dimanche 23 août 2020

18 au 23 Août

 

Lundi 17 Août 2020 20h


Je rentre de la jardinerie, après deux jours à Rivière.

Buru haundi meugle seule au fond du pré. Les trois autres mangent dans l'étable. La configuration est inhabituelle. 

Je descends voir ma grosse noiraude en détresse. Elle est en rut. Des zébrures marquent son flanc. Elle longe la clôture, cherchant le contact des cousines blondes.

Lors de ses chaleurs, jusque là, Buru Haundi se comportait différemment. Elle ne mugissait pas, déjà. Et molestait les trois autres, les autochtones. C'est d'ailleurs à ces occasions qu'elle les importunait toutes les trois, au point de les harceler, particulièrement la petite Neska Motz. Les deux noiraudes se querellaient alors en affrontements où la petite s'épuisait.

Là, pendant mon absence, les lignes de front ont bougé. Je suis curieuse de voir la nouvelle chorégraphie de ma troupe.

Buru Haundi me suit de loin, soufflant, tête basse, quand je remonte. 

Dans la stabulation, Neska Motz, Graziosita et Katto Pelato sont ensemble, paisibles, côte à côte. 

Une sororité paisible les rassemble. Neska Motz partage une stalle avec Katto Pelato, sans chercher à la repousser, ni à grappiller le foin devant elle. Graziosita passe derrière elles, les effleure, s'installe à son tour. Une vivante scène amour et paix. 

Buru Haundi est restée à la porte métallique. Elle hume le vent, regarde les blondes remontées avec elle, derrière les barbelés. Elle se tourne vers nous, oreilles en avant. Dans sa grosse tête, les options se floutent, elle ne sait pas quoi décider. Complètement désemparée, elle fait demi-tour, s'en retourne meugler son désarroi dans le soir.

Mes trois grâces ne lui prêtent aucune attention. 

La petite Neska Motz a cette fois pris le pouvoir, et protège les deux autres des assauts de la grosse.

Elle a du donner de sa corne pointue. Il ne faudrait pas qu'elle prenne l'habitude de s'en servir pour instaurer un pouvoir qui lui tournerait facilement la tête. Elle aurait vite fait de prendre le goût d'y soumettre son petit monde ! Adieu alors mes scènes lait-miel de communauté idéale...

Qu'à cela ne tienne : je n'ai pas encore la scie à fil, mais celle à métaux fera l'affaire, faute de mieux !

Pour le moment, mes craintes sont anticipatives, et prématurées. Renvoyons-les dans le pré.


Mardi 18 Août 2020  7h

L' incendie vite éteint par la barre grise de nuages longs s'inscrit en image fugitive.



Cinq minutes après, le même horizon redevient tout terne d'un gris moutonneux.


20 h

Je suis passée au cimetière en rentrant du travail.

Sur la montée un peu raide, un homme était assis sur le banc, face au Jaizkibel.

Il se tenait légèrement déporté vers l'arrière, jambes allongées, bras en croix sur le dossier de bois. Il paraissait perdu dans ses pensées. Détendu, laissant venir à lui les sensations agréables de chaleur du soleil déjà bien bas, le calme, le repos. Il laissait aller sa tête vers l'avant, menton vers le poitrail. Il s'abandonnait. 

J'imagine ainsi cette fameuse sensation de "lâcher prise" dont on dit tant de bien. Ce moment où l'on baisse la garde, on lâche les rennes, on capitule. Mais alors sans craindre le coup, sans risquer l'emballement, sans regrets ni résignation douloureuse. 

Ce moment où on jette l'éponge, sans amertume. Ce moment où on se dit, "et bien, puisque c'est comme ça, vas-y !". Et on laisse aller, faire. On tourne le dos à la lutte, à la résistance. A la fatigue.

Ce moment où l'on décide que de cette lutte, de cette résistance, ne sortira rien de bon. Que l'autre fameuse "résilience", (il y a comme ça des mots à la mode du temps), ne pourra pas y faire son nid. 

Sans le savoir, évidemment, puisqu'on n'a pas les clés de l'avenir. En le présumant, comme on présume de l'innocence d'un coupable, jusqu'à temps d'en avoir eu la preuve contraire. En espérant bien que l'on ne l'aura jamais, cette preuve, tant il est plus facile et mieux vivable de faire confiance, de laisser une chance à la chance.

C'est une tentation sans doute bien commune et compréhensible, d'ouvrir ainsi ses mains et de les laisser pendre, inoffensives et relâchées. De fermer les yeux sur les possibles plus sombres, en pensant pouvoir ainsi s'en préserver, à défaut de pouvoir s'y soustraire.

