vendredi 26 février 2021

20 au 26 février

 


Jeudi 20 février 2021  7h40







La période est fantastique d'aubes diaprées roses, bleues et or.
Chaque matin est un tableau nouveau. Un régal.



Dimanche 21 février 2021  9h30









Tels les druides anciens de la Gaule romaine, nous avons ce matin récolté le gui.
Mon homme juché sur le destrier de fortune a œuvré dans les hauteurs, encore une fois.
Il aime bien, ces temps-ci, l'air en altitude.





Mes châtaigniers bourgeonnent. Après la longue saison de pluies, la douceur avant le beau temps a affolé la nature. Tout bondit et s'élance, fouetté d'une énergie vitale irrépressible.

J'ai installé mon aulne auprès de mes protégés. Aulnes et châtaigniers sont compagnons. Dans les forêts naturelles, une couronne de jeunes arbrisseaux tachetés darde à l'aplomb des houppiers de châtaigniers. Sous terre se joue une association de mycéliums complémentaires. Mon aulne gardiennera la châtaigneraie, essaimera entre les arbres. Tout ce petit monde devrait cohabiter en une synergie réussie.

A l'automne prochain, je planterai le seconde tranche de plants. Mes miens et ceux de Sare auront alors trois ans. Ils seront suffisamment mâtures pour affronter la transplantation.

Ce projet suivra les rythmes naturels, de ces rythmes qu'on ne bouscule pas, impatient ou pas.

Ce rythme imposé apaise le mien. Et cette tempérance me fait du bien.

Depuis hier matin, une atmosphère étrange fige le paysage. L'effet ressemble à celui d'une forte gelée sans givre. Les arbres paraissent figés, les couleurs fondues dans une masse grise minérale.

L'air sent la fumée. Une crête de flammes vives descendait le long du flanc de la Rhune, hier soir.

J'imagine mal les cendres aspirées vers le ciel, au point de densifier l'air en une brume sèche.

On parle du sable saharien. Je l'aurais vu ocre. J'observe, dubitative, ce phénomène étrange et inédit pour moi.

Le monde aussi changerait, alors ?


Mercredi 24 février 2021  18h42


Je savoure ces journées de libertés. Ces journées sans horaires imposés, où je vaque sans m'inquiéter de l'heure. Je suis cependant une grande routinière. Horaires imposés ou pas, on me trouve aux mêmes endroits, aux mêmes heures, à un tout petit battement de temps près.  Mes jours de congés se quadrillent d'une trame toute aussi prévisible. L'idée d'une grande liberté dans un damier aussi bien marqué peut paraître incongrue.

Pourtant, maintenant, je me sens affranchie de toutes ces menues obligations qui m'harnachaient, du temps de mon père, et de celui d'avant. Les débuts de soirée, entre repas, passage des infirmiers, soins du coucher, étaient contraints dans une maille aux filets serrés. Le besoin de repos en début de nuit, avant les réveils intempestifs dès minuit passée, m'obligeait à me mettre au lit sitôt les logistiques bouclées.

Là, rien ne m'oblige ni ne me requiert. Je reste cependant asservie à des rituels inchangés, mais cet asservissement me paraît bien léger, puisque je m'y astreins par confort et facilité, non plus parce-que je ne pourrais pas faire autrement.

L'idée seule de la possibilité de m'y soustraire suffit à faire souffler ce vent de liberté qui me grise.

Et le fait de m'y soumettre s'allège considérablement, puisque cette soumission est choisie, et non imposée. 

Dans cette brèche étroite se faufile adroitement les conditionnements de masse, quand on laisse l'illusion de la liberté à ce qu'on tient sous sa coupe par des méthodes détournées.

On n'ordonne plus, on incite. Chacun est libre de faire ses choix, mais les conséquences, bonnes ou mauvaises, en sont si vite pointées, édictées, que dans les faits, le choix est pré-fait, par d'autres.

Puisque je ne me sens pas de taille à donner un grand coup de pied dans la fourmilière, je me contente de trouver un peu d'air dans des galeries agréables.


Nous arrivons au terme d'une année de coronavirus.

Je me souviens de cette même période, l'année passée. Les bruits du monde restaient hors de ma sphère.

Mon père donnait de sérieux signes de fatigue. Le mal logé dans sa moelle  s'était réveillé.

Je pressentais le joug oppressant de semaines difficiles.

Je ne soupçonnais évidemment pas le coup de massue qui allait nous tomber sur la tête, avec ce minuscule virus hirsute et son vent de panique mondiale.

Je vivais soucieuse du mal que je voyais venir. Complètement insouciante de cet autre, dont je n'imaginais pas une seule seconde la portée et les conséquences.

Pour moi, 2020 a marqué la fin d'un fardeau qui me devenait trop lourd. J'ai accompli ma promesse d'accompagner mes deux parents jusqu'au bout. Je m'en suis affranchie.

Le coronavirus m'en a donné la possibilité, en me permettant de rester avec mon père, à la ferme.

Ce qui pour la majorité a sonné le glas de la fin d'une ère légère a été pour moi l'occasion d'en finir avec un temps de plus en plus pesant, et de le faire au mieux.

Ma vision étriquée d'un monde égocentré me l'a montré ainsi.

Ce qui pour la majorité a été ressenti comme une privation de nos libertés essentielles, m'a paru complètement indolore. J'ai été une asymptomatique du confinement, vivant exactement de la même manière, libre ou confinée.

