lundi 7 septembre 2020

30 Août au 7 septembre


 Dimanche 30 Août 2020 10h58


J'expérimente les dimanches communs des gens ordinaires.

Je  me laisse porter par ces matins paresseux où l'on se prélasse au lit. Ces moments flous l'on vaque, vague, désœuvré, presque. 

Je n'ai pas eu ces usages là instillés avec mon petit lait. Chaque moment de chaque jour, à la ferme, était dédié à une ou autre tâche. 

Ces derniers temps, depuis la mort de mon père, j'ai plus de latitudes dans mes plages horaires. Pour autant, familière de cet environnement où je me suis conditionnée, je reste happée, sollicitée, hélée, par tous ces petits riens qui vous remplissent une journée.

Je passe dans une pièce, et je me dis, "tiens, il va falloir que je fasse les carreaux". Dans l'étable, "té,  je dois dépoussiérer le râtelier". Dans la cour, "ah, il y a eu du vent, je dois passer la soufflette". Toujours, une panière à linge remplie, une cuisinière souillée, ou le réfrigérateur vide, viennent grimacer à la marge d'un horizon impur.

Pour les soins aux bêtes et aux plantes, je les catalogue dans une série différente. Celles de mes activités de loisir. Mes activités plaisir. La litanie des "il faut", "je dois", ces schémas qui nous conditionnent en nous asservissant, relâche son étau.  Je ne programme pas ces activités là. Elles viennent se loger plus librement, dans un espace moins quadrillé.

J'ai l'usage de regrouper mes "obligations", plus ou moins pesantes : ménage, courses, administratifs, cuisine (pour la partie utilitaire), dans la matinée. Pour m'en débarrasser. J'ai toujours été de ces gens, qui se jettent sur les tâches ingrates, pour se consacrer, ensuite, seulement, aux plus agréables.

Alors qu'il serait peut-être plus pertinent de se faire plaisir dans les secondes, prioritairement, en espérant, qui sait, que quelqu'un d'autre se charge des premières à votre place. Configuration souvent espérée, je suppose, rarement atteinte, j'imagine, esprit chagrin que je suis...

Mes journées s'ordonnancent comme une horloge suisse : sans surprises.

La matinée accomplie, comme un devoir, vient la suite. 

Après le repas, la sieste, puis, la partie des activités plaisir : plantes, décos, soins aux vaches ou aux chiens, pâtisserie. Pour cette partie là, je n'ai pas de temps imparti. Je peux m'en occuper là, ou plus tard, à mon prochain jour de repos, tout aussi bien. Par soins aux bêtes ou aux plantes, j'entends soins hors nourrissages, pansages, et abreuvages obligés, bien-sûr; Il ne m'a pas échappé qu'on ne sursoit pas facilement à certaines exigences primaires...

Dans la dernière tranche de mes activités ordinaires, je prélasse les promenades dans la campagne, les moments de lecture, d'écriture, les conversations entre amis.

J'ai ces temps-ci la coupable (?) tendance à libérer de l'espace et du temps, "impromptument", pour les conversations entre amis : elles se présentent parfois sans s'être annoncées. On ne programme pas une visite surprise, un coup de téléphone improvisé, une invitation inattendue et spontanée. On les cueille, dès qu'elles passent à portée, comme les fleurs éphémères qu'elles sont.

Si un visiteur agréé encadre sa silhouette dans l'embrasure de la porte de la vieille cuisine, je laisse en plan ménage ou préparation culinaire, pour faire chauffer l'eau de la tisane, ou faire couler le café.

Je suis encore en apprentissage, et ne soulève le joug de mes présumées obligations qu'avec un pincement de culpabilité, un coup d’œil sur la pendule, pour le moins.

Nonobstant, je suis une élève appliquée, et progresse rapidement.

Cette dernière tranche d'activités détente a tendance a prendre de l'importance. Mes obligations "utilitaires" sont allégées au fur et à mesure de mon avancée en âge. 

Il me semble que c'est une évolution naturelle, et bien saine.

