Lundi 1er janvier 2024
J'ai été jusqu'à Biarritz, cette après-midi, pour retrouver Hélène et Miss Too-Much.
La conversation était agréable. L'environnement trop bruyant de carrousels animés m'a gâché le plaisir. Je ne suis décidemment pas une femme des villes.
Au retour, je suis très désappointée de voir ma Petra claper d'une langue pendante, comme celle d'un chien fatigué. Cette merde de MHE reprend du service. J'ai administré un peu d'aspirine dans un fond de luzerne déshydratée en manière d'anti-inflammatoire. Ca l'a soulagée assez rapidement. Pourtant, je ne peux pas lui faire avaler de l'aspirine sans risquer d'aggraver le syndrome hémorragique. Dès demain, je vais recontacter les vétérinaires. Voir ma belle brune souffrante m'est bien pénible.
A ses côtés, je remarque que Ttony s'ébroue. Son poil est un peu hérissé sur les flancs. Je lui examine le mufle. Je ne vois rien. Les paupières gonflées, curieusement. Elle tient sa queue un peu rentrée entre les cuisses. Celle-ci aussi couve quelque chose. Dans la semaine précédente, j'ai remarqué des saignements plus abondants, le lendemain de son rut. Là, c'est signé, Ttony est touchée, comme Petra. Ses symptômes sont différents. J'ai suffisamment lu d'articles sur le sujet pour savoir qu'ils correspondent quand-même au même virus. Une jolie saleté, celui-ci aussi !
Ttony mange avec appétit, et sans difficulté, pourtant. Petra, elle, grapille comme elle peut. Elle a toujours eu une posture moins conquérante. Là, elle rentre les épaules, arrondit le dos, plaque elle aussi la queue contre les cuisses. Ca ne va pas. Mon cheptel est touché à 100% !
Je ne peux rien faire de plus jusqu'à l'appel au vétérinaire, le lendemain.
Pour tenter de me distraire, je regarde une de ces séries en Replay. Ma manière de consommer de la télé, avec un semblant d'impression de moins de passivité. Je suis à fond séries, ces temps-ci. Après "L'infiltrée", "Sambre", j'en viens aux "Hommes de l'ombre". Tout ça évolue entre police, justice, gouvernement en ses hautes sphères.
Mon opinion sur ces vénérables institutions était déjà passablement effondrée. Ces fictions qui ne sont peut-être pas si fictionnelles ne vont pas remonter le plancher. C'est d'un cynisme à fracasser toute velléité de civisme. Moi qui n'en avait déjà pas beaucoup...
Mercredi 3 Janvier 2024
Le perdreau ne s'est pas faisandé. Ouf ! Ma timide avancée dans les zones financières à risques n'aura pas trop de conséquences. J'aime mieux ça.
Côté Petra, Antton a été hier quérir en urgence la pharmacopée nécessaire. Anti-inflammatoire et antibiotique. J'ai comme l'impression que c'est la parade vétérinaire large spectre et toutes occasions. A n'administrer que si la bête ne mange plus. Ce n'est pas le cas des miennes. Petra tire précautionneusement les brins de foin, mais elle finit par vider le râtelier devant elle. L'aspirine suffit. Elle a eu son rut hier. Je surveille les saignements. Ca paraît normal.
Je décide tout de même de prévoir l'intervention piqûres en fin de semaine, si les choses ne s'améliorent pas d'ici là. Je ne travaille pas samedi, je pourrai prendre le temps de faire la chose tranquillement. C'est que ce n'est pas une simple piqûre, non. Il faut prévoir deux points d'injection pour l'anti-inflammatoire, sur trois jours, puis trois seringues d'antibiotique, pour 72h, pour couvrir les 600kgs approximatifs de Petra. A renouveler sur les trois jours suivants si besoin. Pour le moment, Petra ne parait pas nécessiter une telle contre-attaque. Ttony, à quelques frissons près, ne manifeste rien.
J'ai bien souvent piqué des vaches, même si ça fait un moment que je n'en ai pas eu l'occasion. Une intra-musculaire sur une vache, c'est quand-même une belle aiguille, longue et épaisse. Mais bon, je pense m'en sortir, si Petra ne bondit pas. La difficulté est celle-là : la contention.
Ma brune n'est pas en grande forme, mais elle est encore bien assez vive pour envoyer valdinguer son monde, si on la taquine. Je dois assurer ça. Le râtelier n'est pas suffisamment solide pour y arrimer la corde du licol. L'angle de l'auge irait, avec le trou de la chaîne suffisamment large pour y passer la corde en plus de la chaîne. Simplement, il est moyennement accessible, surtout avec quelques seringues en poche, et une grosse bête à contourner.
Je m'occupe de ça dans l'après-midi. J'aime ces petits bricolages faciles dans l'étable. Il fait doux, calme. TtonytaPetra vont et viennent. Je travaille en les repoussant parfois, curieuses qu'elles sont.
J'ai opté pour la simplicité : le mur devant les vaches à l'attache est en parpaings épais. Il sépare l'étable de la porcherie-remise. Je vais le perforer de part en part, pour ouvrir un œil du côté des vaches, juste au milieu, entre le bas du râtelier, et l'auge en béton. Dans ce conduit, je vais guider une chaîne, avec un anneau solide en bout, où arrimer fiablement le licol. Du côté remise, je bloquerai le maillon en arrêt, avec un bon vieux fer en U des plus classiques. Ainsi, la vache contrainte tirera, mais ne pourra pas arracher. La corde serrera son museau entravé, et elle comprendra vite qu'il vaut mieux rester tranquille.
Je suis très fière de mon dispositif, simple et efficace. Je suis parée.
Vendredi 5 janvier 2024
Evidemment, Petra a attendu que je sois prête pour aller mieux. J'ai lu quelque part que la durée d'incubation du virus était d'une à deux semaines. A ce moment, la vache émet suffisamment d'anticorps pour qu'ils soient détectés à la prise de sang. Nous en étions là pour Petra début décembre. Ensuite, soit les anticorps font leur travail, soit ils ne suffisent pas, et il faut alors aider par la chimie. Quitte à détruire toutes les défenses naturelles. L'affaire suit son cours, et, si la bête tient le choc, le virus disparait dans le sang au bout d'un mois environ. Nous y sommes.
TtonytaPetra mangent presque normalement, maintenant. Les poils se lissent. Les dos reprennent l'horizontale, et s'incurvent même de bien-être, au lever. Les queues piteuses ont retrouvé une verticale détendue.
Pour Petra, elle tient de sa petite enfance une légère distorsion sur le tiers inférieur. Un accident de poussette, sans doute. Je l'ai eue comme ça, avec sa queue de guingois. Quand on la regarde depuis l'arrière, sa queue se tord d'un petit angle disgracieux. Là n'est pas l'indication de son état de stress. Il faut la considérer sur le plan latéral. Là, ça parle. L'éleveur doit ainsi "interpréter" sa bête. En connaître les particularités constitutionnelles, pour pouvoir faire la différence avec les anomalies de comportement ou de stature. C'est essentiel.
Certaines vaches sont enjouées, gaies, au naturel. Les voir abattues est une alarme. D'autres au contraire ont la mine triste à l'ordinaire. Elles ne s'en portent pas moins bien. Elles sont justes plus sobres dans l'expression de leur satisfaction. Celles-ci s'agiteraient quand elles vont mal, à contrario des autres qui perdent en vivacité.
J'ai surpris certains vétérinaires en leur expliquant que ma bête était souffrante, à la seule vue d'une apathie tout à fait normale à leurs yeux étrangers. "Elle n'est pas comme ça, d'habitude", leur disais-je, "elle est facétieuse et bien plus animée". La plupart tenaient compte de mes appréciations. Certains, plus obtus, levaient les yeux au ciel dans leur tête, et s'avançaient pour un examen clinique froid et factuel. Des hermétiques à ma science empirique.
Toujours est-il que là, je vois bien que TTonytaPetra vont mieux. Elles tiennent le bon bout. Moi, je tiens dans la main la corde de contention, pour jouer avec elles à les entraver. Elles aiment moyennement, mais se prêtent gentiment au jeu, histoire de contenter les caprices de la patronne, puisqu'elles ont droit à un petit rab de luzerne juste après.
Je suis soulagée, attentive encore. Ce petit virus a déjà laissé des vaches par terre, dans le coin. Les miennes ont été visitées. J'invoque tous les dieux païens potentiels de me les garder en forme. Mon traditionnel gui cueilli mercredi ne peut pas nuire, à défaut de soigner.
J'en suis à quelques ordonnancements en ce début d'année. Je revisite les jauges de la pépinière, je range mes placards, je vérifie mes affaires. On se laisse toujours surprendre, sans doute. Un peu d'anticipation ne nuit pas, là encore, même si elle ne préserve pas de tout. Et non...
Dimanche 7 janvier 2024
Le froid s'annonce. J'ai couvert mes agrumes dans la cour-jardin. Le potager noyé se désole des plants jaunis. J'en serai quitte je crois pour replanter quand la terre aura ressuyé.
J'ai marché dans le petit bois grisé de l'hiver. Les plans montagneux s'assombrissent. Quelques volutes de fumée se couchent mollement au dessus des toits. J'aime respirer cet air vif, quand je sais retrouver chez moi la quiétude d'une chaleur douce.
Je garde TtonytaPetra à l'étable. Le champ est gorgé d'eau. Elles tournent la tête quand j'ouvre la grande porte, mais ne réclament pas. Ces deux là ne meuglent pratiquement jamais. En période de rut, parfois, et encore. De bonnes bêtes, paisibles et faciles.
Txief aboie dans la pièce à côté pour que je lui ouvre. Il refuse de passer par la trappe. Parfois pourtant, quand il ne réfléchit pas, il s'y lance. Cet animal est très difficile à suivre. Il ne vient plus en promenade quand je dépasse la périphérie du remblai. S'il voit que je ne contourne pas le tas de terre pour revenir en boucle, il fait demi-tour ! Lola, ça dépend. Si elle se le sent ou pas. Aujourd'hui, elle a suivi. Seule ma Bullou reste fidèle jusqu'au bout, même si elle ne s'éloigne pas trop de moi, toujours craintive d'une mauvaise rencontre. J'aimerais autant qu'ils m'attendent à la maison : les sentir inquiets gâche l'effet apaisant de mes balades. Enfin... Tout ce petit monde vieillit. Et vieillir, c'est rarement une évolution très positive.
Vendredi 12 janvier 2024 18h30
Txief rêve à petits grognements rythmés. J'ai refermé tous mes volets. Le froid est encore vif, là dehors. Le soleil m'a trouvée sur le flanc protégé derrière l'anglais-espagnol. J'ai fait provision d'air pur.
La mienne nièce sort d'ici. Elle travaille un projet ambitieux. Je fais la rédactrice. L'occasion de bien rire, en cherchant la bonne tournure, percutante, mais pas emphatique. Pas toujours gagné, avec moi...
Samedi 13 janvier 2024 18h40
Je comptais me faire une longue séance écriture en fin d'après-midi. Une mise à jour qui n'en finissait pas m'en a amputé le plaisir. Partie remise.
Je raconterai peut-être la prochaine fois l'aigrette molestée par deux corbeaux. Je dirai comment elle est venue en panique se réfugier sous le poitrail de Ttony. Et combien piteux étaient les corbeaux éconduits.
Je reviendrai sur la maudite bague de mon hachoir. A sa dernière incartade, je ne l'avais débusquée qu'au terme de moults démontages et remontages. Là, ma suspicion l'a immédiatement identifiée comme coupable. J'avais un autre engin à portée : j'ai pu mener à bien mes charcutailles sans trop perdre de temps. J'en serai sûrement quitte pour quérir une nouvelle machine. Ca me fera l'occasion de voir Céline, à Saint-Pée.
Je parlerai aussi de ma balade avec Bullou, dans l'après-midi immobile. Des deux jets blancs des bouleaux surprenants dans le paysage, érigés là comme des cierges incongrus, sortis de nulle part, dans tous les gris et bruns alentour.
J'avais envie aussi de me pencher sur ce goût d'un espace intime, où le visiteur passe, mais ne reste pas. Ce besoin d'une tanière où me replier, au soir d'une journée où la compagnie m'a pourtant été bien agréable.
Cela me vient-il d'une enfance de promiscuité ? Nous étions neuf, pour trois chambres. Lesdites chambres nous étaient interdites en journée. La cuisine était un vrai hall de gare. Pas facile là-dedans de s'isoler. Je me prends une manière de revanche, sans doute.
Lundi 15 janvier 2024 11H
La séance écriture, ce sera encore pour une autre fois.
Hier matin, j'ai pu désherber sommairement mon potager. J'ai hâte de pouvoir y travailler de nouveau.
Hélène est venue déjeuner avec nous. Toujours des rires, avec des historiettes légères.
Quand les frères sont partis, la discussion s'est faite plus intimiste. Nous avons évoqué un film récemment vu : une femme de confiance. Une histoire d'emprise, de recherche de sens, là où il n'y en a pas toujours. Une histoire du triangle sauveur-bourreau-victime. A méditer. Je ne suis pas sûre d'avoir détricoté l'affaire. Je ne suis pas sûre qu'il y ait une voie lumineuse, où s'inscrirait la levée de nos tourments, petits et grands. Mais ce triangle me paraît signifiant, comme une image à tenir à portée.
18h30
J'ai fait une grande balade sur la corniche. Le soleil au début se couchait sur la lande, enluminant la mer étale et les rochers au dessus du rivage. Ensuite, les gris profonds et légers se sont superposés en strates cousines de la pierre ocre penchée sur l'écume des vagues à leur pied. J'ai noté finement une géométrie différente sur le millefeuille serré du second jumeau. Des pointes, là où l'autre s'étage en lignes parallèles.
