vendredi 24 janvier 2020

23 janvier



Jeudi 23 janvier 19h30

C'était donc aujourd'hui le grand jour de cette fameuse réunion d'expertise.

Tout hier, pour me détendre, et me préparer à affronter le plus sereinement possible la partie adverse, je me suis concentrée sur de petits bienfaits.

J'ai revisité mes peintures rupestres. Elles peuvent faire sourire, gentiment ou pas.
Moi, elles m'apaisent et m'amusent. Elles me font grand bien, et ne me coûtent rien.
Du plaisir avant, pendant, et encore après : que du bonheur, à peu de frais !




J'ai planté des fleurs dans mon petit potager mignonnet :





J'ai longuement contemplé mes belles petites, couchées dans le paillage frais, rassasiées.
Je leur ai vigoureusement gratté le flanc, secoué la gorge, et caressé l'entre-cornes. Elles ne demandaient rien de plus, et leurs regards voluptueusement  contentés me faisaient un baume efficace.







Ma Buru-Haundi surtout, était toute tranquille après deux jours où je la sentais tracassée.



Depuis dimanche, elle tirait sur sa chaîne, se reculait, poussant Graziosita contre le muret.
Elle humait l'angle du sien, inquiète, comme si quelque chose d'alarmant pouvait lui venir de ce côté.
J'ai cru au début que quelqu'un, un visiteur du samedi, me l'avait effarouchée en voulant l'approcher sans s'être civilement présenté. Ma Buru-Haundi est une grosse bêtasse plutôt placide, pas trop sensitive. Tout de même, déplacée là depuis la mort de ma regrettée Bigoudi (paix à son âme, et grande peine encore dans la mienne), pas encore bien faite à son nouvel habitat, elle est un peu en alerte, comme on l'est en territoire inconnu. Toute grosse bête qu'elle soit, elle conserve quelques terminaisons neuronales branchées sur son environnement proche.



Je lui ai fait triple ration de caresses, pour atténuer le traumatisme naissant. Je lui ai parlé, expliqué que les gens ne sont pas toujours délicats, qu'il en est quelques uns de pas bien fûtés, qui trouvent très inspiré de claquer un bon gros mufle tendu gentiment vers eux.
Ca aurait du l'apaiser. Mais non. Elle persistait dans son attitude de retrait.



Mardi matin, je l'ai trouvée particulièrement chiffonnée, d'une nuit blanche. Agitée, fatiguée sur ses pattes, comme si elle ne s'était pas couchée. Même sa ration de son et de luzerne ne suffisait pas à concentrer son attention. Elles restait sur ses gardes, à l'affut, guettant toujours par dessus le muret.
J'ai inspecté l'auge derrière ce muret. Dans le temps, il y avait là une paire de vaches. Maintenant, l'emplacement sert à stocker le bois, quelques planches de rebus et autres résidus, qu'on garde, comme ça, des fois que, sans rien en faire de plus qu'y accumuler de la poussière. Et tenter un ou autre vieux rat, venu aux jours froids se réchauffer là.
J'ai pensé à cette possibilité. Je sais bien combien un tel animal peut faire de bruit, la nuit, quand il se fait une niche à son goût, dans un tas de vieilleries.



Ma Buru-Haundi avait toutes les raisons d'être inquiète, surtout si l'animal à la longue queue écailleuse lui était passé devant le museau !
Je n'avais pas le temps de m'attaquer à ce déblaiement, mardi matin. Le soir, je rentrerais tard, après 20 heures. Je ne voulais pas non plus une autre nuit sans repos pour ma Buru-Haundi.
J'ai mandaté Antton, maintenant co-éleveur de mes vaches, pour tirer l'affaire au clair.



Au soir, mon auge était vide, impeccablement nettoyée.
A cette heure là, mes frères s'en sont retournés dans leurs pénates respectives.
Mon père était bien là, lui. Mais il dormait à poings fermés. Je n'ai pas voulu le réveiller, pour lui demander ce qu'avait révélé l'auge.
Déjà, je notais ma Buru Haundi bien placide, confortablement calée contre la murette, la panse rebondie et la mine toute quiète.
Ca paraissait de bon augure.
Mercredi matin, hier, j'ai eu le fin mot de l'histoire.
Dans l'auge à bazar, il y avait bien un rat, de belle taille, engourdi du poison que j'avais distribué dimanche.
Il se mourrait là, après s'y être sûrement démené.
J'avais mon explication. Et Buru-Haundi avait retrouvé sa quiétude. Tout allait bien, de ce côté là, au moins.