Ma liberté s'ébat dans si peu : une heure se sortie ? Une heure seulement ? Ah, oui, mais l'heure que je veux !  Un kilomètre ? Un kilomètre et pas plus ? Et bien, le périmètre inscrit dans cette circonférence, ça fait un petit monde, déjà. 

La seule issue de secours d'un possible choix, même un tout petit choix, aspire suffisamment d'air frais pour moi.  Un choix trop large ne me réussirait pas : il induirait une responsabilité trop grande, celle de faire le bon, choix, le seul parmi trop d'autres. 

Mon père est mort le 4 mai. Nous avons été "déconfinés" le 11.

Sauf que la menace a continué de planer. Et qu'elle le fait depuis suffisamment longtemps, pour avoir inscrit en nous cette faille où l'insouciance a sombré.

La seule alternative pourrait être d'apprivoiser ce sentiment d'une menace invisible, d'apprendre à respirer corseté.

Je remarque, comme beaucoup sans doute, combien le port du masque me devient plus facile, quand au début je le trouvais insupportable. Pour un peu, on se sentirait non seulement vulnérable, mais aussi démuni, sans.

Je me demande ce qu'il restera de tout ça.

Pour l'heure, je vais me faire griller des tartines. 

Savourer cette grande liberté de se faire un goûter à l'heure de dîner.

Toute une aventure...


Vendredi 26 février 2021  16h20


Je surveille l'arrivée de Tito.

Mes petits ouvrages réclament artisans. Mon projet est tout à fait modeste, et pourtant, il me requiert plus que je ne le voudrais.

Mon seuil de tolérance s'est terriblement abaissé : le moindre contretemps, la plus petite contrariété, me perturbent.

Dans un petit chantier, même un tout petit petit, on fait difficilement l'économie d'un ou autre imprévu. A Agorreta, les travaux ont toujours été improvisés, plus ou moins en catastrophe, selon le degré d'urgence. Les repiquages et contournements se chevauchent, s'entrelacent et s'emmêlent, en un joli bordel.

Dans ces cas là, le mieux, ce serait presque de tout mettre par terre, et de recommencer, comme de zéro.  La seule idée m'en lève le frisson !

Non, cette fois encore, nous allons prendre garde à la vieille femme, ménager ses susceptibilités.

Y aller doucement.

La fée électricité est aérienne et s'installe sans dommages.

Pour l'eau, cette sacré eau d'Agorreta, c'est toujours une petite aventure. 

J'appréhende à chaque fois de me pencher sur ces lointains compteurs, dont les branchements parlent de moult tâtonnements et de doutes insondables.

Le coffret en lui-même est toute une histoire. Plusieurs boîtiers, plus de tuyaux encore, serpentant les uns sur les autres, laissent perplexes. En déterrant un peu, deux trois mignonnes vannes tendent leurs oreilles à la main. 

Je me rassemble, je me remémore. Oui, ce compteur là, c'est celui de la ferme. Mais alors,  quels tuyaux dessert-il ? A l'énoncé, comme ça, ça parait enfantin. La difficulté réside dans l'existence d'un deuxième coffret, où les tuyaux sortis du premier s'en donnent à cœur-joie dans une sarabande machiavélique. Déjà, de trois compteurs, on arrive à cinq tuyaux. Tiens donc. En se penchant mieux, ah, oui, non, ces trois là, ils sont reliés. Très bien. Mais reliés à quoi ? Ah çaa... on ne sait pas !

Il y a un bon petit demi-kilomètre entre les compteurs, et les maisons. Ca aide bien.

Mon intention ce matin, était de démêler quels tuyaux desservaient quelles parties de la ferme. Dans l'idée de diviser le circuit en deux réseaux indépendants. Puisque trois tuyaux se présentent, et que je n'ai besoin que de deux circuits, je suis large, il m'en reste même un de réserve, au cas où.

Inutile bien évidemment de chercher aux alentours de la ferme un quelconque coffret, où un joli rang de vannes rutilantes isolerait les secteurs. Non, non. Passé les deux coffrets des compteurs, tous ces joyeux tuyaux s'enfoncent profondément en terre, et font leur vie là dessous. A l'autre bout, une arrivée repérée, près de la cuve du surpresseur. Et, entre les deux, trois tuyaux rebelles livrés à eux-mêmes dans une contrée sauvage. Où vont-ils, que font-ils ?

Finement, j'ai observé les parages. Repéré dans le champ cet abreuvoir insolite. Alimenté d'un tuyau surgi de la terre grasse. Je me suis projetée quelques années en arrière. Ce jour où les trois mignonnes vannes ont été installées, là bas, en bas. L'artisan de l'époque, un grand gaillard jovial, je m'en souviens, devait bien avoir une idée en tête, quand il s'est échiné pour vanner sa nourrice.

Avec un peu de chance, l'un des départs de là-bas pourrait bien aboutir ici, pourquoi pas.

Ce serait jeu d'enfant à ce moment d'isoler ce tuyau et d'en faire le mien.

L'inconnu perdurait dans le cheminement de ces vaisseaux souterrains. S'étaient-ils à un moment séparés ? Restaient-ils malsainement arrimés ? 

Le grand gaillard au vannage semblait en tenir pour une sécession. Ca arrangeait mes affaires...

