lundi 23 novembre 2020

18 au 23 novembre



Mercredi 18 Novembre 2020   8h20 à 15h30


Je vis ces jours comme paraît-il nous devrions les vivre tous : comme s'ils étaient les derniers.
Cette année 2020 marque effectivement la fin d'une époque, à Agorreta.
Le patriarche n'y est plus. Notre génération fait la charnière entre ce monde rural d'avant, et le suivant,  tourné vers autre chose.
Je me suis consacrée jusqu'ici à la conservation de mon environnement, bêtes, biens et gens.
Je passe maintenant à la perpétuation. C'est dans l'ordre des choses, et je vais m'y inscrire de mon mieux.
Agorreta a traversé des siècles, est partie pour d'autres, encore, peut-être. A mon échelle au moins, elle restera cette grosse bâtisse rectangulaire sans grande allure, posée là, tournée vers le soleil levé.






Elle n'a pas trop mal vieilli,
depuis les débuts de ce "bloc", en automne 2014 :







Je pense même, à la voir maintenant pimpante et rafraîchie, que ces dernières années l'ont ravigotée.
J'aimerais pouvoir en dire autant de sa résidente...

Le maître des lieux n'y est plus.
Moi, je suis entre Hendaye et Rivière. En transfert-transit. 
Cette position ne m'est pas posture confortable. Je le disais, ces délais d'attente, de réflexion, de tergiversations, me sont petite souffrance. Mes impatiences s'assagissent de mes paresses et d'une mollesse installée ferme. Elles demeurent trop vives encore, et me restent tourments.

Des projets se dessinent. L'avenir tire vers un nouvel horizon. 
La vieille étable cueillie au soleil levé me tend encore les croupes rebondies de mes jolies génisses.





Ce soleil se lève toujours à l'est, cet est mouvant, rendu maintenant à la droite de Mère-Rhune isocèle.




L'aube ce matin est limpide, sobre.

Mes jours à Agorreta se suivent et se ressemblent.
La logistique s'allège. L'intendance tolère facilement le relâchement.
J'arrive à l'heure du déjeuner, gentiment, vaquant d'une chose à l'autre.
J'ai gardé des mes nuits de veille l'usage d'une bonne sieste d'après-repas. Je ne veille pourtant plus, mais je me repose quand-même, au cas où j'aurais d'alors pris trop de retard.
L'après-midi me tire dehors, par ces magnifiques journées d'un Novembre boréal.






La mignonne Oréo est plus jolie biquette que jamais. Malicieuse, elle vient dans la prairie, brouter auprès des génisses.






Elles vivent paisibles, mes belles, sans penser plus loin que le moment. Elles font bien.

J'aimerais pouvoir en faire autant.


17H

Je reviens de mon heure de promenade autorisée.

J'ai un peu perdu mes paysages de vue.

Le triste spectacle de l'immense chêne palustre bifide du bois de l'anglais-espagnol, écartelé en une énorme plaie ouverte, à sa base, m'a chamboulée. Le pin de l'angle était tombé il y a quelques temps. Son voisin l'a suivi, laissant une large brèche de bois morts enchevêtrés. La trouée du chêne à terre est plus désastreuse encore, avec les billons renversés sur des fûts écrasés sous eux, des branches sectionnées, meurtries, aux blessures en estafilades échevelées.

Ca fait un moment que je ne suis pas allée là. Je ne sais pas de quand date la dernière tempête.

Mon petit bois, celui où je venais lire le dimanche après-midi, par beau temps, loin des appels de ma mère, toujours prête à me trouver une occupation plus sérieuse, a radicalement changé de figure.

Je me souviens combien j'aimais me faufiler dans les ronciers, m'assoir sur un billon d'alors, couché sur une souche moussue. Le soleil filtrait à travers la canopée haute, je m'installais dans ses rais. Les jours de pluie, calfeutrée sous un ciré, je m'adossais à un immense acacia, tombé lui aussi depuis. J'écoutais l'eau sur les feuilles, le clapotis rythmé m'engourdissait. Chaque saison m'offrait son spectacle, son ambiance. Les dômes bleutés des Trois Couronnes soulignaient l'horizon entre les troncs. Mon petit monde logeait là.

Cette après-midi, la lumière entrée dans le bois comme par effraction m'a semblé cruelle, un peu, de n'être pas plus respectueuse de ce sous-bois mis subitement à nu.

J'ai senti cette intimité dévastée, et m'en suis trouvée vulnérable moi-même.

Quelques promeneurs aimables m'ont distraite par leurs saluts. L'après-midi était si douce, la lumière si belle.

Une piste improvisée, assez travaillée, tout de même, amène là de jeunes cyclistes de cross. Leurs cris fusent. Des enfants jouent, courent. Des chiens se croisent en raidissant les pattes. Les miens sont à Rivière.

Je regarde ces paysages, l'harmonie de ces roux en damiers, au pied des montagnes bleues.

Ces reliefs en pentes et fuites tirent mon regard devenu fainéant de la platitude landaise.

Je me sens un peu chavirée, bousculée par ces perspectives tournantes.

