lundi 28 octobre 2019

fin octobre







Lundi 14 octobre 2019  8h





























Cette nuit encore, il y a eu meurtre à Agorreta !
Ces parages sont teintés de la noirceur du crime : à quand les châtiments ?



En janvier dernier déjà, je crois, il y eût le claquement d'un coup de fusil dans la nuit.
D'après mon père, réveillé en sursaut.
A l'examen, une pendule glissée le long du mur, et encastrée dans une des poignées fixées au mur, en dessous.



Cette fois, dûment mandée par la diligente téléassistance, je suis descendue. Mon nouvel aménagement devrait me rendre les activités de l'étage en dessous plus perceptibles, puisque plus proches. Et bien non, je n'ai rien entendu de particulier, jusqu'à tant que le grésillement de mon téléphone tout près de ma tête me tire du sommeil profond du juste.
Hop, j'ai enfilé à la hâte mon vieux peignoir, chaussé à tâtons mes mules avachies, et je me suis transportée au chevet de cet homme vénérable, mon père.
La dernière fois, je l'avais trouvé plutôt paisible, sur le point de se rendormir, en tirant les couvertures haut sous son menton. La possibilité de sa fille froidement abattue, par un tir meurtrier dans la nuit, ne l'avait visiblement pas tant ébranlé...
Cette fois-ci, sa sérénité naturelle l'avait déserté. Il était assis sur son lit, le souffle un peu court.
Me voyant arriver, il se prit la tête entre les mains.

- To, s'exclama-t-il; hor aiz ! Norbaitek zizpa kolpe bat tira din, ementxet, kanpoan.

- Ah, tu es là ! Quelqu'un a tiré un coup de fusil, là dehors, tout près.

J'ai le sommeil plutôt léger, depuis la molécule, et un peu avant, d'ailleurs.
Les premières heures de repos, il est vrai, sont de plomb. Admettons.

- Ez dut ba nik deus aditu. Ez ote duzu amets egin ?
- Je n'ai pourtant rien entendu, moi. Ce n'était pas un rêve ?

- Baietz, atzaria nionen !!
- Mais oui, je ne dormais pas !!

Je m'approchai de la fenêtre, l'ouvris, poussai les battants des volets.
C'était pleine lune. La lueur argentée étendait loin les ombres longues.
Tout paraissait bien calme.
Les chiens n'avaient pas bougé. Humm...

- Bueltat egingo dut, ehon emen, zu.
- Je vais faire une ronde, reste là, toi.

Il n'avait de toute façon visiblement pas l'intention de sortir, lui.

La nuit était douce, la lumière fantastique.
Je fis le tour complet de la ferme, en pantoufles, grâce au béton d'ETPM : alléluia !
Seules, les feuilles des carolins chuintaient dans la nuit. La lune en son disque parfait veillait, placide. Les lumières de la ville piquetaient la baie, ointe d'ondes d'argent.
C'était bien joli. Un spectacle tout à fait digne de vous tirer du lit.
Les chiens me suivaient, furetant, contents de cette sortie inédite.

Je revins de ma ronde.

- Ez da deus.
- Il n'y a rien.

Mon père n'était toujours pas tranquille :

- Ez dun posille, ementxet zunen !
- Ce n'est pas possible, c'était juste là !

Je vérifiai l'accroche des volets métalliques nouvellement posés. Non, de ce côté là, tout était bien en ordre.
Je sentais bien que mon père ne se contenterait pas de cette nappe d'incertitude. Il lui fallait quelque chose de bien tangible, à quoi accrocher sa frayeur, comme on abandonne un manteau trop chaud sur une patère.

Je refis pour la forme un tour dehors.
Quand je revins, je lui dis :

- Ah bai ! zakurra sartu da ateko  trapatik. Harek egin du holako soinua.
- Mais oui ! c'est le chien qui est passé par la chatière métallique. C'est ça qui a claqué comme ça !

Une explication ma foi plutôt convaincante.