Réconfortée par ce bon début de journée, j'ai pu ensuite vaquer agréablement, pour me distraire de cette menace judiciaire, planant sur mon horizon proche, comme le rapace cruel plane en ombre tournante dans le ciel.

Je me suis accrochée à une petite entreprise un peu audacieuse, certes, mais que je pensais à ma portée de bricoleuse premier niveau.
Un petit ouvrage électrique me hélait, suffisamment ardu pour me donner cette sensation de "smooth" si gratifiante.
Il s'agissait d'éclairer la niche vitrée de mon buffet. J'y avais présenté quelques pierres, deux coquillages, un rondin de bois délavé, mon petit éléphant fétiche, et une ou autre paillettes et verroteries. D'après moi, une œuvre magnifique de finesse et de créativité. Pour un œil moins complaisant, et plus averti, un fatras hétéroclite et navrant.  
J'avais là de quoi occuper plusieurs heures de ma journée d'attente d'avant la tempête.
Matière agréable à me distraire de cette tracasserie lancinante.
Ce fût hasardeux, déconcertant, par moments, de coupler une lampe tactile à un cordon traditionnel. Fastidieux, de dénuder des fils un peu courts, pris dans un système compliqué que j'ai allègrement détourné. Agaçant, de s'échiner à glisser laborieusement les brins de cuivre récalcitrants dans le petit domino récepteur, dans un espace aussi restreint et malcommode.
Ma manœuvre de diversion risquait de tourner à l'épreuve de force, où mes nerfs déjà en chauffe finiraient de s'incendier.
Finalement, après un pic où tout a failli basculer, y compris notre installation éléctrique, j'y suis arrivée ! La sobre lampe tactile aux lignes si pures s'allume et s'éteint à la demande, derrière la vitrine, irradiant des reflets envoûtants sur mes petits trésors.







Je lévitais, transportée par une satisfaction pleine et profonde.
Les augures m'étaient favorables. Une bonne nuit de sommeil là derrière, et je serai pour le lendemain, aujourd'hui, au mieux de ma forme.

La nuit fût moyenne. Je me représentais tour à tour brillante et victorieuse, telle ma lampe illuminée, ou alors terne et piteusement muette, comme mon bois mort tout gris de trop de pluie. Je m'exhortais à parier sur le premier scenario, quand le second s'invitait dans la danse en diablotin sardonique. 

Ce matin, je m'acquittais des soins quotidiens aux bêtes et gens.
J'étais "convoquée" à 9 heures, chez Cousinou.
J'avais quand-même bien déjeuné, n'étant pas sûre de pouvoir compter sur une coquet panier de croissants chauds aimablement offerts par la revêche cousinette.
Qu'importe !

A l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je partis.
Deux minutes après, j'étais rendue. Je me plaçai, protocolairement, rangeant Grand Modus, mon fidèle destrier, dans la cour déserte.
Je repérai le grand Cousinou Babillou. Et son démultiplié petit cousinou. Ils étaient en force, les bougres ! Quand je me trouvais bien seule, pauvrinette…
 Avec l'expert judiciaire qui m'avait convoqué en leur nom, qui ne tarderait sans doute pas à arriver, nous serions à 3 contre 1. Combat très inégal, je ne partais pas gagnante...
Ah, non, c'est vrai, moi aussi, j'en avais un, d'expert, mandaté pour m'assister par la compagnie d'assurance, celle-là même qui me faisait convoquer. Un peu difficile à suivre, comme mécanique, mais bon. Celui-ci non plus n'était pas encore là.

Puisque nous étions entre nous, puisqu'une petite pluie me tombait dessus, je demandais poliment à Cousinou l'autorisation d'aller visiter son étable.
Nous parcourûmes gentiment la file de grosses et grandes bêtes. Je n'aime pas trop ces fades blondasses. Mais il me faut reconnaître que celles du cousinou sont hautes et larges, comme il l'est lui-même.
Je me sentais toute petite, là dedans. Un peu dans mon élément quand-même, dans la chaleur bovine et les effluves de purin.

