mercredi 12 février 2020

7 février




Vendredi 7 février 2020 11h


Paisible fin de matinée.
Le soleil se voile. Quelques volées venteuses secouent les branchages encore nus des carolins.

Hier encore, mon petit Ménière s'est rappelé à moi. La dernière crise remonte aux alentours du 20 décembre. Après cinq mois d'accalmie, je l'avais remisé aux oubliettes, mon maudit Ménière.
Et bien non ! Je l'ai toujours sur le dos, et dans la tête...



Nous allons devoir cohabiter encore, semblerait.






Les crises évoluent. Elles sont moins brutales. Je ne suis plus renversée, projetée à terre comme un pantin. Non, maintenant, je sens venir l'affaire. Un malaise, un flou, un poids sur l'arrière de la nuque, puis dans l'ensemble du crâne. Le bourdonnement dans les oreilles plus aigu, ou plus sourd, selon. Une vague nausée, pesante et exigeante.

J'identifie maintenant la cause à un excès de gourmandise.
Je pourrais mettre ma "rechute" sur le compte des dernières péripéties, et porter la faute sur l'oeuf quand je suis la poule.
Ce serait m'aveugler !

Non, la seule coupable, dans cette affaire, c'est moi, et mes excès.
La seule victime, dans ce parcours, c'est moi, et ce maudit Ménière qui ne me lâche pas.

Je l'apprivoise, mais la bête est vite rétive.

Mon seuil de tolérance s'abaisse, aussi, bien naturellement, avec la montée en âge.
Je supportais parfaitement, avant, la fatigue, les nuits sans sommeil, les montées émotives, bonnes ou mauvaises.
Je me portais tout à fait bien de mon alimentation anarchique, de ces périodes où la passion me consumait, me rendant presque inutile la nourriture et le repos, à ces autres, où, affamée de je ne sais quel manque, je me jetais gloutonnement sur le sucré, le gras, sans autres conséquences que quelques kilos de plus ou de moins, dans une amplitude très raisonnable.

Et bien, maintenant, il va falloir modérer tout ça. Ce peut être une saine alarme, et un coup de semonce bénéfique, de remettre tous ces petits et grands désordres à plat, et de les ordonnancer dans la tempérance et la modération.
Je m'en fais la promesse, à chaque crise, tâchant de repérer ma faute du moment.

J'ai arrêté l'alcool, renoncé à ce petit whisky du samedi soir partagé avec Olivier. Oublié cette tentation d'une sangria un peu corsée, mordorée autour de beaux glaçons irisés, quand nous allions par les dimanches ensoleillés nous aérer à Ibardiñ.
Le sacrifice n'a pas été plus loin, je n'étais pas non plus une alcoolique invétérée !

J'ai remisé tout excitant, café, thé, et autres "boosters". Je m'en tiens à d'insipides tisanes, dont l'accoutumance a su trouver grâce à mes papilles conciliantes.
Finies les associations médicamenteuses hasardeuses, quand, pour se soulager d'un rhume où le naseau s'engorge, et l'œil larmoie, on se jette sur la molécule asséchante et énergisante, mauvaise copine de l'autre, celle dont on ne peut se passer.

Ces dernières fois, je n'ai pas eu grand mal à repérer le nouvel outrage à la bonne marche de ma mécanique maintenant si délicate.
Je me suis retrouvée à terre, après le déjeuner, à la jardinerie, quand, relevée trop juste d'une sieste trop courte, le sol et les murs se sont mis à tanguer.
Le cœur au bord des lèvres, la tête vrombissante, l'échine serrée dans un étau et la vue complètement brouillée.

Ma courageuse mais trop téméraire tentative à reprendre ma journée de travail, dans ces conditions, s'est soldée par quelques pas chaotiques et une trajectoire sinueuse d'ivrogne.
Au lieu de sagement avertir mon équipe de mon incapacité momentanée, de rester gentiment dans le périmètre de mon réduit à sieste, où j'ai, à proximité, la cuvette des toilettes pour pouvoir vomir dignement ou à peu près, non, je me suis dirigée, d'un air que je croyais dégagé, vers la pépinière, où, bien vite après, je me suis lamentablement vautrée.
Pour conclure l'épisode et aggraver mon humiliation, j'ai du revenir à mon cagibi, accrochée comme une perdue à un chariot, toujours dans l'idée de sauvegarder ma bonne mine, quand mes collègues même moyennement attentifs voyaient parfaitement de quoi il en retournait, et me proposaient gentiment leur aide.
Quelques heures piteuses à me traîner autour du bloc en céramique, entre nausées crachotantes, sueurs glacées, et tremblements de vieille carcasse en état de choc.
Pour finir par me faire ramener à la maison, la tête dans un sac plastique où vomir.
A la ferme, m'accrochant désespérément à tout ce qui peut faire soutien, je rampais jusqu'à mon lit, équipée d'une cuvette et d'une serviette.  Le petit nécessaire de base dans ces cas là.

Quelques heures encore, à ne pas pouvoir fermer les yeux sous peine de sentir de nouveau le monde autour de moi s'emballer, à grelotter et transpirer comme une vache, en alternance, et, enfin, la grâce descend sur moi…
Je ferme les yeux, la tête surélevée sur un bon oreiller, les genoux ramenés bien hauts, et je m'assoupis, enfin !
Quelques heures encore, nous sommes au petit matin du lendemain, et je me réveille, douillette comme l'oisillon au nid, les acouphènes dans mes oreilles ondoyant en harpe mélodique, le ventre au repos. 
Je ne soulève la tête qu'avec précaution, évite les mouvements latéraux, garde un angle de vision étréci, sur les deux plans, horizontaux et verticaux.
Je m'étire, teste les amplitudes de mouvement.
Très prudemment, je tente le relevé.
Et, effectivement, je me relève, sans mal.
Je flageole encore, un peu, mais tout reste stable alentour.
Je fais quelques pas, je ne flanche pas.