- Ah bon ? Holako zizpan tirua egiten din ?
- Ah bon, ca fait ce bruit de coup de fusil ?

Je le voyais rasséréné. Il se détendit, se coula dans le lit, rentra les bras sous la couverture et posa douillettement sa tête grise sur l'oreiller blanc.

Nous étions quittes cette fois encore pour une alarme sérieuse, mais sans suites.

Les châtiments attendront.




Mardi 15 octobre 2019 7h


Je remonte de l'étable.
Ma Graziosa s'est relevée avec une petite raideur sur l'antérieur droit.
Je la sais délicate des membres, vite grippée par les amas de toxines cristallisés dans les articulations.
Diagnostic : fourbure.
Cette grande gourmande a encore une fois succombé à son vice. La nouvelle balle de foin entamée hier soir fleurait bon. Les tiges longues et claires se souvenaient de la pluie de printemps, des sucs maturés au soleil.
Ma blanche pommelée n'a pas résisté, elle s'est goinfrée !
Je suis maintenant experte en fourbures. Je connais sur le bout des doigts la bonne procédure : diète, aspirine, eau fraîche et repos.
J'applique consciencieusement. Puisque je vais à la jardinerie, je passerai les consignes à Antton. Et ma belle pour ce soir sera déjà plus fluide dans le mouvement.



Je pense à ce temps où les vétérinaires, mal renseignés, bombardaient systématiquement d'antibiotiques et d'inflammatoires les bêtes à la démarche chaotique. Ils en tenaient pour de l'arthrite si la bête était vieille, un abcès caché si l'âge ne venait pas à la rescousse de la théorie.
Pour l'arthrite, on le sait, rien de meilleur que le mouvement : la pauvre "fourburée" était envoyée au pré, houspillée pour se bouger.
Pour l'abcès, antibiotique à gogo, quand le système digestif déjà engorgé envoie dans tous les vaisseaux son lot bien suffisant de toxiques.
Là aussi, la science progresse...
Dans la stalle à côté, je note le comportement dominant de la petite Neska Motz. Elle pousse Katto Pelato, pour voir si chez elle, la ration n'est pas meilleure. Katto Pelato n'est pas bagarreuse, elle se recule, attend l'inspection de sa voisine agressive, et se remet à manger quand celle-ci retourne de son côté.
Cette petite Neska Motz, forte sans doute de l'appui inconditionnel de la grande Bigoudi, commence à s'y croire : quand je libère mon petit monde pour aller au pré, elle va même chercher des noises à la grosse Buru Haundi, bien plus lourde et puissante qu'elle ne l'est.
Sa posture compense sa tournure, dirait-on.
Cette Buru haundi s'efface devant la petite noiraude. Pourtant, elle rabroue volontiers sa voisine, ma toute douce Graziosita.
Celle-ci m'avait pourtant été présentée comme la meneuse. Le maquignon l'avait faite descendre de la bétaillère en premier, m'expliquant que les autres la suivraient. Je l'avais ainsi baptisée dans un premier temps Neska Nauxi : mademoiselle patronne.
Après quelques jours de cohabitation, et manifestement quand j'avais lâché mon petit cheptel, dans le fond de l'étable, pour leur apprendre le retour à leurs places, j'avais constaté l'erreur de jugement dans la hiérarchie de mon troupeau.
Neska Nauxi n'était pas du tout nauxi, patronne. Elle était, et est toujours, plutôt poltronne. De meneuse, elle n'en aura jamais l'envergure, tout juste capable de se mener elle-même, et encore, souvent perdue dans une distraction chronique.
Elle est alors devenue Graziozita. Ma préférée, même si je m'en défends dans un souci d'équité indispensable à la bonne conduite d'un troupeau, de vache ou autre.

Les deux noires, celles que j'avais écartées dans ma première sélection, sont donc des dames patronnesses. La suprématie des noires est maintenant installée. Une affaire de robes, les foncées prenant le dessus sur les claires.
Dans la fratrie ( de deux !) de mes noires, la plus petite est la plus teigneuse. Curieusement. Ou pas.
On a ainsi vu des dictateurs nabots tourner la tête de la moitié du monde.