Ce matin, j'ai pris mon courage à deux mains. J'ai approché l'hydre à trois têtes : l'une était condamnée par la vanne fermée. Des deux autres, je choisis la dernière. Antton venu avec moi la ferma. Je craignais un blocage quelconque, près de quatre années ayant passé depuis sa pose. Et bien pas du tout : elle verrouilla la conduite sans faire d'histoire. 

Nous avions devant nous une triplette de vannes : la première était déjà fermée (pourquoi ? Nul ne sait !), la seconde restait  ouverte, et nous venions de fermer la troisième.

Mon espoir était le suivant : la vanne que nous venions de fermer desservait le tuyau emmanché dans l'abreuvoir. Et pas autre chose. Ainsi, je récupérerai ledit tuyau, et l'autonomiserai.

La même méthodologie s'appliquerait fidèlement à la vanne du milieu et à son tuyau, si besoin.

Il suffisait maintenant de retourner à la ferme, et d'ouvrir l'abreuvoir : plus d'eau, bingo ! nous avions touché le gros lot !

Nous remontâmes. J'étais confiante.

Arrivés au port, nous descendîmes dans le champ. Marchâmes vivement jusqu'à l'abreuvoir innocent. Appliquée, j'appuyai sur la tige d'ouverture de l'eau. Ppsshhiit. Normal, me dis-je, il en reste dans le tuyau. Pppssshiiit. Un moment passa. Un flottement me gagna. Ppppsshhiit. Le filet joyeux bouillonnait dans le bol, débordant sur l'herbe. C'est la colonne d'eau, me redis-je, avec toute cette longueur depuis le compteur, ça n'est pas étonnant.... Je regardai quand même la configuration du paysage, cette colline et ce vallon. N'étions-nous pas le point le plus haut ? L'eau, sans être poussée, ne devrait-elle pas s'arrêter de couler ?

Avec Antton, nous tâchions de nous rassurer : ce pouvait être un effet d'optique, et le petit mamelon faire une crosse à notre long tuyau. Il fallait attendre un peu, le flot ne tarderait pas à se tarir.

J'émis l'hypothèse raisonnable que cette vanne que nous avions fermée gérait peut-être l'arrivée à la ferme. Qu'alors, nous pouvions attendre longtemps, que l'eau s'arrête de couler ici, quand elle était bloquée là-bas.

Un peu perdus dans nos simulations prospectives, nous laissâmes couler l'abreuvoir. On ne sait jamais. Des fois qu'il s'arrêterait de couler. La dépense de toute cette eau perdue m'égratignait un peu, mais bon, dans la foulée de notre président, je me suis faite au "quoi qu'il en coûte".

Rassérénés par notre nouvelle hypothèse, nous remontâmes. Antton est maintenant aguerri à la marche, et je peinai presque à le suivre.

L'installation hydraulique de la ferme se complique de ce petit surpresseur dont j'ai déjà souvent parlé ici. Celui-ci, je commence à le connaître. Pour valider notre test sélectif, je devais couper la pompe, et remettre l'arrivée d'eau en direct. Sans ça, les 2000 litres de la cuve fausseraient gravement nos statistiques besogneuses. Je m'acquittai au passage.

Dans la cuisine, encore un peu essoufflée, j'ouvris le robinet. Ppsshhiit. Là encore, la longueur de tuyau, le point haut, et talali et talala.

Toutes ces chutes d'eau commençaient à me donner le vertige.

Antton et Beñat restaient dubitatifs. Nous décidâmes de manger. Nous verrions bien si l'eau s'arrêtait de couler quelque part, pendant ce temps. Le repas fut tout pollué de cette tracasserie lancinante.

Finalement, excédés d'entendre le flot sans faillir du jet d'eau, nous décidâmes d'aller couper la vanne générale, de façon à voir combien de temps mettrait l'eau à s'arrêter.

Antton retourna au compteur. Avant son retour, le robinet ne pleurait plus qu'une larme. Et le bol de l'abreuvoir s'arrêtât de goutter. Bon : ma théorie de la longueur de tuyau, du dénivelé et autres billevesées ne tenait plus.

Il fallut se rendre à l'évidence : tous nos tuyaux étaient solidaires, et l'eau là dedans s'amusait à nos dépens.

Nos vannes mignonettes ne vannaient que nous.

Bien. Mes aspirations à l'autonomie pouvaient se rhabiller. A Agorreta, la vie communautaire a ses pleins droits. Et n'a pas dit son dernier mot !

Et bien, puisque les éléments le demandent, encore une fois je me plie.

Un coquet divisionnaire suffira à éclaircir nos histoires d'eau, pour le moment.

J'ai passé une matinée, gâché une sieste et fatigué mes jarrets, c'est assez.

Je ne me lancerai sûrement pas à creuser, détricoter et séparer tous ces tuyaux joueurs. Qu'ils s'amusent en paix !

L'eau me viendra. Et le reste attendra.

Le chantier est à peine commencé. Je ne suis pas au bout...









vendredi 19 février 2021

12 au 19 février

 


Vendredi 12 février 2021  18h44


L'eau nous tombe encore sur la tête. Depuis ce début d'année, peu de jours nous sont venus ensoleillés. La terre gorgée s'ourle en ornières grasses où le pas glisse.

Je suis à peine sortie promener les chiens sur les flancs pelés de l'hiver. Une petite violette chiffonnée, souillée de boue, parlait envers et contre tout du printemps à venir.

