lundi 9 septembre 2019

Août



Lundi 9 septembre 2019  8h30

Délocalisée à Rivière pour un dimanche de retrouvailles entre amis,  toujours pareil, je repense à Agorreta.
Je repense à mes levers de soleil sur les monts de la pinède. Bel astre rentre au bercail, après ses envolées vers l'océan.
Ce début de septembre est très automnal, avec ses aubes boréales irisées dans les ocres et ors rosés.
J'entre dans ma saison préférée. Comme disait Chateaubriand : "j'entrais avec ravissement dans la saison des frimas". Souvent la plus belle saison de l'année, par ici, d'ailleurs. Pas du tout celle des frimas.









Je migre maintenant épisodiquement, à petites doses, le temps d'une journée ou deux.
Bien loin, je l'espère,  le temps où j'accourais ici comme on se réfugie.

La journée d'hier fût bien plaisante : bonne chère, meilleure encore compagnie.

Un bien joli dimanche.


Je rentre à Agorreta ce soir, retrouver les miens, bêtes et gens.

Les travaux de rafraîchissements à la ferme m'ont absorbée ces deux-trois dernières semaines. Je suis contente du résultat.  Je vais propager comme l'onde mes talents (!) à tous les étages, pour une "revisitation" de l'ensemble, au goût du jour.
La ferme est vieille. Elle a subi bien des outrages. Ne s'offusquera pas des miens, dispensés  avec respect et bienveillance, à défaut d'adresse.

Cet exil, encore, loin de ces pages, m'aura peut-être sevrée de cette addiction exigeante et tenace. 
Je vais, qui sait ? parvenir à distancer mes chroniques. M'en tenir à un petit mensuel survolant les faits sans s'y plonger tête dans le guidon, bouillonnant des vagues écumantes d'une spontanéité sauvage. Peut-être...
Je me fixe de moins en moins d'objectifs rigides, admettant maintenant mon inconstance à m'y tenir. Quand j'étais persuadée du contraire jusqu'à il y a peu. Je suis inconstante, il est vrai, clamant ici une résolution piétinée là, juste après, en toute bonne foi.
Cette nouvelle vision de ma petite personne ne me déçoit plus. Elle m'intrigue et m'amuse, plutôt. Les rondeurs des arêtes usées par le temps enveloppent aussi mes aspirations. Elles deviennent plus accessibles, moins contraignantes, tellement plus confortables !

Des quelques notes posées à la volée sur papier, je retiens quelques saillies.
Quelques jours de distance en arrondissent bien les angles, et les giclées quelquefois acides en perdent leur aigreur. Les bonnes "zondes", elles, en maturent en sucs savoureux. Ce n'est pas plus mal, je le crois.

Lundi 19 Août : 3h30

Les bouillonnements dans ma tête me jettent hors du lit. 
Suivant les préceptes de Boris Cirulnik, neuropsychiatre mondialement reconnu, je mets en mots, sur papier, pour n'en pas étouffer.

(Ici, les trois semaines de décantation ont bien adouci les ardeurs mauvaises. Je relis mes notes du moment, rature les traits inutilement méchants. Garde quand même trace de ces sentiments d'alors, et les revendique pour leur spontanéité, ... leur légitimité !

Christian Bord est mort dans la nuit de samedi à Dimanche.
Ces Bord, notre Colette, nos premiers estivants de la ferme, perdurent dans leurs traditions, et viennent en villégiature estivale à Hendaye. Ils logent chez le frère aîné.
Christian, malade depuis plus d'un an, le foie rongé par un cancer bien décidé à maintenir ses crocs plantés dans cette viscère à détruire, a juste eu le temps de nous saluer, moi et mon père.
Amaigri, fatigué, mais souriant encore, il a trouvé la force de sortir de la voiture, pour serrer la main de mon père, et m'embrasser.
Ses yeux délavés disaient bien la résignation. Je l'ai appris à cette occasion, Christian avait une sœur jumelle, morte à la naissance. Il parlait souvent, paraît-il, de cette séparation, de ce demi tour de sa sœur, repartie vers les limbes d'où elle était à peine sortie. Il regrettait sans doute de n'avoir pas su la tirer vers la lumière, et cette lourde culpabilité des survivants l'engluait en l'empêchant de goûter sa propre vie, d'après lui imméritée, sans amertume.
"Ce n'était pas un battant", dit de lui sa veuve toujours énergique. Ou alors, avait-il la vision plus juste et aiguisée de ceux qui savent, et ne veulent pas se laisser distraire de ce savoir ? 
Je ne sais pas, je suppute.

Dans ce moment tragique où un pauvre homme se fait emporter dans la mort, il a trouvé assistance auprès de celui-là qui a tourné le dos, au moment où sa propre mère agonisait en le réclamant. Prétextant en alibi-refuge... le navet !
Je garde une rancœur bien compréhensible, je le pense, de ce dos tourné, de ce cœur fermé, à un moment où les plus obtus devraient s'ouvrir à une once d'humanité.
Ou alors, est-ce un de ces malentendus jamais levés ?
Je reste dans l'attente, on ne sait jamais.

(Ici encore, je saute les passages féroces où un fiel acide se déversait. Cette exsudation soulageait, sur le moment, c'est vrai. Mais elle ne changeait rien à l'histoire, et ne changerait pas davantage, sûrement, à l'avenir. Je préfère laisser les mots mauvais retourner dans leur antre. Un peu d'air leur a fait du bien, un petit dépoussiérage saisonnier les maintient à la mémoire, parce-qu'ils ne peuvent tout de même pas se laisser oublier.

J'écoutais ces dernières semaines une chronique radiophonique sur France-Inter, le samedi soir, au retour de la jardinerie : il y était question de méditation, de bienveillance, d'amour et de paix. Le tout distillé d'une voix suave, sur des notes pures et cristallines d'une cithare.
J'ai écouté, attentivement, et admis le bien fondé de la thèse. 
En en connaissant les limites, pour moi : une bonne décharge de méchanceté, ça soulage, aussi, et fait du bien ! J'en fais régulièrement l'expérience, et suis bien-sûre de ne pas être la seule, allez !

Et puis, moi, méchante, je ne le suis pas, n'est-ce pas ? Non, moi, je suis malaaade...
La molécule me détruit la rate au court bouillon. A ce prix pas modique, je peux espérer tenir à distance les gouffres noirs d'une neurasthénie dévoreuse. Pour les pics hypomaniaques contenus, j'en profite, sans vergogne.
Il me faut parler et planter mes flèches, tant que je le peux. Dans la tombe, je serai muette, pas avant.
Cette agressivité pourrait être perçue comme un poison, une entrave à toute résilience bénéfique. Je suis persuadée, moi, de son effet protecteur. S'entêter à vouloir tout pardonner, tout justifier, peut aussi être un carcan étouffant. S'obliger à fermer les yeux sur un passé glauque, au prétexte qu'il faut aller de l'avant sans s'en alourdir, prive aussi des bienfaits d'une expérience formatrice.
J'essaie de trouver le bon équilibre, toujours et encore, entre le ressassement stérile, et la connaissance préservatrice des ombres portées. La résilience de Boris, mon maître à penser du moment, c'est résister pour mieux avancer. Et, pour résister, il faut savoir à quoi l'on doit résister, et le tenir à l’œil. C'est mon point de vue, je le défends, et m'en porte bien, maintenant.
Clôture momentanée de ce chapitre).

Dans les autres événements marquants de ce mois d'Août 2019, nous avons eu le G7.
Ce sommet présidentiel, jusque là passé inaperçu pour moi, s'est imposé dans notre actualité locale.
Une horde de forces de l'ordre caparaçonnés arpentait les routes, bien visible et démonstrative.
A Biarritz, une jolie représentation de la chape policée posée en convention politiquement correcte sur une corruption à grande échelle, des arrangements en sous-mains et sous la table, réunissait nos grands hommes d'état.
A Hendaye, le contre-sommet ameutait une troupe présentée comme sauvage de Huns nordiques, décidés à mettre la contrée à feu et à sang. Un suspense désagréable crispait les entrailles. Notre Kottep était sur les dents. Tout le monde attendait,  dans l'inquiétude, pour la plupart. Ca faisait penser à une grande bataille, quand, à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, (Victor Hugo XIXème siècle), les troupes en rangs serrés s'observent dans un silence de mort, avant de lancer la charge meurtrière.

Le samedi 17 Août, une semaine avant le début du sommet, à l'aube, à l'heure où la campagne rosissait du soleil a peine levé, je me présentais au volant de Grand Modus, sur le Rond-Point de la Croix des Bouquets, en route citoyenne vers mon poste de travail.
Quatre véhicules de police marquaient les quatre points cardinaux.
On m'intima de m'arrêter, de descendre la vitre, et de présenter mes papiers.
Que je n'avais pas.
J'expliquai que j'habitais tout à côté, que j'allais travailler.
Mes explications furent rejetées votre Honneur, et je fus mandée d'aller quérir lesdits papiers.
Maugréant contre ce contretemps, n'en pouvant mais, j'obtempérai.
Revenue d'après moi avec tout ce qu'il fallait, je présentais à l'agent imperturbable et glacé, mes justificatifs d'exister.
L'homme inspecta les documents, les retournant, les reniflant avec dédain, presque.

- Votre carte d'identité a trente ans. Elle est périmée. Vous avez bien changé, pendant ce temps. Vous êtes dans l'illégalité.

Ca fait toujours plaisir à entendre.
J'avançais mon permis de conduire. 

- Ce n'est pas le même nom que sur votre carte d'identité. Ce n'est pas valable non plus. Je ne peux pas vous laisser passer.

Excusez-moi d'avoir été mariée, à l'époque...
Mes suppliques laissaient l'homme de marbre.

- Qu'est ce qu'il faut que je fasse ? 
Que je dise à mon patron que je ne peux pas venir travailler ?

- Votre patron ? Et bien, moi, le mien, il me dit de ne pas laisser passer les gens qui n'ont pas leurs papiers en règle !

Finalement, adouci par ces collègues moins intransigeants, l'homme consentit à à s'écarter.

- La semaine prochaine, vous ne passerez pas, m'avertit-il.

Je fulminai, comprenant comment à Nice, un 38 tonnes pouvait passer inaperçu, si les forces de l'ordre se concentraient sur des délinquants dans mon genre.
A la réflexion, je convins qu'il était légitime que nos policiers soient aiguillonnés d'une vigilance accrue sur Hendaye, quand ils paraissaient plus sereins à Biarritz : 7 pimpins orchestrés à la minute près sont plus faciles à gardienner qu'une horde de 20000 sauvages annoncés, dont on ne sait ni qui ils sont, ni où ils vont et ce qu'ils font.
Bref...
Tout penaude, je repris ma route vers la jardinerie. L'ombre de la "loi" implacable planant sur mes jours prochains.

A la relation de ma mésaventure, mon père s'émut. Ils sillonnent avec Beñat les rues de la ville. Ce G7 prochain les émoustillait. Ils aimaient voir les cohortes de motards, les gendarmes avec leurs chiens, et toute cette panoplie de nos défenses nationales. 
Ils tenaient à pouvoir circuler librement, dûment certifiés dans leur civilité.
Mon père ressortit sa carte d'identité, vieille, elle, de cinquante ans.
Il déplia soigneusement son permis de conduire. S'enquit de son permis de chasse, tant qu'on y était. Je lui proposai pourquoi pas son carnet de vaccination, et sa carte de groupe sanguin.
Toutes ses poches garnies de papiers, il se sentit mieux, et reprit ses rondes citadines.

Finalement, le fameux samedi 24, jour du massacre de la Saint Barthélemy, nos routes s'ouvrirent larges et désertes. Le moindre museau levé rameuta les troupes de l'autorité.
Il ne se passa rien, au contre sommet. Pas grand chose non plus, sans doute, au sommet...

Un mariage prévu de longue date à l'Hôtel du Palais fut décanillé d'une pichenette.
Tout de même, ils auraient pu dire à Donald : j'étais là avant !
Enfin...

Voilà pour les grandes lignes retenues par moi sur la période.

Je m'en tiens fermement aux préceptes de mon mentor Boris.
Ecrire, c'est faire savoir, réunifier son histoire et sa mémoire. Ecrire, c'est bien, et c'est bon.
Puisque c'est lui qui le dit, ce grand spécialiste référent, on peut s'y fier.
C'est un peu comme quand Madonna porte des bottes en caoutchouc, ça fait mode, c'est dans le vent et ça se suit dans le monde entier. 
Alors que quand c'est moi qui les porte, et bien avant elle, ça fait juste paysan. Allez comprendre !

Un traumatisme, toujours d'après Boris, vous ferait jeter des mots sur le papier. Le manque ou la perte vous pousserait à "écrire des soleils, la nuit".
Pour moi, me réunifier, tendre toujours vers cette congruence après laquelle je continue de bêler, l'envie et le besoin m'en sont venus depuis longtemps. J'écris depuis toujours.
Le faire savoir, publier, puisque par le circuit académique je n'y suis pas arrivée, GueGuel m'en a donné la chance.
La découverte surprise de ma vulnérabilité, ces toutes premières crises repérées de ce satané Ménière, en 2014, m'a amenée à cette tentative de clarification, de réunification d'une personnalité écartelée entre force et faiblesse, malmenée entre pôles contraires.
Les coïncidences des rencontres, des faits, m'ont confortée dans cette illusion d'un parcours linéaire d'une vie avec un sens, quand l'image d'instants juxtaposés d'un arbitraire complet paraît bien moins séduisante.

Se raconter sa vie, la raconter aux autres, c'est une manière salvatrice d'en faire une histoire à son goût. Une manière efficace de continuer de la vivre bien.
C'est ma seule visée. Mon unique projet.
Aligner les moments, joliment, comme on agence les mots, pour le plaisir de leur musique.



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