dimanche 24 janvier 2021

15 au 24 janvier

 


Vendredi 15 janvier 2021  17h40


L'eau a bien voulu me rendre la forêt. Enfin...

Elle emporté les couleurs avec elle. Seule, la mousse sombre verdit en pied des troncs calleux. 

Tout le reste est gris de boue et de feuilles molles mêlées.


















J'ai longuement marché sous les arbres, avec mes trois chiens. Eux aussi étaient heureux de retrouver leurs futaies odorantes. Et moi, plus encore de les regarder trottiner de l'une à l'autre, tous les trois.


Ma Bullou était tracassée, ce matin. Hier soir, en rentrant de la jardinerie, je l'ai trouvée amaigrie. Je ne l'avais pas vue depuis mardi matin, puisque le mercredi, je suis à la ferme, sans les chiens restés à Rivière. Cette subite perte de poids m'a fortement inquiétée. 

On m'a rapportée la triste histoire de ce si sympathique maçon, dont plusieurs chiens ont succombé à une contamination foudroyante. Ces temps-ci, les viroses palpitent dans l'air comme des menaces sourdes.

Ma Bullou est naturellement enjouée. Quand je la retrouve à Rivière le jeudi soir, après une absence de 2 jours, elle se jette sur moi, avec ses deux compères, en une bousculade joyeuse.

Là, elle s'est à peine laissée glisser du canapé, frétillant mollement de son petit moignon serré bas sur les cuisses. Quelque chose n'allait pas.

Olivier n'a rien remarqué de particulier. 

Quand on a une bête et qu'on y tient, on y est attentif. On sent vite, au changement de comportement ou d'attitude, l'anomalie en son départ.

Mes chiens sont à Rivière en invités collatéraux. Le maître des céans n'est pas le leur. Il s'en occupe, par procuration. Son intérêt pour eux est raisonnable. Quand le mien pêche par excès, je l'admets.

Toujours est-il que ma Bullou m'inquiétait.

Depuis ce matin, profitant de mon jour de congé, je l'observe, entre deux tâches.

Je lui assure un soutien psychologique sans faille, multipliant caresses et psalmodies amicales.

Je lui ai présenté de la viande hachée. Elle l'a dévorée, comme une affamée. Cet appétit m'a rassurée. Ma chienne n'allait pas si mal. Pour autant, elle déglutissait avec difficulté, tirant loin la langue. Il y avait donc une entrave mécanique dans les parages.

A l'examen poussé, j'ai décelé entre les crocs jaunis de ma chienne vieillissante, quelques brins couleur prune. Dans le fond, même, aggloméré en une petite masse dure, un cocon de ces mêmes brins de laine. Il ne fallait pas aller chercher bien loin : à nos pieds, le tapis du salon plaidait coupable. 

Ma Bullou est une petite terrière. En intérieur, elle se souvient du dehors, en griffant consciencieusement le tapis. Elle racle avec application, tournant autour de son point de travail, pour l'examiner sous tous les angles.

Le pauvre tapis ainsi labouré se boursoufle de bourres laineuses légères et volatiles. On en retrouve disséminées dans toute la maison.

Je la vois faire souvent : après avoir débourré le tapis, elle s'allonge sur le canapé, et se lèche les coussinets échauffés. Longuement.

J'imagine qu'elle ingurgite alors tous ces brins. Qu'elle n'assimile pas. Qui gênent le trafic, et engorgent ma petite. 

Le souvenir de ma Bigoudi me vient, quand, pour elle, on évoquait une avanie similaire. Une petite peine me mord encore. Et un sale goût en bouche, quand je regarde ma Bullou, qui elle aussi laissera sans doute un jour sa vie filer entre mes doigts. 

En attendant, elle n'en est pas là. Je lui administre de la paraffine, pour fluidifier le transit de ces fibres mauvaises. Je vais surveiller tout ça. Sans autres suites, je l'espère.

Ravigotée par une bonne portion de viande, rassérénée par ma présence, ma Bullou se porte déjà mieux.

Je l'ai regardée pendant la promenade : penaude au début, elle a vite retrouvé son allant. 

Tout ça est en bonne voie, je le crois.

Mes chiens à Rivière perturbent l'ordre local.

Ici, jusqu'à eux, quelques gros matous régnaient en maîtres. Ils se battaient entre eux, périodiquement. 

Maintenant, à chacune de nos arrivées depuis Hendaye, si nous n'y prenons pas garde, mes trois chiens tracent comme des fusées, à peine sortis de la voiture. Ils en jaillissent, se précipitent en hurlant aux trousses des chats embusqués derrière les haies. Nos cris de rappel n'y font rien. Le tapage fait voler en éclat le calme et le silence du lotissement bien tranquille jusque là.

Il se passe un bon moment avant que nous rameutions notre troupe désobéissante, haletante et furieuse encore après les chats déguerpis en feulant. 

La dernière fois, les choses se sont mal passées pour mes chiens. Bullou est revenue égratignée. Et Lola se remet à peine de deux longues estafilades qui lui pèlent le dos.

La contrée est hostile.

Nous avons pris le pli, quand nous arrivons en voiture,  d'attraper Lola et de la rentrer dans le jardin en la prenant sous le coude. Les deux autres, seuls, ne s'aventurent pas à la chasse.

Ainsi, le quartier retrouve son calme, ma Lola ses poils, et Bullou, son tapis néfaste.


Txief est celui qui s'en tire le mieux. Il excite tout le monde de son aboiement suraigu, et reste en arrière, loin du front de bataille. Le petit couard...



Ce soir, après la longue promenade, après le salut au vénérable, tout le monde repose.

Les chiens, leurs entailles et leurs entrailles, les chats, les voisins et leurs bagarres.

La guerre est ajournée : les combattants sont fatigués, et pansent leurs blessures.

Entre oubli et pardon, la brèche est étroite où faufiler une éclaircie sereine.


Lundi 18 janvier 2021 18h33


Au soir d'une magnifique journée sortie des brumes, je contemple, derrière le carreau, le ramage conique des chênes rouges ciselés dans le crépuscule rose. La lumière baisse, je ne verrai bientôt plus le dehors.

Nous sommes rentrés d'Hendaye ce matin. 

Je préfère ça à une journée tronquée par un départ en plein après-midi. 

Le couvre-feu à 18 heures s'impose à nous. Il colle encore à mes rythmes de vie, calqués sur la lumière du jour. La jardinerie ferme une heure plus tôt. En écervelée irresponsable et courte-vue, j'apprécie. Et je ne suis pas la seule, allez... 