Ce prochain dimanche à la ferme, nous allons œuvrer à réinstaller les hirondelles. C'est une préoccupation pour moi de les garder ici. Elles arriveront autour de la St Joseph, juste après le 20 mars. La première en éclaireuse sera forcément perturbée par les changements dans la vieille étable.  Mon idée est de lui proposer une position de repli agréable. Elle s'en retournera chercher les suivantes, et me les ramènera. Si tout va bien. 

Je me connais, si la première tourne les talons et ne me revient pas, j'en serai toute chamboulée. Cette augure funeste teintera de noir tous mes projets de l'année.

Pour éviter ça, autant que faire se peut, nous avons prévu de réutiliser la petite remorque d'Antxo. Ces vieux bois bien épais, cette ossature solide, arrimés au mur du fond, pourraient aller.

Il y a déjà dans ces parages deux nids lovés dans les tuyauteries. Deux nids restés stériles, pourtant.

L'hirondelle préfère les vieux bâtiments, et ne se rabat sur plus neuf que par défaut et dépit.

Je compte sur l'esprit de ce charpentier de marine, artisan soigneux et inspiré, pour me ramener les petits elfes ailés.

J'aiderai en ouvrant et fermant les portes idoines, proposant une issue ici et en refermant cette autre là bas.

Cela me fera un petit suspense de printemps.

Une de ces questions restées en suspens sur un devenir encore flou.

Le temps viendra, avec ses sanctions ou ses récompenses.

Espérer les secondes ne fera pas meilleur lit aux premières. 

Alors, dans le doute et la crainte, et quand bien-même, jusqu'à preuve du contraire, j'espère.


Dimanche 14 février 2021  19h20


Jour des amoureux. 

Pendant la promenade au grand soleil, nous avons croisé un petit couple de jouvenceaux timides, émerveillés de cet amour tout neuf sans doute déclaré pour l'occasion. Je les ai trouvés attendrissants.

Ca été le premier beau dimanche depuis longtemps, depuis le début d'année, peut-être, je ne sais pas.





Nous en avons largement profité.

Mon opération hirondelles a été mise en train.

Olivier donne son plein en ses occasions. Et mon regard sur lui s'énamoure. Vieille midinette pragmatique que je suis.











Nous verrons les effets. Nous sommes déjà contents de la mise en œuvre.






Au soir, j'ai contemplé alanguie les lueurs éclatantes du couchant. Je les aurai bientôt à disposition.

Un joli dimanche.


Mercredi 17 février 2021 7h50




L'aube moutonneuse a finalement levé une magnifique journée à la douceur estivale.

Tout le monde a ouvert largement portes et fenêtres. 

A la jardinerie, les clients se jettent sur leurs projets, avides d'air et d'extérieur.

J'ai récupéré 6 châtaigniers de Sare.

La première tonte de la saison embaume.

Nous sortons d'hivernage. Le paysage rincé exulte.


18h58

Notre nouvelle organisation des familles me laisse des plages de liberté inédites. Les retrouvailles autour de la table ronde sont mieux appréciées, de n'être plus systématiques. Je garde un rendez-vous fixe, le mercredi à midi, le reste fluctue au gré des circonstances et des disponibilités de chacun.

J'apprécie particulièrement les soirées, où aucun impératif ne vient hacher la fin de journée.

Je retrouve demain mes collègues. Une petite excitation de début de saison se propage à tous les étages. J'essaie de m'en préserver. Je ne suis plus dans le pool de tête, et ce relais passé me ménage. J'ai du mal à ne pas me laisser happer. Les fibrillations aiguisent une spontanéité toujours prête à avancer sur la scène. Et pas toujours bienvenue.

Jean-Michel en a fait l'expérience pas plus tard que mardi soir, au moment de la passation des châtaigniers, justement.

Une sortie surprenante, en réponse à un stimulus anodin, nous a figés dans une petite stupeur où les paroles lancées ne se rattrapent pas, main sur la bouche pourtant, mais trop tard.

L'échange partait pourtant gentiment, dans la douce soirée d'une journée salariée finissant précocement, avec ce couvre-feu à 18H. Au passage, la remontée jusqu'aux 19 sera difficile...

Un de ces moments où l'égo écarte brutalement la conscience, et déboule avec armes et bagages.

Notre Jean-Michel, usager pourtant des relations humaines et de leurs aléas, a été dépossédé de ses bonnes manières, dans une fulgurance de grossièreté saisissante.

J'ai pensé tout d'abord avoir mal entendu. Je n'ai jamais jusque là surpris Jean-Michel en flagrant délit de vulgarité. Et mon manquement auditif me joue trop souvent ce genre de tours. 

Je pris le parti de ne pas donner suite à ce que j'avais sûrement mal compris.

Me tournant sur le moment vers Vincent à tout autre propos, j'ai remarqué sur ce visage une expression médusée, et inquiète. Un de ces visages de qui s'attend à une suite désagréable, sur le point de subvenir, de nature à faire dans l'instant voler en éclats la paix de ce moment pourtant si doux la seconde d'avant.

Là, j'ai compris que j'avais bien entendu ce que je croyais avoir entendu, en pensant me tromper. En l'espérant, confusément, peut-être ?

Je reste bien évasive et un tantinet de précision rendrait mon récit bien plus clair.