Les mouettes au vol coulé sur la ligne d'horizon plane criaillaient leur appel lancinant.
Kôm sssétaît bôh !
J'ai marché un bon moment, je n'ai croisé que deux couples. J'ai eu l'impression d'avoir la lande et la mer tout à moi. Les sentes étroites devenaient glissantes de la terre mouillée damée par des milliers de visiteurs.
Des systèmes de treillis grillagés sur les poutres au sol préservent des chutes, là où il y en a. Ailleurs, il faut naviguer en équilibre. Pas étonnant qu'il n'y ait personne ! Des barrières en ganivelles délimitent le circuit étroit. C'est le prix à payer pour conserver la lande à peu près sauvage.
Je me suis étonnée de voir les jeunes pommiers du conservatoire cerclés de ces mêmes ganivelles. Un cheval broutait parmi eux. Je me suis dit qu'il n'aurait aucun mal à écorcer les tiges juvéniles. La ganivelle lui arrive à peine au poitrail ! Enfin, ces gens là savent sûrement ce qu'ils font.
Je suis rentrée toute vivifiée de bon air iodé.
Ici, Bullou est encore à l'article de la mort. Elle couine dès qu'elle entrouvre la mâchoire. Encore un abcès en préparation, sans doute. Elle exhale une haleine de chacal. Une petite visite au dentiste canin se profile.
Pour demain, c'est la jardinerie qui se profile. Quatre jours ici me font comme des vacances. J'y retourne comme on rentre au pays.
Mercredi 17 janvier 2024 18h30
J'ai eu une après-midi bien remplie. J'ai slalomé dans le cœur de cité d'une course à une autre. Je suis satisfaite, j'ai à peu près bouclé les affaires courantes. Bullou ira bien demain se faire réviser le râtelier. Elle souffre, pauvrette. L'injection anti-inflammatoire la soulage quand-même déjà.
Le soir est venté, tiède d'un souffle du sud. Vendredi matin, il va geler, paraît-il. Bon. J'ai rencapuchonné mes agrumes, pour ne pas avoir à le faire demain soir, à la rentrée. Je vais avoir ma Bullou à veiller.
Vendredi 19 janvier 18h45
Nous y sommes : ambiance glacée.
Les couleurs se sont retirées de la végétation, repliées dans les feuillages pâlis.
J'ai marché dans l'air vif. Bullou m'a suivie. Elle se porte bien de ses trois dents enlevées. Elle a retrouvé une haleine de jeune fille. Quelques soins post-opératoires, et ça devrait aller.
Nous avons repris les cours de basque avec le mien neveu. J'aime bien.
Je m'apprête à affronter les frimas demain matin. Je vais m'extirper une tenue grand nord.
Lundi 22 janvier 2024 18h
Une chape sombre investit le ciel. La pluie reviendrait-elle ? Ca n'arrange pas mes affaires : j'ai travaillé mon potager, repaillé les fèves, pois, aulx et oignons. J'ai aussi bêché le carré suivant, dédié aux patates et nouvelles planches d'oignons et d'ail, puisque celles de l'automne, grêlées, inondées, secouées de vents brutaux, ont piètre allure. Je comptais planter tout ça demain, au grand soleil annoncé. Le terrain léger du paillage et du fumier mélangé le permettrait. S'il ne pleut pas d'ici là.
Ce sont les fêtes d'Hendaye, en cette Saint Vincent. Je n'entends pas les flonflons des manèges. Je me souviens y avoir été, une fois. J'y avais découvert les machines à tiroirs, où une bricole vous tombait de sa colonne, quand vous lui glissiez une pièce. La mention "plaisir d'offrir, joie de recevoir", me paraissait le comble d'une délicatesse bien loin de nos us d'Agorreta. Mes frères devaient y être plus assidus que moi. Dans une des armoires du grenier, j'ai eu trouvé, jetés pêle-mêle dans un long tiroir tout en bas, beaucoup de ces petites boîtes. Une vraie petite caverne d'Ali-Baba.
Je portais ce jour-là un manteau en fourrure synthétique d'un beau brun, trois-quarts. C'était une seconde main de Gachucha. Je recyclais souvent la garde-robe de nos connaissances. Dernière de la fratrie du cousinage, j'écopais des vêtements trop ajustés des autres. Là, ce manteau exotique, me semblait du dernier chic. Je m'y lovais voluptueusement. Ce devait être l'année de ma communion, puisque je me souviens l'avoir porté plusieurs fois pour aller à la messe dominicale. Comme je n'y allais pas trop avant, ni après, ce devait être dans ce créneau temporel là. Onze ou douze ans, donc. Petite fille de ferme, pas trop versée sur la coquetterie, sensible tout de même à ces préoccupations hautement féminines. Ca m'a bien passé.
Je devais avoir une allure étrange, dans ma fourrure d'artifice. J'avais essuyé quelques remarques ironiques d'autres petites filles plus à la pointe de la mode d'alors. Je n'étais déjà pas très portée sur les sorties. Je n'avais pas d'amies particulières à retrouver. Cette tentative avortée me fit rentrer davantage encore dans ma coquille de sauvageonne. Ca ne m'empêchait pas de continuer mon petit bonhomme de chemin, centrée sur un monde paysan où je me sentais plus à ma place.
Aujourd'hui, les fêtes bruyantes me sont rédhibitoires. Elles me manquent peu. Je n'y ai jamais trouvé beaucoup d'attrait.
La nuit tombe, le jour assombri du nuage noir cède le pas. Je ferme mes volets. Je verrai demain si mon potager est prêt à être planté.
Mardi 23 janvier 2024 18h
Le moment parfait du crépuscule : une brume diffuse sur la baie, les ramures nues du bois d'Uristy enluminées des derniers rayons obliques du soleil couchant, le ciel d'un rose doré pâli au dessus du flanc du Jaïzkibel.
Je viens de rentrer de mon potager. J'ai terminé au soleil bas, à décortiquer sous le poirier les têtes d'aulx pour en repiquer les gousses. La terre était un peu grasse. L'averse nocturne l'a alourdie. J'ai quand-même planté. Ca me démangeait trop. j'avais en Bullou une assistante zélée : elle s'est mis en tête de recouvrir les patates alignées dans le rang ouvert. A grands coups de truffe, elle poussait dessus la terre légère empilée sur le côté. Comme je l'encourageais, elle me relevait la tête, agitait son moignon de queue en contentement, et s'y remettait ! C'était vraiment amusant ! A toutes les deux, nous avons mené le chantier à bien.
Je suis bien sûre qu'à la jardinerie, les clients ont fait comme moi, impatients de retrouver leurs plates-bandes. L'automne a frustré le jardinier, cette année. Et le jardinier frustré n'est pas toujours raisonnable : il se lance à la première fenêtre de tir, aussi approximative soit-elle.
Je paillerai tout ça demain. Ensuite, je m'occuperai de mon banc de fraisiers, à reprendre après deux années de culture libre. Le carré aromatique est en berne de sa sauge à moitié séchée, et de la verveine famélique. Il est trop tôt pour retailler. Si j'arrive à me contenir... Je sèmerai le poireau en mars. Attendrai ensuite mai pour les cultures estivales. Et la boucle sera bouclée.
Je suis rentrée de ma journée avec le sentiment de plénitude de la tâche bien accomplie. Je garde cet atavisme. Mon potager est de pur loisir. Il me rappelle quand-même mon enfance où le maraîchage était beaucoup moins en dilettante. Et ce même sentiment de satisfaction à la rentrée par l'ancien poulailler, la houe sur l'épaule, à regarder l'horizon long de la mer calme. Alors, j'avais encore quelques tâches au programme. Là, je n'ai que TtonytaPetra à panser. Et la soirée ensuite toute à moi seule. Ce que je connais de plus proche du bonheur complet.
Vendredi 26 janvier 2024 18h30
Une brume à couper au couteau estompe jusqu'aux piquets de clôture en face. J'aime cette ambiance feutrée. Je suis allée dans mes sentiers ouatés de ce silence. A la sortie du bois, un relent frais de menthe sauvage m'accueille toujours. L'hiver ne l'a pas muselée tout à fait.
Une compagnie animée sort d'ici. Là aussi, je retrouve le calme bienfaisant de mon logis. Les chiens assoupis couinent un peu de leurs rêves. Nous avons été un peu loin, aujourd'hui. Lola en écrase, et Txief ne fait pas beaucoup mieux. Bullou a retrouvé tout son allant, son petit moignon dressé et sa démarche fière.
Dans l'étable, TtonytaPetra viennent de se coucher en ahanant. Nous avons rentré deux balles de bon foin odorant. Près de trois semaines de réserve pour mes belles.
Les paysans manifestent. Poings liés par les politiques agricoles qui les assujettissent dans une dépendance malsaine, croulant sous les surinvestissements d'équipements prévus pour augmenter une production qu'ils n'écoulent plus correctement, ils sont dans l'impasse. Le gouvernement parlemente, réfléchit. Plus de finances pour faire taire la rébellion, paraît-il. Le paysan n'a pas besoin d'être davantage maintenu au sol. Il a besoin de reconquérir son travail et ses fruits. De reconquérir sa dignité et le sens du labeur. Pas sûr que ça se fasse en quelques jours. Il y aura sûrement un petit saupoudrage, histoire de faire rentrer tout le monde chez soi. Un voile sur le désespoir.
Nos paysans se sont laissé avoir. Reprendre la main sera difficile. Pas impossible, à condition de ne pas se laisser aveugler par l'éclat des grosses machines rugissantes et des fermes-usines ultra automatisées. Paysan, c'est travailler le vivant. Ca n'est pas brasser des dossiers compliqués qui vous submergent et vous noient. Paysan, c'est rester attaché à la terre, à la bête, et écouter ce qu'elles vous disent de sagesse.
Je parle facilement. Je parle quand-même de bon sens terrien. Je parle de mon monde d'avant qu'on le dénature.
Samedi 27 janvier 2024
Opération bâche sur le toit du rayon bassin, avec Jean-Michel. Une intervention qui ne déparerait pas, à Agorreta. Nous attendons la prochaine bonne averse pour jauger notre réussite. Ca me rappelle le bon vieux temps, dans ma porcherie-remise.
Dimanche 28 janvier 2024
Les tracteurs vrombissent dans tous les coins. Les prairies ont à peine ressuyé. L'épandage de fumier laisse des traînées de boue.
Avec Céline en visite, nous avons fait une pause face à la Bidassoa, sur la crête de Mieltxon Borda, au grand soleil. Il faisait bon. Le vent soufflait du sud, vigoureux mais pas brutal encore. Nous étions bien. Très près de tranquilles. Le Graal pour l'une comme pour l'autre.
Lundi 29 janvier 2024
Première sieste au soleil de l'année. Il faisait presque trop chaud, sur la terrasse. J'ai hâlé en une demi-heure.
Ce matin, Antton a emmené notre fumier de l'année vers les Jardins Familiaux. Ils en feront profit. Les aigrettes se régalent des vers affolés d'être soudain mis au grand jour.
TtonytaPetra pourvoiront à l'année prochaine.
Samedi 3 février 2024
Autour des 8 heures. Je suis sur mon tas de fumier, à tasser la pile.
Des voiles rosés avancent du levant en cavalerie légère. Des nappes de brume blanche se coulent dans la combe. L'ambiance est au grand calme. Je ne vois personne, je n'entends rien. L'atmosphère est pure. Je m'arrête sur ce moment. Je m'y recueille, et m'y ressource.
Lundi, les parages vrombiront des engins terrassiers. Les travaux sur le chemin sont annoncés. Comme l'a dit une locataire dans le coin : ce n'est pas de l'orgueil ! Expression transposée du basque, joliment amenée, je trouve.
Nous étudions des itinéraires bis, pour ne pas gêner les engins ni ralentir le chantier. Je vais parquer Grand Modus près de la bascule du remblai, dès demain soir. Je n'aurai en principe que mardi matin à fouler l'herbe mouillée de rosée, en tâchant de ne pas trébucher dans le noir.
Le vétérinaire s'était annoncé pour la prophylaxie pile-poil pour lundi après-midi. Au pire moment !
Ce chemin a été refait pour la dernière fois en janvier 1999. Cela fait donc 25 ans à la louche. Les vétérinaires réalisent la prophylaxie une fois par an. Fallait-il jouer de malchance pour que la configuration astrale rendent les deux événements concomitants ! Une chance sur 25 ans que multiplient 365 jours par an. Soit une chance sur plus de 9000 ! Et bim !!
Par un hasard heureux, il y a eu un petit hiatus d'organisation chez les vétérinaires. Leur visite est repoussée au 13 février. Mieux. Même si ça rallonge d'autant la petite crispation d'avant analyse : cette année, les génisses ont plus de 24 mois, elles sont éligibles à la tuberculination. L'opération est un peu coton, avec, après le prélèvement sanguin sous la queue, le petit rasage dans le cou, pour poinçonner deux fois : une pour inoculer le bacille avicole, l'autre le bacille bovin. La bête, désagréablement chatouillée par trois fois, n'aime pas du tout, et le fait savoir.
Je travaille par tutoriel, s'il vous plaît, la confection d'un licol. Celui que je pratiquais jusque là m'a paru perfectible. Nous faisons des exercices appliqués, avec TtonytaPetra, quand, repues après leur retour du champ, elles se prêtent le mieux aux jeux de corde. Là, tout se passe bien. Le 13, on verra.
Il faut ensuite surveiller les réactions comparées des deux injections. La mesure au pied à coulisse se fait au bout de 72H. Je ne me souviens que trop bien de ce délai, du temps de mon père, quand nous scrutions l'apparition d'un renflement. A l'époque, c'était de chaque côté de la queue. Le traumatisme de l'étable vidée ne nous a jamais tout à fait lâchés. Ces germes sont capables de persister, tapis, à bas-bruit, puis, d'exploser un jour, sans que l'on explique pourquoi ni comment. Et pas spécialement sur une bête vieille ou affaiblie. Je serai plus tranquille le 17.
Mes chroniques deviennent notes brèves. Je balise les jours de jalons discrets. Je suis plus à vivre. Moins à analyser. Plus à savourer le vif, que sa narration.
J'y perds le jeu d'écriture que j'aime pourtant beaucoup. Mes jours ne sont pas extensibles. Le temps passe vite, quand on ne s'y ennuie pas.
Mercredi 7 février 2024
Nos travaux tant attendus sur le chemin d'accès sont terminés.
Un joli ruban lisse et fluide nous tend les bras. Finies, les dents serrées pour slalomer entre les ornières !
Ce petit avant-après parle clair.
Je me suis fait un petit reportage-archives.
Les ornières ont été creusées profondément pour évacuer l'eau de là haut, autour de la buse dégagée.
Le bas-côté le long du champ en culture est impeccablement ourlé d'un gravier solidement damé. Deux couches, s'il-vous-plaît, de différentes sections. Un petit 150 M3 bien tassé. Ca en fait, des petits cailloux à bouger...
Pente légère vers la rigole, académique et protocolaire.
Cette petite lèvre fera l'objet de tous nos soins, et de notre attention constante. Toutes les mesures sont prises pour sa sauvegarde.
La rigole en question, presque aussi droite qu'un tir de balle.
Attention, ici, passage de vaches ! Pente aussi douce que possible suivant les talus de part et d'autre. On se doute bien que la bête cornée ne chaussera pas de pantoufles ni ne retiendra ses viscères pour traverser. Quelques bouses ne dépareront pas l'environnement résolument agricole. C'est prévu dans le plan.
Bullou inspecte, et donne son quitus. La route est large, et la pente douce.
Mardi 13 Février 2024
J'attends les vétérinaires. Je pense être prête. Contention optimisée. Antton va m'aider. Petra est en rut.
Dimanche à la jardinerie : discussion libre autour d'une truelle de béton et d'un pic. C'est parti d'un tatouage qu'il fallait cacher sous des vêtements, pour ne pas que paraisse sa flétrissure inexorable au fil des années. Je me suis étonnée de cet égard esthétique à usage des autres, étrangers à votre intimité puisqu'ils ne vous voient qu'habillés. Ne devrait-on pas plutôt s'inquiéter de l'image tendue à ses tout proches, ceux-là du cercle restreint du premier noyau ? Ceux-là qui vous verront nus sans vos oripeaux ?
Apprêts, mises en valeurs, emballages et autres artifices sont venus tourner autour de cet axe fondateur. Où s'arrête le mettre en avant ce qui est joli, et où commence le dissimuler ce qui ne l'est pas, quand pourtant les deux cohabitent et ne méritent pas plus l'un que l'autre.
Nous avons débattu là dessus, au soleil, outils en mains. Je me suis trouvée plutôt cohérente entre théorie et vie pratique. Je ne suis pas coquette, je ne m'embarrasse pas d'artifices compliqués. Ni pour mon apparence physique, ni pour ma personnalité. Je n'en vois pas l'utilité : je sais comment je suis, et tromper les autres ne me trompera pas moi-même.
Je veux du cru, du nature. Je veux voir des gens leur couleur vraie : le bleu froid du hautain, le rouge violent du sanguin, le vert du poète, le jaune du séducteur, le parme du timide. Ne pas être trompée, grugée. Voir ce qu'il y a derrière, dessous, là où c'est au plus authentique. Je ne veux pas qu'on me tende des paravents joliment ornés. Je me méfie des camaïeux trop chatoyants, où les couleurs se diluent et se délayent. Je sais la personnalité humaine multiple et complexe. Bien assez pour qu'on n'y rajoute pas le camouflage d'une apparence faussée.
J'en reste à Lise Bourbeau, et ses "5 blessures qui empêchent d'être soi-même". TRAHI pour Trahison, Rejet, Abandon, Humiliation, et Injustice. C'est très commode à lire sous forme de tableau. Sauf que des transversales s'invitent évidemment entre les cases... Une grille d'interprétation adaptable, à condition de la retravailler au cas par cas.
J'ai examiné la transcription physique de ces "blessures", et leurs cicatrices sur la personnalité. Si la lecture de ce physique est biaisée, comment s'y retrouver ? Un postérieur tout plat, une ceinture alourdie, parlent et racontent. Si on les dissimule, si par artifice on en corrige la courbe, comment détecter la trame essentielle là derrière ? La dissimulation et l'artifice en eux-mêmes signifient, mais brouillent. C'est bien leur raison d'être !
Pour comprendre, il faut écarter, mettre à jour. Chez les autres, et chez soi ! Tant on oublie de se regarder tel qu'on est. L'image qu'on tend aux autres, finit par s'imposer comme sienne.
Notre ère du tout image n'arrange rien. Il faut aller chercher derrière, dessous, dedans, parfois loin. C'est une quête parfois difficile, et une confrontation douloureuse. Nécessaire, j'en suis persuadée, nécessaire.
De là, nous avons évoqué les affres de la vieillesse. A un moment ou à un autre, les masques tombent, les sangles lâchent, les chairs s'affaissent, et la vieillesse et sa laideur font leurs vilaines grimaces. Puisqu'on ne peut leur échapper, autant les regarder en face, et au plus tôt.
Je ne voudrais pas être devenue plus vulnérable encore, pour me retrouver face à une image crue et violente d'avoir été trop longtemps estompée.
19h
Le vétérinaire a œuvré. Petra a bien regimbé. Mon anneau n'a pas lâché. Je déclare le système breveté.
3 jours de surveillance maintenant. Les deux petites plaques rasées dans le cou des génisses ne doivent pas gonfler.
Mercredi 14 Février 2024 18h30
Grande douceur. 22° ! J'ai jardiné dans le souffle tiède. Mes planches dardent comme un seul homme. Le potager prend jolie tournure. Opération redressement de nos schinus mollé. Un bon élagage va aider. J'ai récolté quelques baies de poivre rouge, pas bien mûres, mais les dernières tempêtes ont trop malmené les arbres pour que je laisse la végétation plus longtemps.
Jour de la St Valentin, fête des amoureux. Tout ça est loin maintenant. Je me souviens vaguement que c'était quand-même agréable. Le temps m'a neutralisée. L'expérience m'a désabusée. J'en garde un très bon souvenir, nonobstant.
Vendredi 16 février 2024 15h
J'attends le vétérinaire pour la lecture de la tuberculination.
Une crispation mauvaise me serre les entrailles depuis hier matin. Sur le cou de Ttony, deux ulcérations, au niveau des injections de tuberculine. La première, au plus près de la tête, bien plus grosse que la seconde, près du poitrail. Pour Petra, rien ne bouge, surface lisse sur la peau rasée. Mercredi soir, il n'y avait rien, ni sur l'une, ni sur l'autre. Je commençais à me tranquilliser. Trop vite.
Ah, le voilà. Je m'interromps là. Je reprendrai tout de suite après.
Ouf, tout va bien ! Ttony a juste trop côtoyé les hirondelles. Je me sens nettement soulagée !
A partir d'ici, l'histoire va se faire plus légère.
Je reprends là où j'en étais.
Depuis hier matin, je compulse tous les articles sur la question, la boule au ventre. J'avais bien retenu que pour ce dépistage, on injectait un point de tuberculine aviaire, et le second en tuberculine bovine. Après 3 jours, il ne devait y avoir, au mieux, aucun renflement, au pire, le même sur les deux points d'injection. Certaines réactions fugaces pouvaient survenir pendant le délai des 3 jours, mais ne devaient pas être retenues, puisqu'elles disparaissaient très vite.
Evidemment, moi, pendant ce délai, j'ai vérifié autant de fois que je suis passée à portée des génisses. Et, depuis hier soir, depuis mon retour de la jardinerie, j'ai du vérifier cinquante fois ! Pour Petra, toujours rien. Et pour Ttony, un épaississement notable de peau sur l'avant, et un renflement beaucoup plus modeste à l'arrière. Mais renflement quand-même.
Dès jeudi matin, à la jardinerie, j'avais cherché à savoir dans le détail comment se faisait l'interprétation d'un tel résultat. Je suis devenue très pointue sur la question. Je n'ai pas pu m'y pencher trop longuement, je suis censée travailler à la jardinerie, là-bas, et pas pour Agorreta.
J'avais juste vite fait retenu les points A et B, comme aviaire et bovine. Leur positionnement respectif me les plaçait en réaction notable sur l'aviaire, et modérée sur la bovine, pour ma Ttony. Déjà de meilleure augure. En fouillant un peu au moment de ma sieste sacrifiée, j'ai trouvé un tableau de lecture de la dermotuberculination comparative. S'il vous-plaît. La configuration aviaire>bovine n'y figurait pas. Il s'agissait toujours de bovine > aviaire, de plus ou moins de 2mm. Moins, ça allait. Plus, c'était la catastrophe. 2mm, ça semble peu de chose ! Moi, c'était - 2 bons centimètres. Que faire avec ça ?
J'ai repris les articles. D'abord, la méthodologie :
Première chose : la contention, de la responsabilité de l'éleveur. Avec mes anneaux muraux et mes licols protocolaires, je n'étais pas trop mal.
Au moment de l'injection, on rase les zones déterminées : le défaut de l'épaule, en gros, et le mitan de la longueur de cou, à peu près, distants d'environ 15 à 20 cms. On mesure au "cubimètre" l'épaisseur de peau là dedans. On injecte ensuite sur les deux points. La tuberculine bovine près de l'épaule, l'aviaire dans le cou, plus haut. Là, toute une technique qui me dépasse, histoire de ne pas faire revenir le liquide en arrière, ni de l'envoyer trop en profondeur, pour ce que j'en ai compris.
Vient là l'attente des 72H.
On passe à la "lecture".
Si A et B (Aviaire et Bovine) restent plats et muets, résultat négatif, pas de tuberculose. Le meilleur cas de figure.
Si A et B bougent, on compare l'épaississement. Toujours au cubimètre. Un truc un peu précis, d'après ce que j'en ai compris. Mieux que le pied à coulisse. Je l'avais hier soir demandé à Antton. Puis, je n'ai pas su m'en servir. De toute façon, la différence de grosseur entre les deux renflements de Ttony s'appréciait à l'œil nu.
Si B-A < 2mm, résultat négatif. Ouf
Si B-A >2mm mais <4mm résultat douteux. Merde. A revérifier, la peur au ventre.
Si B-A >4mm résultat positif. La bête est condamnée. Pas forcément malade, d'ailleurs très rarement malade. Mais abattue, par précaution.
Si dans le cheptel, plus de la moitié des bêtes sont positives, on embarque tout le monde vers l'abattoir. J'ai connu, c'est affreux.
Lors de mes recherches, je suis tombée sur la vidéo d'une jeune vétérinaire. Elle expliquait que la majorité des bêtes abattues étaient saines, heureusement. J'ai trouvé cet "heureusement" passablement scandaleux. En clair, on abat pour rien. J'ai bien compris qu'elle voulait dire qu"heureusement", la maladie était contenue. Que les mesures drastiques d'abattage permettaient d'empêcher sa propagation calamiteuse. Viendra peut-être le jour ou on saura repérer les bêtes vraiment malades, et par le fait contagieuses, et les différencier de celles qui réagissent à la tuberculination, sans l'être.
Si le nombre de cas représente moins de la moitié de l'élevage, on élimine "partiellement", avec de nouveaux tests très rapprochés. Et de nouveaux abattages, le cas échéant. C'est une horreur. Voir partir ses bêtes les unes après les autres. Souvent les plus belles et les meilleures d'abord. Parce-qu'évidemment, celles qui sont vraiment atteintes, ne réagissent plus au test, et continuent de contaminer les autres.
On a quand même fait des progrès dans ces tests de dépistages. A l'époque où la tuberculination se faisait par injection simple de tuberculine bovine, la moindre réaction supérieure à 2mm condamnait la bête, et, potentiellement, le cheptel. Quelques années en arrière, TtonytaPetra étaient conduites tambour battant à l'abattoir.
Je suis tombée sur un article du vétérinaire J.F Tripard. Il a travaillé dans les années 60-70, me semble-t-il. Il avait remarqué que dans les étables où il y avait des poules, les réactions positives à la tuberculose étaient bien plus nombreuses que dans celles où il n'y avait pas de volailles. Il a fait le rapprochement. Et démontré par un grand nombre de cas cliniques la relation entre tuberculose aviaire, et bovine. En effet, la présence de tuberculose aviaire induit une réaction positive à la tuberculose bovine. Je ne suis pas sûre d'avoir techniquement tout bien compris, mais, en gros, ça disait ça.
On ne "traque" pas la tuberculose aviaire chez les bovins, à priori. Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas. J'ai cherché un peu, mollement, mais quand j'ai compris que la forte réaction "aviaire" sauvait ma Ttony, je n'ai pas fouillé davantage. Si la réaction à la tuberculose bovine est une conséquence de la présence de tuberculose aviaire, la bête n'est pas contaminée, ni même susceptible de l'être.
Ce vétérinaire a donc "sauvé" des centaines et peut-être des milliers de vaches. Loué soit-il ! Enfin, plus exactement, il a retardé leur départ pour l'abattoir. Ne soyons pas bisounours.
Je ne sais pas si la dermotuberculination comparative a été introduite suite à ses études ou pas. Toujours est-il qu'à un moment, on a levé le loup, à savoir cette diable de tuberculose aviaire chez la vache. Et différencié les vraies positives, des fausses. Encore que, comme je l'ai dit, les vraies positives soient en majorité saines, quand les vraies malades sortent négatives. Ou des limites des principes de précaution.
Qui a subi le traumatisme de "l'étable vide" me comprendra. C'est un déchirement, un sentiment aigu d'injustice, de gâchis, de voir ses bêtes sacrifiées pour la plupart inutilement. Il faut se résigner à respecter les directives sanitaires, par force. On ne ressort jamais indemme d'une telle expérience.
La recrudescence des cas de tuberculose bovine induit depuis quelques années des contrôles systématiques annuels. Induit des réminiscences douloureuses. Induit la peur chez l'éleveur.
Je suis encore une fois sûrement dans le mélo. Le paysan ne s'épanche pas ainsi.
J'ai vu en fin d'année dernière un reportage sur un éleveur béarnais, sec, taciturne, au regard dur sous des sourcils broussailleux. Son élevage était marqué. Toutes ses bêtes ont été chargées dans des bétaillères, direction l'abattoir.
L'homme ne faisait vraiment pas dans le "mélo", lui. Le reportage ne paraissait pas spécialement orienté. On interrogeait beaucoup les éleveurs, oui, mais aussi le ministère, les autorités sanitaires. Et la parole de chacun était légitime, et honnêtement recueillie, me semble-t-il.
Cet homme si sobre dans ses manifestations affectives avait la gorge nouée. Il dissimulait sa douleur, comme il le pouvait. Les éleveurs voisins venus l'aider faisaient pareil. J'ai pensé cet homme sincère, et sincèrement touché au plus profond de lui. Ou alors, il était très bon acteur, et le reportage biaisé. Je n'écarte pas, mais je n'y crois pas du tout.
Quand, après que les bêtes sont parties, le journaliste lui pose la question :
- comment vous sentez vous ?
Il répond en parcourant mécaniquement du pouce un motif de la toile cirée sur la table de cuisine à laquelle il est assis, yeux baissés, :
- vide.
Sa femme à ses côtés, rajoute :
- comme son étable.
Les larmes me sont immédiatement montées aux yeux. Je comprenais parfaitement l'homme. J'avais ressenti le même désarroi, à ma toute petite échelle.
La répartie ne semblait pas calculée. Ou alors, je me laisse facilement berner. Très possible aussi...
Toujours est-il que l'épisode 2024 de tuberculination m'aura ramenée des années en arrière. A une période difficile, où, toute sensiblerie écartée, nous avions à la ferme connu ce syndrome de l'"étable vide", comme on dit "nid vide". A part que dans "nid vide", on espère les enfants partis vers d'autres horizons, comme il est juste qu'ils le fassent. Et ça change tout, évidemment ! On me pardonnera mes analogies vaches-enfants.
En marge de toute donnée scientifique, j'ai toujours fait le rapprochement entre la tuberculose bovine, aviaire, et humaine. Je suis bien certaine qu'un pareil cousinage ne s'arrête pas à l'espèce. Bien certaine qu'ici, le bacille enkysté sommeille. Sans doute même depuis l'époque lointaine où des "lépreux" étaient parqués sur les hauts d'Agorreta.
Là, je fabule, je romance, je me perds en conjectures fantaisistes. Ou pas.
La menace est écartée de mon étale pour cette année. Elle reviendra planer bien assez tôt, pas plus tard que l'année prochaine.
Mercredi 21 février 2024
Depuis dimanche, à la faveur du beau temps, je suis à fond dans les jardins. Particulièrement, je tire sur les lierres. Les lianes sont à cette saison en pleine pousse souterraine. Quelques feuilles pointent seulement hors de terre, et, déjà, la longue tige dessous court et racine. C'est le meilleur moment pour les extraire. Elles viennent d'un seul tenant, les crampons se détachent les uns à la suite des autres comme des bouton-pression. Les autres adventices, au système racinaire encore tendre aussi, s'arrachent facilement. La terre est bien mouillée, elle rend sans faire d'histoire ce qu'elle commençait à couver.
Cette après-midi, il faisait encore bien bon. Dans ma tournée en extérieurs, je me suis consacrée au triangle à l'angle de la cour devant l'étable. Il y a là un rosier rugueux et un églantier. Les deux ont eu bien du mal à s'installer. Les conditions dans ce coin battu par les vents mauvais sont dures. Les circonstances guère meilleures, quand les vaches voisines viennent happer les bourgeons naissants. Depuis que j'ai installé le grillage à mailles carrées en plus des rangs de barbelé, il y a quand-même eu une nette amélioration dans la préservation de ces attaques. L'an dernier, un désherbage moyennement sélectif avait fait pâlir le rosier en végétation. Depuis, j'ai intronisé mon paillage passe-partout, et là aussi. Mes deux rescapés s'en trouvent mieux.
Nonobstant, quelques chiendents et autres adventices tenaces pointent au travers de la couche aplatie par l'hiver. C'est là que j'interviens, pour éradiquer cette pousse sournoise, avant de remettre du paillage frais. Il devrait tenir la saison. Je n'aurai pas à y revenir.
Ce triangle, comme de juste, est clôturé sur trois côtés. On se souvient de la chute des alors toutes jeunes TtonytaPetra. J'avais cloisonné l'angle en surplomb pour éviter la récidive. La conséquence de cette isolation spatiale est la difficulté d'accès à ce recoin.
A travers les barbelés, en tirant les bras, je n'arrive pas à arracher les herbes les plus éloignées, même en m'y griffant copieusement les avant-bras.
Je dois entrer dans l'arène. Pour ce faire, je suis très au point. J'installe côté cour une chaise de jardin. Je positionne dans le triangle un escabeau. Le tout fait un passe-pont précaire, mais suffisant, à condition de s'arrimer aux piquets.
Travailler dans cet espace étroit n'est pas des plus confortable. Mais, pour une ou deux interventions annuelles, ça fait l'affaire.
J'arrachais à tour de bras, satisfaite d'avoir saisi ce créneau idéal pour le désherbage. Il faisait bon, j'étais bien, même égratignée par l'églantier ingrat. TtonytaPetra broutaient loin, en bas, dans le champ.
A un moment, j'entends derrière moi un bruit. Et je sens le mufle humide de Ttony sur mon épaule. Bougresses ! Elles étaient remontées sans que je m'en aperçoive ! Mon dispositif de passage les aura intriguées. Evidemment, toute en délicatesse, Ttony avait renversé la chaise. Je me relevais en faisant attention de ne pas m'accrocher aux épines, et la sommais de s'éloigner. Elle recula, entraînant avec elle ma chaise. Je pus tout juste la rattraper ! Sinon, me voilà enfermée !
Je rentrai pour les soigner et les attacher, avant de retourner terminer mon ouvrage. Je ressortis de là, griffée d'éraflures sanglantes, comme si j'avais eu à traverser un roncier de 20 mètres.
Vendredi 23 février 2024
L'ambiance douce et calme a cédé place à la tempête rageuse. Des souffles violents hurlent leur hargne depuis hier après-midi. A la jardinerie, une paroi vitrée de l'animalerie est tombée au sol, en un pan entier assourdissant.
Je reviens de ma promenade urbaine. Ce rituel est installé : quand je vais changer mes livres à la médiathèque, je me promène par les rues de la ville, ou le long de la Bidassoa. Le vent d'aujourd'hui m'a poussée au flanc, boursouflant mon imper autour de moi, bien au chaud là dessous. J'aime bien ces sensations d'être abritée contre les éléments en colère. Je garde toujours en tête cette pochette de livre : "j'ai choisi la tempête". On y voit une jeune fille, le visage griffé par ses mèches de cheveux bruns déportés sur le côté. On imagine parfaitement le vent fort, la pluie cinglante. Et la détermination de la fragile jeune fille. Une résistante.
Je revenais tout juste sous le pont de Belcenia, quand l'averse oblique s'est mise à gifler mes jambes. Je suis rentrée toute vivifiée.
Dimanche 25 Février 2024
L'orage surprenant a grondé toute la journée, hier, entre éclairs et tonnerres. J'ai travaillé à l'abri, dans le sous-sol, où le mauvais temps mugissait assourdi.
Quelques conversations relâchées, comme souvent en ces occasions. Les aléas d'une honorable vie sentimentale, en rétrospective comme on balaie une carrière professionnelle, au moment d'en prendre sa retraite. J'ai mes annuités. Je peux laisser tout ça derrière moi.
Mercredi 28 Février 2024
J'ai passé une grande partie de la journée en peinture. J'avais le projet pour cette semaine de vacances de reprendre le mur de ma pièce-sas où de vilaines grimaces humides noircissaient désastreusement le restant de blanc. Le seul jour annoncé sec, c'était aujourd'hui. Je me suis glissée dans cette fenêtre météorologique. Finalement, le gris-vert plutôt bleu laisse un rendu potable. Les disparités de l'enduit en dessous transparaissent, évidemment. Ca ira pour la campagne !
Je suis sortie prendre l'air, tout de même. Sur le chemin le long du remblai, les chatons furieux des saules s'ébouriffent entre les arbres morts, dans le désordre des branches enchevêtrées. La perspective est bien changée, depuis que le côté a été défriché. La nature reprendra ses droits, à moins que quelque chose soit prévu par là.
Jeudi 29 Février 2024 16h20
Je suis rentrée sous la saucée d'une giboulée brutale. Dans le passage nord-sud de ma promenade, j'ai failli m'arrêter, toute à l'imprégnation du calme de ce moment. Je regardais les chatons des saules, duveteux dans l'ambiance tranquille, sur fond de ciel gris. La mer en fond étirait cette barre claire que j'aime contempler. Les cieux n'étaient pas trop chargés, assombris à peine sur la pointe haute du Jaïzkibel.
Le coup de vent a secoué tout ce beau calme. J'ai ramené sur moi ma veste, et allongé le pas. Les chiens ne se sont pas fait prier pour accélérer l'allure eux aussi. J'ai retrouvé le confort de mon nid douillet. Mes affaires sèchent. Les chiens auréolent d'humidité leurs couvertures.
TtonytPetra sont à l'étable depuis plusieurs jours. Les pluies diluviennes de la semaine ont détrempé le champ. Elles ne réclament pas, tournent juste la tête vers le dehors quand je laisse la grande porte ouverte.
Au potager, les patates pointent, un peu pâles de tant d'eau. Le reste tient honorablement. La seconde planche d'ail est remarquable d'une régularité presque suspecte dans mon potager biscornu.
Les beaux jours reviendront. Il sera temps alors de reprendre tout ça.
Samedi 2 Mars 2024 16H20
Régularité de métronome. Ca me ressemble assez.
Là aussi, la pluie m'a ramenée à la maison. J'étais partie, seule, les chiens enfermés dans la voiture pour qu'ils ne me suivent pas. Avec la boue partout, la pluie, le frais, ils n'auraient pas trop apprécié la promenade. Je me faisais une joie de cette virée en solitaire, pas de promeneurs en vue par ce temps, très bucolique sous mon grand parapluie Lafitte. J'avais chaussé les bottes hautes. J'étais parée. La campagne serait pour moi seule, la pluie dans les flaques clapoterait son rythme hypnotique, je rêvasserais.
J'avais à peine dépassé le potager, que l'image de mes lentilles débordant de la casserole vint me polluer. J'avais pourtant mis tout ça à feu doux, il fallait trois bons quarts d'heure de cuisson. Ma cuisine est de cantine. Aucun raffinement chez moi. Le rôti du dimanche marine. Les lentilles nutritionnelles mitonnent, sans apprêt particulier.
Je reste parfois sceptique à l'évocation d'une cuisine plus fine, plus créative. Création s'entendant par œuvre nouvelle, inédite, j'ai l'impression que tout est bon, du moment que ça ne ressemble à rien de ce qui se fait déjà. Et qui est pourtant souvent pas mal. Je ne suis pas dans la mouvance. Mes plats ordinaires nourrissent, d'un, et ne paraissent pas déplaisants à manger, de deux. Ca me suffit.
Ce petit trois-quarts d'heure me semblait un peu juste. Quand je pars comme ça, je n'aime pas avoir de contrainte horaire. J'en ai tant eu au paravent, avec mes escapades faufilées dans un emploi du temps minuté !
Les chiens dans la voiture froide me hélaient aussi depuis la rive d'une petite culpabilité. Ils étaient pourtant mieux là, qu'à clapoter avec moi sous la pluie dans la boue froide.
Bah. Mon plaisir s'étiolait avant même que d'avoir commencé. Arrivée au niveau du tertre herbeux, j'obliquais à droite, comme quand je me fais une petite sortie rapide. Txief adore ce moment, quand il comprend qu'on n'ira pas au delà du remblai. Je pouvais encore piquer tout droit, essayer de rattraper mon petit rêve encore à portée. J'imagine mes zigzags vus de loin ! Je n'en suis pas à une "déconcertitude" près.
Je reconsidérai mes choix à cette croisée décisive. Je pouvais poursuivre, laisser là ma casserole de lentilles en péril, et mes chiens enfermés dans le froid. Je pouvais aussi rentrer, retrouver tout ce petit monde et me mettre au chaud et au sec.
J'étais partie bien couverte, sans téléphone. Il y a peu, je partais toujours, sans téléphone, puisque je n'en avais pas ! Maintenant, le fait d'avoir un portable où l'on peut-être joint n'importe où, d'où l'on peut appeler à n'importe quelle occasion, me ceint d'un joug exigeant. Si je m'éloigne de cette borne de survie, je suis dans un monde parallèle, loin de tous, en danger potentiel de ne pouvoir appeler personne à l'aide. Je suis aussi hors d'atteinte de qui aurait besoin de moi. La belle affaire !
Je pars en promenade dans les parages, pas dans les sous-bois amazoniens. Mes familiers connaissent à peu près mes circuits. Au pire, s'ils ne me voyaient pas rentrer, ils ne me laisseraient pas trop longtemps pourrir et me dessécher dans un fourré de ronces.
Je sais bien qu'il peut-être pratique de pouvoir appeler quelqu'un, quand, cheville foulée, assise sur le talus, incapable de claudiquer plus avant, une rescousse motorisée vous ramène gentiment vers la civilisation médicale. C'est vrai.
Je rentre aujourd'hui dans ma soixantième année, le cas ne s'est jamais présenté.
Il est significatif de voir combien nous nous représentons d'autant plus facilement le danger, que nous avons l'impression de pouvoir y parer. Comme si toutes ces parades anticipatives se justifiaient par la nasse de tous ces dangers potentiels au dessus de nos têtes innocentes. Comme si nous avions raison de prévoir. Au lieu de vivre insouciants et benêts. Quand nous nous comportons avec outrance, il faut bien habiller cette outrance d'un costume honorable.
Je ne suis pas sûre du rapport : je me demande s'il n'y a pas un lien avec l'enfantement dans la douleur d'un quelconque mérite. Le mérite se gagne, par la souffrance de l'effort. La sécurité se gagne, par la vigilance d'un aguet constant.
Je n'arrive pas à me libérer de cet esclavage du portable. J'ai neutralisé toutes les alarmes de notifications. Histoire de ne pas vivre sur le qui-vive perpétuel, quand chaque signal fait sursauter le neurone, et ne le laisse pas en paix jusqu'à tant qu'on ait vérifié la teneur dudit signal. Souvent anodin, puisque, en cas d'urgence, les gens ont quand même le réflexe minimal d'appeler.
Pour autant, je vérifie très régulièrement sur l'écran qu'il n'y en a pas un, de ces fameux signaux insignifiants. Je tente de m'éduquer à moins d'emprise, en allongeant les plages horaires sans vérification, et en laissant mon portable sagement remisé ici.
Je n'en suis pas encore au stade où je l'oublie tout à fait, quand je pars sans.
Là, donc, j'étais partie, nez au vent, laissant derrière moi une casserole susceptible de déclencher un incendie, mes deux vaches et mes trois chiens attachées et enfermés, prisonniers dudit incendie. En cas de macabre sinistre, on aurait pensé mon corps calciné dans les cendres, et pleuré ma disparition. Ou pas.
Même, en admettant que ma casserole brûle seule et sans conséquences environnantes, je pourrais encore me fracasser mortellement le crâne contre un obstacle quelconque, en glissant sur une des nombreuses plaques de boue du moment, tiens. J'aurais avancé hors des parages immédiats de la ferme.
Les premiers a donner l'alarme à distance temporelle n'auraient rien compris à la situation : une casserole brûlée sur le feu, les chiens enfermés dans la voiture, les vaches pas encore soignées. Ils auraient pensé que je m'apprêtais à aller "en ville", comme je le fais parfois, en emmenant les chiens. Ils auraient supputé que quelque chose, ou quelqu'un, m'en avait empêchée. Que je m'étais détournée de mon projet, sans avoir eu le temps ou l'occasion de remettre de l'ordre dans le déroulé de mes actions, moi si ordonnée d'ordinaire. Une configuration où l'urgence devient suspecte, inquiétante.
Un rapide tour d'horizon n'aurait pas permis d'éclaircir le mystère. Serais-je partie, perdant subitement la tête ? M'aurait-on enlevée ? Mais qui ? Et pourquoi ? Me serais-je volatilisée, télétransportée dans un autre monde ? Les hypothèses les plus folles seraient avancées. Celle d'un départ en promenade, laissant tout là en plan, bien loin de mes usages, ne serait sûrement pas remontée en première intention. C'est vrai, cela me ressemble assez peu.
Ma sortie d'aujourd'hui s'apparente ainsi à une véritable aventure. Je ne sais pas ce qui m'a pris.
Tous ces éléments se sont coalisés dans mes recherches d'une voie à choisir. J'ai bifurqué vers la droite. Choisi donc la sagesse.
Je ne voulais tout de même pas renoncer tout à fait au bénéfice fantasmé de ma promenade. J'ai respiré profondément l'air humide. Tourné sur moi-même pour embrasser largement le paysage mouillé. Je me suis remise en route, sous mon parapluie. Sur l'un des versants du tertre, une colonie d'euphorbes étoile ses inflorescences claires. J'ai pensé à mon collègue Vincent, très séduit par ces plantes. Pour moi, des mauvaises herbes. J'aurais pu lui envoyer l'image, si j'avais eu mon fameux téléphone sur moi, et si j'avais su faire, surtout. Je ne suis pas accoutumée à ces communications là.
Plus loin, après la touffe d'ortie qui m'oblige à porter Lola dans mes bras quand elle me suit, pour ne pas qu'elle y pique son ventre bas, j'ai admiré la délicatesse vertigineuse d'une ombrelle de berce. Elles sont communément blanches. Celle-ci est rosée. Plus trapue que ses familières, mieux ramifiée. Je l'ai remarquée déjà. Je m'y arrête à chaque fois, jamais blasée.
Je suis rentrée. J'ai libéré les chiens qui n'ont pas trop bien compris la manœuvre. TtonytaPetra se sont lourdement relevées, prêtes à la ration du soir. La casserole murmurait gentiment. Tout allait bien.
Antton et Beñat sont venus goûter avec moi, autour de cette table ronde. La transposition depuis la cuisine en bas est une réussite. J'y tenais.
Antton a d'ailleurs failli ne pas être là, à siroter tranquillement sa tisane en mordant voluptueusement dans un de ces gâteaux chocolat-lait, moelleux à souhait, et sucrés tout autant.
Ce matin, nous avons renforcé la clôture du champ. Quand les cousines seront de sortie, bientôt, au temps meilleur revenu, les miennes iront les taquiner, entre les fils barbelés. Elles arrivent à écarter les piques, en jouant de la corne, et n'ont plus ensuite qu'à pousser les fils dénudés. Elles finissent par les rompre. Ca fait une brèche. Où s'engouffrent les tentatives d'évasion, de part et d'autre, histoire de voir si l'herbe est plus verte à côté.
Nous tendions en renfort des lignes supplémentaires, aux endroits stratégiques où les originelles ont été malmenées. Le fil ronce n'est pas très amical. Il a vite fait de se rebiffer, quand on le déroule. Par effet de ressort, il bondit alors, et griffe toute chair qui se présente à lui.
Antton tenait la première ligne tendue, avec une tenaille, pour que je pointe sur le piquet. Sa prise trop forte a coupé le fil. Les piques se sont jetées à son visage. Je me suis affolée de voir son œil ensanglanté. Le sang coulait de là en rigoles fournies, le long de la joue et dans le cou. Je me suis approchée, persuadée qu'il s'était gravement blessé à l'œil. Lui ne déterminait pas trop d'où venaient les saignements. Je tamponnai avec un mouchoir douteux. Je fus soulagée : la paupière et la joue étaient seules touchées. Assez profondément tout de même. Ca saignait beaucoup.
Le pauvre garçon dernièrement inquiété de son taux de plaquettes un peu bas n'était vraiment pas tranquille. On lui avait parlé de risques hémorragiques ! Il se voyait vidé de son sang, là, le long de cette clôture, par ce matin doux. Je le rassurai, refoulant ma propre inquiétude. Nous sommes remontés dans le champ, en évitant de glisser.
Après un bon nettoyage et une désinfection protocolaire, l'ensemble se présentait mieux. Dûment pansé, Antton redescendit avec moi. Nous finîmes notre ouvrage, très satisfaits du rendu. La matinée était agréable. Le paysage large. Les abords tranquilles. La plaie ne saignait plus.
Nous étions passés bien près de la catastrophe.
Là, il est bientôt 19h. Je me suis interrompue dans mon atelier d'écriture pour le goûter, et les soins de beauté à TtonyetPetra.
A la faveur de ma promenade écourtée, je retrouve ce plaisir d'écriture. Ce plaisir d'enfiler des mots sur des anecdotes futiles. Mes notes antérieures sont plus des jalons de repérage, pour retrouver la saveur des moments quand on les aurait oubliés.
Là, c'est du babillage en musiquette légère.
C'est du plaisir pur. Différent de celui dont je me suis sentie privée. Suffisant à le compenser.
Dimanche 3 mars 2024 11h42
J'attends Hélène et Miss Too Much en invitées dominicales.
Mes fameuses lentilles sont cuites. Je vais juste vérifier l'assaisonnement. Le rôti grésille dans le four. J'attends pour faire chauffer la soupe. Tout est donc prêt.
Je prévois une bonne après-midi bavardages. Le temps mauvais s'y prête mieux qu'à toute autre chose. Les souffles de vent se faufilent par la trappe des chiens. Je vais pousser le chauffage.
Lundi 4 mars 2024
Je me suis fait aujourd'hui la promenade bucolique que je me promettais samedi.
Dans le contrebas, la langue de fougères ployées sous les abats d'eau moutonne de fauves profonds. Déjà, les scilles transpercent cette masse lourde.
Dans le sous-bois et le long des talus, les asphodèles vigoureuses hissent leurs inflorescences noires. Les violettes ont été complètement chiffonnées. Le soleil revenu repassera leurs pétales malmenées.
Jeudi 7 mars 2024
Je suis à la maison pour la bonne cause. Cette fameuse cause au long cours. Ca a été l'occasion de rencontrer deux nouveaux intervenants. Nous commençons à avoir un large spectre des fonctionnaires habilités à traiter nos débordements fonciers.
Ceux-ci se sont montrés plus bienveillants que la crocodile précédente. Au moins, ont-ils daigné regarder nos plans-preuves, et photos-témoins. Les mêmes que l'autre reptilienne avait écartés dédaigneusement d'un mouvement méprisant. La petite géomètre a été performante. Nerveuse, montant au créneau avec courage et conviction. Une vraie sportive, endurante et capable de donner le coup de collier au bon moment.
J'étais sommée de ne pas "sauter à la gorge" de nos interlocuteurs. Je ne me souviens pas avoir jamais fait une chose pareille ! Tout de même, dûment mise en garde, et puisque je m'étais clandestinement faufilée dans l'entretien, je me suis tenue coite. J'ai juste appuyé quelques points dont je maîtrise parfaitement les tenants et aboutissants.
L'entretien se déroulait plutôt bien. Nous paraissions avoir gain de cause sur le premier front.
J'étais venue pour essayer d'élargir le champ. En ayant donc pour consigne d'attendre mon tour, et de le laisser passer si la tournure le demandait.
A ce moment de l'entreprise, je n'étais pas très à l'avantage. Le grand gaillard nouvellement nommé au poste, d'un abord au départ passablement hermétique, semblait plus détendu. Quelques accointances avec la géomètre aidaient bien notre affaire.
Je commençais timidement à avancer un pion. Il embraya aussitôt. Je pense qu'il en avait l'idée dès le départ. Traiter l'ensemble du problème paraît logique. Nos précédentes tentatives nous en avaient fait douter. Nous revenions là sur du raisonnable. La suite nous dira si nous avons raison d'espérer.
Je ne suis pas totalement convaincue par cet optimisme peut-être prématuré. Dans la ligne adverse, le grand gaillard est encourageant. A ses côtés, une figure plus discrète pourrait nous faire la vie dure. Une femme soignée, ordonnée, rigoureuse. Une alliée, comme une embûche. A ce stade, je ne sais pas trop. Nous verrons, si échanges il y a, à mieux cerner le personnage.
L'autre flanc, figure de proue du bataillon élu, m'a paru bien moins favorable. Pourtant, une première fois, il y a cinq ans il est vrai, elle nous avait enthousiasmés. La résolution semblait à portée, à un horizon tout proche.
Nous avons déchanté, depuis.
Je réactualise mes petits dossiers. Me tiens prête. Sait-on jamais.
Vendredi 8 mars 2024
C'est décidemment la semaine des rencontres. Aujourd'hui, c'est un avocat truculent, exotique, au grand rire communicatif. Là, nous en sommes à une autre affaire, plus intime.
Ma virée urbaine n'a pas été de promenade. En quête de papiers, toujours des papiers, j'ai slalomé entre mairie et notaire. C'est moins amusant que ma promenade habituelle dans les parages. C'est nécessaire.
Lundi 11 mars 2024
Ma chronique est de jalons. De piquetage, de repérage, pour retrouver cette période ma foi faste, pour une tracassière dans mon genre. Les tribulations de la semaine dernière ont bousculé la quiétude de mes jours, et raccourci mes plages de repos. Là, je retrouve des eaux tranquilles. J'ai fait tout ce qui était de mon ressort. Pour le reste, je patiente, comme j'ai appris depuis peu à le faire.
Dehors, c'est la tempête. Un temps à compulser des papiers.
En fin d'après-midi, je m'avance entre deux averses, brouette chargée de fumier au poing, vers le tas en contrebas. Quelque chose me semble saugrenu, sans que je définisse exactement quoi. En montant sur la crête du monticule, je comprends : ladite crête a été sévèrement étêtée, sur toute la longueur, par une glissade en strate. Un phénomène apparenté géologique. Plus prosaïquement, la conséquence d'un empilement mal maîtrisé. J'ai du m'écarter de l'aplomb. La pluie a alourdi le haut de l'édifice, la rafale venteuse du tout début d'après-midi a poussé tout ça et l'a blackboulé au pied du mur de fumier. Mon tas en est plus bas, plus trapu. Moins élégant, si l'on peut dire d'un pareil bâtiment. Je ne vais sûrement pas remonter tout ça. Ca restera gentiment là, adossé au tronc du carolin. J'en suis quitte pour reprendre mes alignements.
Avec un mien familier, nous avons studieusement travaillé nos cours de basque. Je me fais encore avoir par les auxiliaires, ou conjugaisons, ou ce qui s'y apparente et que je ne sais pas nommer. Un tableau récapitulatif me paraît être un outil majeur. A étudier.
Du 12 au 15 mars 2024
Le thermomètre dépasse les 20° ! Ca va permettre des économies de chauffage.
Surtout, ça nous rend l'extérieur. J'ai repris le potager, les châtaigniers, les parterres fleuris et les bacs partout. J'ai prélevé trois plants d'aulnes, et trois boutures de merisiers. La relance foncière me met des fourmis dans la tête. Je repars avec mes petits projets : essaimer les châtaigniers d'ici. Les placer, comme j'ai déjà commencé à le faire, en plus de mon bosquet. Les faire accompagner de ces aulnes en symbiose et des merisiers pour faire joli. J'ai installé tout ça dans le silo ouvert anciennement pour l'ensilage. Il pourrait devenir une pépinière miniature. Bien assez grande pour une production annuelle d'une vingtaine de plants.
Je suis repartie pour un tour. Comme j'aime.
Dimanche 17 mars 2024
J'ai repris quelques pans de mur où la peinture cloquait. Un petit manque de ponçage, je pense. J'ai râclé un peu plus profond. A peine...
Il faisait chaud, au grand soleil. Les parages étaient calmes.
A un moment, pourtant, le vrombissement d'un tracteur voisin m'a tiré l'œil vers notre tout beau chemin à préserver. J'ai retenu un instant mon souffle, voyant l'engin monter à grande vitesse tout droit vers ce petit ourlet de gravillons damés. Le pauvret, si fragile devant un monstre si puissant. Dieu merci, le museau du tracteur a pilé net sur le talus en pente. Marche arrière, manœuvre, demi-tour nerveux. J'ai continué de regarder, histoire de m'assurer que ce n'était pas juste un essai avorté, avec reprise des ripages sur le chemin, comme au bon vieux temps. Non, non, tout allait bien. je continuai ma peinture, langue tirée entre les lèvres, quelques regards juste en coin.
De ce côté là, donc, tout va bien.
Ma Ttony se pèle de plaques pâles. Je dirais que c'est juste l'arrivée du printemps qui fait tomber le vieux poil plus épais. Tout de même, la pelade a commencé juste autour des zones rasées où la tuberculine a été injectée. Curieux. Ttony ne manifeste aucune gêne, aucune douleur. Elle savoure avec Petra son champ retrouvé après trois semaines d'hibernation dans l'étable. Je ne m'inquiète pas. Esthétiquement, c'est moyen, mais bon.
Lola aussi a eu droit à sa coupe de printemps. Elle blanchit de tâches symétriques. Pour elle, ça la rend bien plus jolie.
Lundi 18 mars 2024
Nous avons fait ce matin dans la géométrie. Je tâche de ne pas m'emballer : sur le plan, ce sera sûrement très bien. Je vois déjà une berlinoise de petits fruits et aromatiques contre le mur du hangar, au plus abrité. Des petites retenues coquettes, à surveiller depuis ici. Je vois beaucoup de plaisir à venir. Je garde en tête une prudente réserve. Du plaisir, j'en aurai ailleurs, autrement. Autant que j'en ai déjà, sans ça, et qui est déjà beaucoup.
J'ai admiré dans mes paysages les bosquets colorés de verts chromatiques : de l'anis, de l'or, du bronze. Le vert plus sombre des conifères fait contrepoint. Une symphonie harmonieuse et pimpante allume les vallons en pied des montagnes bleutées. Partout, l'élan vital sourd et jaillit. Ca n'est pas une surprise. Ca reste un enchantement.
Demain, je retourne à la jardinerie. Là aussi, le plein camion d'agrumes chargés de fruits et de fleurs embaume nos allées. Je m'y suis un peu griffée. Mais c'est tellement beau, ça sent tellement bon ! Notre pépinière prend de la joue. De la couleur, de la senteur. Je sens là aussi l'élan, même si la culture en conteneur pour de si gros sujets paraît une brimade. Je préfère voir ça comme une première étape, vers le mieux. Les agrumes chez nous réussissent plutôt bien.
Mon oranger dans la cour annonce une floraison généreuse. Le citronnier que j'avais un peu sabré pour le recouvrir du voile d'hivernage se remet doucement. Ce matin, je lui ai vu une jeune pousse violette. Quand ces petites choses là démarrent, elle gagnent vite. Ca tombe bien : ce coin de mur est tristounet, et mon peinturlurage survolé ne suffit pas à l'égayer.
Le printemps gicle partout sa ferveur et ses impatiences. Il bouscule la grisaille et l'atonie d'une nature juste en éveil. Quel fougueux, ce printemps, quel enfant impatient ! Je le regarde arriver. Je l'attends. Je prends garde à ne pas me laisser bousculer par ses ardeurs trop vives.
Mardi 19 mars 2024
St Joseph. Traditionnellement, nous espérions l'arrivée des hirondelles. Elles ont un peu décalé.
Hier soir, au retour de la jardinerie, je me suis inquiétée de trouver ma Ttony emperlée comme après une bonne averse. Petra était sèche. Ca n'était donc pas ça. Même aux jours les plus chauds de la canicule, je n'ai jamais vu de vaches aussi trempées.
J'ai suspecté une poussée de fièvre. Pourtant, Ttony ne paraît pas souffrante, bien au contraire. Elle tire avec vigueur des bouchées de foin au râtelier que je viens de regarnir. Je tâte ses cornes, ses joues, pas de hausse de température significative. Son pelage est assombri de sueur, depuis le cou jusqu'à la croupe. Les cuisses sont moins mouillées. Très curieux. Rien d'alarmant pourtant dans l'attitude et la posture.
Je me demande si je ne vais pas appeler Antton, pour savoir s'il y a eu quelque chose de particulier dans la journée. Je n'y crois pas trop : si Ttony avait poussé une petite course dans le champ, elle aurait déjà refroidi, en plus de deux heures de temps.
Finalement, je remonte. Pendant le dîner, je surveille depuis mon miroir-mirador. RAS. Les deux génisses, (il va falloir que je dise vaches, tout de même, elles vont sur trois ans !), se couchent dans le paillage, ahanant de bien-être. Je note juste que Ttony tourne la tête vers son ventre rebondi. Une petite gêne par là ? Pas grand chose, manifestement. Les deux soufflent encore, et se mettent à ruminer, les yeux mi-clos.
Mon repas terminé, je range, j'éteins, et je rentre. Curieusement, moi, si vite angoissée, j'arrive à évacuer l'affaire.
Mercredi 20 mars 2024
Pour ce matin, Ttony a retrouvé un pelage sec. Elle est un peu chiffonnée de ses poils en désordre. Je les soigne et j'arrange un peu sa coiffure. Elle ne peut pas se montrer si négligée...
Des pigeons, ou des tourterelles, roucoulent dans les parages. J'en vois des nuées accrochées sur le séchoir à maïs du cousinou. Elles picorent le grain à travers le grillage. Leur chant me ramène plus de trente ans en arrière. J'étais alors en exil, une première fois, dans les Landes, pour le travail. J'habitais dans une petite résidence coquette, entre pins et dunes, sur la côte. J'entendais ces pigeons, ou tourterelles. Nous n'en étions alors pas coutumiers, ici.
Depuis, j'associe ces chants roucoulants à la vie facile, au calme. Là bas, en effet, je m'étais retrouvée oisive, puisque, en dehors de mon travail, je n'avais pas grande occupation. Le secteur, déserté en hiver, me laissait pratiquement seule dans une bâtisse vide. Je me promenais dans les pins, sur la plage. Pays plat à la terre sableuse, ces Landes me parurent exotiques. Moi, je connaissais les paysages pentus, animés de variantes végétales, la terre dure, lourde, difficile à investir.
Je ne m'y plus pas, déjà, alors.
Quand-même, ces roucoulades me restent agréables. Ici aussi, maintenant, j'ai la vie facile, le travail léger, et la terre apprivoisée de mon paillage. Le tout en un !
Vendredi 22 mars 2024
Sur les conseils d'Hélène, j'ai écouté une émission de radio. Je pense avoir à peu près tout entendu, mais je suis bien sûre de ne pas avoir tout compris ! Il me faudrait la traduction d'un esprit mieux éclairé.
Puisque mon amie me dit que ce thème l'avait particulièrement touchée, je m'y suis penchée. Pulsion de vie contre pulsion de mort, OK. Recherche du plaisir pour se détourner de l'idée de la mort, ça va.
Le truc qui m'a particulièrement parlé, à moi, c'est quand la philosophe parle de son expérience pendant le Covid, où elle a eu un manque d'oxygène sans souffrance aucune, qui la mettait même en état d'euphorie. Je ne me souviens plus du terme médical. Elle était aux portes de la mort, dans un état agréable. A ce moment, on lui explique le phénomène, et elle se dit, : pourquoi ne pas aller jusqu'au bout, puisque j'ai fait les trois-quarts du chemin ?
Dans l'idée, j'ai compris qu'elle trouvait ça facile, et que, comme elle n'était pas sûre de retrouver le même confort la fois suivante, la "bonne", en gros, elle était tentée de passer le pas, là, puisque de toute façon, il faudrait le faire un jour ou l'autre, et sûrement plus difficilement.
J'ai ressenti la même chose, quand, à une occasion lointaine, j'étais en pleine hémorragie interne, sans rien sentir. J'étais jeunette alors, et pourtant, je me suis dit la même chose. Je me suis quand même laissé opérer ! Et j'ai eu quelques bonnes années derrière, et plusieurs occasions de me dire que, ma foi, ç'aurait peut-être été dommage d'arrêter là.
L'envie de retourner, ou d'aller, puisque on ne sait pas au juste d'où on vient, à l'"inorganique", (j'aime déjà le mot,), il m'est arrivé aussi de me demander si je ne serais pas tout aussi bien d'être une pierre, minérale, insensible, inaccessible à la souffrance et au tourment. Même si je ne suis pas sûre que la pierre, à son échelle, soit si "inorganique". Encore une fois, heureuse aussi très vite après de connaître la joie, le bien-être, les rêves et les espoirs d'une petite "organicité" palpitante. La pierre ne palpite peut-être pas à nos yeux d'humains éphémères. Je reste persuadée de sensations sur le long cours. Ma théorie.
Là où je dévisse, c'est dans la partie "détour". La recherche du plaisir serait un "détour", à visée auto-destructrice. Je ne vois pas l'embranchement. Une illusion, un leurre, d'accord. Une distraction, alors, comme une promenade autorisée quand on sait qu'il va falloir reprendre la route, après, au but redouté ? Le meilleur moyen d'y aller tête baissée, quand on croit tout faire pour l'éviter ? Une façon d'y perdre une énergie mieux employée dans une lutte pied à pied ? Non, je n'ai pas tout compris, là.
Sur la fin, le processus de destruction aux mains des technocrates, je suis à fond dans la même idée. Les politiques ne décident rien, ils représentent. Ce sont les bureaucrates, derrière, qui préparent les dossiers. Et les beaux-parleurs n'ont plus qu'à ratifier, sans savoir ce qu'ils signent.
D'où ma petite souris grise, discrète en son demi-sourire silencieux, auprès du Goliath en totem. Représentation creuse et labeur souterrain. Une autre de mes théories.
Mercredi 27 mars 2024
Les cieux ont viré aujourd'hui. Pour finalement nous accorder une journée agréable.
Hier soir quand je revenais de la jardinerie, une impressionnante barre sombre avalait les montagnes. Un ciel de plomb fondu, lourd de menace. Je craignais une averse de grêle, un orage cataclysmique. Je serrais un peu les dents sur le volant.
Ces jours-ci, avec l'activité en pépinière, très soutenue, mes oreilles manifestent une alarme. Je sens ma nuque serrée. Mes muscles raidis dans les efforts continus. Tout le bruit, les chariots des clients, ceux de plantes, agressent mes sens en tension.
Je suis pour le coup disponible aux petites poussées négatives d'angoisse, de tristesse, d'agressivité.
Ma barre de plomb s'est allégée de quelques grosses gouttes écrasées sur le pare-brise. Le ciel derrière s'est éclairci, soulignant d'un trait lumineux la masse sombre qui s'éloignait derrière la Rhune réapparue. Je me suis décontractée.
Par mesure conservatoire, je réserve mes jours de repos à une récupération indispensable. Je suis à peu-près à jour, ici. Seules de petites tâches légères me requièrent, sans mobiliser la carcasse en alerte. Une mauvaise surprise hier matin m'a tout de même chiffonnée toute la journée. Dans l'angle de ma porcherie remise, au sol, un filet d'eau sinuait ses méandres. Mince ! D'où ça vient, ça encore !
Je n'avais pas trop le temps de pousser une inspection minutieuse. J'ai sondé le plafond, rien. Ecarté quelques caisses de rangement sur le rack, pour avoir la vue sur le mur derrière, rien !