C'est sûrement une manière de sauvegarde, quand les forces vous manquent pour affronter trop lucidement.

Je le pense de plus en plus, sans m'en convaincre tout à fait encore. Le serais-je jamais ? Sans doute pas. La clairvoyance implacable, la lucidité froide, ne sont pas mes meilleures alliées. 

La posture tranchante et rigide m'est devenue trop douloureuse. Je m'y suis épuisée.

Je dois passer à autre chose.


J'ai envié le délassement de cet homme sur son banc. 

Je me suis souvenue l'avoir goûté moi-même, cet abandon, assise sur la tombe familiale, justement, un samedi soir en rentrant du travail. Ce sentiment de la fatigue qui glisse de vos épaules et tombe à vos pieds, vous laisse sans résistance et alangui, sans inquiétude de ce qui vient, ni impatience. Juste bien, là. Sans penser à après, ni à l'avant.

J'ai eu la chance de connaître quelques uns de ces moments.

J'ai l'espoir d'en connaitre encore, d'en avoir de plus en plus, au fur et à mesure que je baisserai une garde inutile, et, surtout, intenable,  maintenant.


A mon retour du cimetière, l'homme avait changé de position. Il était maintenant assis sur le dosseret, un cran plus haut. Son buste était droit. Il consultait son téléphone. Le monde extérieur l'avait rattrapé. Le sien s'était refermé sur la trappe de visite rebouclée.




Jeudi 20 Août 2020 7h à 7h30








Le ciel rose et gris fuit en cavalcade vers la mer.
Le soleil se lève à droite du bosquet.

Dans la cour, les feuilles sèches roulent, poussées par le vent, déjà mortes.  C'est l'automne avant l'heure.
L'été est sec, l'été est chaud. Il est aride, et torride.



Vendredi 21 Août 2020. 7h20





Le bosquet paraît de plus en plus mité. Il perd sa chair et s'efflanque. Le levant l'irradie en transparence.


16h30

Un gros abat d'eau s'éboule dans la cour en grosses gouttes rageuses.

La nature lape tout ce qu'elle peut, comme une maîtresse ardente.


Samedi 22 Août 2020  9h


L'abat d'eau à Bayonne a été très brutal.

Les plaques d’égouts ont été soulevées par des bouillonnements grondeurs.

Je regarde des images burlesques, où un collègue tente, avec son petit parapluie haut levé, de contenir la cascade tombée du plafond du magasin !

Si je les récupère, je les ramènerai ici.


Dimanche 23 Août 2020  10h30


Ma mère est morte il y a dix ans, à cette même heure.

De sa mémoire, me restent des éclats de voix. 

Aussi, me revient, une toute petite vieille femme, recroquevillée, vulnérable, autour d'un regard encore ardent.

Me réconforte, ce dernier moment, d'abandon, enfin, où, quand je la retiens, serrée contre moi, terrorisées toutes les deux de ce pas à passer,  elle se détend enfin, comme étonnée, d'y être, d'avoir lâché, enfin. 

Je la repose sur l'oreiller encore fripé de la trop longue lutte. Son visage garde cette expression d'étonnement, une seconde ou deux, puis, s'apaise, enfin. Le grand silence coule en moi. Je rabats ses paupières, deux fois, avant qu'elles ne restent closes.

Mon père, lui, s'est laissé glisser dans la mort sans lutter, quand il a eut compris la vanité des dernières batailles.

Ca a été beaucoup plus facile, beaucoup plus fluide et doux, pour lui, et pour moi.

Des deux protocoles je choisis celui-là, sans hésiter. Je laisse courage et bravoure à ceux qui se le sentent. Moi, je préfère esquive et moindre souffrance. Lâcheté, pourquoi pas, si ça aide à glisser.



18h50


Nous revenons de nos bois.

Assis sous le chêne séculaire, nous avons senti un gland nous tomber sur la tête. Un petit gland tout lisse, tout mignon, tout blond. Suivant sa course en rebonds jusqu'à terre,  il nous a mené à un petit chapeau de bolet brun foncé. Nous avons alors remarqué quelques champignons trapus, charnus, aux pieds épais et fibreux. Nous les avons récoltés, ces rescapés de la sécheresse, surgis hors de terre aux dernières averses d'orage.









Nous sommes revenus par ses sentiers parallèles où nous cheminons volontiers, ces parages plus secrets et feutrés.

Les baies rouges des aubépines carminent.

Les noires des chèvrefeuilles rutilent.