La chape d'autorité arbitraire qui gouverne maintenant nos jours m'exonère : je fais ce qu'on me dit. Si j'en tire profit, tant mieux pour moi. Honteusement, in-citoyenne-ment, je ne me préoccupe pas des répercussions financières de toutes ces mesures sanitaires et conservatoires. 

Honte à moi ! Je ne réfléchis pas, j'applique. Je trouve que c'est tout aussi bien, quand je vois les "délibérateurs" protester, et rajouter du désordre à la chienlit.

Je n'ai jamais aspiré, et j'aspire maintenant moins que jamais, à la place de décideur, en ces circonstances mouvantes.

Je laisse les gouvernants gouverner. Je laisse les râleurs râler. Je n'ai pas de solution, pas de meilleure idée. Je suis, comme je le peux. Et je me prépare, comme tout un chacun, sans doute, à payer les pots cassés. Et Dieu sait que l'addition s'annonce lourde !


Pour en revenir à mon insignifiant périmètre, l'affaire de cette fin de semaine, ça a été ma Bullou :



Ma petite chocolate m'a fait souci : vendredi, je la voyais mieux, samedi, ça n'était plus ça.

Olivier ramène la mini-meute à Hendaye le samedi. Il s'arrête à la jardinerie pour me prendre au passage. Samedi dernier, notre covoiturage a été contrarié par ce fameux couvre-feu : lui devait être rentré à 18 h. Moi, je quittais la jardinerie à cette même heure. 

Nonobstant, il s'est quand-même arrêté à Bayonne. A l'arrière de sa voiture, les trois chiens. Nous les avons libérés sur le parking, pour qu'ils se dérouillent les pattes à l'étape. Mes collègues ont ainsi pu admirer mes spécimens canins. 

Les trois lascars commençaient à naviguer un peu large. Nous avons du donner de la voix pour les réintégrer dans la voiture.

Ma Bullou a suivi le mouvement, mollement. Remontée dans le coffre, elle s'est aussitôt couchée, se léchant cette patte que j'avais soigneusement examinée la veille, sans rien y trouver.

Je la voyais tristotte. Dans son comportement, dans son allure, ma petite chienne manifestait son malaise.

J'étais désolée, inquiète.

Dans sa petite jeunesse, Bullou a eu un accident sérieux. Elle devait avoir dans les 6 mois. Je venais de la faire stériliser. Par un joli soir de début d'été, je crois, ma jolie chienne est passée sous les roues d'une voiture, dans la cour, devant moi. Je l'ai récupérée, sanguinolente et douloureuse. Je l'ai immédiatement menée chez Champion, notre vétérinaire. Il me semble que c'est Bégonia qui s'était occupée d'elle. 

Son bassin avait été fracturé en plusieurs endroits, mais aucune viscère maîtresse n'était endommagée. La petite s'en sortirait. Il fallait lui prévoir plusieurs semaines d'encagement, pour que les os se ressoudent.

Nous étions allés avec Olivier la récupérer, le samedi soir suivant l'accident.

La vétérinaire l'avait déposée sur la table d'examen.

- Elle ne se lève pas encore, nous dit-elle en s'avançant vers nous pour nous saluer. (En ce temps lointain, on se serrait la main, ce vieux geste étrange dont on ne se souvient plus bien).

Bullou, derrière elle, se releva, chancelante et souffrante, son œil noisette allumé d'une étincelle joyeuse.

Je me précipitai pour la prendre dans mes bras, ma petite convalescente. Elle se tortilla de plaisir, couina aussitôt de douleur. Je la pris contre moi précautionneusement, tâchant de la tenir sans lui faire mal. Je me la calai, elle reposa tout son poids contre moi, chaude et gémissante encore.

Nous la ramenâmes, Olivier nous couvant toutes les deux comme un jeune père sa nouvelle famille.

Bullou se remit. 

Elle garde de cet épisode un petit déhanché à la Marylin Monroe, chaloupant du bassin en une ligne de fuite oblique.

Je garde du même épisode une attention accrue à ma petite que j'ai crue un moment perdue.

Samedi soir, je la couvais, alarmée.

Olivier ne la trouvait pas spécialement mal. Je ne la trouvais pas spécialement mieux.

Je lui administrai une autre dose de paraffine liquide. Depuis Bigoudi, l'année dernière, j'en ai 6 litres en réserve !

Dans le courant de la nuit, je me levai plusieurs fois, pour vérifier l'état de ma chienne.

Elle était là; là et là.

Au petit matin, je décidai de la mener chez le vétérinaire, dès le lendemain, aujourd'hui.

Au jour levé, je fis sortir les chiens. Bullou traînait un peu la patte, mais, exhortée, elle passa dans la cour, puis dans le pré.

Je la vis couper des brins d'herbe haute. Elle les mâcha consciencieusement.

Ah, me dis-je, il y a là quelque chose en préparation. 

Avec Olivier, nos fines observations depuis le vendredi, nous avaient menés à diagnostiquer une panne digestive. Un de ces blocages intestinaux fort désagréables impactait probablement ma Bullou. L'ingestion de toutes ces fibres de tissu, quelques journées sédentaires, un coup de blues, peut-être ? 

Bullou en sa viscère était à l'arrêt. Ma paraffine pouvait y remédier, en première intention. Il fallait surveiller, attentivement. Repérer l'éventuelle délivrance, et en examiner la substance.

Dimanche matin,  Olivier et moi-même, dans la rosée froide, nous suivîmes de loin Bullou.

Elle fit quelques pas précautionneux, levant haut les pattes, elle d'habitude intrépide.

Tourna, huma, hésita, s'arc-bouta.

Se délivra.

AAAhhh, nous étions soulagés et heureux comme devant un exploit. Emus. Idiots.

Depuis, ma Bullou semble aller mieux.

En bons maîtres, nous surveillons, évidemment.

La Bullou a minci. Ca ne lui va pas mal.

C'est une petite chienne rustique et solide. Un début d'embonpoint la faisait rustaude.

Sa nouvelle silhouette lui va à ravir. 

Il ne lui manque plus que de retrouver le pétillant de ses prunelles dorées.


Mercredi 20 janvier 2021 


8h15





Une féerie à contempler, des lumières fantastiques et une sensation de vertigineux bien-être.


19h35

Le vent du sud souffle fort, dehors;

Ce matin, sur les coups de 7h25, une explosion a alarmé la contrée. Je pensais être en fin de rêve, douillettement lovée dans mon lit, à cette heure pourtant avancée. Grande fainéante !

