dimanche 13 septembre 2020

9 au 13 septembre

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Mercredi 9 septembre 7h40

Le soleil levé se glisse à la marge de mon nouvel horizon



Je le perds...


17h

Une journée pure, d'un automne annoncé, me régale : les couleurs mûries vers l'or, les feuilles craquantes sous le pas, l'air léger et l'horizon à portée.

C'est le moment où je préfère mes paysages, ici. 

Je me souviens, avec gratitude, des journées à cueillir les haricots sur les pieds de maïs déjà secs. Des après-midi où on triait le grain, au grand air, devant le grenier.

C'était un peu plus tard, plutôt vers le début du mois prochain.

A cette époque de l'année, celle des récoltes de haricots, et du maïs, un peu plus tard encore, nous avions en renfort la tantine Pantzika, la sœur de mon père, et son mari, Charlot.

Pantzika venait dès les haricots. Charlot renforçait les effectifs pour le maïs.

J'appréciais beaucoup ce travail en compagnie. J'appréciais aussi les journées écourtées, les après-midi plus brèves, où le travail se limitait à un jour plus court. Grande fainéasse, que j'étais, déjà !

Ma mère et sa belle-sœur bavardaient. 

Les haricots tombaient dans les paniers, en cosses légères, parfois entrouvertes sur de beaux grains lisses et rutilants. Le haricot "coco", le favori de ma mère, blanc veiné d'un marbre impur, était le plus charnu. Le petit rouge, presque noir, étincelant d'un œil blanc en son mitan, logeait dans des cosses plus fines, plus fripées.

Les lianes sèches s'enroulaient autour des pieds de maïs, en un lacis gracieux de volutes ascendantes. Les cosses pendaient en grappes, à tous les étages, à portée de main. C'était bien plus confortable de cueillir, ainsi, debout dans le grand soleil, entre les rangs des maïs aux feuilles crissantes. Les paysages roux d'automne gagnaient en profondeur, ciselés par une lumière fervente.

Nous remplissions des paniers que nous déposions sur l'"ipular", la bande enherbée autour du champ. Les sétaires hirsutes grattaient la peau nue. Les épis de chiendent gluants striaient nos jambes et se collaient dans les poils des chiens. A chaque panier rempli et déposé là, je prenais le temps de les caresser, ces chiens fidèles qui nous attendaient en bout des rangs.

L'après-midi s'avançait. Je rêvassais en travaillant, prêtant à peine attention aux discussions des deux femmes. Juste assez pour saisir quelques commérages, quelques méchancetés de bonne guerre, sans plus, quelques confidences chuchotées plus bas.

Nous travaillions rang par rang. Au fur et à mesure de l'avancée de l'après-midi, j'espérais que ma mère décréterait le dernier arrivé. Elle ne capitulait que l'ultime panier bombé jusque sous l'anse.

Mon père nous rejoignait, juste avant l'heure du goûter. Il cueillait les dernières cosses avec nous, pour arriver à finir nos rangées.

Il chargeait sur son épaule la grosse corbeille où nous avions vidé nos premiers paniers. Nous nous passions les autres au bras. Nous rentrions à la ferme, les chiens trottinant autour de nous. Un arrêt au poulailler, pour ramasser les œufs, posés en équilibre précaire sur les haricots, et c'était le moment de rentrer à la ferme. 

Nous disposions sur la toile ciré de la table de la cuisine le pain, le fromage, la confiture et le beurre pour les tartines. Assis sur les bancs, nous mangions, silencieux dans un premier temps, tout à nos mastications appliquées. Les conversations reprenaient, ensuite, sur un registre différent : les hommes à la tablée prohibaient certaines confidences féminines...

Charlot s'était joint à nous pour le goûter. J'étais très intriguée par son tatouage sur le bras, bleu, entre ses veines saillantes. Je ne suis plus très sûre. Je crois que c'était une ancre de bateau, avec un serpent enroulé ?

La collation terminée, la tantine et le tonton retournaient vers Béhobie.

Nous, nous nous chargions des tâches du soir : soins des bêtes, traite, mise en bouteille du lait encore chaud, repas.

Je m'endormais toute alanguie de sensations agréables. Les bribes de bavardages me revenaient. J'avais l'impressions d'être sur le point d'entrer dans un monde mystérieux : celui des femmes et de leurs amours. Et oui, parce-qu'évidemment, en ce temps là comme maintenant, les femmes  entre elles parlaient beaucoup d'amour !