C'est le moment où les fruits des fleurs vont se laisser tomber à terre.

Le moment de la maturation.


Il me tarde d'arpenter nos chemins en automne. De m'emplir de ses flamboiements dans les arbres, dans les eaux, dans les cieux.

Revenir là comme on rentre chez soi.




dimanche 16 août 2020

14 au 16 Août

 

Vendredi 14 Août 2020 7h15

De jours en jours, l'astre solaire revient vers Mère-Rhune. 

Le soleil se lève à l'est. Et l'est se coule alors de la presque mer à l'au delà de la montagne bleue. 

Cette vérité, comme les autres, se délite entre nos doigts entrouverts.

Je suis moins désemparée maintenant de ces cahots où mes certitudes chavirent.

Je fais mon nid dans ces réalités mouvantes où les repères fluctuent. Se perdent.

J'ai moins besoin d'une armature rigide. Je me déploie mieux, plus fluide, moins résistante, moins cassante, aussi.

Comme mes carolins aux hautes ramures souples, je plie, pour ne pas rompre.





19h35

Je vais cueillir mes vaches dans le pré :






 Cette petite tribu vit sa vie.

Il n'y a plus d'herbe à brouter.

Mes génisses sortent juste prendre le frais, se dégourdir les jambes.

Elles coupent au fur et à mesure les quelques quimettes vertes.

Les râteliers sont réapprovisionnés. Elles ne s'inquiètent de rien. Plusieurs fois dans la journée, elles remontent, les unes derrière les autres, et se remplissent la panse.

Le matin et en fin d'après-midi,  elles ont leurs rations dans leurs mangeoires, chacune à l'attache. Quand le foin est en libre service, dans la stabulation du fond, il y a suprématie des noires.

Les deux stalles de la "nouvelle" étable, celle de la partie la plus récente de la ferme, sont plus larges. Mes génisses petit gabarit y contiennent très à l'aise. Elles pourraient manger gentiment, côte à côte. 

Evidemment, dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça !

Les places sont stabilisées, maintenant, dans mon troupeau. 

Les deux noires dominent les deux autres. Entre elles, les positions ne sont pas encore figées. Buru Haundi est la plus vieille, et la plus grosse. Elle est généralement placide. Elle devient dominante quand elle est en rut. Elle impose alors sa loi, son poids. 

Neska Motz ne se laisse pas faire. Elle se rebiffe, se défend, attaque. Des quatre, elle est de loin la plus petite. Elle est aussi la mieux cornée. Sa corne droite, particulièrement, est longue, bien ouverte, effilée. Elle en a appris la portée et l'impact. Elle sait s'en servir, tête juste penchée, en un angle efficace. 

Je la vois faire, parfois, à la sortie d'étable ou dans le champ. Je vois aussi des estafilades dans les flancs de Buru haundi, des poinçons sur les cuisses de Katto Pelato ou de Graziosita.  Je surveille. Pour le moment, rien de méchant, juste des remises en place de cour d'école. Si, par contre, ma petite noiraude devient mauvaise, si elle inflige des blessures aux autres, je vais remédier à cette montée d'agressivité, très simplement : une petite demi-heure de scie à fil, et les deux pointes effilées des cornes de Neska Motz tomberont au sol, en deux cornes de brumes inoffensives. L'implantation cornée de ma cadette est de toute façon disgracieuse. Les deux appendices divergent  trop d'un axe horizontal idéal. Alors, Neska Motz sera plus jolie encore, quand elle sera moins méchante.

Katto Pelato et Graziosita, la blanche et la taupe, ne contestent pas la suprématie de Buru Haundi et Neska Motz. Elles se tiennent à l'écart. Remontées toutes ensemble du pré, pour manger, elles restent en arrière, pendant que l'aînée et la cadette tirent le foin du râtelier, voluptueusement, égoïstement, chacune campée au plein milieu de sa stalle.

Quand ces deux là ont assouvi leur appétit, et seulement alors, elles peuvent à leur tour s'approcher, et manger ce qui leur a été laissé.

Avec Antton, nous ne sommes pas chiches du foin à distribuer. Le râtelier est regarni matin et soir, généreusement. Il m'arrive, quand j'y suis, d'attendre que les noiraudes se soient gobergées, qu'elles se reculent, panses pleines et paupières étrécies sur une rumination tranquille, pour remettre deux trois bonnes fourchées de foin tout frais pour les deux autres.

Là, Graziosita et Katto Pelato s'approchent enfin, s'étirent de bien-être, roulant la queue sur leurs dos cambrés,  et tirent de grosses bouchées odorantes. 