Et bien, je n'ai pas envie, de le rendre plus clair, ce récit, bien sûre qu'à la relecture, je retrouverai ce dont il était question, tant l'incident m'a paru signifiant. Et tant son onde de choc m'a bousculée dans mes fondements.

J'ai sans doute mes défauts et mes failles, mais, je pense pouvoir le dire autant qu'on le peut de soi-même, je ne me dérobe pas à la difficulté, je l'affronte, du mieux que je le peux.

J'aurai pu hier au soir rétorquer vertement. Je ne suis pas en peine d'imagination, et j'aurais instantanément pu faire fuser à mon tour une insulte bien sentie.

Je ne l'ai pas fait. Je le disais il y a peu, une once de civilité a instillé dans mes veines.

Je me retournai vers Jean-Michel, et lui fit redire ce qu'il avait commis. Ebranlé lui-même de ces mots jaillis sans filtre, et de leur portée supposée, il s'excusa, se justifia, s'embrouilla. 

Son désarroi manifeste et la confusion de ses explications, amortit la brutalité de la chose. Je repris contenance, ramenai raisonnablement son propos à une sortie impromptue et malheureuse. Comme un pet impertinent expulsé au mauvais endroit et au mauvais moment.

On ne peut pas trop en vouloir à son auteur, même si on en est incommodé.

 A retardement, mon propre ego a évidemment fait des siennes : j'ai eu beau faire des pieds et des mains, il a réussi  à me donner une représentation négative de ce qui aurait du rester une anecdote sans conséquences.

Je l'ai bien reconnu là, cet égo inamical, et sournois.

Je revois Jean-Michel demain. Au mieux, nous réussirons par la plaisanterie à désamorcer le malaise, à expier la faute.

Sinon, nous mettrons une chape de plomb la dessus, dans l'intention d'oublier l'incident malheureux. Comme si j'étais du genre à oublier... moi, dont les rancunes palpitent pendant des décennies.

La nouveauté dans ma tournure se loge dans cette volonté à ne plus l'attiser, cette rancune ravageuse. Qui détruit plus sûrement celui qui la nourrit que celui qu'elle vise. (Je crois l'avoir déjà écrit, celle-là, par là). 

J'accepte maintenant plus facilement l'idée que les humiliations, trahisons, injustices et déceptions doivent être accueillies en creux dans les méandres obscurs où elles se tapissent dans nos propres cervelles. Et ne pas en rejaillir en explosions comme des grenades meurtrières. Un peu de sang-froid les fige suffisamment pour en contenir les ravages.

J'admets par expérience la difficulté d'un tel exercice, pour les gens un tant soit peu sanguins, dont je suis, mais m'y tiens cependant.

Je sais aussi par la même expérience combien le temps à venir éprouvera cette faculté bienvenue à ne pas regimber. 

Quand, le plus tard possible, une infirmière pressée, maladroite, ou brutale, si ce n'est les trois à la fois,  posera une couche souillée et suintante sur l'oreiller où elle va laisser retomber ma pauvre tête ballottante,  j'en serai moins révoltée, et ne piperai mot.

Ce sera tout aussi bien. Parce-que cette nuit là, je dormirai, ou pas, sur un oreiller sale et puant, mais, au moins, l'infirmière excédée ne m'aura pas étouffée avec.

Et, le lendemain, la séance toilette pourrait même en être plus douce, de cette allégeance prêtée en offrande à la déesse jeunesse...


Jeudi 18 février 2021 19h


La terre grasse est ourlée en labours sombres et profonds, dans le couchant du soir.

Je me souviens d'un soir de mars, plus de trente ans en arrière, quand, assise près de la fenêtre dans la cuisine de l'étage, je contemplai le soleil coulé dans les sillons hauts et clairs d'un printemps plus sec.

J'avais relaté alors ce moment, dans un de ces cahiers maintenant perdus pour moi. C'est dommage, j'aurais bien aimé en retrouver mieux la saveur dans les mots d'alors.

Là encore, j'essaie de ne plus en vouloir au malotru qui me les chaparda, mes précieux cahiers.

D'invoquer comme Christ en croix le Seigneur : pardonne-leur, Père, ils ne savent pas ce qu'ils font.

Je suis à peu près sûre qu'il savait ce qu'il faisait, ce bougre là. Même si de m'atteindre ne le soulagea pas tant qu'il l'aurait voulu, sans doute.

 Sûre aussi que mon souvenir de lui, entre oubli et pardon, s'en aplanira, et maintiendra dans les températures tièdes, les zones mémoires de mon cerveau à ménager.

Je l'ai écrit dernièrement, la civilisation le demande...


Vendredi 19 février 2021  11h13


J'ai préparé un bon repas pour mes deux convives favoris.

Quelques soufflées venteuses laissent la sensation d'une journée bien agréable, encore.

J'ai bien travaillé dans ma pépinière, hier, chavirée des couleurs et senteurs des floraisons printanières.

C'est aujourd'hui le jour, (expression très appréciée de ma défunte mère), de la coupe de printemps de ma vieillotte Lola.




Je me la couve, ma vieille chienne fidèle. Sa hargne apparente habille mal l'affection qu'elle donne. 

Je me l'aime bien quand-même, celle-là aussi...


17h



Une laitance de brume affadit le paysage.

J'ai ouvert grand la maison.

Ma Lola noire démone se découvre blanche colombe, là-dessous...


vendredi 12 février 2021

27 janvier au 12 février

 

Mercredi 27 janvier 2021 15h14


Je m'apprête à retourner faire mes valises en carton.