Ma Neska Motz n'est pas mauvaise. Il lui manque juste un petit apprentissage des bonnes manières. Je ne suis pas inquiète : Buru Haundi saura la remettre à sa place, à l'occasion.

Mercredi 16 Octobre 6 H

J'ai été cette nuit réveillée par un Ttunk Ttunk Ttunk exigeant.
Je me suis crue revenue au temps où mon père martelait le radiateur de fonte, en bas, pour
éviter de mettre en branle le système en chaîne de la télé alarme.
Non, me suis-je aussitôt dit, ça ne peut pas être ça. Le radiateur en fonte n'y est plus.
Mieux réveillée, j'ai localisé l'origine du bruit : de l'autre côté du mur, et plus haut. Mes oreilles défaillantes me jouent des tours, mais là, même à moitié sourde, je ne pouvais pas me tromper.
Depuis la veille, je tenais à l'œil le cumulus de mon ancien habitat.
Notre surpresseur nous avait lâché, quelques jours plut tôt. Ce bon vieux surpresseur, dont j'ai parlé maintes fois.
Là, c'est la vessie qui avait lâché, crevée comme un ballon de baudruche dégonflé.
Au passage, je dois noter dans mes mémoires techniques en ces pages un nouvel élément : quand on dévisse le manomètre de la pression dans le ballon, il ne doit pas en gicler de l'eau, même en mince filet.
Si il en vient, c'est qu'il y en a dans le gaz, ou plutôt dans la cuve d'air, là où il ne devrait pas y en avoir. Cet indice facile à repérer signe la vessie poreuse, ou carrément, crevée.
Bien.
Le surpresseur en panne, nous avons maintenant la possibilité de rétablir l'arrivée d'eau de ville en direct : un très net progrès par rapport au temps où nous creusions, à l'aveuglette, pour déterrer le fameux robinet d'accès à cette tout de même assez utile commodité.
La pression d'eau de ville chez nous est faible. C'est la raison d'être de ce surpresseur.
Cette pression molette conjuguée à la position en hauteur du cumulus induit un phénomène de retour d'eau dans la tubulure, jusqu'au clapet du système de sécurité.
L'eau poussée d'un côté, puis de l'autre, les arrêts et redémarrages pendant les opérations de maintenance, amènent une ou autre petit bulle d'air taquine dans le circuit. Et la petite bulle joueuse se gargarise dans ces parages exotiques. En glougloutant, ttunk-ttukant.
En pleine nuit, je me suis contentée de fermer la vanne d'alimentation de cet appartement, bienheureuse qu'elle existe, chose trop peu courante à la ferme.

19 H

Le grand professionnel est venu au chevet du surpresseur, blackboulant le vieux, pour en installer un tout neuf. Quelques réglages des pressions hautes et basses, revues à la baisse, entre 1.5 et 3k, (à noter là encore) ménageront la tuyauterie vétuste.
Pour cette fois, le surpresseur se laissera sans doute oublier pour un moment dans son cagibi.