Du mouvement dans la cour tira Cousinou dehors, je l'y suivis. L'"expert" du camp adverse était là. Un jeune homme bien planté, au beau visage ouvert.
Après les présentations, s'en suivirent des échanges un peu tendus, des explications et des historiques  confus.
Pour mon avantage, j'étais seule, et mon discours cohérent.
Mes "confrontants", eux, à deux, ne devaient pas s'être trop bien entendus, avant la bataille. Ils avançaient en légions désordonnées. Leurs tactiques respectives les dispersaient, quand elles ne les opposaient pas carrément. Le vieux voulait qu'on enlève ce béton, là, en haut, quand le jeune en tenait pour faire éclater celui-ci, en bas. On ne savait plus où donner de la tête, et leur jeune expert y perdait son latin, et, très vite, sa patience.

J'avais l'avantage d'être seule. Mon "expert" n'était toujours pas arrivé !
Enfin,  mon assistant mandaté se matérialisa. Long jeune homme à lunettes et manteau long frileusement serré contre lui, il était là, aussi animé qu'un spectre éteint. De lui, je n'ai entendu que son bonjour murmuré, puis, son au revoir chaleureux. Je ne lui en veux pas. Je prenais trop de place avec mes babils et mes mouvements incessants pour lui laisser la sienne.

Le premier "expert", lui, avait une toute autre présence. Sentant la débandade dans son camp, ne comprenant d'ailleurs pas la présence du démultiplié, la trouvant surtout dérangeante et inefficace à la résolution du litige, il m'écouta, les yeux dans le vague, pour essayer de s'élever au dessus de ce débat houleux, et en écumer les scories brouillonnes. Il n'était pas sans travail !

Il parvint pourtant à démêler tout ça :
Puisque je m'y étais engagée, puisque j'en avais manifestement et sans mal la possibilité, je canaliserais le petit ruisselet d'eau vive et gaie.
Pour le cousinou et son démultiplié, ils laisseraient mon béton s'ourler grassement et en paix, puisqu'ils n'auraient plus cet affreux dérangement de mon  filet d'eau, dans un champ en forme d'entonnoir géant, où il en coulait déjà beaucoup, sans doute. Ce petit mien était la goutte de trop...

Nous nous retrouvâmes autour de la grande table ronde de la cuisine, ici.
Les "experts" tapotèrent longuement sur leurs claviers, s'appliquant à la prose, sourcils froncés.
Cousinou, son démultiplié et moi-même, nous attendions, silencieux. 
Le protocole d'accord fut rédigé, lu, approuvé, et, solennellement,  signé.

Le chapitre était clos. Pour cette fois. 
Dans nos campagnes, les querelles de voisinages s'ébattent de territoires plus vastes. Et de sujets bien divers.
Nous verrons, quelle sera la prochaine tête de récif, affleurant hors des eaux écumantes, quand les hauts fonds sous-marins ourdissent sans bruits leurs complots là dessous.

Ma molécule en cette période est rudement mise  l'épreuve.
Toutes ces tracasseries, contrariétés et émotions fortes me sont thérapeutiquement très déconseillées.
Vivante parmi les vivants, je ne peux pas m'y soustraire.
Cette bonne vieille molécule atténue bien ma fougue et mon impétuosité. Elle ternit ma verve vite acide. 
Bah, de là où il y en avait trop, il en reste encore bien assez, allez !

Il en faut tout de même pour tenir la dragée haute à ces pharaons qui croient régner sur leurs sept provinces, et y imposer leurs lois.
Ils rêvent d'un domaine étendu bien à plat devant eux, du levant et jusqu'au couchant, aussi loin que mène le galop d'un cheval emballé durant toute une journée, à perte de vue et de raison.



Pour cette fois encore, pharaon a rabattu ses plumes de paon.

Chacun ses rêves et ses fantasmes.
Moi, je n'ai pas "20 bonhommes à gérer". Non, moi, je n'ai que moi. Et je trouve que c'est déjà bien assez !
Je n'ai que mes modestes joies et mes petits projets.
Encore que, à bien y penser, Agorreta 2122, ça n'est pas rien non plus, comme grande utopie !
Nous sommes tous plus ou moins faits du même bois, semblerait...
.

Comme morale de cette petite fable, je dirais :

Quand chapon et pharaon
se prennent pour Napoléon,
ils finissent par l'avoir dans le fion...







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