Une bonne sieste et un café fraternel en ce début d'après-midi, et je repars !

Je passe ici comme on entrouvre son placard préféré, là où on entrepose les gourmandises.

Un petit message en réponse à celui de mon pilier délicat m'en donne le prétexte.

Il pleut. Il fait doux, dehors. Ici, il ferait presque trop chaud; tant pis pour la dépense de bois, je tiens à garder mes intérieurs sains !

Après la prochaine palette, (ma carrière en magasin me conditionne totalement), j'irai jusqu'au cimetière. Les chiens gambilleront irrévérencieusement entre les tombes.

Bullou a retrouvé la pépite d'or dans ce bon regard où je plonge le mien. 



Jeudi 28 janvier 2021 19h


Olivier venu me voir me raconte son chantier du moment :








Il s'amuse comme un petit fou avec ces gros jouets.





Dimanche 31 janvier 2021  8h






Nous avons prévu d'attaquer le réaménagement de l'étable, ce dimanche.
Le chef de chantier jauge son ouvrage. Il y a du bois, des vieilles pierres, des conduites en cuivre, plomb, fonte. Un peu de tous les matériaux utilisés durant  le siècle dernier se retrouvent ici.







La remise à grains sert d'atelier de fortune.
L'équipement est prêt; au garde à vous.

Et go ! Top départ des festivités :









Antton et Beñat en prompt renfort sont arrivés au port.
Ca meule en gerbe d'étincelles. Ca tronçonne. Ca débite. Ca démonte et ça déboite.

C'est de la destruction pas trop massive. C'est pour la bonne cause. 
J'ai en tête mon étable en devenir.
La reconstruction s'annonce.






On va redémarrer.
Pas à zéro. Les enduits encrassés de toute la vie animale passée ici gardent la mémoire de ce temps où je me fonde et me base.
Et mon temps à venir renaîtra de là.

En attendant, je distribue des "biscottes neuves" (sic Antton) à Zaldi et aux deux génisses cousines.






Pour ne pas perdre la main.


Mercredi 3 février 2021 19h25

La future équipe chantier vient à peine de vider les lieux.
Je me fais rabrouer pour mes termes de profane non autorisée. Un ancrage en tire bouchon n'aurait rien à faire avec le même en queue de cochon...Bon. Une porte sur rail, d'après moi très explicite, ne désignerait sûrement pas une fermeture coulissante. D'accord. La sémantique professionnelle spécialisée a ses règles, et on ne s'y aventure pas sans montrer patte blanche. Je ne me formalise pas, je suis moi-même assez pointilleuse sur le bon usage des mots, pour admettre la même intransigeance chez mes interlocuteurs.

Tout se met en place gentiment, fluidement.
Autant il faut parfois désemberlificoter un écheveau hostile, autant, là, tout glisse comme sur du velours. Que cela nous dure !

Je continue mollement de préparer les dernières palettes. Je vais devoir m'arrêter : je ne vais quand même pas plonger la tête dans les cartons à chaque fois que j'aurai besoin de quelque chose, pour la seule satisfaction d'être prête à temps, trois mois trop tôt ! Ca me ressemblerait pourtant assez, ça...

Pour me détourner de cette tâche obsessionnelle, et contreproductive, je suis allée promener ma mini-meute à la montagne.
Le bois m'a paru laid de ses arbres morts, couchés, fracassés, en un vilain désordre. Les quelques plants graciles et fervents de lauriers d'Espagne, tirés vers la lumière en silhouettes élégantes, n'ont pas suffi à délayer toute cette tristesse grise.
J'ai quand-même trouvé du réconfort contre le tronc moussu d'un grand chêne ami. Txief s'est coulé contre moi, pendant que Bullou et Lola furetaient entre les grosses racines.
Ma petite Bulle a résolument retrouvé son allant. Le mal du pays le lui avait perdre, là bas, à Rivière. Nous y retournerons, en villégiature, et ma Bullou Bullette adorera fouiner le long des berges de l'Adour, sachant qu'elle rentre à Agorreta juste après.
Dès que les eaux me l'auront rendue, je retournerai dans la grande forêt. J'ai hâte. Il va me falloir attendre, là encore.
Et bien, puisqu'il faut attendre, attendons.
Et goûtons sans vergogne le bon repos, pour patienter sainement.


A Hossegor, Olivier continue de jouer avec les grosses machines :















De celles qu'on regarde autrement, quand on a suffisamment éprouvé dans les bras la peine qu'elles vous épargnent...







Vendredi 5 février 2021  18h23


Le couvre-feu ramène chacun chez soi.
J'ai la soirée pour moi, seule avec les chiens dans la ferme tranquille.
La fumée en volutes ondule sur le pré. Le poêle tourne rond. Cette semaine, l'odeur un peu acide des bois de l'ancien râtelier planait sous le plafond. Ce sera le tour ensuite des vieilles planches débitées et entassées dans le fond. 
J'ai fait à peu près le tour des dernières niches. Retrouvé avec nostalgie ces autres, confectionnées avec mon père. Ressenti à distance cette complicité pudique des gens taiseux qui font sentir, mais ne savent pas dire.
Moi, j'essaie de dire, d'écrire. Pas tout, ni partout. Ce que je crois devoir, et à qui bon me semble.