Maïlis m'a appelée, me demandant si tout allait bien. Me parlant de cette détonation, accompagnée pour ce qu'elle en avait vu d'un éclair de lumière. Je l'ai rassurée, puis, j'ai fait le tour de la ferme, sans rien remarquer de particulier.

A l'heure où j'écris ces lignes, je ne sais toujours pas de quoi il en retournait. Sans doute, l'un ou l'autre de mes informateurs me rapportera-t-il quelque chose à ma prochaine visite.

Pas plus tard que vendredi.

Je ramène en effet vendredi ma mini-meute à la ferme.

Renseignements pris auprès des spécialistes vétérinaires de la jardinerie, j'apprends que ma Bullou est en grande détresse psychologique. Sa manie de se lécher la patte, c'est le début d'un comportement névrotique. Si je ne fais rien, elle finira par se mordiller les coussinets jusqu'au sang.

J'ai tâché de retrouver le moment où ma Bullette a commencé à se lécher les pattes de cette façon compulsive. Je me suis souvenue d'un retour de la jardinerie, le samedi soir, où j'avais remarqué cette attitude : la chienne se léchait la patte avec frénésie, relevait la tête, haletait, tirant loin la langue. Ca date donc des semaines où je rentrais à Hendaye le vendredi. Soit fin novembre, un mois après notre arrivée à Rivière.

Enquête menée sur les éventuels traumatismes pouvant être la cause de ce comportement autodestructeur, j'ai récapitulé :

- la mort de son vieux maître en mai.

Trop loin des manifestations de stress, apparues 6 mois après.

- le déménagement dans les Landes.

Là, ça pourrait très bien coller. Pourtant, Bullou est avec son frère et sa vieille tante, et semble se plaire à Rivière. Elle adore nos promenades en forêt.

 - les journées sans voir ses maîtres.

Il nous arrive de travailler.

-  les journées en intérieur.

Avec le froid, mes chiens préfèrent rester dedans. Quand nous ne rentrons qu'au soir, ça fait long, sans sortir. En plus, avec ces gros chats maintenant victorieux dans les bagarres, ils ne seraient pas en sécurité, dans le jardin, sans nous.

Le tour du pâté de maison, dans la nuit, leur plaît beaucoup. Mais ce n'est peut-être pas assez.

Ici, à la ferme, mes portes sont équipées de chatières. Les chiens vont et viennent, comme bon leur semble. Ils descendent dans le pré, trottinent dans la cour, vont jusqu'au remblai. Ils croisent l'un ou l'autre de mes frères.

Même quand je suis à la jardinerie, ils ont une vie sociale divertie.

Conclusion de tous ces indices croisés en pistes convergentes : ma Bullou s'ennuie, et déprime.

Plan d'action : 

dans un tout premier temps :

- pulvérisation de spray désinfectant sur les pattes pour empêcher qu'elle se les lèche.

- rapatriement sanitaire à la ferme, dès ce vendredi.

Bullou retrouvera son environnement. Supportera-t-elle mieux une solitude plus légère ?

Je la laisse là samedi, pour aller travailler. 

Pendant quelques jours, je vais tester ses réactions.

J'espère ne pas la déstabiliser plus encore qu'elle ne l'est.

J'espère retrouver dans ses yeux maintenant tristounets la faim de vivre de ma petite chienne enjouée.

Txief et Lola vont bien.

Enfin, Txief, lui, névrosé, il l'a toujours été. 

Tels maîtres, tels chiens ?

Les jours prochains nous feront sentence.


Vendredi 22 janvier 2021 20h35


Le vent souffle encore. 

Je suis à la ferme. Le poêle tourne rond. Il fait tout à fait bon.

J'ai donc ramené mes chiens. Ils sont réinstallés, contents.

J'ai vaqué dans la journée entre les étages. Je prépare mon prochain transfert.

Dans l'après-midi, j'ai pris le temps après la sieste, d'une promenade dans les champs.

Le petit bois de l'anglais-espagnol ne peut pas entrer en concurrence avec la forêt Riviéroise. 

On ne peut pas tout avoir. Je retrouverai ma forêt périodiquement. Et j'y emmènerai les chiens.

Ici, les visites se sont succédées. Je dois refaire ma réserve de café. 

J'aime cette atmosphère. Une petite effervescence me gagne. Je dois prendre garde de ne pas la laisser exciter trop fébrilement mon pauvre cervelet vite débordé.

J'ai travaillé gentiment jusqu'au soir. Intercalé les pauses conviviales, la promenade au grand air, la douche de Lola, dans tout ça. 

Je segmente différemment mes journées. Ca me donne un sentiment de grande liberté.

Cette station écriture est une gourmandise. Je la savoure.

Je vais bientôt appeler Olivier resté dans ses Landes. Faire une grille de Sudoku, (mon quota quotidien), lire, m'endormir. Et faire de beaux rêves.


Dimanche 24 janvier 2021  19h


Le couvre-feu ramène le monde en intérieur.

En rentrant par la barthe, nous avons vu des milliers de palombes tourner en ellipses gracieuses au dessus de la forêt. Elles se posaient sur les cimes, ponctuant la masse sombre de leurs silhouettes légères.

L'eau est de nouveau montée. La promenade reste possible, boueuse, mais possible. Au prix d'un pied mouillé, j'ai pu marcher le long de l'onde, sous le couvert des arbres nus. Les chevaux sont revenus.

A Hendaye, les chiens retrouvent leur vie d'avant ici.

Je continue de faire mes petits ballots. Je conditionne tout ça sur palettes, filmées, impeccables.

J'ai hâte de nous voir installés, les uns et les autres.

Il faudra plusieurs mois. Et mes impatiences s'y assagiront, peut-être... ou pas !

Je regarde Bullou et la malice revenue dans ses prunelles. J'y crois.










vendredi 15 janvier 2021

3 au 15 janvier



Dimanche 3 janvier 2021 10h




Ce début d'année rosit les joues, sur les hauts d'Agorreta.

La Rhune scintille d'un blanc pur. Ma Bullou en paraît jaune. 

Nous sommes en villégiature à Hendaye.
Nous nous faisons gentiment à cette cadence sur deux départements.

Je me sens mieux d'être plus souvent ici.
Les chiens sont devenus itinérants. Ils pratiquent maintenant le voiturage sans encombres, ni vomissements. C'est bien pratique.
A chacune de nos transhumances, ils suivent le train sans barguigner. Les deux petits bondissent allègrement dans le coffre ouvert. Lola, plus poussive, frétille par terre, attendant le hissage.
Ils paraissent contents, ici ou à Rivière, du moment où ils sont avec nous.
Ils retrouvent leurs traces autour de la ferme, celles des locaux, leurs usages et leurs jeux.

Je rattrape mes deux pays, je les remembre. J'expérimente les réunifications des états dissidents. La volonté commune est majoritairement pour. Chacun y met du sien. On remise au fond des tiroirs les doutes et les méfiances.
Je travaille à la mise en place appliquée d'un équilibre nouveau.
Notre communauté fraternelle a évidemment subi l'onde de choc de mes tergiversations.
La houle s'est aplatie, et le fond redevient apparent. Je vois mieux où envoyer mes lignes.
Mon principal projet 2021 sera celui-là : l'instauration d'une nouvelle stabilité, méchamment malmenée en 2020.
Un pari comme un autre...

Le jour de l'an a été marqué à Rivière par une montée des eaux inquiétante.
Vendredi 1er au matin, nous étions tous dans le garage de Jeannot, beau-papa, affairés à sauver les terrines de confits.
Les parents d'Olivier sont plus jeunes que ne l'étaient les miens. Il n'a pas comme moi une tripotée d'aînés. Ils louvoient tout de même au plus près des 85 printemps. Et hivers. 
Dont celui-ci, le dernier, où les eaux de l'Adour sont venues, par deux fois, déjà, lécher les marches de leur maison. Le garage, en contrebas, devient alors une petite mer tranquille, où le clapotis lancinant lape les murs et les étagères, sur lesquelles s'alignent les jolis pots de confits, entre autres.
Chaussés haut de caoutchouc, nous avons extirpé quelques électroménagers en péril.
Jeannot, casquette vissée bas sur le front, faisait à petits pas de multiples aller-retour, marmonnant dans sa barbe, qu'il n'a pas.
Je le regardais, étonnée parfois de ses priorités : il soulevait précautionneusement un trépied à réchaud tout rouillé. D'après moi, l'engin aurait très bien supporté une immersion de plus. Et bien non, pour Jeannot, il fallait sauver ce bébé ! Il me le tendait à bout de bras, comme un colis fragile et précieux. 
Sans faire de commentaires, ce n'était pas le moment, je lui pris le trépied des mains, et l'entreposai précautionneusement, avec tout le respect dû à son rang, dans une remise plus haut.
Une vieille planche déglinguée fût elle aussi rehaussée par dessus la pile de bois, et calée soigneusement, avec une pierre plate par dessus. 
Je gardais mes fines observations par devers moi. Olivier et son beau-frère s'activaient en presse.
Nous finîmes par estimer avoir sauvegardé l'essentiel. De Jeannot.
C'était le plus important. 

Nous avions prévu de nous retrouver là pour le déjeuner du jour de l'an. Du temps de mon père, nous y venions avec lui. Il goûtait fort la bonne cuisine de Paulette.
Ce vendredi, nous eûmes juste le temps de repasser à la maison, pour mettre des vêtements secs. Il fallut faire un petit crochet, l'itinéraire habituel étant noyé.

Pendant le trajet, je considérais ce paysage aqueux d'un œil circonspect. Je n'aime pas beaucoup l'eau. Encore moins quand elle vient me lécher les orteils, dans ma maison. Les arbres palustres, la forêt inondée, ne me rassurent pas.
Pendant le repas, en traquant le bulot biscornu dans sa coquille, je tenais à l'œil l'Adour proche : un effet d'optique bien désagréable me la faisait voir plus haute que nous, assis autour de la table de fête.

C'est quand même inouï, que je sois arrivée là, la seule année de ces dernières cinquante où les eaux sont montées aussi haut !
Non, vraiment, sans être superstitieuse, j'y verrais facilement un signe...

Nous rentrons demain à Rivière. Il faudra plusieurs jours paraît-il avant que la forêt sorte d'eau.
Plusieurs jours cantonnés dans le seul quartier. A patienter.

Mercredi 6 janvier 2021  20h

Le froid est toujours vif. Le poêle ronronne à plein.
Je pensais faire ma grande promenade, cette après-midi.
Doudou annoncée a contrecarré mes plans.
Je me suis contentée de descendre dans le champ, pour récolter le gui accroché aux branches basses des carolins. J'en ai attaché quelques brins ici et là dans la ferme. Ca porte chance, m'a-t-on toujours dit. 

Pour faire bon poids, j'y mêle du laurier. Et puis, du houx, coupé dans une commune voisine, sans avoir à traverser de cours d'eau. Ne me demandez pas d'où viennent ces instructions cocasses. Je les tiens de sources lointaines et diffuses. 
Ce petit cocktail  botanique préserverait de la foudre, et des gales. J'en accrochais sur les râteliers au dessus de mes vaches. Qui pourtant en avaient quand-même quelques unes, des gales, d'ailleurs. 
Ca éloignerait la malchance, aussi, plus généralement. 
Sans être complètement bigote, je reste superstitieuse. Ca peut marcher, et ça ne mange pas de pain, alors... Je fais ça le dernier jour de l'année, en principe. Et bien, cette fois, ce sera aux rois. Et, pour le houx, dimanche prochain, si tout va bien. Le sort, je l'espère, ne me tiendra pas rigueur de ces menus manquements au calendrier.

Doudou mérite bien une messe manquée.
Je l'ai écoutée, je me suis laissée bercer par sa voix basse et son débit lent. Nous avons bien ri.
Elle repose. 
Nous avons ensemble été visiter le caveau où Doudou a parlé à mon père, comme si elle l'avait devant elle.
Je l'ai regardée faire, et j'ai souri, émue et attendrie.
Quand je suis revenue à la ferme après l'avoir raccompagnée chez elle, il était trop tard pour sortir prendre l'air.
Je vais remettre ça à vendredi, à Rivière. Si l'eau est redescendue...


Vendredi 8 janvier 2021 20h30

Le froid vif givre les bosquets perdus dans la brume. Dans les halos des lampadaires de la rue, l'ambiance est irréelle.
L'eau redescend, lentement.
La forêt reste inaccessible à la promenade. Je me suis contentée d'emmener les chiens fureter dans les fourrés proches. Ils ont couru et reniflé, bien contents de rentrer assez vite.

