lundi 9 décembre 2019

22 novembre au 9 décembre




Vendredi 22 novembre 17h30













Les couleurs d'automne sur fond de ciel de plomb s'enluminent au mieux.
Mes vaches sont bien, au sec, au chaud, dans la vieille étable.
Mes photos sont toujours aussi mauvaises.



Les génisses ont passé une étape importante, dimanche : j'ai changé leurs chaînes de vêles, pour les troquer contre celles de vaches. Une intronisation dans leur parcours, comme quand les toutes jeunes filles agrafent autour de leur buste juvénile leur premier soutien-gorge.
Tout s'est passé calmement. Bigoudi s'est un peu énervée au bruit métallique des chaînes. Elle se souvient bien qu'une chaîne nouvelle, ça veut dire parfois une nouvelle bête, et une ancienne de moins, souvent. Elle sent bien le changement de philosophie de la patronne, mais reste vigilante : chat échaudé craint l'eau froide. (chaude aussi, à fortiori, comme j'ai longtemps amalgamé toutes ces températures dans mes approximations relatives à ce dicton).





Lundi 25 novembre 2019 19h43



Je suis à la ferme. J'aurais pu être à Rivière. Une énième petite alerte paternelle m'a retenue ici.
Sans suite, cette fois encore, jusqu'à la prochaine.
Je me demande qui de nous deux lâchera la rampe en premier, au final !
J'ai souvent, à disposition, les signes bien tangibles de la réalité de chair et de sang de cet homme.
En dehors de ces organiques essentiels, je pourrais facilement penser sa nature minérale, tant il paraît fait de pierre dure, ou, à la limite, de bois flotté ? Quelque chose d'imputrescible.


Quand je vois le grand chêne moribond tenir la dragée haute au jeune châtaignier coulé dans son flanc, je m'imagine bien les certitudes premières du second vacillant devant le ramage toujours imposant du premier.
Le vieux chêne paraissait bien mal en point, ce printemps : beaucoup de bois morts, l'écorce vermoulue sous les chancres et les champignons gris-verts.
En le longeant tout à l'heure, j'ai noté, dans les silhouettes maintenant dénudées, la distorsion du jeune fût vigoureux du châtaignier. Il s'écarte de l'axe du vieux mastodonte, perçant plus à gauche de son élan initial, là où la ramure du chêne est la plus abîmée. 
Il a du intégrer la résistance du vénérable dans son plan de carrière, et choisir de prendre plus sagement la tangente.
Je ferai un reportage image, une prochaine fois.

Je cueillerai au sol les larges feuilles dentelées de mes six châtaigniers, pour en faire comparaison dans un herbier improvisé.
Le châtaignier se rengorge d'un or profond, mat, à la résonance puissante, en cette saison.
Ses feuilles longues restent longtemps accrochées aux branches. Pour certaines variétés tardives, elles sont même marcescentes, restant là tout l'hiver, vidées de substance et de couleur, rendues cartonneuses, jusqu'au moment où le jeune bourgeon les boute à terre. 
Dans ces paysages roux de novembre, le châtaignier se remarque, doré de petits coups de pinceaux follets, en éclats lumineux et pimpants.

Auprès de mon cinquième sujet, un vergne s'est affaissé dans le désordre de ses ramilles bleutées. Il s'écrase sur le chemin, cul par dessus tête.
Plus bas, juste avant le sixième châtaignier de la fougeraie, c'est un acacia long et malingre, malade, vermoulu, qui a tiré sa révérence.
Le vent de ce dernier samedi a brisé ces deux là.

J'ai passé un moment, après ma sieste, à classer mes "nouvelles".
J'ai fait beaucoup d'ordre, cette année. Je n'ai plus trop de niches à bazar.
Je me suis étonnée, puis, inquiétée, de ne pas mettre la main sur mes Agorretako Berriak.
Le tour des possibles est vite fait : le buffet, ici, ou la grande armoire, dans la chambre.
Rien. Tiens...

Je me souviens bien combien j'avais été désemparée, il y a pas mal d'années de ça, à la constatation du manque de mes carnets d'alors. Ma petite histoire dans la grande, sur près de 30 années, déjà. Une œuvre ? Non, sûrement pas. La mienne, tout de même.
Cette dépossession m'avait bien malmenée.
C'était le but, sûrement. Atteint : touchée, ballottée... mais pas coulée, non mais !