Je n'ai pas l'intention d'enlacer à bras le corps une carrière professionnelle de dernier raout. La logistique domestique s'écrème d'elle-même. J'ai repeuplé le bout de ferme. J'ai moins de pièces à suivre. L'intendance avec mes frères est bien rodée maintenant. La chorégraphie se déroule sans ratés, fluidement et en grande efficacité.

Je n'ai pas non plus l'intention d'agrandir mon cheptel. Mes génisses sont belles, placides, faciles.

Elles ne meuglent pas d'un pis trop plein, ne réclament pas un veau disparu. Elles voguent librement dans notre installation idéale. Tout est à leur portée, l'abri, le fourrage, l'eau. Si quelqu'un fait tomber du foin frais tous les jours dans leurs râteliers, elles sont autonomes, et ne demandent pas davantage. 

Quand je m'absente à Rivière, Antton prend le relais. Et il le fait très bien, mieux que moi, même,  dit-il, et dit-on ! Mon orgueil éleveur en prend un coup, mes aspirations à me libérer de toute contrainte s'en fait un manteau...

Si lui-même est occupé de son côté, il  trouve toujours quelqu'un pour suppléer. Ce garçon a un grand sens des responsabilités, et me dégage des miennes en toute efficacité.

Pour les chiens, la ferme n'est jamais déserte. Ma résidente, mes frères, sont présents à un moment ou à un autre, chaque jour. 

Toutes ces justifications parlent pourtant clair : je me sens fautive.

Cette petite grimace de culpabilité me pince. Ce sentiment d'abandonner mes bêtes me titille désagréablement. Cette idée de "devoir", pas bien fait, encore et toujours, me pèserait facilement.

Mon monde serait idéal s'il n'était pas écartelé, entre Agorreta et Rivière, entre ma famille et mon mari, entre mes bêtes, là-bas, et la forêt, ici.

J'ai tout ce dont je rêve, mais pas dans le même espace. Quel dommage...., moi, si peu aventurière, et piètre voyageuse !

Dans la tragédie grecque, il y a, paraît-il, unité de lieu et unité de temps. Tout se passe au même endroit, et dans le même moment.

Dans ma comédie, il y a démembrement, pas douloureux, n'exagérons pas, non plus, mais, inconfortable, quand-même.

J'ai tout ce à quoi j'aspire, mais pas au même endroit, ni en même temps.

C'est ballot !


Tout ça est encore très frais, comme organisation.

Les grandes lignes se dessinent. Les priorités vont se décanter.

Je ne connais pas l'issue de tout ça. Je laisse venir. Certains décideront, aussi, pour eux, et pour moi. Ca me facilitera la... tâche ! Toujours....

Nous verrons ça.

Pour l'instant présent, celui à vivre pleinement, je suis à Rivière.

J'écris dans cette pièce aménagée pour moi, face aux grands arbres du bois.

Olivier prépare notre repas.

Ce matin, pour ne pas perdre la main, nous avons fait le tour des élevages locaux :






Raymond, le pigeon  de Bayonne, rescapé par Hélène, goûte les joies de son nouvel habitat.
Il est arrivé ici il y a plusieurs années maintenant : mon amie Hélène l'avait sauvé de justesse d'une attaque meurtrière d'une troupe de tourterelles, dans les rues du Petit Bayonne. Elle me l'avait confié, je l'avais légué à Olivier. Il a fait le trajet Hendaye-Rivière dans une boîte de carton coincé dans l'une des sacoches de la moto.
Longtemps, il a demeuré dans une volière, devant le garage, ici.
Jusqu'à cet hiver, où Olivier a bâti ce coquet poulailler, en fond de jardin. Les poules d'Agorreta s'y trouvent d'ailleurs fort bien. Elles se sont bien acclimatées, regrettent peut-être le large figuier, aux grosses chaleurs d'été. Ma glousse grise considère le jeunot d'ici avec un peu de mépris. Ca lui fera bien son affaire, allez !