J'ai suffisamment pris l'air, hier. Toute la journée, emportée par un de ces élans qui me soulèvent périodiquement, j'ai déplacé des plantes, ré agencé les jauges de ma pépinière. Les collègues me regardaient à travers les vitres, retranchés dans le magasin tiède. J'étais chaudement habillée, empêtrée dans mon coupe-vent à la capuche remontée. Je travaillais, tranquille, seule dans ma pépinière désertée par le froid.
Je continuerai demain. Je mets en œuvre ma vision du moment. J'en ai validé le plan avec mes coéquipiers. Nous avançons rondement. Pour la fin de semaine prochaine, la pépinière devrait être transformée.

Pour ce soir, ici aussi , nous avons réaménagé. Cette pièce justement où j'écris. 
Un meuble imposant a failli rester coincé dans le couloir. Il a fallu désosser sur pied.
A l'heure où j'écris ces lignes, la bête est démantibulée, dans la grande pièce. Elle gît, penchée sur le côté. Elle sera enlevée dès demain au matin.

J'arrange ma vie et mon espace, ici.
Je m'y fais une place. A défaut d'y prendre racine.



Dimanche 10 janvier 2021  17h

Sur le chemin de retour vers Rivière, Mère-Rhune m'impose la majesté de ses flancs blancs :







Vendredi 15 janvier 2020 11h

Quelques administratifs m'ont tenue ce matin.
De ces histoires de branchements de compteur, où je me suis perdue, entre comptes et liens. Ces nouveaux modes communicatoires me restent hermétiques. J'essaie bien la téléphonie vocale. Malheureusement, avant de tomber sur une voix humaine, lointaine et souvent pressée, il faut en passer par un cheminement besogneux de tâtonnements entre chiffres à composer, et demandes plates à édicter, à une machine sans âme. Quand enfin l'humain se présente, c'est le plus souvent pour vous renvoyer vers des espaces électroniques, froids et machiavéliques.
Enfin, je pense m'en être tirée...

Je m'occupe ces temps-ci de mes installations projetées. L'idée m'en plaît et l'affaire suit gentiment son train.
J'ai l'impression maintenant d'être vite très occupée, par bien peu de choses.
Avant aussi, pourtant, je devais régler ce genre d'affaires. Et j'avais bien plus d'annexes à mener de front. Je le faisais sans mal, si je m'en souviens bien. Ou alors, cette nouvelle technologie communicative, quand on la maîtrise mal comme je le fais, est bien plus chronophage. A savoir...

Je me demande si je ne deviens pas inopérante. Fainéante, si je le deviens, je ne me le demande plus, je le sais !
Aurais-je brutalement basculé dans le camp des rétrogrades impuissants à suivre la marche ? Peut-être bien. 

Avec tout ça, le temps me passe, et pas spécialement plaisamment. 
Mes journées chômées en deviendraient moins divertissantes.
Ca ne va pas. Je dois reprendre tout ça.
Dès que la machinerie est en route, je lève le pied, et laisse couler.
Il me semble avoir dit cela bien souvent. C'est ce "dès que", qui paraît s'éloigner au fur et à mesure qu'on croit l'atteindre. Comme la petite souris en plastique qu'un méchant malin tire devant le chat dépité.
Les transferts entre départements génèrent sans doute une agitation néfaste à l'efficacité dans la gestion du temps perdu.
Bon, il va falloir regarder ça aussi de plus près.
D'un autre côté, si l'horizon devant moi s'aplanit en espace vide où rien ne me requiert, je ne suis pas sûre de m'en satisfaire non plus...

Aahh non, ça n'est pas facile tous les jours, ça non plus !

Toutes ces interrogations existentielles me mènent à l'heure de préparer le repas.
Mais là, je n'ai pas l'impression d'avoir mal employé mon temps. Je n'ai rien fait d'utile à la marche de mes affaires en cours, non, mais, pour autant, je me suis fait du bien. 

Jean d'Ormesson écrivait : "j'écris quand quelque chose ne va pas".
Jean d'Ormesson, académicien nonagénaire, ça n'est pas la moitié d'un con.
Ou alors, en quoi peut-on croire ? 
Où aller chercher la sagesse intellectuelle, si ça n'est dans les esprits des grands érudits ?
Les grands politiques paraissent plus contestables, en matière de direction de pensée.
Et les gourous, je m'en méfie.

Alors, si, quand j'écris, c'est que quelque chose ne va pas, autant espérer que je n'en ressente plus l'envie. Ca voudrait dire que tout va bien. Mon horizon vide me suffirait.
Je ne suis pas sûre d'être séduite pas cette perspective.
Non, je pense plutôt préférer exulter dans l'écriture. Si exulter ramène à exutoire. Ce petit l surnuméraire me trouble.
Accepter le "ce qui ne va pas", et le déposer là, en ces pages. En consigne.
Ecrire l'avenir comme j'ai envie qu'il me vienne. Relater le présent comme je préfère qu'il soit. Raconter l'histoire comme il m'arrange de le faire.
C'est une grande liberté, l'écriture.
Ca donne corps et vie à une réalité fantasmée.
Quand on n'est pas trop tordu, le fantasme, ça doit faire du bien.

Pour le moment, mon petit fantasme, c'est une  image naïve.







Je me la garde en tête. Je me la repasse en boucle.
Elle me vient de pas trop loin, et me mène là où j'ai l'envie de revenir.
Quand ce temps pas perdu m'y déposera. 
Ou pas...





vendredi 1 janvier 2021

20 au 30 décembre 2020


 Dimanche 20 décembre 2020  11h40


Vite fait avant de déjeuner, je viens rendre compte de la très agréable matinée.

Je vais cette après-midi à la jardinerie. Il ne nous reste que très peu de sapins à vendre. 

Comme nous sommes les seuls à en avoir encore, nous nous régalons de voir les clients difficiles se faire coiffer sur le poteau par d'autres, plus vite décidés. Quand les premiers tournent, lippe boudeuse : "c'est tout ce qu'il vous reste ?" considérant l'un, puis celui là, ou encore cet autre, les seconds s'emparent avidement de ceux qu'ils sont bien contents de trouver. Une main se pose sur une flèche, quand l'autre tirerait sur la branche, juste derrière. 

Aaah, ça fait du bien, de se sentir en position de force, daignant attribuer son lot à ceux là, qui, quelques jours pus tôt, s'abaissaient à vous faire la grâce de venir acheter leur sapin chez vous.

Je me rends compte que c'est une curieuse façon de voir les choses. Le rapport vendeur-acheteur serait-il cette opposition où la relation se fait toujours dominant-dominé ?

Je me demande si je ne suis pas retorse...

Ce matin, belle promenade le long de l'Adour encore largement étale, mais sur la redescente.

Les chiens sont tout joyeux dans ces parages. Quelques promeneurs croisés s'amusent de notre mini-meute.