En ces périodes où on sait aujourd'hui ce que l'on devient le lendemain, autorisé, toléré, admis ou réprimé et interdit, cette liberté immense de déposer sa parole et ses mots ici plutôt que là, me griserait presque !


Lundi 8 février 202 18h59


Je me fais une petite séance avant le dîner.
La journée annoncée mauvaise a finalement été bien agréable. Nous avons même pris le soleil, face à la mer, ce soleil coulé entre les strates de la falaise, au dessus des flots émeraude dans la crique profonde. La muraille parfaitement bâtie, entre plaques de roches et couches de sédiments, frappée de l'eau forte à l'écume colérique, résiste à l'effondrement par pans de la terre plus molle.
Le relief se creuse en combes aux courbes profondes.

Nous avons pataugé dans la boue, mal chaussés pour une telle équipée, en touristes moyens.
Qu'importe ! La promenade fut vivifiante, et le panorama dépaysant.
Je découvre avec Olivier les parages côtiers, moi, citoyenne Hendayaise de près de 60 ans.
 
Avec lui, je découvre ma ville, plus largement les civilités, la civilisation, les règles de la vie communautaire. Toutes ces choses presque étrangères jusque là.
J'apprends  les bonnes manières. J'apprends à mieux faire, à ne pas tout dire.

J'apprends à museler une spontanéité pas toujours heureuse,  quand la mauvaise ironie y fait sa litière. J'ai ce penchant familial, racial ! peut-être ? à décocher des flèches imbibées de fiel, sous couvert d'une plaisanterie trop perfide.
Le trait me vient facilement, le bon mot me fait souvent marchepied.
La répartie ne me manque généralement pas. Même si, quand elle fait défaut, elle m'en manque encore davantage que si je ne l'avais pas si souvent trouvée à son poste.
J'ai remarqué combien une once de méchanceté colore vivement mes échanges. Et combien, cette once de méchanceté est coupablement appréciée par ceux-là qui n'en sont pas victimes, évidemment. Tant il est agréable de s'amuser aux dépens d'autrui, plutôt qu'à son bénéfice, dirait-on. Et tant il est plus amusant de mordiller, mordre, lacérer, que caresser dans le sens du poil. L'audience accélérée de certains de mes articles ne trompe pas : les coups d'aiguillons, bien plantés dans la chair sensible, lèvent manifestement plus l'intérêt des lecteurs que les dissertations  bucoliques ou simili-philosophales. Vilaine nature que la nature de l'homme...

J'essaie de prendre maintenant garde de filtrer ce fiel acide, au moins quand je m'entretiens avec des gens aimés. Ce n'est pas chez moi un mouvement naturel. J'ai l'usage facile d'une ironie mordante. Cette capacité sarcastique s'aiguise d'un usage assidu. J'y suis aguerrie. J'y suis addicte. M'en libérer sera difficile. Je le dois pourtant, si je ne veux pas détourner de moi ceux-là que mes égratignures finiront par blesser assez pour me les éloigner.
Je m'astreins maintenant à museler  ces remontées aigres. Je renvoie dans les cordes les remarques à l'épice trop forte. J'en regrette encore un peu la saveur pimentée et le pouvoir exutoire. J'en admets la portée douloureuse et les conséquences stériles, quand elles ne sont  pas carrément néfastes.

Cette ironie mordante et méchante m'a longtemps été jouet favori.
J'en ai trop tiré les ficelles, et elles me restent dans les mains, molles et pendantes.
J'apprends la civilisation. J'apprends à refouler les instincts d'un naturel sauvage qui la contrarie.
Je me demande si, de ne plus trop servir, mes penchants agressifs ne vont pas s'émousser, et se laisser oublier.
Et alors, je deviendrai une petite vieille gentille, fadasse, mais gentille...
Peut-être, un jour, plus tard, bien plus tard ?


Mercredi 10 février 2021 15h25

J'ai rendez-vous avec mon pilier délicat, pour un petit goûter entre amies.
Je suis prête à l'avance. Une petite demi-heure me tend le clavier.
Je relis le dernier paragraphe. Je retrouve bien ici ce foutoir où le raisonnement se perd, et le bon sens abandonne.

J'avais pendant mes études rédigé un texte d'après moi très réussi. Il me semble que le sujet en était le voyage. J'en avais fait un tel salmigondis que ç'aurait pu être n'importe quoi, aussi bien la soupe aux choux. 
Je m'y ébattais gentiment, entre métaphores obscures et paraboles improbables. Pendant que j'écrivais, pendant que je dévidais une litanie de mots agréables, j'étais plus ou moins guidée par une idée plus ou moins confuse. Plutôt plus que moins. Un semblant de lueur me suffisait à décréter que l'ensemble se tenait, et tenait au sujet.
J'écopais d'une note déplorable : mon texte si réussi avait été jugé complètement hors sujet.
A l'époque, j'étais encore plus imbue de ma science que je ne le suis aujourd'hui. C'est dire !
J'estimais que le pauvre correcteur, limité dans son entendement et sans doute étriqué dans une perception borgne, n'était pas à la hauteur de la qualité de mon œuvre, dont la subtile spiritualité l'avait égaré.
Je lui pardonnais, magnanime, un peu vexée tout de même de l'ingratitude de ce pourceau à qui j'avais tendu des perles.


Je n'ai pas gardé texte : le jugement défavorable m'avait sans doute un peu égratignée.