Je peux ensuite les contempler, toutes les quatre, rassasiées, quand elles ressortent sur leur pas de porte. C'est le moment où je viens les flatter, les bouchonner. Repues, contentées, elles me rendent largement ce bien-être que je leur ai accordé. Elles soufflent largement, profondément, se couchent, dans la brise légère de l'arrière de la ferme.


Les chiens jappent à la barrière, quand les génisses approchent leurs jarrets à portée.

Je leur crie dessus. Ils font mine d'avoir peur, et s'éloignent, à peine.

Je laisse les génisses pour aller caresser les chiens, les gratter sur le poitrail, entre les oreilles, en soulevant leurs museaux, les yeux dans les yeux. Dans leurs pupilles dorées, bleutées déjà par les années, tout l'amour du monde coule jusqu'en moi.

Je m'assois sur le banc sous l'arche. Je regarde les lumières sur les bosquets d'en face.

Bullou se couche à mes pieds. Txieff saute pour s'appuyer contre moi. Lola pose son museau entre ses pattes courtes, allongée contre le mur tout à côté.


Je suis bien. Le monde me paraît juste. Je n'ai plus de doutes.



Dimanche 16 Août 2020 18h47


L'après-midi a été bien belle. La lumière pleine et l'air léger.

Nous avons croisé deux ânons joueurs, arrimés au même bâton, cheminant ensemble.








Nous avons réconforté le vieil âne solitaire qui brayait de tristesse derrière sa barrière en les regardant s'éloigner.









Nous avons parlé de vaches et du pays avec un sympathique éleveur promenant là.


Nous avons marché, parlé. Parlé et marché.

Posé nos mains sur l'écorce grise des chênes séculaires.

J'ai regardé Olivier et l'avenir devant nous :




Ils m'ont plu.



mardi 11 août 2020

30 juillet au 11 Août



Jeudi 30 juillet 7h05



Il s'annonce,  celui-ci qui doit nous faire la vie dure aujourd'hui.


21 h

En effet, il fit chaud !!
Gros coup de vent, en soirée, puis, le grand calme, juste après;
Virée dans le remblai comme un octobre à vent du sud.
Les chiens halètent, les vaches cherchent le frais.


Vendredi 31 juillet 7h10







Une hirondelle oiselle est tombée du nid.
Je  la ramasse. Comme l'an dernier, les deuxièmes couvées s'en voient...
Celle-ci se pelotonne dans la couvée. Elle sera tirée d'affaire. Je suis contente de moi.


16h30

Visite de mon pilier de porcelaine;
Recherche de perfection.
Pointée en idéal Très haut, mais devant soi. Si atteint, ne reste que le gouffre devant.

Désirer vivre, avoir l'envie, vouloir plus, plus haut.
Le manque et l'ennui ?
l'envie et la résignation


Dimanche 2 Août  21h

Nous avons fait le grand tour. Près du nouveau remblai planté en ogre dans le paysage;

Après-midi caveau. serments, dernières volontés, finir ensemble.
Arroser coupes ramenées après le grand chaud. Certaines plus goulues que d'autres !


jeudi 6 Août 2020 7h

Il fait presque frais, ce matin. les feuilles du carolin bruissent d'un petit vent d'ouest.
Je rentre les bêtes





7h15 le voilà,  ce grand là :







Vendredi 7 Août 2020 7h15

Il se la joue roi soleil, ce matin, avec ses longs rayons glorieux disposés en rond diapré au dessus du nuage.








Dimanche 9 Août 2020 18h38

Retour de promenade;
nos paysages favoris :










La grande sauterelle gît, toujours, en tentacules biscornus.




L'Adour est au plus bas, sous le Vimport.


Mardi 11 Août 2020 21h28

Je reviens d'un tour dans le soir, entre mes carolins.
 Elevés comme mes rêves, fauchés en plein vol, fracassés brutalement au sol.
Ils s'effondrent dans la poussière grise.
Une béance se creuse en moi.
J'ai la sensation de la bête éventrée vive.
Je me laisse flotter, sans résister ni me débattre.
Pour ne pas couler.

Je dois suivre de nouvelles sentes, trouver de nouvelles forêts où reposer mes peurs.
Me promener, continuer de déambuler, entre illusions perdues, et amours mortes.
Laisser couler à mes pieds les vilaines squames vrillées, comme le font les larges platanes du bord de l'Adour.
Souffrir, puisqu'il le faut.
Puis repartir, me remettre debout, même fatiguée.