pas attendre de lui qu'il planifie ses rechutes, pour y faire coller mes cadences de travail. Alors, l'affaire était admise, tant que l'homme était là.
Il m'a pas mal duré, et fait bon usage.

Même pour sa fin, il m'a fidèlement servi.
Mon père a eu le bon goût de mourir en fin de période de confinement. Pile poil une semaine avant, histoire de laisser le temps pour les funérailles atypiques et un début de réorganisation.
Parce-qu'il a été aussi mon alibi pour rester confinée, deux pleins mois à la ferme, quand la plupart de mes collègues ont continué le travail.
Les semaines passant, je voyais arriver le moment où, cette fois encore, mon père m'aurait fait mentir, en se remettant, incroyablement.
J'aurais eu l'air fine, à me représenter, comme une fleur, après deux mois de villégiature agréable à la ferme. Mon père se portant de nouveau comme un charme.
Autant dire que mes collègues, harassés par ces huit semaines infernales, dans une jardinerie bondée de clients acharnés à occuper leur temps dans leur jardin, m'auraient fraîchement accueillie.
"Elle nous a encore fait le coup de son vieux père mourant" auraient-ils pu penser.
J'en aurais été toute piteuse. Mon auréole déjà écornée de bonne fifille méritante en aurait salement terni.

Mais non, mon père ne m'a pas rejoué ce tour là.
Très fair-play, il a tiré sa révérence, sans me faire porter le chapeau.
Je suis rentrée dans les rangs de la jardinerie, tête haute, nimbée du statut encore palpitant d'un deuil impeccable.
Mes autres collègues, absents pendant le confinement, tous les post cinquante ans, en gros, n'avaient pas ce bagage. Ils ont du sans amortissement essuyer les plâtres d'un courroux difficilement réprimé.
Ils ont fait le dos rond. Et moi, j'avais le cœur trop gros pour prêter attention à un ou autre grincheux suffisamment éreinté pour être tenté de m'égratigner aussi.

La saison a continué de battre son plein jusque tard en juin.
Libérée du souci de mon père, j'ai donné le meilleur de mes performances. Toutes ces années dans le métier me donnent l'avantage sur les troupes plus jeunes, et moins bien rodées à la manœuvre. Les fatigues d'un âge avancé se pallient bien d'une expérience avérée.

Je m'attendais à un réaménagement de mes conditions de travail. Mes collaborateurs ne bénéficient pas d'un jour de repos par jour travaillé ! Même si les onze heures d'affilée ne les tentent pas, même si les semaines en continu sans périodes de congé leur arrondit les yeux. Dans ces cas là, quand on examine les avantages de l'autre, on ne s'attarde pas trop sur les désagréments inhérents.
Mon statut privilégié allait prendre du plomb dans l'aile, je le sentais bien.

Inévitablement, à l'issu d'un entretien avec Jean-Michel, notre bien aimé directeur de la jardinerie, j'ai compris que j'avais mangé mon pain blanc, et qu'il me faudrait maintenant rentrer dans le rang.
A moins de faire empailler mon père, il ne pouvait plus me faire cet usage de paravent plus longtemps. Je ne lui en veux pas, allez... Il m'a fidèlement servi bien longtemps !

Sentant la débandade, j'ai préféré prendre les devants. La tactique se conforte elle aussi d'un peu d'âge savant.
J'ai proposé ces deux petits lundis surnuméraires par mois.
Agréablement surpris de ma bonne volonté, étonné sans doute de me voir si conciliante, plus du tout acharnée à conserver mes avantages, mon patron a agréé ma demande. Soulagé de ne pas devoir m'arracher un consentement de haute lutte. Comme il s'y attendait peut-être, me connaissant...

A l'usage, ces journées allégées, ces départs au travail retardés d'une petite heure, ce temps de sieste rendu à la décence, m’exonèrent de regrets inutiles.
Allons de l'avant, apprécions le présent, et laissons le passé là derrière.

J'ai donc pris le parti de l'adaptation consentie.
Les lundis, je ne suis plus à la ferme. Je suis, soit à la jardinerie, soit à Rivière.
Restent les mercredis et vendredis, pour vaquer à mes occupations allégées.
Me sont crédités les débuts et fins de journées, quand je vais et viens, à, et de, la jardinerie.
Je m'y fais. J'ai perdu la souplesse physique de mes jeunes années, j'en ai perdu aussi les raideurs comportementales. Ça rééquilibre la balance.

Je vais de ce pas retrouver mon grand mari chez lui.
Savourer mon lundi au soleil comme une pêche juste mûrie.
Mardi est férié.
Je reviendrai à la ferme.


Lundi 13 juillet 2020  18h30


Retour de promenade champêtre :








Les bois de Rivière nous paraissent toujours aussi accueillants.
La brise s'y rafraîchit aux ramures larges des chênes plusieurs fois centenaires.
Nous marchons à l'ombre de ces silhouettes majestueuses aux fourches dessinées autour d'une histoire lente, au creux de laquelle s'abrite les nôtres.
Les berges du Grand Douy, ou Dieu sait comment ça s'écrit au juste, ces sentiers de halage, se longent entre arbres et plans d'eau dormante. Les nappes envasées, vertes et grises, immobiles, étalent leurs reflets dolents entre les rangées des fûts penchés sur elles.






La "jussy", cette œnothère invasive, jaunit tous ces paysages aqueux. Une variété d'euphorbe sauvage lui fait encore concurrence. Les nénuphars ont depuis longtemps cédé le terrain. La végétation de marais s'appauvrit. 
Il y aura sans doute une régulation naturelle à ce phénomène. Puisque l'homme paraît ici avoir lâché la bride : nous avons croisé une équipe de 5 hommes, cuissardes hautes et cagettes sous le bras, arrachant à la main les plants de jussy accrochés aux talus. Plus de deux heures plus tard, à notre retour, ils avaient dégagé une bande de trois mètres sur vingt centimètres ! Quand la marée jaune s'étend en mer sur des dizaines et des dizaines d'hectares...

Les parcelles de foins à perte de vue s'empoussièrent des gros tracteurs en pleine fanaison. Les aigrettes volent autour des faucheuses, à l'affût des mulots et campagnols sidérés sous les lames.
Ces parcelles là verront vite  paître les troupeaux de bétail revenus par ici.
Dans les parties trop humides, ces barthes où les lourds chevaux s'enfoncent, la sécheresse rendra peut-être la terre aux bêtes.







Dans le sous bois proche, mêlés aux ronciers anarchiques, des crocosmias flamboyants hissent leurs hampes grêles.

A peine plus loin, ces champignons orangés s'agglutinent.

Une nouvelle flore s'insinue dans l'ancienne. D'une graine jetée ou d'un spore égaré.
La nature se souvient. La nature ne perd pas de temps en regrets. La nature s'arrange de tant de choses..... pour aller de l'avant !


mercredi 8 juillet 2020

8 juillet




Mercredi 8 juillet 2020 16h19

Ce petit moment d'écriture s'agrémente aujourd'hui de la compagnie de ma petite Loulou.

Je pensais ce matin avoir perdu ma mécanique numérique. Plus de clic, pas de clac.
Je m'apprêtais, la mort dans l'âme, à pousser jusqu'au prochain centre commercial, pour y quérir un nouvel utilitaire. 
Premier désagrément, aller dans ces centres de consommation surpeuplés en ce moment. La menace coronavirus n'empêche  plus les regroupements. 
Second crève-cœur, acheter, dépenser !

L'envie de titiller le clavier me tenait suffisamment pour surmonter ces deux écueils de taille.
Je me projetais même à effleurer les touches suaves d'un nouveau clavier, plus sensuel que celui-ci. Qui, jusque là, était : "bien bonn avant !".
Comme quoi, d'un chien qu'on veut noyer, on dit qu'il a la rage.