Au retour, un peu de sport cérébral, avec ces grilles de Sudoku, hermétiques sur la fatigue, et dont l'écheveau se dévide allègrement quand le neurone reposé se met à l'œuvre. J'expérimente depuis longtemps la même recherche avec les mots fléchés. Les lettres, ça a toujours été mon domaine de prédilection. Les chiffres, j'aime leur logique froide et implacable, l'absence de toute émotion dans leurs enchaînements. Les émotions, il y a un moment où il faut les remettre au placard, non mais !

C'est une petite jouissance, de remplir les cases, de plus en plus vite au fur et à mesure que la grille avance.

Pour le Sudoku, j'en suis à la phase débutante. Enchantée quand, dès les premières lignes appréhendées, je détermine le bon chiffre à mettre dans la bonne case. 

Chafouine, quand j'ai pris le truc par le mauvais bout, et que chaque avancée est besogneuse. 

Toute excitée, quand, sur la fin, les dernières pièces du puzzle s'emboitent parfaitement, le bon chiffre appelé rentrant gentiment dans sa case.

Dépitée complet, quand, avançant hardiment, je me retrouve à une croisée impossible, le même chiffre se répétant dans la même ligne, colonne, ou case. Là, tout est à recommencer, tant mes tâtonnements de départ sont peu organisés. Je ne sais pas où j'ai fauté. Alors, mieux vaut tout effacer, bien proprement, et repartir à zéro.

Toute l'allégorie d'une vie, où les erreurs vous rattrapent, à un moment ou à un autre. Et mieux vaut que ce soit le plus tôt possible, tant le chemin est difficile à remonter... Où la logique et la probité vous mènent droit et loin, et de plus en plus facilement.

Je mets des analogies partout. Je vois dans les choses sûrement bien plus que ce qui n'y est. Je m'en perds.

Les petits "vritis" diaboliques s'en donnent à cœur-joie dans ma pauvre tête malade. Les circuits s'en échauffent, à être lancés à toute vitesse dans "toutes directions", comme il est indiqué aux carrefours, sur les panneaux de signalisation. Sauf qu'à un moment, toutes directions, ça n'existe pas, ça n'est plus possible, et, si l'on ne veut pas finir écartelé, il faut en prendre une seule.

Ces "vritis", j'en ai appris le terme il y a peu, dans ce livre d'Emmanuel Carrère, Yoga.

Ce seraient les pensées parasites, celles qui vous tiennent et vous reviennent sans que vous les ayez convoquées, et d'autant plus d'ailleurs que vous essayez de les écarter de votre horizon mental. Vous tâchez de vous concentrer sur une idée, de rester bien centré sur elle. Et, pim pam poum, il vous en vient de tous les côtés, de ces vilains petits gnomes effrénés, qui dansent la sarabande à l'orée de votre réflexion en débandade, effarouchée de tous ces non invités qui reviennent par la fenêtre quand vous croyez les avoir chassés par la porte.

Impossible de tenir le cap d'une concentration efficace, quand les maudits "vritis" en perturbent le cours.

Et maintenant, à table !

Je n'aurai pas trop de toute la vitamine B12 du foie de veau grillé pour fluidifier mes connections neuronales survoltées.


Lundi 21 décembre 2020 10h50


Je me suis mise en cuisine ce matin.

Le ciel est gris léger. Il a un peu plu.

Je surveille ces jours-ci la météo. 

J'ai prévu de planter ma première planche de châtaigniers en fin de semaine. Le terrain doit être assez ressuyé.

J'ai hâte.


18h

Le crépuscule rose orangé cisèle la ligne des monts bleus en piémont de Mère-Rhune. Le jour où , dernièrement, je l'ai reconnue, ma montagne isocèle ici de côté, juste à la droite de ces monts-ci, en sortant du village, j'ai failli crier "terre, terre !" comme les marins perdus en mer. Je me suis sentie réconfortée de la savoir là, familière. J'étais donc encore "chez moi".

Je suis rentrée tard de la promenade le long de l'Adour, gentiment poussée dans le dos par le soleil couchant. Les ramilles dénudées irradiaient l'or pâle, sur le gris mat de l'onde, et devant la barre de nuages gris profond retroussée loin dans le ciel. Quelques feuilles molles se décrochaient des arbres et se laissaient choir sur le chemin.

J'ai ressenti la plénitude d'un de ces moments parfaits.

Les chiens devant moi trottinaient. 

Bullou s'est découvert un engouement indéfectible pour l'eau, maintenant. Elle adore patauger, nager, plonger et ressortir, s'ébrouer. Elle bondit par dessus les fourrés blanchis de la boue des eaux qui se retirent. Toutes les odeurs déposées là lui parlent d'aventures. 

Lola la suit. Moins fringante, elle ne rechigne pas à se mouiller, mais évite de s'embourber. Les bains de boue, elle les laisse aux curistes.

Txief reste définitivement réfractaire à toute immersion. Il est très délicat, lève haut les pattes pour éviter les flaques, dresse les oreilles et les resserre au dessus de la tête qu'il garde très droite. Il se laisse quand-même entraîner à fureter ici ou là. Les odeurs enivrantes, il les respire quand même plutôt sur Lola. Pour lui, ces sucs puissants le déroutent, et l'effraient. Tant de choses l'effraient, ce petit chien trop nerveux...

Je me suis souvenue combien ce paysage m'avait apaisée, en 2017, quand dans ma tête il faisait mauvais.

Combien je regrettais alors mes chiens restés à la ferme. 

Là, je les ai devant moi : Bullou grise de boue. Lola un peu déhanchée de la trop longue course. Txief pressé de rentrer.

J'en suis à rassembler mes mondes, à construire petit à petit cette congruence où j'espère nicher mes espoirs de sérénité.

Des moments comme celui de cette fin d'après-midi, je me dis que j'y suis presque.

Pas tout à fait encore. Je reste tiraillée, happée des deux côtés.

Mes frères me représentent un Rivière bien peu séduisant : un marécage en hiver, une fournaise l'été, et, le printemps et l'automne, au Pays basque, c'est bien plus joli.

C'est sûr, présenté comme ça...

Olivier me vante sa contrée, m'y retiendrait, jetterait aux orties Agorreta et tout ce qui m'a tenue loin de lui, pendant toutes ces années.

Je ne me fais pas trop d'illusions : les tentatives des uns et des autres pour me retenir, sont teintées de sentiments impurs. Les uns tiennent à la petite logistique domestique que je leur garantis. L'autre a besoin de sa femme à la maison. Pour ne pas dépérir d'ennui, tout seul. Comme je suis celle qui figure sur les papiers, alors, autant que je sois celle-là...