Et je repars, à peu près gaillarde.
La crise est passée. Je reprends mon cours, chahutée encore, mais debout.

Tout ceci après une trop gourmande plâtrée de bon boudin bien gras, pour la première fois, en décembre.
Puis, là, juste après une omelette baveuse à souhait, d'une demi-douzaine d'œufs, et de moult lardons bien graisseux.

Le rapport de cause à effet ne nécessitait pas grande expertise.

J'ai donc pris dorénavant le parti de maîtriser mes cyclothimies alimentaires.
Mes courbes nutritionnelles vont abandonner les reliefs montagneux alpins, pour s'étaler en vaste plaine à peine soulevée de quelques monts ronds.
Manger plus souvent, moins, en petites collations légères. Plus régulièrement, surtout.
Manger normalement, quoi.

Je vais finir par faire le tour des réglages de l'horlogerie si fine que devient ma vieille carcasse.
Mon bon vieux Ménière est un maître bien autoritaire.
Son apprentissage est difficile. Il est intransigeant, et même, un peu pervers : laissant aller, là, pour rattraper d'un sévère coup de collier, ici.
Il me contraint à une alerte vigilante, à un affût sans repos des moindres petits signaux d'alarme.

Seigneur, tout ça va finir par faire de moi une vieille femme grise et sèche, à la charismatique d'une lune blafarde....

Et bien, puisqu'il doit en être ainsi, ainsi en soit-il !






Lundi 10 février 2020 17h


Je reviens de promenade, dans l'après-midi embrumée.




Le petit bois est tout gris, rien ne semble s'y animer.











Partout pourtant, de petits signaux annoncent la reprise de vie.
Les saules chatonnent. Les duchesses ouvrent leurs corolles délicatement piquetées. Le chèvrefeuille chantourne les bois secs en pousses tendres enveloppantes. Les violettes parfumées essaiment les bordures. Les scilles campanulées se hissent et s'épanouissent.








Le chêne vénérable paraît sec de tous ses bois morts. Je l'avais trouvé en mauvaise posture, déjà, à cette période, l'année dernière. Il avait pourtant trouvé la ressource de refeuiller.
Bien assez pour rabattre son caquet à ce fougueux châtaignier élancé à son pied.
Maintenant, fatigué peut-être par cette course trop rapide, le châtaignier se laisse enrouler par une liane de chèvrefeuille opportuniste. C'est la guerre pour la lumière, dans ces parages. Une lutte silencieuse et longue, où chacun se bat, et résiste, autant qu'il le peut. Je suis le combat.










Un aulne glutineux est à terre, au pied du grand poteau éléctrique. Son bois terni s'éclaire encore de multiples grains blancs.
J'ai son petit frère à la ferme, encore dormant. 
Ces aulnes font bon ménage avec les châtaigniers. Ces deux-là doivent entretenir sous terre une synergie efficace. Le système racinaire de l'un complétant celui de l'autre, par ces échanges sous-terrains dont nous ne percevons rien, quand ils gouvernent le monde végétal.
Je m'en souviendrai quand j'implanterai ma châtaigneraie.






Les noisetiers suspendent leurs inflorescences rugueuses.







En bordure du chemin, là où pacagent les moutons de Joseph-Louis, deux personnages fantasmagoriques se partagent la scène.
Une souche évidée en cavernes vertigineuses avance sa gueule de monstre défiguré. Le bois mort s'incurve en volutes et spirales noueuses, où l'imagination se perd, à la recherche de la lumière, et la trouve en surprise soulagée, nichée dans un creux tourné vers le ciel.
Tout près, cette autre souche verdie de mousse aux tentacules agrippés en terre entre les feuilles craquantes semble vivre encore, et s'accrocher.








Un peu plus haut, un vergne fendu des dernières tempêtes, à la plaie ocre béante, jette toutes ses forces dans la multitude de ses chatons soyeux.
Il fleurit sa détresse, espérant rameuter les forces vives à son secours.
Toujours cette vie à conquérir, à tout prix et à toutes forces.





Plus haut encore,  je m'assois, et les chiens viennent se reposer autour de moi.

Je regarde ce paysage découvert dernièrement. Ce panorama entre mère-Rhune isocèle, et le long flanc du Jaizkibel. Ces monts ronds aux vallons longs des 3 couronnes, perdues aujourd'hui dans la brume en bancs mouvants.

Je l'aime aussi comme ça, ce paysage, dans les gris joufflus et tranquilles.
Je l'aime aussi dans le soleil éclatant, où la lumière cueille le relief et le cisèle. Ce sera pour une prochaine fois.
Je l'aime en toutes saisons et par tous les temps.










Je m'en retourne, apaisée et contente, les chiens autour de moi trottinant leur joie.

Sur le flanc de la grande prairie, un petit agneau vient de naître. Il flageole sur ses jambes molles. Sa mère le lèche et le redresse vers son pis gonflé de lait.
A peine au dessus, un autre tout petit agneau, confortablement couché,  le regarde, un peu dédaigneux pour cette faiblesse, oublieux de la sienne, il y a sans doute deux jours à peine.




Mon bébé châtaignier continue de pousser, dédaigneux, lui, des cycles saisonniers.
Son impudence le perdra-t-il ?
Le printemps prochain nous le dira.

Le soir tombe.
Je rentre à la ferme.
Riche de mes redécouvertes toujours surprenantes pour moi, naïve et vite émerveillée.
J'attends la suite, et je m'apprête à l'acceuillir.












Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire