lundi 23 septembre 2019

23 septembre



Lundi 23 septembre 2019 18h15

Nous rentrons avec Olivier d'une grande tournée dans ses domaines landais.


Mon grand cachottier de mari m’a fait une bien belle surprise :

Nous marchions dans l’après-midi silencieuse, arpentant les landes planes à perte de vue, les horizons infinis où le regard s’accroche seulement aux bosquets épars et aux haies bocagères, au fin fond d’étendues sillonnées de chemins pâles.


 

Sous le ciel gris étale, quelques hérons outragés se hissaient dans les mares immobiles d’eau grise.
Des trouées d’eau stagnante bordées de vase parlaient du maléfice d’un engloutissement sans fond.











En bordure de champ, dans les fossés asséchés, les racines lavées des eaux hivernales soutenaient des bouquets d’arbustes en îlots surélevés, burinés par le passage des animaux.































Nous avons croisé des hordes de chevaux pas du tout sauvages, de belles bêtes rondes et lisses, aux méplats luisants sous les franges de crins blancs.
Un croisé d’âne a ébouriffé pour nous ses longues oreilles, un jeune poulain taquin mordillait un petit ras de jarret, d’autres bêtes lourdes et longues martelaient la sente poussiéreuse de leurs larges sabots.



Sous les chênes séculaires, le long de plaines bleuies de bleuets, la nature amicale déroulait au regard sa beauté tranquille.
Nous étions bien.
Nous avons marché longtemps dans l’après-midi calme.

A un moment, Olivier s’est engagé dans une longue sente ombrée de grands arbres. Au sol, les traces de sabots emmêlées creusaient la terre meuble.








Je l’y ai suivi, goûtant l’abri de cette arche végétale.
Tout au bout, en clairière, un champ s’ouvrait.



Mon grand mari s’y est avancé, et, me voyant déboucher derrière lui, s’est retourné dans un grand sourire :
Un troupeau de vaches !







Moi, bêlant ici le manque des miennes, j’en avais devant moi près d’une centaine !!
Fièrement, Olivier m’a présenté ses princesses d’ici. De ces blondes fadasses sans charme pour moi, oui, mais aussi, bien plus attirantes, des croisées grises pommelées, quelques fauves, une normande cousine de ma Bigoudi.












J’étais ahurie, ramenée dans mon monde, marchant entre les groupes épars. Beaucoup de jeunes bêtes, de très belles bêtes. Des silhouettes massives, élégantes dans leur robustesse. Des cornes bien évasées, arquées vers le ciel.
J’y voyais un mélange de bazadaise mêlée de charolaise, avec sans doute un fond de blonde.
La petite normande au milieu paraissait incongrue.
Dans le fond, je vis l’auteur de ces pelages grisés : le vieux mâle, ruminant le soir d’une bonne journée de pâture.


Olivier m’avait ménagé cette surprise de taille, sélectionnant les croisements les mieux réussis.
Il me présentait avec une légitime fierté son cheptel, sa réussite et son cadeau.
Quel grand farceur, tout de même, mon Olivier !


Je suis revenue toute émerveillée de notre promenade. Mes petites beautés d’Agorreta ne dépareraient certes pas, à Rivière. 
Là, pour le coup, des beautés, j’en ai ici… et là bas !










septembre




Lundi 23 septembre 2019 9h

Je suis en villégiature à Rivière.
Ces séjours me plaisent bien. Les forêts d'ici s'enluminent des feuillus penchés sur les barthes et l'Adour alenti.

Pas trop de châtaigniers par ici.
Ceux d'Agorreta dorment dans leur lit douillet.

Une première envolée d'hirondelles a vidé l'étable des pépiements du petit matin.
Les dernières virevoltent, pressées de régler leurs affaires, avant le départ.

Nous aussi, nous finissons de régler nos affaires, enfin...

Je reprends ici mes prospections châtaignières. Elles marquent la saison, et ponctuent dans ce temps au  fil long un moment privilégié.


Mercredi 11 septembre 15h30

L'automne s'annonce résolument.
Les journées cristallines aux aubes étirées en langueurs ocre rosées s'embrument du voile de la saison des couleurs douces, de la lumière moins vive, du soleil plus bas.
Ma saison favorite, sans doute celle la mieux imprégnée de cette nostalgie dolente que je sais maintenant être ma nature profonde, constellée de flamboiements incendiaires des couleurs des feuilles prêtes à tomber, avec panache.






Mes châtaigniers avancent : les bogues épanouies commencent à tomber. Les capsules hirsutes posées sur les flaques, de vert tendre, virent au marron sale.
Ces petits navires sont les pionniers de l'aventure prochaine des autres bogues, accrochées encore.






Le grand hêtre du petit bois trône en maître de sa forêt. Son tronc lisse et fort darde dru une énergie venue de loin, et, si rien ne vient faire un accroc à ce parcours lent, partie pour bien plus longtemps encore.










Je mène mes investigations toujours dans le même ordre. Dans les sous bois doucement ombrés, le vieux chêne résiste aux assauts du jeune châtaignier bien décidé à crever sa suprématie. Ces deux-là lutteront un moment encore, l'un décidé à percer, et l'autre à s'accrocher de toute la puissance de ses racines profondément enfouies en terre. Je ne verrai peut-être jamais lequel des deux l'emportera, tant est long le temps de ces grands arbres.







Plus loin sur mon chemin, le cinquième châtaignier, dans la pleine vigueur de sa deuxième décennie, commence, lui, à s'imposer dans son périmètre. Bientôt, son ombre portée étouffera toute velléité végétale sous sa frondaison. Il admettra quelques herbacées courtes et discrètes, guère davantage. 



Le triangle bleu de la Rhune pointe le mitan de mon horizon. Ronde et placide, elle me dit le temps qui passe, et les ardeurs qui s'émoussent, comme son pic aplati.








Les bois flotté dans la mare immobile en fond de combe, Lola et les deux autres, eux aussi, avancent en âge. Leurs fougues s'aplanissent et leur course ralentit. Ils restent mes chiens enjoués et fidèles. Mes petits compagnons lutins encore, et bien folâtres parfois !






Le dernier châtaignier de la lignée s'étoile de ses bogues claires bien partagées sur sa ramure ronde.
Mes six sujets ne "boguent" pas pareil. Loin de là. Il y a alternance flagrante entre les quatre premiers. Un arbre couvert de bogues aux côtés de son voisin, à peine parsemé de rares boules timides. Une histoire de fructification sur un cycle de deux années, peut-être, comme sur les fruitiers ? Une affaire de pollinisateurs presque stériles ? Il me faudra plusieurs années encore pour établir des rapprochements fiables. Mon entreprise sera longue, et je la mènerai avec patience.



Dimanche 15 septembre 2019 17h50


Juste avant l'orage, alors que le tonnerre roule ses grondements sourds, nous avons été avec Olivier ramasser les châtaignes tombées.
Germain Lafitte préconisait le "boguage", c'est-à-dire la cueillette sur l'arbre, au moyen de longues perches.
Le vent du sud des jours derniers à "bogué" pour nous. Les fruits mâturés sont tombés.
Mon étude étant gouvernée  par la recherche du plaisir, j'ai profité de cette aide pour me faciliter grandement la tâche.










Mes six châtaigniers témoins m'ont livré leurs fruits nacrés. Leurs fruits lisses et doux à toucher. Leurs fruits plats ou bombés, aux irisations claires ou plus foncées. Striés, veinés, miellés ou de sombre ébène.
Une récolte attendue par le paysan patient et fervent d'un espoir fragile. 
Le suspense de la bogue entrouverte, fermement maintenue dans l'étau des pieds, les bras ouverts pour garder l'équilibre, et les fruits vulnérables et humides, découverts dans leur gangue protectrice. La joie et le plaisir sensuel de prendre en main ces fruits pleins, brillants d'une lumière étonnante dans cet antre bien gardé.
L'ambiance feutrée et bienveillante du sous-bois, la lumière filtrée par les frondaisons de plus en plus minces des feuilles bientôt désincarnées.
Une après-midi de dimanche douce et paisible.
Une promenade en forêt, entre les fûts longs des arbres centenaires.

Au retour, débouchant sur le chemin où le soleil bas étire son ombre plus légère, nous nous laissons cueillir à notre tour par la surprise de revenir là, comme d'un monde lointain.

J'ai dans ma chronique en basque repris ce moment savoureux en lui-même, et savoureux de cette langue aux sonorités abruptes comme la bogue fermée, et chaleureuse comme la châtaigne mûrie :

Gehienek, errestasuna autatuz, lurrerat erortzen direnean biltzen ditugu gaztainak.
Urriaren igande arratsalde eder batian, eguzki beroak argitzen dituenian ostarteak, laino zuri luze batzuek zeruan etzanta, hor dituzue gaztain biltzailiak oihan bazterretan, saski ttiki bat besoan.
Gaztain azpian morkotxak lurrean, erdi idekian, gaztain buztan illetxuak ageriz.
Hor bi zangoko erripototzen artean tinkatu, kasu emanez ez pintxoak axiki egitia, eta morkokxa ideki, arrautz bateri koska kentzen zaion bezala.

Beititzia aski, eskuetan dituzue gaztain ederrak, dirdirizan, lehun lehunak. Gauza goxua eta pollita izaten da gaztain bat esku zolian biribiltzia, haren mar argiak eguzkitan jostazitzia.
Morkotx batzuetan bi ale, bertze batzuetan hiru, erdikoa leporatua bi baztereko lodien artian.
Saskirat bota, ttak ttak ttak, eta bertze morkotx bateri urbil urbilian lotu.
Fite betetzen da saskia, piso onekoa besuan puntan.
Arratsaldea goiz illuntzen da, zeruan iguzki erortziak xutan jartzen dituelarik lañu luzeak. Freskura apaltzen da oihan azpietan. Saskia ongi kalatu saietsian, eta tira bidexkari, azkeneko berotasunez gozatzea. Gaztain osto zabalak eta luzeak, orituak, ematen dute urrezkoak. Bidexkan aldian adar edur beltzakoak eskaintzen dituzte nahi duenari gozatu.
Igande eder bat, goxoa, pausagarria eta denbora txaretako buruan atxikitzeko modokoa.

Etxerat sartu, gaztainak zabaldu, eskuetan oraindikan bero beroak, eta eguzkiaren dirdiriza azalean marazkatua.





Lundi 18 septembre 17h

J'ai semé mes châtaignes. J'en ai scientifiquement répertorié les variétés. Je les nommerai au gré de mes inspirations.
Selon les prescriptions de Germain Lafitte, j'ai initié ce semis d'automne, dans un terreau léger.
Pour me garantir d'un possible insuccès, j'ai aussi prévu un hivernage en caissette, dans du sable bien sec.

Revenant à mes premières amours, j'ai mené mes prospections à la "montagne". Là bas, les moignons des arbres sciés et ensuite repartis, vieux de plusieurs centaines d'années, promettent des variétés plus originelles, protégées des pollinisations croisées dans les combes abritées.
J'ai traversé sous les lianes amazoniennes des ronciers sages et des fougères plantureuses, ordonnancés par les plans horizontaux des noisetiers suspendus au dessus, en demi monde entre la végétation basse et la haute canopée.
Le soleil filtre au travers, touchant de son doigt lumineux, ici ou là, une feuille morte, un caillou, une herbe gracile.
Les chiens furètent, émoustillés de ces odeurs nouvelles, de ces pistes inédites.
Je marche dans le silence, foulant le tapis craquant des feuilles déjà mortes. Je ramasse mes châtaignes, entre les bogues déjà ouvertes et vidées.







Là aussi, dans ce milieu pourtant protégé, les hybridations ont mélangé les essences, brassé les variétés, en une diversité bien marquée.
Je vais inclure ceux-là avec ceux d'Agorreta, leur faire une place aux côtés des miens.





Il me faut attendre maintenant.

lundi 9 septembre 2019

Août



Lundi 9 septembre 2019  8h30

Délocalisée à Rivière pour un dimanche de retrouvailles entre amis,  toujours pareil, je repense à Agorreta.
Je repense à mes levers de soleil sur les monts de la pinède. Bel astre rentre au bercail, après ses envolées vers l'océan.
Ce début de septembre est très automnal, avec ses aubes boréales irisées dans les ocres et ors rosés.
J'entre dans ma saison préférée. Comme disait Chateaubriand : "j'entrais avec ravissement dans la saison des frimas". Souvent la plus belle saison de l'année, par ici, d'ailleurs. Pas du tout celle des frimas.









Je migre maintenant épisodiquement, à petites doses, le temps d'une journée ou deux.
Bien loin, je l'espère,  le temps où j'accourais ici comme on se réfugie.

La journée d'hier fût bien plaisante : bonne chère, meilleure encore compagnie.

Un bien joli dimanche.


Je rentre à Agorreta ce soir, retrouver les miens, bêtes et gens.

Les travaux de rafraîchissements à la ferme m'ont absorbée ces deux-trois dernières semaines. Je suis contente du résultat.  Je vais propager comme l'onde mes talents (!) à tous les étages, pour une "revisitation" de l'ensemble, au goût du jour.
La ferme est vieille. Elle a subi bien des outrages. Ne s'offusquera pas des miens, dispensés  avec respect et bienveillance, à défaut d'adresse.

Cet exil, encore, loin de ces pages, m'aura peut-être sevrée de cette addiction exigeante et tenace. 
Je vais, qui sait ? parvenir à distancer mes chroniques. M'en tenir à un petit mensuel survolant les faits sans s'y plonger tête dans le guidon, bouillonnant des vagues écumantes d'une spontanéité sauvage. Peut-être...
Je me fixe de moins en moins d'objectifs rigides, admettant maintenant mon inconstance à m'y tenir. Quand j'étais persuadée du contraire jusqu'à il y a peu. Je suis inconstante, il est vrai, clamant ici une résolution piétinée là, juste après, en toute bonne foi.
Cette nouvelle vision de ma petite personne ne me déçoit plus. Elle m'intrigue et m'amuse, plutôt. Les rondeurs des arêtes usées par le temps enveloppent aussi mes aspirations. Elles deviennent plus accessibles, moins contraignantes, tellement plus confortables !

Des quelques notes posées à la volée sur papier, je retiens quelques saillies.
Quelques jours de distance en arrondissent bien les angles, et les giclées quelquefois acides en perdent leur aigreur. Les bonnes "zondes", elles, en maturent en sucs savoureux. Ce n'est pas plus mal, je le crois.

Lundi 19 Août : 3h30

Les bouillonnements dans ma tête me jettent hors du lit. 
Suivant les préceptes de Boris Cirulnik, neuropsychiatre mondialement reconnu, je mets en mots, sur papier, pour n'en pas étouffer.

(Ici, les trois semaines de décantation ont bien adouci les ardeurs mauvaises. Je relis mes notes du moment, rature les traits inutilement méchants. Garde quand même trace de ces sentiments d'alors, et les revendique pour leur spontanéité, ... leur légitimité !

Christian Bord est mort dans la nuit de samedi à Dimanche.
Ces Bord, notre Colette, nos premiers estivants de la ferme, perdurent dans leurs traditions, et viennent en villégiature estivale à Hendaye. Ils logent chez le frère aîné.
Christian, malade depuis plus d'un an, le foie rongé par un cancer bien décidé à maintenir ses crocs plantés dans cette viscère à détruire, a juste eu le temps de nous saluer, moi et mon père.
Amaigri, fatigué, mais souriant encore, il a trouvé la force de sortir de la voiture, pour serrer la main de mon père, et m'embrasser.
Ses yeux délavés disaient bien la résignation. Je l'ai appris à cette occasion, Christian avait une sœur jumelle, morte à la naissance. Il parlait souvent, paraît-il, de cette séparation, de ce demi tour de sa sœur, repartie vers les limbes d'où elle était à peine sortie. Il regrettait sans doute de n'avoir pas su la tirer vers la lumière, et cette lourde culpabilité des survivants l'engluait en l'empêchant de goûter sa propre vie, d'après lui imméritée, sans amertume.
"Ce n'était pas un battant", dit de lui sa veuve toujours énergique. Ou alors, avait-il la vision plus juste et aiguisée de ceux qui savent, et ne veulent pas se laisser distraire de ce savoir ? 
Je ne sais pas, je suppute.

Dans ce moment tragique où un pauvre homme se fait emporter dans la mort, il a trouvé assistance auprès de celui-là qui a tourné le dos, au moment où sa propre mère agonisait en le réclamant. Prétextant en alibi-refuge... le navet !
Je garde une rancœur bien compréhensible, je le pense, de ce dos tourné, de ce cœur fermé, à un moment où les plus obtus devraient s'ouvrir à une once d'humanité.
Ou alors, est-ce un de ces malentendus jamais levés ?
Je reste dans l'attente, on ne sait jamais.

(Ici encore, je saute les passages féroces où un fiel acide se déversait. Cette exsudation soulageait, sur le moment, c'est vrai. Mais elle ne changeait rien à l'histoire, et ne changerait pas davantage, sûrement, à l'avenir. Je préfère laisser les mots mauvais retourner dans leur antre. Un peu d'air leur a fait du bien, un petit dépoussiérage saisonnier les maintient à la mémoire, parce-qu'ils ne peuvent tout de même pas se laisser oublier.

J'écoutais ces dernières semaines une chronique radiophonique sur France-Inter, le samedi soir, au retour de la jardinerie : il y était question de méditation, de bienveillance, d'amour et de paix. Le tout distillé d'une voix suave, sur des notes pures et cristallines d'une cithare.
J'ai écouté, attentivement, et admis le bien fondé de la thèse. 
En en connaissant les limites, pour moi : une bonne décharge de méchanceté, ça soulage, aussi, et fait du bien ! J'en fais régulièrement l'expérience, et suis bien-sûre de ne pas être la seule, allez !

Et puis, moi, méchante, je ne le suis pas, n'est-ce pas ? Non, moi, je suis malaaade...
La molécule me détruit la rate au court bouillon. A ce prix pas modique, je peux espérer tenir à distance les gouffres noirs d'une neurasthénie dévoreuse. Pour les pics hypomaniaques contenus, j'en profite, sans vergogne.
Il me faut parler et planter mes flèches, tant que je le peux. Dans la tombe, je serai muette, pas avant.
Cette agressivité pourrait être perçue comme un poison, une entrave à toute résilience bénéfique. Je suis persuadée, moi, de son effet protecteur. S'entêter à vouloir tout pardonner, tout justifier, peut aussi être un carcan étouffant. S'obliger à fermer les yeux sur un passé glauque, au prétexte qu'il faut aller de l'avant sans s'en alourdir, prive aussi des bienfaits d'une expérience formatrice.
J'essaie de trouver le bon équilibre, toujours et encore, entre le ressassement stérile, et la connaissance préservatrice des ombres portées. La résilience de Boris, mon maître à penser du moment, c'est résister pour mieux avancer. Et, pour résister, il faut savoir à quoi l'on doit résister, et le tenir à l’œil. C'est mon point de vue, je le défends, et m'en porte bien, maintenant.
Clôture momentanée de ce chapitre).

Dans les autres événements marquants de ce mois d'Août 2019, nous avons eu le G7.
Ce sommet présidentiel, jusque là passé inaperçu pour moi, s'est imposé dans notre actualité locale.
Une horde de forces de l'ordre caparaçonnés arpentait les routes, bien visible et démonstrative.
A Biarritz, une jolie représentation de la chape policée posée en convention politiquement correcte sur une corruption à grande échelle, des arrangements en sous-mains et sous la table, réunissait nos grands hommes d'état.
A Hendaye, le contre-sommet ameutait une troupe présentée comme sauvage de Huns nordiques, décidés à mettre la contrée à feu et à sang. Un suspense désagréable crispait les entrailles. Notre Kottep était sur les dents. Tout le monde attendait,  dans l'inquiétude, pour la plupart. Ca faisait penser à une grande bataille, quand, à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, (Victor Hugo XIXème siècle), les troupes en rangs serrés s'observent dans un silence de mort, avant de lancer la charge meurtrière.

Le samedi 17 Août, une semaine avant le début du sommet, à l'aube, à l'heure où la campagne rosissait du soleil a peine levé, je me présentais au volant de Grand Modus, sur le Rond-Point de la Croix des Bouquets, en route citoyenne vers mon poste de travail.
Quatre véhicules de police marquaient les quatre points cardinaux.
On m'intima de m'arrêter, de descendre la vitre, et de présenter mes papiers.
Que je n'avais pas.
J'expliquai que j'habitais tout à côté, que j'allais travailler.
Mes explications furent rejetées votre Honneur, et je fus mandée d'aller quérir lesdits papiers.
Maugréant contre ce contretemps, n'en pouvant mais, j'obtempérai.
Revenue d'après moi avec tout ce qu'il fallait, je présentais à l'agent imperturbable et glacé, mes justificatifs d'exister.
L'homme inspecta les documents, les retournant, les reniflant avec dédain, presque.

- Votre carte d'identité a trente ans. Elle est périmée. Vous avez bien changé, pendant ce temps. Vous êtes dans l'illégalité.

Ca fait toujours plaisir à entendre.
J'avançais mon permis de conduire. 

- Ce n'est pas le même nom que sur votre carte d'identité. Ce n'est pas valable non plus. Je ne peux pas vous laisser passer.