Mes rôles dans ces entourages, prévalent sur le seul intérêt de ma petite personne, qui, sans eux, n'en aurait peut-être pas beaucoup !

Je me demande s'il n'en va pas ainsi pour tous, et partout. Si les sentiments nobles, amours, affections, amitiés, ne se troublent pas de notions moins éthérées. Nos aspirations romantiques d'adolescence, nos illusions de pureté et d'idéal, ne durent que le temps de nos jeunes années, le seul temps où nous rêvons nos vies, avant de les vivre en vrai, et de comprendre les mécanismes compliqués et mélangés des relations humaines, de la relation à nous-même.

L'interdépendance régit nos sociétés, à tous les étages. Ce sentiment d'une liberté étriquée, subordonnée aux autres, ne me gêne pas : je m'ébats suffisamment au large dans le champ qu'on me ménage. 

L'idée d'indépendance et de liberté, cette sacro-sainte idée portée haut en étendard, en a pris un bon coup, cette année 2020. Qui, l'année dernière, aurait pu imaginer que nous vivrions masqués, assujettis aux attestations de déplacement dérogatoire, empêchés de se toucher, de s'embrasser, de se réunir ? Les scénaristes les plus imaginatifs auraient trouvé la ficelle trop grosse !

Et bien, fin 2020, nous en sommes exactement là : à sortir tout légers, quand nous pouvons maintenant le faire sans papier, soulagés comme les enfants quand ils ouvrent leurs lourds manteaux aux premiers jours du printemps.

Nous rêvons tous de pouvoir respirer l'air frais, sans être entravés, embués, empêchés.

Moi, même avant le virus, je n'étais pas très demandeuse d'un espace infini. Je ne revendiquais pas grande liberté, ni plus large autonomie.

J'ai besoin des autres, et j'aime qu'ils aient besoin de moi. Le "je n'ai besoin de personne" ( en Harley Davidson ou pas), ce n'est vraiment pas pour moi.

J'ai du avoir ma période affranchie. Je m'en souviens vaguement. Ces années où j'avais l'impression de porter le monde à bouts de bras, quand il me semblait que moi, je me portais bien toute seule. Une de ces illusions d'optique qui vous tiennent et vous mènent. Qui le font bien, tant que rien ne vient les entacher. Qui vous laissent passablement démantibulée, quand elles se fracassent. Qu'on met de côté, après, les laissant à d'autres qu'elles grugent pareillement.

J'ai cette autre illusion maintenant de me penser plus clairvoyante. J'admets sa fragilité, à celle-ci aussi, mais elle m'est agréable compagnie, dans l'instant présent. Alors...

Alors j'avoue savourer ce moment, où les uns et les autres font leur parade autour de moi. C'est bien agréable. Ca ne durera sûrement pas. Tout mon petit monde va très vite se caler dans le rythme que j'aurais choisi. Au mieux. Au pire, chacun de mes mondes me rejettera. Et bien, il me restera le loisir de m'en faire un autre !

Dans les bons moments, ça me paraît si facile !

Dans les mauvais, je doute d'en avoir la force.

En attendant de voir,

j'aime les deux rives Adour. Je découvre le pays de mon mari, ce Maransin effectivement gorgé d'eau. J'en apprécie le calme, le silence dans la forêt, les bêtes tranquilles dans les herbages infinis. 

Du mien, de pays, de celui d'où je viens, j'aime la beauté pimpante, la diversité des éléments mélangés.

J'aime mon mari et j'aime ma famille. Et je les veux tous autour de moi. J'en ai besoin.

Je suis bien ici, comme je suis bien là-bas.

Je suis bien partout, comme on est bien partout, quand on est bien dans sa tête.

Si je le peux, je le veux, je les veux, tous.

Ce sera mon pari 2021.


Mercredi 23 décembre 2020 17h30


J'ai fait ce grand tour délaissé depuis longtemps.

Sous mon parapluie, j'ai avancé dans ce paysage aux roux fauves.

J'ai découvert de nouvelles percées. Le grand chantier, en bas de Mieltxon Borda, s'installe sacrément. La balafre dans le paysage n'est pas vilaine. Elle souligne même la ligne d'arbres en crête, et ouvre vers l'arrière plan montagneux. Evidemment, l'activité de charroi sera moins bucolique que la prairie pentue où les chèvres broutaient les ronciers... 

En remontant, j'ai observé une grande activité chez les L. Madame y allait de la soufflette, pendant que Monsieur débarrassait les feuilles mortes et les branches cassées à petits coups de paniers. 

Sans vergogne, il entassait tous ces menus débris de l'autre côté du chemin, chez le voisin ! 

Je me souviens avoir échangé il y a un an ou deux quelques propos avec madame à la soufflette : elle se posait là, en régente, autorisée à contrôler toute activité à un quart de lieu à la ronde, garante des bonnes règles de voisinage, d'après elle.

Et là, ne voilà-t-il pas qu'elle fait aux autres, ce qu'elle ne supporterait  pas, qu'on lui fasse à elle-même, la vilaine bougresse ! Oooohhh...

En passant devant la large baie en façade, j'ai d'ailleurs noté qu'une tripotée de petits enfants très proprets, chemises blanches et épis bien rangés sur le côté, s'activaient à dresser une table de fête, pour une bonne douzaine de convives. Et la règle des 6, alors ?

Non, décidemment, ces gens là, les règles, ils les cuisinent à leur sauce, et volontiers pour les autres !

Avançant encore, sur la descente cette fois, je vois, derrière Mailharenia, scintiller la baie. Là aussi, le paysage a changé : cette trouée n'y était pas. Des arbres ont du être coupés.

C'est ma foi bien joli, vu d'ici, cette superposition de plans de terre et d'eau, avec en fond le dos long du Jaizkibel placide.

Les fougères trempées sont assombries en bruns bais. Les ramilles grises dénudées se bleutent du fond montagneux. Le paysage s'ordonne en volumes assonants, autour du val où quelques fumées parlent d'intérieurs douillets.

Le panorama est magnifique. Paisible, alenti par l'hiver, il instille en moi une dolence agréable.

Je reprends ma marche tranquille.

Je redécouvre ma promenade. Quelques temps de retrait me la font regarder autrement.






Le jour s'était levé rose brouillé, ce matin.
Annonciateur de la pluie compagne de ma promenade.
 