L'attaque venait bien d'en bas. Je ne pouvais pas tout démonter pour y voir mieux. La gêne était mineure. Tout mon stockage au sol est surélevé, du temps justement où l'eau s'invitait ici en presque maîtresse. C'était très contrariant quand-même. Avant d'enfourcher Grand-Modus, j'ai jeté un œil du côté voisinage, pour voir si en pied de mur, je n'allais pas dénicher une cause évidente. Du genre conduite d'eau mal dirigée. Là encore, rien ! Je ne pouvais pas investiguer plus avant, l'heure était venue de partir. Evidemment, l'image du ruisselet m'a poursuivie toute la journée. La charge de travail ne m'en a pas détournée.
J'ai repris ça ce matin, écartant toutes les caisses, et enlevant la planche du fond sur l'étagère la plus basse. L'eau suintait à la jonction entre le mur de parpaings, et le soubassement en pierres grossières. Plus en un point, mais un peu tout le long.
J'ai mis en œuvre une de mes parades maison : une barrière en PVC, ourlée d'une cornière, le tout dirigé vers un point de terre comme puisard. L'entrée d'eau est discrète, ça devrait suffire.
Cette entrée d'eau trois ans après les travaux me turlupinait quand-même. Il me fallait une explication. Ma parade n'était que pour l'effet. Je devais parer à la cause. Remontée dans la cour, j'ai examiné le bitume à l'endroit approximatif de l'outrage. Avec ces entrées d'eau, bien malin qui peut dire d'où elle rentre, et où elle passe, la bougresse ! Mais bon, j'étais partie pour un simulacre d'intervention aval-amont. Je ne pouvais pas me satisfaire de ne rien faire sur ce second front, au seul prétexte que mes fines observations de surface pouvaient voir leurs conclusions ruinées par un phénomène occulte.
Je repérais une fissure dans le goudron. Une parmi d'autres, mais celle-ci me paraissait la plus prometteuse. Une jeune pousse de vergerette y avait déjà pris racine. Je décidai derechef que là prenait source mon ruisselet. Un curage rapide déboulonna la vergerette. Je fis couler dans la rainure dégagée une pâte bitumineuse épaisse et placide, dans son avancée lente. J'étalais en surface, poussait la langue de lave dans la fissure.
Je me relevais, endolorie déjà des efforts de la veille, ravivée dans mes souffrances par les postures inconfortables de mon opération. Je décrétais l'intervention optimale. Et je prie maintenant avec ferveur pour sa réussite.
Je vérifierai ça, à la prochaine averse.
Vendredi 23 mars 2024
Ma promenade urbaine du jour m'a menée dans les "dunes" plates de la plage dans sa partie sauvage. Bois flottés, flots métalliques sous ciel gris, vent vif. Un air grand large pour petite voyageuse. Parfait pour moi.
L'occasion de grands rires hier chez Lafitte, avec la sortie de Romain, "et tout ça, parce-que je suis noir !". Romain est du plus pur genre caucasien. Ou l'art de se défausser avec beaucoup d'humour. J'ai beaucoup aimé, et ça continue de me faire rire aux éclats. Tout le monde ne comprend pas.
Dimanche 31 mars 2024
Une journée entre flottements et émotions. Mon affaire civile du moment. Inutile de développer. De cela, je me souviendrai. Je pense...
Nous avons refait la promenade dunes, avec retour sous une bonne averse, vivifiante.
Une journée jalon pour l'organisation d'une future relation harmonieuse. A tenter.
Lundi 1er avril 2024. Lundi de Pâques.
Journée lessives. Le grand ménage de printemps. A mon aulne, très laxiste sur le chapitre.
Hélène vient me voir l'après-midi. Petite nostalgie sentimentale de son côté. Allez, la balade dunes va nous débroussailler le fatras vaseux.
Mercredi 3 Avril 2024
L'hirondelle est là !
Le temps est idéal. J'ai jardiné toute la journée, au grand soleil. Entre bacs ici, dans la cour en bas, massif derrière la murette, et potager, j'ai vaqué très agréablement. Tout redémarre. L'élan de vie sourd, irrépressible. J'accompagne. Je fais des progrès, avec un engrais organique au lieu de mon bon vieux bleu 100% chimique. Je m'amende, comme j'amende la terre.
Mon jardin hivernal est à son apogée. Les pois et les échalottes ont souffert de l'excès d'eau de l'automne. Le reste tient vaillamment le choc.
J'ai semé le poireau et de la salade "kinemontepas". Le reste attend mai. Ma planche permaculturée gagne maintenant en profondeur d'humus. Elle se travaille mieux, et accueille plus loin les racines et bulbilles. Mes cultures estivales devraient s'en trouver mieux.
Je reviens ici de loin en loin. Je surveille à peine notre administratif du moment. Nous attendons la géométrie. Je transmettrai tout ça à la petite souris discrète. De celles qui œuvrent dans les bureaux fermés, et décident de tout, quand ceux qui paradent ne font qu'avaliser. Ne pas se tromper de cheval...
Les réponses aux messages de mes amies me requièrent davantage. J'ai horreur des "textos". Je préfère et de loin les bons vieux "émails" type épistolaires.
J'y fais courir mes petits chevaux. Mon "bloc" s'en mite. Ca ne m'inquiète pas. Je retrouverai les galets du chemin, et développerai de là mes errances.
Lundi 8 avril 2024 16h20
Sur signalement d'Hélène, le poème Elévation de Charles Baudelaire
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
Cet homme tourmenté dans ses "Fleurs du mal", en recherche de sérénité, comme nous tous. Il pousse ses investigations dans la Mère Nature, comme moi.
Amusant, ce vieux français, où "pensées" était "pensers". Une action volontaire, requérant participation active. Quand "pensées" se posent sur nous comme flocons de neige, pétales de fleurs, au mieux. Comme pierres lourdes et cendres noires, dans les mauvais moments. Voilà que je joue à Charles, maintenant !
Cette évolution dans la langue reflète tout de même à mon sens une évolution vers plus de lucidité, tant nos pensées nous échappent, nous subliment ou nous asservissent.
Plus prosaïque : je viens de ramasser mes premiers pois. Les lourdes pluies d'automne les ont asphyxiés. Je tiens quand-même en main quelques jolies cosses renflées. Les échalottes à côté semblent péricliter. Les aulx de novembre ne forcissent pas beaucoup. La rouille les tache déjà, les pauvrets. Non, mes plantations d'automne ne sont pas probantes !
Voyons que donnent celles de fin d'hiver et de printemps !
Je suis rentrée, poussée par un vent tempétueux. Après les jours de grande chaleur, ça paraît plus de saison. La nature a bondi, fouettée à la sève par ces températures sur un sol bien humide. Les bourgeons gonflent et éclatent en deux jours. Ca ressemble à ces images en accéléré.
Tous mes châtaigniers ont démarré. Je surveille mon petit dernier. Il est jeunot encore, et n'a pas profondément raciné. Après le vent du sud asséchant de vendredi et samedi, je suis allée lui porter un peu d'eau en pied.
Le citronnier en attente dans la cour s'est décidé : des feuilles juvéniles empourprent les branches nues. Je pratique cette année l'engrais organique. Moins d'à coups, plus de constance dans la diffusion. Mes bacs sont trop opulents. Cet automne, j'isolerai mes plantes. Les surnuméraires trouveront où s'installer. Peut-être dans mon administratif du moment, s'il veut bien avancer, d'ici là, qui sait ?
Vendredi dernier, nous avons avec Meriem baladé dans Etxalar. Village très ancien, aux grosses maisons carrées en pierre de taille sur les angles et autour des ouvertures. La Navarre typique. Une église monumentale, avec son cèdre penché sur des stèles moussues. Un peu à l'écart dans la campagne, d'autres stèles gravées de symboles paysans, autour d'une chapelle, celle de l'ermite de Santa Kruz. Un endroit magique, près du ruisseau, entre murs de pierre bancals, ponts antiques, pierres polies et sous-bois piquetés des premières fleurs vivaces sur les talus. Un enchantement pour les amateurs d'endroits calmes à l'ambiance mystérieuse.
Un gros bouchon sur le retour a un peu gâché le bienfait de notre virée.
Pour en retrouver le suc, j'ai emmené les chiens autour du remblai. Là, j'ai vu l'explosion des épis des graminées sauvages, aux ondoiements lents dans le vent tiède. J'ai contemplé. Un brin de mysticisme me viendrait facilement...
Samedi matin, le vent saharien nous a ocré le ciel. Les couleurs en étaient sublimées, surnaturelles.
Au magasin, un de surnaturel, ça été ce sympathique client aux tergiversations affolantes. Nous en avons édité des tickets à rallonges, en une sarabande de sorties et de retours ébouriffante. L'aide de J.Michel a été bienvenue, quand il a fallu retomber sur ses pieds, après toutes ces voltefaces. Comme nous n'y parvenions pas, j'ai repris ça calmement samedi soir, juste avant mon petit whisky sec. L'affaire se débrouillait bien, si on ne compte pas les lignes de mouvements dans tous les sens. Je vais devoir expliquer tout ça à Michèle, mardi. Même en synthétisant au maximum, ça n'est pas gagné !
Mon printemps "printane". Je suis le mouvement, évitant le "hameçonnage" d'un mouvement trop nerveux.
Dimanche 14 avril 2024
J'écris dans cette pièce. Le grand soleil dans la cour m'aveuglerait. Les plantes exultent. La sève partout circule en pression, jaillit en bourgeons gonflés en l'espace de deux jours. Les pollens volettent partout. Les jardiniers éternuent à tout va.
Je suis mes plantations quotidiennement. Je suis parfaitement à jour.
Pour l'intérieur, j'ai juste là appliqué la seconde couche "vert-gris" plutôt bleu sur le mur ici. Quand j'ai commencé ma peinture, début mars, l'humidité ambiante saturait l'atmosphère. La peinture prenait mal, ne séchait pas, une catastrophe ! Je l'avais fait parce-qu'ainsi je l'avais programmé. En sachant que ce n'était pas le moment.
Qu'à cela ne tienne ! J'ai terminé aujourd'hui honorablement ce que j'avais si mal commencé. L'effet n'est pas inintéressant : si on n'y regarde pas de trop près, ça donne l'illusion d'un effet voulu, et plutôt recherché, d'un béton ciré façon pierre. J'ai vu ça en sol. Là, je l'ai en mur. Au moins, la couleur est assez uniforme, si le support dessous ne l'est pas. Le rendu me va, comme me vont toutes ces choses que je fais à l'emporte-pièce, dans mon environnement si peu exigeant. Je n'ai aucun scrupule à œuvrer avec si peu de maîtrise : le résultat n'engage que moi, partisane conquise et soutien indéfectible de moi-même...
Je vais maintenant donner et prendre quelques nouvelles à et de mes amies. M'amuser de quelques mails légers. Puis, j'irai par les chemins dans la campagne échauffée, muser entre les tiges hautes des herbes à l'épiaison maintenant fragile : les graines se détachent à la moindre caresse.
J'ai étudié vendredi le piquetage dans le remblai. Les repères portent mention de hauteurs, pour ce que j'en comprends. Une suite logique bondit de piquets en piquets, suivant la pente du terrain et ce qu'il en manque pour en faire une surface plane. Je ne me suis pas longtemps abîmée dans l'étude. L'observation un été de coquets bidons disséminés dans la même zone nous avait tous laissés perplexes, déjà.
En fin d'après-midi, Aymond père et fils nous sont venus en visite. L'aîné a pris cher. pas si vieux pourtant, en regard de la tantine culminant haut la main à 99 ans depuis hier. Des circonstances malheureuses, un veuvage précoce. Quand la vie joue sa garce.
Le garçon est plus monumental que jamais. Sa voix de basse, roulée dans un coffre à la résonance puissante, rebondit moins ici sous le plafond qu'elle ne le faisait dans la cuisine haute, en bas. Toutes portes ouvertes, mes oreilles ont tenu le choc. Il est amusant cet homme, tonitruant, jovial, anachronique, avec ses "je me suis battu en duel", et "je suis allé au front", parlant d'une dispute sans doute musclée, et de sa participation aux manifestations agricoles, dernièrement. "J'ai bloqué" je ne sais plus quelles villes. Au moins ! Tout dans cet homme est surdimensionné, la carcasse comme les propos.
Les deux gaillards, l'un portant l'autre, se sont retirés sans trop tarder. Le calme a réinvesti l'espace. Même Ttony ne s'est couchée que quand ils sont partis, inquiète de cette présence phénoménale.
Allez, l'après-midi s'avance. "Denbora baziak" comme disait Mizel. Mes haltes ici se font plus rares. J'ai mieux à faire dehors. Même si mes petits reportages du moment jalonnent un temps coulé sinon dans une temporalité uniforme d'un passé liquide.
Nous essayions justement ce matin de nous rappeler du moment où le grand carolin du poulailler avait été coupé. Après le déménagement dudit poulailler en bas, sûrement. J'imagine mal la manœuvre entre les vieilles barraques en tôles et planches, et les poules là au milieu ! Oui, mais c'était quand, çà ?
Impossible de le déterminer à la décennie près. Je dirais au mieux entre 90 et 95. Quelle triste approximation. Quand, depuis maintenant dix ans bientôt, avec mon "bloc", tac ! je retrouve chirurgicalement là où elles étaient nos petites et grandes péripéties.
S'il n'y avait qu'une seule bonne raison à mes chroniques, ce pourrait être celle là. Mémoire infaillible de nos petites histoires.