Raymond, a, dans un premier temps, été cantonné à l'appartement gauche de l'édifice, derrière le petit volet grillagé. Une fin de semaine où j'étais ici en villégiature, je me suis inquiétée de le voir tristounet, la plume terne et la pupille morne. Les planchettes hautes le privaient d'une vue sur cour, la lumière ne lui venait pas en suffisance, il dépérissait. Les affres de la dépression allaient nous l'emporter !
Immédiatement, j'ai transféré mes alarmes à Olivier. Nous avons tous les deux réfléchi un moment. Très vite, faisant tourner l’œil en prospection, nous nous sommes ensemble arrêtés sur l'ancienne volière, sous le lagerstroemia violet, où, longtemps, Olivier a logé poules et pigeons d'avant.
A l'époque contemporaine, il n'y avait là qu'une petite poule noire, sèche et prostrée, d'une patte abîmée. Ce poulailler est suffisamment grand, ensoleillé le matin, abrité des grands chauds et des froids mordants. 
La volaille a été délocalisée de l'autre côté pour cause de proximité avec l'aire de pâture. Les poules adorent picorer et griffer la terre franche, trifouiller dans l'herbe, et fouiner sous les haies. Le poulailler originel est bétonné, et l'accès au jardin d'agrément pour les poules réclamait servitude au travers de la cour. Bien peu commode : une circulation alternée et balisée était nécessaire, à chaque fois que l'on voulait entrer ou sortir du garage. C'est-à-dire, plusieurs fois par jour. 
Parce-qu'évidement, à chaque fois qu'elles sentaient un mouvement dans le périmètre, les poules curieuses se précipitaient en caquetant, oubliant les joies des griffages et autres activités jardinières. Il fallait alors les renvoyer là d'où elles venaient, et poser une barrière pour les empêcher de revenir là où elles voulaient rester. Les accompagner chaque matin et chaque soir, pour les transferts dortoirs-jardin, sous peine de les voir investir l'ensemble de la propriété...
Beaucoup de remue-ménage, de temps perdu, et de fatigue nerveuse. 
Nous avons pensé à ce remembrement foncier, regroupant pour nos poules habitat, activités et agrément dans un même rayon.
Raymond a suivi la migration, quitté sa volière individuelle un peu étroite, pour ce lot en résidence collective.
Les poules ne se plaignent de rien, et vivent leur nouvelle vie en grande sérénité.
Raymond, lui, n'a pas supporté le voyage.

Dieu merci, nous avons perçu sa détresse suffisamment tôt, et l'en avons tiré.
Il est maintenant petit prince de l'ancien poulailler, voletant d'un perchoir à l'autre, curieux des activités dans la cour. Il revit !




Le second volet d'élevage d'Olivier rampe sous les quadrillages de ce "reptilarium" à ciel ouvert.
La tortue est un reptile dont l'ossature entoure la chair. Quand dans le reste du règne animal vertébré, pour ce que j'en sais, c'est le contraire. Cette carapace ossature est assez jolie à admirer, avec ses géométries moirées. 
J'avoue ne pas m'être beaucoup attachée à ces tortues. Elles sont mystérieuses d'une histoire ancestrale, fossiles vivants d'une ère primaire où se perd notre origine.
Ce vertige venu du fond des âges m'impressionne, certes, mais n'éveille pas en moi l'émotion affective. La tortue ne deviendra jamais pour moi un succédané de la vache. Je conviens que son entretien demande moins d'assiduité. Si je suis ma pente paresseuse, c'est à prendre en compte aussi.
Je suis dans une période d'étude.
Je lutte contre mon penchant aux décisions hâtives.
De cette tortue en ogive, je dois prendre un enseignement : on avance aussi, même quand on le fait lentement.
Le tout est de ne pas se tromper de direction.






15h30

Une belle sieste plus tard, nous cheminons vers la forêt.



Cet ancien poste de garde-barrière, avec son bureau et son tableau d'affichage, parle d'un temps ancien, lui aussi. Mais dont les gens de mon âge se souviennent encore.
La préhistoire, pour les jeunes, évidemment !