Aujourd'hui, même si cette perte me contrarie, j'ai Gueguel, mon coffre ouvert à tous vents, et à l'abri de tout autant.
Rien ne s'y perd. Tout s'y retrouve.

Pour la petite histoire, cette énigme n'a pas cinquante solutions :

1/ Lors de mes rangements drastiques, j'ai jeté le bébé avec l'eau du bain.
2/ un fan (encore !) s'est abaissé à de sombres manigances pour venir jusqu'ici subtiliser cette œuvre majeure.
3/ un imprudent, trop curieux et plus étourdi encore, a dégradé par maladresse l'objet de sa curiosité, et a fait disparaître les conséquences de son forfait.

Le 1/ me ferait douter de moi, mais bon, maintenant, je n'en suis plus à un manquement près.
Le 2/ flatterait mon ego, laissant penser que mes écrits suscitent autant d'intérêt, ne serait-ce que chez les indélicats.
Le 3/ ne m'étonnerait pas : tant de désœuvrés sont passés entre ces vieux murs, tuant sans doute le temps en compulsant mes feuillets, une tasse de café vacillante ou un mégot de cigarette à la main… J'imagine facilement que j'aurais moi aussi effacé les traces de mon méfait, dans la même configuration.

Il ne me vient pas de 4 à l'idée, dans l'instant.


Quoi qu'il en soit, si mon petit volume ne réapparaît pas, je pourrais toujours le réimprimer.
Grâces soient rendues à Gueguel le très haut !


Mercredi 27 Novembre 2019 9h









Les roux dorés relevés du soleil levant, capturent la belle lumière.


Vendredi 29 Novembre 2019 17h


Je reviens de ma tournée châtaigniers.
J'ai ramassé les feuilles craquantes, amoncelées en tapis épais.
































Rien ne ressemble plus à une feuille de châtaignier qu'une autre feuille de châtaignier.
Pourtant, à y regarder de près, l'ovale se resserre ici plus bas que là. La nervure est plus creusée suivant le sujet. Les stries sont plus obliques et moins parallèles. La denture sur les côtés s'aplatit plus ou moins, les petites pointes dardent avec une énergie conquérante, ou alors s'incurvent en s'épargnant.
La taille n'est pas significative. J'ai ramassé indifféremment des feuilles au pied de mes châtaigniers, sans chercher à les calibrer.
Les couleurs par contre balaient toute la gamme des roux, légers, mats, plats, puis profonds, chaleureux, cuivrés brillants.

La feuille de châtaignier est une matière végétale solide et charnue.
Elle remplit vite la main, et épaissit facilement le sous-bois.
Au pied des châtaigniers, le tapis profond étouffe la germination des adventices. Une châtaigneraie reste propre. La broussaille ne la colonise pas. La ronce s'y fatigue et laisse place à quelques bulbilles champêtres, crocus, scilles et jonquilles sauvages.
La frondaison généreuse opacifie suffisamment son aplomb pour le garder vierge de toute invasion herbacée ou ligneuse.

L'automne coule d'or les larges spathes palmées.
L'hiver tolère le soleil sous les bois foncés.

Les ramures bientôt dénudées me montreront leurs écorces.
La saison avance.
J'observe et recueille.



Lundi 2 décembre 2019  17h15

Le furet est revenu nous rendre visite :














Le gros et lourd furet plonge dans les terres grasses d'Agorreta sa mâchoire géante.
Cette roue de monstre préhistorique aux dents faites pour déchirer, je l'avais saisie par un beau dimanche de mi mars, lorsque l'engin s'était approché en vue de notre contrée.







C'est maintenant la saison II de l'opération câble souterrain.

Le second câble, hydre ondulant et épais comme une murène blanche, sinue dans le fond de la tranchée profonde, ouverte par le lourd furet. Déposé là, enseveli sous plus d'un mètre de terre grasse, il conduira l'énergie à bas-bruit, sourdant comme l'eau cachée.
Une richesse pour tous, et un rempart pour nous. Il nous protège en garantissant un périmètre de sécurité autour de la ferme.
Quand je l'ai accueilli ce printemps, dubitative d'abord, puisque la proposition était bien soudaine, j'ai très vite pensé à cet aspect de la chose. L'avenir me dira si j'ai eu raison, ou pas !