Je suis rentrée à la ferme. Les génisses m'attendaient dans le fond de l'étable. Tranquilles, elles.


Dimanche 22 Novembre 2020 11h21


Il fait bien frais ce matin.

Nous avons encore charcutaillé. Le pâté de foie sera très de foie, je crois. Je vais goûter ça pas plus tard que tout de suite.

Au retour d'une petite virée hygiénique dans le petit bois du quartier, nous avons suivi dans le ciel les vols croisés de grues et de palombes argentées. Les roucoulements monocordes tournoyaient. Des bandes se désorganisaient, en V démembrés. Les tourterelles aux ventres clairs filaient là dessous, en vols plus rapides. L'ensemble réactivait en moi le désarroi de celui qui ne sait pas trop où il va.

Pour cette après-midi, je serai à la jardinerie. Déjà.


Lundi 23 Novembre 2020 11h


Je duplique à Rivière mes rythmes d'Agorreta.

La matinée me passe, entre tâches ménagères et préparations culinaires. Le domestique nous suit partout.

J'irai cette après-midi, après la sieste toujours, promener dans la forêt.

Le bois d'ici est immense. Les paysages infinis. Mes chiens vont fureter dans les taillis. Je les regarderai en déambulant sous les chênes.

Je repense à mes projets. 

Mon Agorreta 2122. C'était une jolie idée, cet havre, ce refuge, le bois reconstitué autour.

L'avenir se dessine autrement. Différent. 

Vieillir, c'est ça, aussi, s'amenuiser et ramener ses rêves à un possible raisonnable.

Je dois trier dans mes affaires, dans mes idées, dans mes projets.

J'en réaliserai une partie. C'est déjà bien.

D'autres continueront. Ou en feront d'autres.

Je garde dans mon horizon la ferme, les châtaignes, les chiens, les amis, ceux de sang et les autres, le mari. Les mots, pour en parler et me libérer.

Je garde en vision les paysages de là bas et d'ici.

Je garde l'augure de vivre tout ça au mieux, et la gratitude d'en avoir la chance.


17h30

Nous rentrons au jour baissé, la tête toute allégée d'air pur. 










Les chiens se sont amusés longtemps. Ils retrouvent le plaisir de "marcher dans la boue", mes petits citadins trop proprets.

Les deux femelles s'en donnent à cœur-joie. Txief reste plus circonspect : il revient souvent quêter l'approbation, avant de repartir, pas trop loin.
Nos promenades retrouvent ici ce goût de détente et de joyeux vagabondage. Et redeviennent ce moment où la marche des idées s'alentit comme le pas dolent.







Les chevaux libres ne sont pas sauvages. Ils rentrent quand la lumière tombe, se mettre à couvert sous les arbres.

Les bêtes ici sont dans leur élément.

La nature y est restée sauvage, certes, et pourtant amicale.

Ces chevaux sont rustiques, et adaptés à la vie dans les barthes.

J'avais pensé un moment rapatrier mes génisses à Rivière. Elles, rustiques, elles ne le sont pas trop. Je les ai bien mal habituées. Nous avons cherché dans les environs un pacage où j'aurais pu édifier une petite étable landaise. faute de mieux, ce petit bâtiment aurait pu faire notre affaire, à la limite.






S'il n'avait pas été dans une coquette petite zone artisanale. Quel dommage...
Je ne retrouverai pas facilement les conditions d'élevage d'Agorreta. Mes vaches à trois mètres de mon lit, tout ce petit monde dans le même habitat.
Là, surtout, je vais devoir faire un tri, entre ce que j'aurais voulu, et ce que je vais pouvoir avoir.
Choisir, c'est renoncer. Se résigner à abandonner une option pour une autre.
C'est parfois difficile. Et bien, la vie est difficile, parfois, en effet. Et autant le savoir au plus tôt.
Puisque 2020 est l'année des deuils, de ma Bigoudi, de mon père, d'une partie de mon projet, entre autres choses plus ou moins essentielles, je préfère y condenser toutes les renonciations. 
Elles se dilueront les unes dans les autres, quand elles se seraient densifiées d'être isolées.
Buvons notre verre jusqu'à la lie, et peu importe le verre, pourvu qu'il y ait l'ivresse !







Je pourrai toujours, comme cet artiste talentueux, garder en représentation les jolies choses de ma vie passée. Les figer dans une liberté de fer, pour en garder l'imaginaire et y réchauffer mes nostalgies.

Les cigognes à Rivière arpentent la plaine entre les chevaux, et s'élèvent d'un vol un peu lourd dans le ciel pur. On enlève leur nid à la pointe des caténaires ferroviaires. Elles boudent les succédanés qu'on leur tend obligeamment, à peine plus loin, en haut de longues potences. Reviennent reconstruire sur l'axe qu'on leur défend.

L'année se termine et mes questions s'enchevêtrent comme la limaille de fer de ces nids d'artifice.

La nuit est tombée maintenant. Je ne vois plus rien derrière la fenêtre.

Demain au petit jour, le givre blanchira les tuiles, et la lumière me viendra. Ou pas...



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