Aux belles journées d'automne, nous étendions les cosses de haricots sur des toiles grossières, au plein soleil, devant le grenier. "Zubian", comme nous avons toujours appelé cet endroit : le pont. A vue d’œil, on ne comprend pas trop. Pourtant, "Zubia" enjambe bien l'ancienne porcherie. Nous rentrions nos balles nouées aux quatre coins, tous les soirs, pour les ressortir au prochain grand soleil.

En quelques jours, les haricots finissaient de sécher, dans les cosses entrouvertes et craquantes de chaleur. On enfournait tout ça dans des sacs en toile de jute de récupération, aux inscriptions exotiques. Mon père ahanait en tapant sur les fagots mous à grand coups de fourche, pour terminer de libérer les grains. Nous attendions ensuite une brise suffisante pour séparer les haricots dodus des débris de cosses. L'opération nécessitait deux seaux, l'un levé à bout de bras, et l'autre au sol. Nous versions les haricots de l'un vers l'autre, et les fétus s'envolaient au vent dans la chute. Les grains lourds tombaient en cascade, martelant le seau, puis la pile, en un bruit sourd d'abord, puis, plus clair.

Pour la cueillette du maïs, elle se faisait alors à la main. Les parcelles étaient souvent morcelées, de petite taille. Les plants d'alors étaient plus courts, les têtes, bien plus petites. La tige au dessus de l'épi avait été coupée, pour être mangée en vert par les vaches. Nous faisions "kapeta". Ca se traduirait par étêtage, plus ou moins. 

L'opération commençait dès après la formation de l'épi, et continuait durant tout le séchage, par petites quantités, pour assurer un fourrage frais aux vaches et aux cochons, souvent privés d'herbe en cette saison sans eau. 

Elle assurait le triple avantage d'éviter la verse des plants trop hauts,  de pourvoir les bêtes en nourriture,  et de permettre une cueillette plus facile, sans être incommodés par les feuilles coupantes et les tiges hautes.

Nous travaillions à hauteur d'homme, deux rangs chacun, et discutant sans entrave.

Il y avait en semaine deux ou trois équipes de deux. Un homme pour porter les corbeilles pleines, apparié à une femme. Moi, je cueillais seule, lançant de loin, et, souvent, à côté, les épis lourds de soleil, directement dans la remorque étroite aux bords hauts, "brozela".

Je me faisais féliciter, et, mon père, pestant contre "neska ostiori", cette "saleté de fille", me jetait une petite corbeille en ramassant les épis tombés hors de la charrette. La plupart de ces corbeilles avait fait long usage, et le nattage en fond était ajouré. Il fallait disposer les premiers épis de telle façon que les suivants ne passent pas au travers. Ca m'amusait bien moins que de jouer les basketteuses...

Les fins de semaine, nous étions plus nombreux, et le travail avançait rondement. La récolte du maïs, c'était l'affaire de plusieurs semaines, alors.

Dans mes plus lointains souvenirs, nous décrochions des pieds les épis enrobés dans leurs spathes, les "churikiñ". L'effeuillage se faisait ensuite à la ferme, dans le grenier, à la main. Il fallait décoller l'enveloppe feuillée des épis, d'un mouvement tournant à la base. Là encore, plusieurs hommes et femmes se rassemblaient, à la lueur d'une faible ampoule. Les conversations allaient bon train. Les épis lourds tombaient, dorés, oblongs, encore gorgés de soleil.

Les travailleurs, assis en cercle sur des tabourets de fortune,  jetaient les spathes étoilées sur une autre pile. Les feuilles sèches, les barbes crépues, rousses ou bai, des inflorescences, s'amoncelaient.

Je me souviens combien je m'amusais, quand, tout le monde parti, je pouvais plonger et me rouler dans cette masse moelleuse. Les chiens jouaient avec moi, en longues parties joyeuses. J'en ressortais noire de poussière et de crasse, hirsute des barbes et des feuilles accrochées à mes vêtements et à mes cheveux, à peine dégoûtée par un ou autre vers blanc, tout froid et répugnant, glissé à même la peau.

Les spathes étaient distribuées aux vaches, qui n'en raffolaient pas, mais les grappillaient quand-même, avant de les tirer du râtelier et de les piétiner. Elles finissaient dans la litière. Elles faisaient d'ailleurs cet usage pour les cochons, qui, comme moi, aimaient bien se rouler dedans en couinant voluptueusement.

Par la suite, nous avons instauré un autre mode opératoire : nous effeuillions directement les épis sur le pied. Ca ne demandait guère plus de temps, ça évitait les séances à la ferme. Que je regrettais beaucoup !