Maintenant, je suis toute aussi difficile à suivre, y compris par moi-même.
Je revendique cette incohérence. Je m'en suis fait une amie. Par force, sinon à me méjuger !
Je suis tout de même suffisamment coutumière de moi-même pour remonter la filière de mes pensées brouillonnes. Pour en approcher les sinuosités, pour le moins.
Pour les autres, je leur souhaite bien du courage. La plupart se détache dès les premières phrases parcourues, perdue et lassée dès alors. Pour les persévérants émérites, il arrive parfois qu'ils voient dans mes logorrhées insipides ce que je ne pensais même pas y avoir mis. Ils m'apprennent le chemin de moi-même... Ou alors se fraient le leur dans mes pas. Comme quoi, mes divagations peuvent faire œuvre utile.

Quand, partant d'une promenade bucolique dans les rues pentues de la vieille ville, sur les hauts ventés de la falaise oblique, je bifurque ni une ni deux sur des considérations bien étranges, il y a une cause à l'effet. 
Raison serait présomptueux. Restons-en à cause. Ca paraît moins cartésien. 
La cause se détermine mal. Elle s'entraperçoit. Enfin, je, l'entraperçois. Elle se faufile en ombre sur l'arrière de la scène éclairée. La raison, elle, enchaîne des bifurcations implacables, où mes égarements souffriraient de la contention trop étroite.

En arrière-plan de cette scène romantique, filtré d'un niveau de conscience mal enterré, il y a le dessous des choses. Ce dessous que j'essaie de laisser dessous. Pour ne pas en remuer la vase.
Parce-que je crois maintenant que c'est mieux. Après avoir cru longtemps que c'était beaucoup de fatigue pour un résultat piètre, puisque le dessous remonte tôt ou tard en surface.
La déviation dans ma trajectoire de pensée se love dans ce "tôt ou tard", plus précisément dans ce "tard", qui peut être suffisamment tard pour qu'on l'oublie dans ce futur incertain.
La plage temporelle jusque là peut donner l'illusion d'être plane et blanche comme la grève d'une journée sans vent. Et cette illusion d'une tranquillité définitive peut faire la vie douce.
Alors, pourquoi s'en priver ?
Est-on bien plus avancé d'une lucidité cruelle où le terme forcément fatal empoisonne tout ce qui avant lui pourrait paraître agréable ?
S'empêcher de vivre, bienheureux, puisque vivre finit malheureusement un jour ? Au mieux, sans trop de douleur, mais, le plus souvent, dans des affres terribles ?

Voici le genre d'enchaînement enjoué où mon esprit malade s'enlise, patine et cale.
Pour m'en sortir, j'ai maintenant la molécule et son rempart.
La molécule et son effet tampon, la molécule et son voilage atténuateur posé devant un paysage de cendres.
Il manque dans mon cerveau ce feu rouge où le tombeau ouvert stoppe net sa course.
L'ami lacté lance la herse devant. A quelques pneus crevés près, ça marche quand-même.

Latitude suffisante m'est laissée de libérer au petit trot les petits chevaux dans ma tête. Cette aire plus étroite, je m'y trouve assez bien.  Trop d'espace me perdrait, je le sais.

Parler comme je pense, sans filtre ni tri, je continue de le faire. Parce-que réfléchir à ce que l'on va dire, écrire, ça demande une certaine énergie. Et ça floute l'émotion à délivrer.
Je ne le fais plus à tours de bras. J'ai remarqué que les émotions ne sont pas toujours bonnes conseillères. La spontanéité, la sincérité, l'authenticité, c'est bien joli, et j'y suis attachée, on le sait. Ca fait aussi quelques ravages. Je l'ai compris.

Là encore, il faut avoir été dans ma tête pour comprendre.
Et bien, j'écris pour moi, aussi.


Vendredi 12 février 2021 10h32

La visite annoncée d'un ou autre artisan me retient à la ferme.
Un soleil blanc se couche sur le clavier. La chape nuageuse s'allège sur la mer. 
J'irai cette après-midi prendre l'air.
Pour le moment, je suis bien, ici. Lola craque ses croquettes. Txief sommeille. Bullou soupire de bien-être.
Je vais boucler ce long article avant ma pause de la matinée.

Ma visite à mon pilier délicat s'est alourdie de son Béni des Dieux. Long, large, lent. L'homme est féru d'économie, et ses considérations sur la crise à venir m'ont passablement ennuyée.
Le décalage entre nos mondes m'a laissée sur le bord.

Je ne me suis pas sentie à mon avantage, perdue entre les théories économico-politiques, et les références culturelles élitiques de mon pilier délicat, totalement hors de mon périmètre.
Par vexation et pour ne pas perdre complètement la face, histoire de ne pas paraître tout à fait stupide, j'ai dardé une ou autre petite flèche mi-figue mi-raisin, plantée droit là où ça chiffonne.
Le grand Béni a juste souri, relevé gentiment une finesse d'esprit qui n'y était sûrement pas, écarté ma mesquinerie d'un revers de sa grande main manucurée.
En voilà un dont les rouages sont parfaitement huilés, aussi fluides et lisses que son crâne nu.
Té, voilà encore une de ces méchancetés que je ne peux pas endiguer.
Allez, je vais m'atteler à cette tâche, m'y faire la main en petit comité.

Pour le reste, je vois venir les possibles en confiance.
Et m'apprête sagement à me laisser surprendre.