Vendredi 6 décembre 2019 11h



J'ai fait ma tournée hivernage ce matin : calfeutrage anti-gelées du surpresseur et autres abreuvoirs extérieurs. J'ai juré l'an dernier, mais un peu tard, que l'on ne m'y reprendrait plus.

Cette fois, je suis prête : le vent peut souffler, la gelée cristalliser, l'hiver arriver.
Mes petites installations vulnérables sont protégées.

J'utilise les sacs en nylon tressé vidés de son, assez épais mais encore suffisamment souples.
Pour le surpresseur, abrité de la pluie dans sa cahute bétonnée, j'ai en réserve quelques sacs en toile de jute. Quand nous recevons des plantes italiennes, à la jardinerie, elles sont isolées par lot avec une multitude de ces sacs. Les inscriptions européennes en lettres cyrilliques fleurissent sur la toile bise.
Je récupère les plus légères.

Pliée en deux dans le cagibi bas, j'emmaillote les tuyaux tarabiscotés des différents branchements successifs, à chaque remplacement de l'appareil, chaque intervenant y allant de son petit coude laitonnée ou de sa vanne personnalisée dans ce dispositif. 
Ce qui devrait être assez simple, dans le principe, une arrivée, la pompe, une sortie, devient dans les faits un véritable alambic. Pour comprendre le circuit et les flux, il faut attentivement suivre les tuyaux laitonnés ou polyéthylènes, les deux matériaux se chevauchant allègrement au gré des disponibilités du moment, sans doute.
Un doigt posé scolairement sur le tuyau supposé de départ, concentré sur les méandres intempestifs, appliqué à ne pas perdre le fil à chaque croisement ou dérivation, on arrive laborieusement à retrouver le sens du courant.
Pour ce matin, je ne me suis pas préoccupée de retrouver les itinéraires bis ou autres : j'y aurais perdu un bison.
Je me suis contentée de ramasser les sacs en jute de l'année dernière, posés en tas dans le coin, pour en recouvrir la tuyauterie.

Une autre activité de l'entrée en hivernage, consiste à dératiser les remises, granges et greniers.
L'approche de la saison froide, la rentrée des récoltes, attirent ces sympathiques rongeurs en intérieur.
Cette année, le mois de novembre bien pluvieux a gorgé les terriers d'eau. Nos rats, boutés hors de leurs abris par l'humidité excessive, se sont déplacés en masse, pour se mettre au sec.
A la ferme, le poulailler, la porcherie, les granges et le grenier, le fond de l'étable, constituent des contrées attirantes à ces migrations animalières.
Je distribue à tout va mes petits carrés bleus. Je fais bien attention de ne pas les laisser à la portée des mes chiens : naïvement, ils seraient bien capables de les manger, et de s'empoisonner avec !
L'année dernière, un innocent petit hérisson résident du poulailler avait été une victime collatérale de cette guerre contre le rongeur. Je n'ai pas repéré cette année la famille à piques. Elle a du migrer, elle aussi, dans un autre recoin, sous les balles de foin, peut-être.
J'ai réalisé cette tournée dératisation dans le courant de la semaine dernière.


Les deux opérations quasiment concomitantes ont amené une conséquence prévisible, certes, mais bien désagréable : une énorme bête à peine mollie d'avant l'agonie dans les sacs en toile  entassés dans le cagibi du surpresseur !

Quand j'ai soulevé les pans de jute raidis, je ne me suis pas du tout méfiée. Dans mon esprit, la dératisation et l'hivernage se compartimentaient en deux activités imperméables l'une à l'autre. Erreur !
Tout est dans le tout, là encore : les rats rentrés en masse pour se mettre à l'abri du froid, prospectent évidemment aux alentours des habitations. Mon cagibi du surpresseur, sec, réchauffé par le moteur électrique en marche cadencé, s'apparente pour eux à un hôtel quatre étoiles. Le tas de sacs en jute tout à côté, c'est le meilleur des lits de palace.