En revanche, les épis s'égrenaient des chocs sur les grains. Ca faisait bien l'affaire des oiseaux et des rongeurs venus glaner derrière nous.

Plus tard encore, bien-sûr, la machine a remplacé les joyeuses équipées. La récolte du maïs devenait bien moins bucolique et conviviale. Le tumulte assourdissant des engins décourageait toute velléité de conversation. Et là, il y a bien moins à raconter.

Pour en revenir au temps présent, la sécheresse de cet été accélère les maturations. La nature se dépêche d'arriver au terme, épuisée d'avoir manqué d'eau. Les maïs sont déjà pailleux. Les épis maigres.

Ce sera une petite récolte.


Vendredi 11 septembre 2020  20h20


Funeste jour anniversaire d'un attentat où l'horreur vous sidère.

La violence d'une souffrance infligée, on ne sait d'où ni pourquoi, l'injustice d'être une victime, sans avoir initié la guerre.

Ici, j'ai simplement pleinement savouré la journée. Naïvement, scandaleusement.

J'ai été dans mes sous-bois de la montagne, m’asseoir au pied moussu du chêne où j'ai déversé mes peines, il y a trois ans.

Les branches des noisetiers aux feuilles rondes et diaphanes balançaient mollement dans une brise légère. Le silence, où ce que je peux maintenant en percevoir, baignait toute une végétation grisée de la poussière d'une terre asséchée. 

La canopée des arbres maintient un semblant d'humidité, restitue une ambiance fraîche, où les frondes de fougères continuent de se déployer royalement, éventant une onde apaisante.

J'étais bien, là, à gratter les chiens couchés contre mes flancs. Mes séjours à Rivière me privent d'eux, pour le moment.

J'ai cligné des yeux dans les rayons intermittents du soleil parsemé entre les arbres hauts.

Nous sommes rentrés par le cimetière, où j'ai disposé des coupes de bruyère.

Au soir, après le repas pris de bonne heure avec mes frères, je suis retournée me promener, dans les alentours cette fois.

Mes paysages changent. Des badauds l'investissent. Le confinement du coronavirus nous les a amenés. Beaucoup ont découvert cette campagne à portée, et en profitent maintenant.

Mes chiens apeurés à la vue des promeneurs frôlent les fossés, cherchant des lignes de fuite pour s'éloigner des chemins trop à découvert. Je n'aime pas les sentir effrayés, j'écourte leur supplice en bifurquant vers des sentiers presque disparus, où les ronces griffent méchamment. Là encore, le sous-bois m'accueille.

J'aime pourtant toujours autant le paysage en damiers bruns, roux, verts ou dorés, offert en panorama depuis les hauts d'Agorreta. Avec la Rhune bleue en triangle aux volumes arrondis.

Mes paysages changent, ils ont déjà changé, et changeront encore.

C'est inévitable.

J'ai changé moi aussi. Je ne m'accroche plus comme la teigne à des projets perdus.

J'en imagine de nouveaux, ailleurs, pourquoi pas ?

Des lignes se dessinent. Elles me plaisent, et je m'engage dans ces chemins là, confiante dans mon histoire.

Je cherche toujours ce point de congruence, ce pays amical et paisible.

C'est ma quête, elle me mène et me dirige.

Je peux me perdre, je ne la perds jamais de vue.



Dimanche 13 septembre 2020  9h20


Mon père aurait eu 92 ans aujourd'hui.

L'an dernier, nous avons fêté son anniversaire devant  la baie scintillante de Txingudy. 

Mon père aura profité de ses dernières années, investissant les joies des promenades en voiture avec Beñat, de bons casse croûte à Ibardin, de tous ces plaisirs interdits, coupables,  durant sa vie d'homme jusque là. Ma mère n'aurait pas admis de dépenser ainsi de l'argent !

Comme l'annonçait Lucie, "finies les vacances, Grand-Père !"

Gageons qu'au moins, si ces deux là se retrouvent, elle ne le houspille plus trop...


19h30

Nos rentrons tardivement de notre promenade.

Nous avons rencontré le voisin du camping, bavardé, de tout et de rien, de champignons, d'araignées et de fils de la vierge.

A l'ombre de notre grand chêne fétiche, nous avons devisé. Cet homme aime parler. Je suis en veine d'écouter.

Les paysages ici aussi rendent de l'or.

La lumière change vite, et, d'heure en heure, le même endroit vire.







Les reflets dans l'eau paraissent plus profonds.

Le bien-être de l'onde plane instille le calme.

Je sens la plénitude de cette nature.

Je m'en inspire.

Je laisse venir à moi tous les possibles, sans peurs ni impatience.

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