Juste après le repas, la perspective de cette après-midi gâchée ombrait celle de ma sieste.
Une idée me vînt : cette panne mécanique, ne serait-elle pas moins profonde qu'il n'y paraît ?
Beñat, penché sur l'affaire un peu plus tôt, en tenait pour un simple problème d'alimentation énergétique. L'ordinateur, dûment branché sur le courant électrique, toujours aussi récalcitrant et inerte, écarta immédiatement la possibilité de la seule défaillance possible de la batterie.
Il y avait là "zerbait gehio" quelque chose de plus...

Mes conclusions catégoriques n'étonnent plus que moi. Ne voulant pas jeter derechef le bébé avec l'eau du bain, j'examinai raisonnablement le tableau clinique : un ordinateur figé, imperméable à la moindre sollicitation, une alimentation correctement éprouvée, une souris... comme morte, pas du tout verte, et qui ne courait vraiment pas dans l'herbe.


Cette petite souris de bakélite, ou autre composite au nom moins joliment sonnant, anodine et neutre, me tira le neurone vers elle.
Après tout, elle était là, celle-ci aussi, et, mine de rien, elle pouvait à elle seule expliquer le tout.
Tant il est vrai qu'il faut parfois bien peu de chose pour emmerder le monde !

Je la pris en main, la soupesai, la flairai.
Je la considérai comme une possible ennemie, une intrigante potentielle.
Mon regard se fit hostile, ma considération pas distinguée.
C'était elle, je la tenais, la rouée !

Loulou dans les parages vint à ma rescousse. Elle héla une vieille souris avec son bon vieux câble. Nous fourrageâmes la fiche dans son logement. 
Essais. Petit suspense...  Et bim !! l'écran redevint mobile et docile, sagement guidé par la fléchette enfin coopérante.
Je tenais ma coupable, et levai ma peine.
Je n'avais plus besoin de m'expatrier. Le monde et mon blog revenaient à ma portée. Sans un euro à débourser. Alléluia !!

La sieste d'après toutes ces émotions fut longue, profonde, et parfaitement réparatrice.
A mon lever, Loulou m'attendait pour le thé.
Un bien joli moment, à siroter au soleil en bavardant gaiment.

Un autre joli moment, ce fût, dimanche après-midi, notre virée à Sare avec Olivier.
Nous avons suivi des chemins de traverse au long du sentier des contrebandiers.
Ces paysages de sous-bois m'envoûtent de leur ambiance silencieuse et verdoyante. Je m'y apaise et m'y ressource, comme de retour dans une antre ancestrale.
Nous avons marché dans les tâches mouvantes de soleil au travers de la canopée haute plaquée sur le ciel bleu pur.
Nous avons écouté l'eau qui chuchurre et regardé les galets qui chatoient.
Entendu les arbres qui murmurent et frôlé les fougères qui ondoient.

Eprouvé les écorchures des vieux chênes mutilés aux moignons boursouflés d'une souffrance poignante. 
Ici, la taille têtard traditionnelle, cette décapitation pure et simple d'un fût à deux mètres de hauteur, pour récolter les bois, a muté en une forme plus cruelle encore. On tranche dans le vif une branche maîtresse latérale, laissant l'arbre amputé de moitié, complètement déséquilibré avec les départs sur un seul côté.
Toutes ces silhouettes de chênes vénérables, tronqués, déformés, fracassés et mutilés, hurlent de part et d'autres du sentier bucolique.
J'ai eu l'impression de parcourir les allées sous-terraines de cette arène que nous avions visitée en Tunisie. J'avais la sensation d'entendre les cris des malheureux encagés là, attendant d'être livrés aux lions et à la liesse sanglante de spectateurs monstrueux.
Ou alors, je commençais juste à éprouver les joyeusetés de mon Ménière alors débutant !

La barbarie n'est pas que cris. Elle hurle aussi dans le silence de ces bois anciens torturés de main d'homme...


Les jours à la ferme coulent paisibles.
J'ai ramassé vendredi une grosse ratte morte dans la cour, pattes griffues raidies devant elle.
Son long corps mou s'est coulé dans les dents de la fourche. Elle était un peu répugnante. 
J'ai maintenant de ces sensibilités un peu citadines.

Je garde le plaisir paysan de contempler mon monde en ces jours longs.
Et d'y trouver manière de consolation et d'espoir :