Jeudi 17 octobre 5h30


Je suis allée vérifier la bonne marche de mon cumulus. Tout est silencieux, les fluides glissent sans heurts.
Cette péripétie m'aura donné l'occasion d'approfondir ma culture technologique.
Notre science est évolutive. Elle ne se fige pas en statut de commandeur.
En parlant de statue, une idée en amenant une autre, j'en ai appris une, en écoutant la radio sur mon trajet vers la jardinerie, mardi matin.
Nous avons tous eu l'occasion d'admirer ces statues de cavaliers sur nos places urbaines.
Certains chevaux hennissent fièrement en se soulevant, reins cambrés, le cavalier arcbouté, bras levé et menton haut.
D'autres lèvent un antérieur.
D'autres restent sagement au sol.
Et bien, ces postures ont une signification :
tous les sabots au sol : le cavalier est mort de mort naturelle, juste avant la cinquantaine !
1 sabot levé : il a été blessé au combat, mais n'en est pas mort.
2 sabots levés : mort au combat, en héros.
L'histoire ne dit pas ce qu'il faut comprendre quand l'animal est lancé en plein galop, hors sol.
Peut-être n'y-a-t-il d'ailleurs pas de statue ainsi configurée, l'art de la sculpture exigeant au moins une amarre.
Il ne faut pas s'étonner de notre culture de l'affrontement valeureux. Du prestige des duels au dernier sang. Des intégrismes radicaux, pour lesquels mourir pour sa patrie, sa fratrie ou son idéologie est une consécration.
Maintenant, moi, les affrontements, je les évite. Ou alors j'y ai recours en défense, par obligation.
Evidemment, ma théorie de défendre une bonne cause se limite à la juste évaluation de la légitimité de cette cause. J'imagine que pour chaque belligérant, sa cause est la meilleure, la seule à mériter d'être défendue...
Il me vient comme ça de grandes envolées idéologiques, lors de mes réveils au tout petit matin...
J'ai une grande confiance, et une toute aussi grande espérance, en la justesse de ces fragments d'inconscients entraperçus en ombres, retournant dans nos tréfonds quand le réveil installe une lucidité trompeuse.
Je suis attentive aux bribes des rêves.
Mes volutes arrêtées, mon chat écorché, puis sauvé, j'y tiens, et je m'y accroche, ferme !
Ces intuitions fugaces, fuyantes, je suis persuadée de leur justesse.
Que sont nos superstitions, sinon des intuitions avérées, fondées sur une expérience ancestrale ?
Enfin, c'est mon idée, encore une fois.
Etayée par l'exemple, tout de même :
Il y a bien plus de risque de se faire écraser par une échelle qui glisse quand on est dessous plutôt qu'à côté, n'est-ce pas ?
J'admets certains de mes rapprochements bien hasardeux.
Pourtant, tout est dans le tout, comme disait tel autre, sûrement plus écouté que je ne le suis.
 

Lundi 21 octobre 2019 14h

Entre deux jours de pluie à l'étable, le soleil automnal happe mes belles au pré :














Elles sont belles !
Mes paysages et mes bêtes ne me déçoivent jamais.
Ils semblent toujours les mêmes, et pourtant chaque jour différents.
Dans mon petit monde, je trouve tous les pays, sans bouger d'ici.


Vendredi 25 octobre 16h40

Je reviens de promenade. Les colchiques ont percé les andains des fougères fauchées et couchées sur le flanc du versant, juste au dessus de mon sixième châtaignier témoin.
La saison avance.

Samedi 26 octobre 5H

J'ai un petit créneau espace-temps avant d'entamer la journée.
Je n'écris plus en milieu de nuit, quand un réveil entre deux sommeils me tirerait facilement du lit.
Ces fameuses idées de fin de rêves me paraissent toujours aussi séduisantes, envoûtantes, presque.
Les idées fusent et fuient, très vite.
Je tâche de happer ces fulgurances, d'en saisir au vol quelques bribes.
Cette immédiateté dans la retranscription garantit une spontanéité toujours précieuse, même si elle demande à être reconsidérée avec modération, comme un mets trop chaud à peine sorti du four.

J'ai cet orgueil infatué de penser mes idées dignes d'être retenues. Quitte à admettre maintenant qu'elles demandent à être revisitées posément. Pas ruminées, ressassées en boucle sans être justement amendées.
Non, considérées pour leur intérêt, mais réévaluées pour leur spontanéité pas toujours heureuse...

C'est la visée de ma nouvelle manière de "bloc", à diffusion retardée.
Mes visites périodiques à Rivière, dans le domaine de mon grand mari, me donnent l'occasion d'une retranscription digérée, maturée.
Quelques jours et quelques kilomètres de distance séparent le miel et le fiel, en une décantation apaisée, plus claire et jolie à retenir.



Non, vraiment, je pense être sur la voie de la raison, peut-être, enfin ?

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