Nous traversons la ligne de chemin de fer aux caténaires coiffés des nids désertés des cigognes.
La large plaine des barthes s'étale devant nous.
Les canaux d'eau tracent des lignes à perte de vue. La jussie a été coupée dans la prairie. Les  poussières des inflorescences rougeâtres teintent les eaux presque stagnantes.
Le côté gauche a été nettoyé. Le droit reste à faire :





























Les étendues fauchées sont rendues aux bêtes.
Les troupeaux sont revenus.
Les vaches de l'année dernière sont là. Il y a beaucoup de belles blondes. Je retrouve ma grande normande. Une autre, vosgienne rousse. Je ne repère qu'une seule de ces bazadaises, que je croyais croisées charolaises. 
















Tout près, des chevaux viennent vers nous.











Ils ne sont pas farouches, et viennent quémander caresses. Une jeune jument câline, une lourde pouliche aux cils blonds,  approchent et nous font un brin de conduite sur le chemin.

Nous entrons dans la forêt.
La maison du bois désertée fait un abri aux ânes.






Les bois, les bêtes, les eaux, le silence, la plaine large et les cieux légers, parlent de ce que j'aime.
C'est mon monde, aussi, ici.


Mercredi 2 septembre 2020 7h40



Mon horizon d'Agorreta est parfaitement pur, ce matin.




Vendredi 4 septembre.  20h

4 mois ont passé depuis la mort de mon père.
Le monde continue de tourner, évidemment.




Neska Motz et Graziosita mangent, tout à leur bien-être.

Dehors, Buru-Haundi et Katto Pelato se font gentiment la conversation.

Elles sont bêêêlles, mes bêtes !

Il est bien joli aussi, mon monde, d'ici !








Samedi 5 septembre 8h15

J'arrive à la jardinerie.
Je viens d'entendre à la radio l'affaire des palefreniers de la marquise de Moratala. Ils continuent de s'occuper des chevaux de la marquise défunte, et ne sont pas payés !

3 ans après la mort de la vieille marquise, ses deux fils, les deux petits marquis, se disputent les 150 millions d'euros de l'héritage.
L'un, le naturel, ( je ne comprends pas au juste ce que c'est, pour une femme, un fils "naturel" : hors mariage, adopté ?), paraît plus légitime que l'officiel. Il a d'ailleurs dans un premier temps fait l'avance pour les salaires, ce printemps.
Le second, l'officiel, ne jure que par son titre, et les millions à récupérer pour lui seul. Les palefreniers, il s'en bat l’œil.
Pour lui, les chevaux pourraient bien crever de faim dans leur souillure, s'ils ne valaient rien...

Les palefreniers, attachés à ces bêtes qu'ils suivent depuis des années, continuent leur travail, qui mérite bien salaire, mais n'en a pas !

Ces deux petits marquis mériteraient un bon coup de fourche chacun, avant qu'on la leur mette dans les mains. Qu'ils se fatiguent à pailler et à panser leurs chevaux, ils verront les choses autrement, et apprendront que les millions d'euros ne font pas tout !
Mais non, ces deux là, ou l'un, ou l'autre, je ne sais pas, sont aveuglés et incapables de raisonner.

Et tant pis pour les palefreniers de sang pur, et les purs sangs sacrifiés...


Lundi 7 septembre 2020 5h25

Dimanche entre amis, à Rivière, hier. Je retrouve chaque fois avec grand plaisir mes amis Yvette,  Jean-Louis, Gilles et Hélène.
Des discussions animées ont résonné dans la véranda, sur l'avenir, les jours qui passent, et ceux qui ne reviendront pas.
Les doutes, les peurs de l'âge qui avance, la vacuité de ce temps après celui du travail, les espoirs aussi et une confiance à restaurer absolument, se sont heurtés et chamboulés comme les plaques tectoniques qui glissent, se cognent et s'imbriquent.
Une tablée a réuni des destins ordinaires, et pourtant uniques.
Je me sens vulnérable, ces temps-ci, chamboulée moi aussi.
Comme le dirait ma brune Lasseuguette, ce n'est pas le moment de prendre des décisions.
Pas encore.

Nous irons cette après-midi promener, toujours.
Et regarderons l'horizon long du temps qui avance à son pas.
Nous le regarderons, humblement, et avec espoir.

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