Je tirai à moi le premier sac. Je le trouvai un peu lourd. Je mis cette pesanteur sur le compte de l'épaisseur de la toile. Le prenant franchement à deux mains, je m'apprêtai à l'enrouler autour du premier tuyau laitonné. La position accroupie n'était pas des plus confortables. Je soulevai le sac à hauteur de mon visage. Quand...
Quand une longue et épaisse queue écailleuse me glissa le long de l'avant-bras ! 
Je criai, me rejetai en arrière, cognant brutalement le mur derrière moi. Déséquilibrée, je chus, pour me retrouver assise, empêtrée dans mon sac, avec l'énorme bête grise lourdement glissée sur mes jambes. Son gros corps mou s'affaissait là comme une vilaine poupée de son. La bête était à l'agonie, ses petits yeux noirs déjà vitreux. Assez vivante encore pourtant pour chasser de sa queue de rat contre mes genoux, en un bruit mat et sourd. Les courtes pattes griffues s'agitaient en mouvements alentis, mais suffisants pour me mettre la bile aux lèvres.
Je manquai défaillir, me débattis, me heurtai davantage encore aux parois dures du cagibi.
Je me dégageai enfin, reculant hors de l'abri. Je retrouvai mes esprits seulement alors, respirant à grandes goulées l'ai pur et frais.
Le gros rat tombé sur la dalle ne bougeait plus. Il exhala un dernier soupir en étirant ses pattes, le ventre clair et rebondi. Ses pupilles se figèrent, un écran terne les recouvrait déjà. Il était mort, là, dans mes bras !
Seigneur dieu quelle vilaine bête !
Et quelle plus vilaine encore surprise !

Je saisis le rat par sa longue queue maintenant immobile. A bout de bras, dégoûtée encore, je le déposai dans la benne à fumier.
Au retour, je m'armai d'une fourche, pour fourrager dans le tas de sacs, et m'assurer qu'il n'y avait pas là d'autres hôtes du même acabit.
Je secouai l'amas, vigoureusement, l'extirpant à l'extérieur.
Rien. Juste quelques feuilles amoncelées, déchiquetées en un début de nid.
Le pauvre vieux rat était venu mourir là, là où peut-être une sienne compagne avait prévu de fonder famille.
Je n'ai pas eu de nouvelles de cette autre fratrie.
Et n'en demande pas non plus.

Au printemps prochain, quand je déferai mon ouvrage autour du surpresseur, l'expérience de ce matin me restera assez en mémoire pour que ne m'y laisse pas reprendre.

Ou alors, c'est à désespérer de vieillir, si ce n'est pas pour apprendre...


Lundi 9 décembre 2019 18h

Nous revenons avec Olivier de notre promenade dans les barthes.
Les larges plaines ont retrouvé leurs contours. Partout pourtant l'eau affleure, dans ces paysages marécageux. Les lourds chevaux rustiques se hissent sur les tertres à découvert.










Au beau milieu du chemin à l'entrée dans la forêt, un bloc noir est posé là.






Je l'ai d'abord pris pour un fragment de roche schisteuse. Une météorite tombée du ciel. En approchant, j'ai reconnu une souche de bois dur. Les flots l'ont ballottée et déposée là, confiée au chemin, comme le  gage d'un retour prochain.





 Nous nous sommes avancés vers mon ponton à mélancolie. Ici aussi, l'eau tumultueuse a disloqué les planches.






Le grand chêne penché sur l'onde tranquille offre toujours sa ramure puissante où accrocher les idées grises.

Le soleil à son couchant lape d'un éclat métallique le plomb lisse de l'Adour calme.
Un remous lent plisse l'eau, en un mouvement coulé très apaisant.


L'endroit me paraît toujours aussi bienfaisant, d'une fantasmagorie de bonne fée. Je le découvre maintenant à chaque saison. C'est une autre ambiance que celle d'Agorreta, plus douce, plus lente. Alanguie. Ca fait du bien, aussi.









Les couleurs de l'automne finissant,



les silhouettes grises des ramilles dénudées sur fond de ciel pâle, les reflets à peine verdis dans l'eau grise elle aussi, signent l'entrée en hiver de ces paysages entre eau et arbres.




La pluie nous a rattrapés au retour, crépitant dans les flaques éparses.






Dans le soir, une nuée de palombes cherchait abri dans les chênes encore feuillés du bord de bois.

Les oiseaux hauts s'enroulaient en arabesques fluides.

Nous sommes rentrés, contents de notre provision de belles images.

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