Excusez-moi d'avoir été mariée, à l'époque...
Mes suppliques laissaient l'homme de marbre.

- Qu'est ce qu'il faut que je fasse ? 
Que je dise à mon patron que je ne peux pas venir travailler ?

- Votre patron ? Et bien, moi, le mien, il me dit de ne pas laisser passer les gens qui n'ont pas leurs papiers en règle !

Finalement, adouci par ces collègues moins intransigeants, l'homme consentit à à s'écarter.

- La semaine prochaine, vous ne passerez pas, m'avertit-il.

Je fulminai, comprenant comment à Nice, un 38 tonnes pouvait passer inaperçu, si les forces de l'ordre se concentraient sur des délinquants dans mon genre.
A la réflexion, je convins qu'il était légitime que nos policiers soient aiguillonnés d'une vigilance accrue sur Hendaye, quand ils paraissaient plus sereins à Biarritz : 7 pimpins orchestrés à la minute près sont plus faciles à gardienner qu'une horde de 20000 sauvages annoncés, dont on ne sait ni qui ils sont, ni où ils vont et ce qu'ils font.
Bref...
Tout penaude, je repris ma route vers la jardinerie. L'ombre de la "loi" implacable planant sur mes jours prochains.

A la relation de ma mésaventure, mon père s'émut. Ils sillonnent avec Beñat les rues de la ville. Ce G7 prochain les émoustillait. Ils aimaient voir les cohortes de motards, les gendarmes avec leurs chiens, et toute cette panoplie de nos défenses nationales. 
Ils tenaient à pouvoir circuler librement, dûment certifiés dans leur civilité.
Mon père ressortit sa carte d'identité, vieille, elle, de cinquante ans.
Il déplia soigneusement son permis de conduire. S'enquit de son permis de chasse, tant qu'on y était. Je lui proposai pourquoi pas son carnet de vaccination, et sa carte de groupe sanguin.
Toutes ses poches garnies de papiers, il se sentit mieux, et reprit ses rondes citadines.

Finalement, le fameux samedi 24, jour du massacre de la Saint Barthélemy, nos routes s'ouvrirent larges et désertes. Le moindre museau levé rameuta les troupes de l'autorité.
Il ne se passa rien, au contre sommet. Pas grand chose non plus, sans doute, au sommet...

Un mariage prévu de longue date à l'Hôtel du Palais fut décanillé d'une pichenette.
Tout de même, ils auraient pu dire à Donald : j'étais là avant !
Enfin...

Voilà pour les grandes lignes retenues par moi sur la période.

Je m'en tiens fermement aux préceptes de mon mentor Boris.
Ecrire, c'est faire savoir, réunifier son histoire et sa mémoire. Ecrire, c'est bien, et c'est bon.
Puisque c'est lui qui le dit, ce grand spécialiste référent, on peut s'y fier.
C'est un peu comme quand Madonna porte des bottes en caoutchouc, ça fait mode, c'est dans le vent et ça se suit dans le monde entier. 
Alors que quand c'est moi qui les porte, et bien avant elle, ça fait juste paysan. Allez comprendre !

Un traumatisme, toujours d'après Boris, vous ferait jeter des mots sur le papier. Le manque ou la perte vous pousserait à "écrire des soleils, la nuit".
Pour moi, me réunifier, tendre toujours vers cette congruence après laquelle je continue de bêler, l'envie et le besoin m'en sont venus depuis longtemps. J'écris depuis toujours.
Le faire savoir, publier, puisque par le circuit académique je n'y suis pas arrivée, GueGuel m'en a donné la chance.
La découverte surprise de ma vulnérabilité, ces toutes premières crises repérées de ce satané Ménière, en 2014, m'a amenée à cette tentative de clarification, de réunification d'une personnalité écartelée entre force et faiblesse, malmenée entre pôles contraires.
Les coïncidences des rencontres, des faits, m'ont confortée dans cette illusion d'un parcours linéaire d'une vie avec un sens, quand l'image d'instants juxtaposés d'un arbitraire complet paraît bien moins séduisante.

Se raconter sa vie, la raconter aux autres, c'est une manière salvatrice d'en faire une histoire à son goût. Une manière efficace de continuer de la vivre bien.
C'est ma seule visée. Mon unique projet.
Aligner les moments, joliment, comme on agence les mots, pour le plaisir de leur musique.