Ma campagne châtaignes d'Agorreta devra jongler avec ces aléas là.
Pour planter mes scions de Mendionde, j'avais prévu de nettoyer la prairie.
Les génisses ont pacagé jusqu'à la fin Novembre. L'herbe n'est pas haute. Tout de même, nous serons mieux à travailler une aire bien propre.

Antton, notre expert girobroyeur, s'est mis à l'œuvre dès hier. En bon paysan, il tient compte du temps, et saisit les créneaux favorables quand ils se présentent.
Après les petites pluies, aujourd'hui et demain, il doit faire beau. Froid, et beau. Une conjonction idéale pour la plantation hivernale. La terre est malléable d'avoir pris l'eau, suffisamment ressuyée pour ne pas motter en boue.
En hiver, ce genre d'éclaircies n'est pas si fréquent.







Après le passage d'Antton, mon champ d'action est parfaitement dégagé.






 Zaldi et deux jeunes génisses voisines sont venues aux nouvelles.
Puis, se sont désintéressées.
Je leur raconterai, au fur et à mesure.


Je pensais dessiner facilement des rangs obliques, installant mes plants en losanges, pour un plus bel effet. Ca paraît tout simple. Ca l'est peut-être.
Et bien, moi, j'ai erré un moment, visant ici l'est et là l'ouest. Pour finir par piqueter au jugé, un damier approximatif.



Olivier samedi m'arrangera ça.

Il plantera mes châtaigniers. Mes frères l'aideront.
Eux aussi "congrueront" autour de ce joli projet commun.

Je les retrouverai le soir, autour de la table ronde.


Vendredi 25 décembre 2020 11h50


Un jour de Noël exotique pour moi, ici à Rivière.
La tablée animée hier soir réunissait la famille Olivier Durand. 
Je me sens encore un peu étrangère, là dedans. J'essaie de m'intégrer, et ils ont la gentillesse de m'y faire une place.
Ce matin, ouverture des cadeaux par la petite Candice aux grands yeux rêveurs. Je regarde, comme à un spectacle incongru.

Nous n'avons pas trop connu ça, à Agorreta.
Une seule fois, je me souviens d'une distribution de cadeaux, dans la cour : Antton avait ramené pour ses petits neveux et nièces de beaux jouets. Vélos, tracteurs, trottinettes, pour ce dont je me souviens.
Tout ce petit monde surexcité s'était égayé dans la cour. Les cris d'enfants heureux avaient résonné. Nous étions tous un peu étonnés : c'était presque inédit.
Nous étions pourtant nous même des enfants heureux, sans doute. Nous aimions, et nous aimons toujours, rire. 
L'inattendu venait de ce protocole de Noël, que nous ne suivions pas. 
Je ne pense pas me couler maintenant dans ces calendriers attendus où les bons sentiments sont conviés à la demande. Je ne sais pas trop faire ça, et ne suis pas sûre de vouloir l'apprendre.
Je veux bien quand-même faire l'effort de m'y intéresser. Et, qui sait, peut-être, d'aimer ?

Pour ce Noël 2020, nous irons avec Olivier et les chiens dans la barthe ressuyée.
La jeune génération continue de ripailler, à droite et gauche.

Il a plu, hier, plus que je ne l'aurais voulu.
A Agorreta, le pré s'en alourdira. La plantation de demain est maintenue.
Mes experts en ont décidé ainsi. Je les suis.

17h50

La promenade a été vivifiante. Au retour, nous avons rincé les chiens à l'eau tiède : ils en fumaient.
J'entends les convives revenus.
Je relis vite fait ma littérature : ce que je dis n'est pas bien important. Comment je le dis m'amuse davantage. C'est ça, je crois, la littérature. Du babil agréable à écouter. Pas forcément à comprendre. Pas de message, pas de fond. De l'esbroufe sur un creux...


Samedi 26 décembre 14h30

Je suis à la jardinerie.
Olivier est passé récupérer les plants de châtaigniers.
Direction Agorreta et ma prairie :





Antton attend là bas de pied ferme.
Il s'investit dans ce projet de plantation : les générations futures lui rendront hommage, quand le bosquet d'Agorreta s'arrondira sur ce flanc.

Je lui rends grâces, moi, d'ores et déjà, de son aide et de son soutien.






Karrarro est là, lui aussi.
Face à la ferme où il a travaillé si longtemps.
Cette Atxoenia maintenant jaune et remplie d'autres gens.










En maîtres d'œuvre, Olivier et les chiens.
Mon homme plante, tuteure et assure les meilleures conditions de reprise.
Lola surveille la bonne marche.
Mes chiens sont de retour ici après deux mois de villégiature dans les Landes. 
Ils réinvestissent leur espace. Leurs aboiements résonnent à nouveau dans la cour. Je ne suis pas sûre qu'ils aient beaucoup manqué aux locaux...


Mercredi 30 décembre 2020  10h






2020 se termine.
Ce bel arc-en-ciel m'incite à formuler des vœux pour 2021.

Je souhaite belle et longue vie à mes châtaigniers fraîchement plantés.

Je vais à la prochaine période favorable intercaler ceux d'ici.
Mêlés aux Ipharras, Usta, et Zazpikoa de Germain Lafitte, les Emengoak, Lurberrikoak et Mendikoak d'Agorreta croiseront leurs essences et leurs génétiques végétales.
Les débouchés de la châtaigne sont en plein développement et les productions se diversifient, autour de Baïgorry, principalement, et du Collectif de la châtaigne de Beñat Itoitz.
Il n'y a pas encore, à ma connaissance, d'études en aval, sur la sélection variétale, en relation avec ces différentes productions.
Je n'aurai évidemment pas le temps d'aboutir une grille de spécificités. J'ai celui de commencer le travail, et de donner une chance au prochain de le parfaire.
Mes châtaigniers ne produiront pas avant une demie douzaine d'années, en quantité suffisante pour évaluer la qualité de leurs fruits.
Les hybridations proposées ne donneront peut-être rien de bon. Ou alors, si j'ai beaucoup de chance, elles seront l'amélioration de chaque espèce croisée, en un fruit unique et prometteur.
Mes essais sont modestes, et mon champ opératoire restreint. N'empêche. Le sort peut se montrer magnanime ici comme ailleurs.

Je souhaite longue et belle vie aux repreneurs de ma vieille ferme.
Je reste dans les parages. Bienveillante et attentive à la bonne marche de cet autre si joli projet.

Je souhaite longue et belle vie à tous ceux que j'aime. Et il y en a beaucoup.
Et à tous ceux que j'aime moins, aussi, allez.