dimanche 16 août 2020

14 au 16 Août

 

Vendredi 14 Août 2020 7h15

De jours en jours, l'astre solaire revient vers Mère-Rhune. 

Le soleil se lève à l'est. Et l'est se coule alors de la presque mer à l'au delà de la montagne bleue. 

Cette vérité, comme les autres, se délite entre nos doigts entrouverts.

Je suis moins désemparée maintenant de ces cahots où mes certitudes chavirent.

Je fais mon nid dans ces réalités mouvantes où les repères fluctuent. Se perdent.

J'ai moins besoin d'une armature rigide. Je me déploie mieux, plus fluide, moins résistante, moins cassante, aussi.

Comme mes carolins aux hautes ramures souples, je plie, pour ne pas rompre.





19h35

Je vais cueillir mes vaches dans le pré :






 Cette petite tribu vit sa vie.

Il n'y a plus d'herbe à brouter.

Mes génisses sortent juste prendre le frais, se dégourdir les jambes.

Elles coupent au fur et à mesure les quelques quimettes vertes.

Les râteliers sont réapprovisionnés. Elles ne s'inquiètent de rien. Plusieurs fois dans la journée, elles remontent, les unes derrière les autres, et se remplissent la panse.

Le matin et en fin d'après-midi,  elles ont leurs rations dans leurs mangeoires, chacune à l'attache. Quand le foin est en libre service, dans la stabulation du fond, il y a suprématie des noires.

Les deux stalles de la "nouvelle" étable, celle de la partie la plus récente de la ferme, sont plus larges. Mes génisses petit gabarit y contiennent très à l'aise. Elles pourraient manger gentiment, côte à côte. 

Evidemment, dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça !

Les places sont stabilisées, maintenant, dans mon troupeau. 

Les deux noires dominent les deux autres. Entre elles, les positions ne sont pas encore figées. Buru Haundi est la plus vieille, et la plus grosse. Elle est généralement placide. Elle devient dominante quand elle est en rut. Elle impose alors sa loi, son poids. 

Neska Motz ne se laisse pas faire. Elle se rebiffe, se défend, attaque. Des quatre, elle est de loin la plus petite. Elle est aussi la mieux cornée. Sa corne droite, particulièrement, est longue, bien ouverte, effilée. Elle en a appris la portée et l'impact. Elle sait s'en servir, tête juste penchée, en un angle efficace. 

Je la vois faire, parfois, à la sortie d'étable ou dans le champ. Je vois aussi des estafilades dans les flancs de Buru haundi, des poinçons sur les cuisses de Katto Pelato ou de Graziosita.  Je surveille. Pour le moment, rien de méchant, juste des remises en place de cour d'école. Si, par contre, ma petite noiraude devient mauvaise, si elle inflige des blessures aux autres, je vais remédier à cette montée d'agressivité, très simplement : une petite demi-heure de scie à fil, et les deux pointes effilées des cornes de Neska Motz tomberont au sol, en deux cornes de brumes inoffensives. L'implantation cornée de ma cadette est de toute façon disgracieuse. Les deux appendices divergent  trop d'un axe horizontal idéal. Alors, Neska Motz sera plus jolie encore, quand elle sera moins méchante.

Katto Pelato et Graziosita, la blanche et la taupe, ne contestent pas la suprématie de Buru Haundi et Neska Motz. Elles se tiennent à l'écart. Remontées toutes ensemble du pré, pour manger, elles restent en arrière, pendant que l'aînée et la cadette tirent le foin du râtelier, voluptueusement, égoïstement, chacune campée au plein milieu de sa stalle.

Quand ces deux là ont assouvi leur appétit, et seulement alors, elles peuvent à leur tour s'approcher, et manger ce qui leur a été laissé.

Avec Antton, nous ne sommes pas chiches du foin à distribuer. Le râtelier est regarni matin et soir, généreusement. Il m'arrive, quand j'y suis, d'attendre que les noiraudes se soient gobergées, qu'elles se reculent, panses pleines et paupières étrécies sur une rumination tranquille, pour remettre deux trois bonnes fourchées de foin tout frais pour les deux autres.

Là, Graziosita et Katto Pelato s'approchent enfin, s'étirent de bien-être, roulant la queue sur leurs dos cambrés,  et tirent de grosses bouchées odorantes. 

Je peux ensuite les contempler, toutes les quatre, rassasiées, quand elles ressortent sur leur pas de porte. C'est le moment où je viens les flatter, les bouchonner. Repues, contentées, elles me rendent largement ce bien-être que je leur ai accordé. Elles soufflent largement, profondément, se couchent, dans la brise légère de l'arrière de la ferme.


Les chiens jappent à la barrière, quand les génisses approchent leurs jarrets à portée.

Je leur crie dessus. Ils font mine d'avoir peur, et s'éloignent, à peine.

Je laisse les génisses pour aller caresser les chiens, les gratter sur le poitrail, entre les oreilles, en soulevant leurs museaux, les yeux dans les yeux. Dans leurs pupilles dorées, bleutées déjà par les années, tout l'amour du monde coule jusqu'en moi.

Je m'assois sur le banc sous l'arche. Je regarde les lumières sur les bosquets d'en face.

Bullou se couche à mes pieds. Txieff saute pour s'appuyer contre moi. Lola pose son museau entre ses pattes courtes, allongée contre le mur tout à côté.


Je suis bien. Le monde me paraît juste. Je n'ai plus de doutes.



Dimanche 16 Août 2020 18h47


L'après-midi a été bien belle. La lumière pleine et l'air léger.

Nous avons croisé deux ânons joueurs, arrimés au même bâton, cheminant ensemble.








Nous avons réconforté le vieil âne solitaire qui brayait de tristesse derrière sa barrière en les regardant s'éloigner.









Nous avons parlé de vaches et du pays avec un sympathique éleveur promenant là.


Nous avons marché, parlé. Parlé et marché.

Posé nos mains sur l'écorce grise des chênes séculaires.

J'ai regardé Olivier et l'avenir devant nous :




Ils m'ont plu.



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