Lundi 15 avril 2024
Ma peinture anticipée hier me laisse le temps libre. Bien m'a pris d'avancer le chantier : le temps a changé. En début de soirée, une vague de nuages soufflés ourlait le Jaïzkibel. On n'en voyait plus la crête, écrasée, effacée sous la chevauchée blanche. La cavalerie drue s'étirait sur la mer.
Un phénomène acoustique curieux s'invite dans mes oreilles. Je l'ai constaté dès mon installation ici, il y a près de trois ans maintenant. A partir du moment où TtonytaPetra ont habité l'étable, il me semble les entendre croquer du foin, même quand elles sont couchées, ou carrément pas là, occupées à brouter ou musarder dans le champ. Ce bruit de mâchoires bovines à leur œuvre scande l'ambiance. J'y cale ma respiration. La cadence régulière, alentie, me procure une sensation de sécurité, et alimente une détente bienfaisante.
Je l'ai dit souvent, la présence de la vache m'a toujours apaisée. La seule vue de l'étable, depuis mon miroir-mirador, y participe, évidemment. Mon cerveau prompt aux analogies n'y résiste pas. Il encolle évocation mentale sur perception acoustique fantasmée. De la même eau, le gazouillis des hirondelles tourne dans mes canaux auriculaires, dès que je suis ici, qu'elles y soient effectivement ou pas.
Moins sympathique, il me semble souvent entendre le déclenchement du surpresseur calé dans le coin de l'étable. Quand l'appareil est muet. Les nouvelles dispositions de mon habitat éloignent conséquemment ma hantise de la fuite d'eau. Les longueurs de tuyaux enterrées sous des dizaines de mètres de terre, ne sont plus de mon périmètre. Je n'ai que le circuit court en responsabilité.
On ne se départit pour autant pas facilement des vieilles hantises. Une case reculée de ma cervelle reste en vigilance-eau. Ma crainte inconsciente migre vers mes transmetteurs acoustiques, messagers diligents des méandres compliqués de mes systèmes neuropsychologiques. Des signaux d'alarme sont envoyés, alors qu'il n'y a pas de danger. Une manière de maintenir en éveil une attention déjà vite titillée. Bah ! Je n'ai que peu de sources de tracas. J'ai veillé à me les écarter pour la plupart. J'ai bien fait. Il était temps de pallier les désordres d'un tempérament impossible à dresser à plus de décontraction.
Ce Ménière n'a pas que du mauvais. Il est rentré dans ses pénates, depuis que l'activité en pépinière a repris un rythme de croisière moins nerveux. La grisaille de ce début de semaine va confirmer le mouvement.
Les affaires fléchissent. L'envolée post-Covid flanche. J'en avais fait une analyse à chaud, je me souviens plus ou moins. Pas trop mauvaise, me semble-t-il. Ou alors, cette inflexion tristounette nous est propre. Il faut redresser la barre. J'ai tout à l'heure examiné les chiffres. Je glanerai des informations sur la concurrence, pour savoir si la courbe est conjoncturelle, et généralisée.
Je ramène ainsi quelques documents à la maison pour les étudier plus tranquillement. Les écrans à la jardinerie sont pris d'assaut par un personnel dormant de plus en plus nombreux. J'aime travailler dans l'isolement, et confronter mes conclusions ensuite. L'écueil est que je n'ai pas ici toutes les données disponibles. Je le fais comme amusement. Je ne m'y donne pas obligation de résultat. Si je lève quelques pistes, je laisse à l'instance décisionnaire le soin d'en faire quelque chose.... ou de les ignorer superbement.
Je suis bien moins acharnée, professionnellement, sans lâcher tout à fait la rampe. Je me détache quand-même pas mal.
Le mieux à faire, à mon âge, n'est-il pas ?
Mercredi 24 avril 2024
Une date en plateau de justice.
Sans y aller, nous avons lundi bouclé une civilité maritale. Une atmosphère feutrée de pas sur du velours nous a agréablement conduits à un avenir différent. Une flânaison le long de la Bidassoa a parachevé l'ambiance cordiale.
Le matin déjà, le rempotage des bacs trop denses paraissait incongru dans la circonstance. Le système est très commode, c'est sûr, et bien plus confortable et pratique. Je reste perplexe sur des suites inconnues d'expérience. Il n'est que d'attendre pour voir...
Je reviens de ma promenade. Un petit vent de noroît transperce vite le lainage trop mince. Depuis lundi, la jeune pousse se recroqueville. Les couleurs se retirent, ternissent sur les terminaisons. Les frondes de fougères se sont fripées, saisies par la baisse des températures. Position repli pour tout le monde.
J'ai croisé par les chemins creux un motoriste d'abord, puis un bicycliste. Les deux d'une grande urbanité, ont, stoppé le moteur pour le premier, écarté l'engin pour le second. Deux jeunes hommes, souriants, patients, attendant le passage de la troupe sur leur côté. Saluts courtois, sourires chaleureux, et chacun est reparti, content de soi et du monde.
J'ai traversé le remblai rasé. Les chiennes adorent fouiner dans les mottes d'herbe sèche. Txief me semble un peu étrange, ces derniers jours. Il a comme des moments de panique, où il semble ne plus savoir où il est. Il prend la fuite, effrayé par on ne sait quoi, et se trouve ensuite perdu, à quelques pas de là. Un petit croisement neuronal manqué, sans doute.
Je suis soulagée du souci de garder la grande porte de l'étable ouverte pour les hirondelles. Les petites se glissent en vol coulé par l'imposte de la porcherie-remise. Cette après-midi par exemple, j'ai rentré TtonytaPetra avant 16H. Et refermé le vantail pour laisser dehors la presque bise mauvaise. Les perchoirs et les nids étaient déserts. Là, j'entends les pépiements de mes locataires ailées. Un petit progrès, là encore, vers plus d'insouciance.
Vendredi 25 avril 2024
Ma fin de semaine "vacaaaances !".
En projet un peu de charcutaille, quelques promenades en paire plus couple.
Dessuitement, une étude minutieuse d'un plan minuscule. Notre administratif en suspens-suspense.
Mercredi 1er mai 2024
Une petite étrangeté, ce 1er mai frisquet, où l'on regarde les nuages qui roulent et les ramures des arbres balancés par une brise froide. Je suis sortie dans l'après-midi. J'avais mis l'équipement frimas, en me disant que j'enlèverai les couches si besoin. Bien m'en a pris : j'étais là dessous douillette comme l'oisillon au nid, sans aucune sensation de trop de chaleur.
J'ai plongé voluptueusement dans l'atmosphère cavernique du sous-bois. Les lianes de chèvrefeuilles s'enroulent partout. Leurs feuilles sont énormes, surdéveloppées par l'abondance d'eau et les quelques pointes chaudes, quand le soleil vient les happer entre les branchages denses.
J'en suis ces jours-ci à l'étude d'un petit aménagement intérieur. Encore ! Oui, je suis le fil d'actualité, parfois surprenant. Je pense faire l'acquisition de cette fameuse banquette-lit que j'étais allée quérir l'année dernière, quand le frérot était en détresse. J'étais revenue avec un monument surdimensionné. C'est ce que j'avais trouvé de mieux sur le moment.
Mon idée était d'un équipement plus petit, plus étroit, mieux approprié dans mon environnement spatial. La grande table ronde ici occupe bien la pièce. Un canapé sur le côté doit rester circonscrit en longueur. La fonction lit peut dépanner. Elle paraît devoir prendre du service, mensuellement, si notre nouveau pacte non marital tient la route.
Sinon, les séances télé hivernales, avec les chiens blottis contre moi, enveloppée dans la douce chaleur du radiateur tout proche, dessinent une image tentante. Le fauteuil confort de mon défunt père est bien, aussi. Mais trop étroit pour y loger plus d'une personne. Et il ne fait pas lit ! Je le rapatrierai en haut. Bullou s'y fera sa couchette. Pour l'engin monumental, il trouvera preneur dans les parages.
Je réaménagerai la décoration murale en fonction, évidemment. Il y faudra une pièce plus longue que les deux minuscules chouettes actuelles. La future banquette est basse.
Pour les extérieurs, en attendant l'administratif maintenant dans de bonnes mains, nous avons avec un mien familier dans l'idée de tenter quelques semis d'aromates. La mise en œuvre est simplissime, comme je les aime. Nous attendons le retour de la chaleur pour lancer tout ça. J'achèterai semis et godets de tourbe demain. Un investissement modique, pour un potentiel plaisir en retour.
J'ai comme ça de petits projets, des petits en cours en lumières discrètes sur un avenir modeste. Une ressource inépuisable de joies simples et saines. Tout m'est à portée, et rien ne m'oblige. Ma manière de bien vivre, en m'approchant de la congruence pointée en objectif depuis bien longtemps.
Mercredi 8 mai 2024
Je reviens d'une promenade bucolique. A la faveur de la terre gorgée d'eau et de quelques percées ensoleillées, les talus éclatent en couleurs brillantes. Les myosotis pointent leurs collerettes délicates sous les hampes élevées des fougères déployées en frondes vert tendre. C'est de toute beauté.
J'ai à cet endroit longé une prairie bien vilaine. Une méthode culturale sans doute révolutionnaire a roussi des bancs de trèfle, ne laissant que quelques touffes éparses d'un dactyle naufragé. Le trèfle avait été semé bien trop épais, il est vrai. Une petite inversion des proportions légumineuses/graminées préjudiciable à la production d'un bon fourrage. Je soupçonne ici encore une erreur de désherbage, quand, croyant sécher le seul rumex, (lui aussi en surabondance, épandage de fumier contaminé oblige), le trèfle plus recherché a été sacrifié dans la foulée. Pas sûr que le dactyle arrive à grainer assez pour ensemencer les bandes calamiteuses.
Affaire à suivre...
Le paysan comme le jardinier est tendu sur la ligne de départ, en ces jours où le soleil chauffe la terre. Je réfrène mes impatiences. Un peu de raison me viendrait-il ?
Comme saine distraction, j'en suis à mon aménagement intérieur. Je prépare l'arrivée de ma banquette légère. Quelques manœuvres poussives lundi ont expulsé le canapé monumental. Au passage, j'ai éraflé un peu de peinture ici et là. Dans la descente d'escalier particulièrement, j'ai aggravé le sinistre en étalant un petit rattrapage inapproprié comme pansement de fortune. Je n'avais plus la peinture originelle. Une plaque complètement disharmonieuse offense le reste, tellement étudié. Je vais tâcher de remédier à cette ignominie. En espérant ne pas aggraver la situation déjà déplorable.
Mon aménagement s'est déroulé en plaques tournantes grisantes. D'abord, démontage et descente du canapé depuis la chambre en mezzanine. A part les menus dommages, sans problèmes majeurs. Enlèvement de l'engin par une familière, à usage d'un familier à elle. Parfait. Un recyclage dans le pur esprit de l'actualité.
Ensuite, ascension du fauteuil de confort de mon père, réhabilité déjà depuis la porcherie-remise à l'occasion d'un précédent turn-over. Là, il m'a fallu assistance. L'animal avec son moteur incorporé pèse. Comme je le trouvais un peu seulet dans son angle, je lui ai adjoint la fameuse sellette Lafitte avec sa lampe orangée prévue initialement pour le bas. Très réussi.
Reste maintenant l'angle de la pièce de vie en bas à meubler, avec la fameuse banquette en transit depuis les Landes. Pour le moment, la pièce résonne d'un vide de cathédrale déserte. En attente.
Une de déserte aujourd'hui, c'est la ferme. Les occupants festoient pour ce long week-end férié ailleurs. Nous sommes un gens, (?), deux vaches, trois vieux chiens et quatre hirondelles dans la place.
Vendredi 10 mai 2024
Une pleine journée de chaleur. Partout, les terres peignées des récents semis étirent leurs lignes parallèles.
J'ai vaqué ardentement à mon potager, paillant et "copeautant" à tire larigot. J'ai ramassé les derniers pois, arraché quelques patates primeurs. Honorables, avec la saison de pluie qu'elles ont subi. J'attends encore un peu pour la suite. Les jours à venir sont annoncés inconstants.
En soirée, je me suis fait ma pause idéale, dans la cour-jardin aux couleurs flamboyantes des derniers rayons solaires obliques. Je m'étais confectionné un bouquet autour des brins de muguet du premier mai. Quelques branches fleuries de polygala me l'ont enrichi joliment. C'est une sacré affaire, ce polygala. Floraison quasiment toute l'année, résistance aux vents froids, et bonne tenue en fleur coupée. La totale.
Samedi 11 mai 2024.
A mon retour de la jardinerie, l'orage gronde et tonne tout près. Des claquements tout proches font vibrer la porte métallique. Je regarde les éclairs fulgurants zébrer le ciel lourd de nuages sombres.
Les chiens restent collés à mes jambes. Dans l'étable, TtonytaPetra ruminent sans inquiétude. Les deux couples d'hirondelles sont au nid, lovées dans la chaleur des bêtes. Pour le moment, elles sont seules. Elles couvent déjà. S'il doit en venir d'autres, elles ne feront qu'une nichée. Tout se perd...
Dans la prairie côté mer, Zaldi paraît plus blanche dans toute cette noirceur. La barre claire sur l'océan de plomb étire un trait parfait. Les façades des immeubles en face scintillent presque.
A défaut d'aurores boréales que j'ai manquées, ce spectacle impressionnant compense ma frustration.
Dimanche 12 mai 2024.
Notre traditionnelle virée chez Hélène et ses myrtilles. Toujours agréable.
Au retour, nous avons bavardé avec Nicole. L'inconfort de ma surdité l'obligeait à pousser de la voix. Tout de même, j'ai bien compris nos discours, sur l'amour, encore l'amour et toujours l'amour. Pour deux vieilles biques rangées des voitures, c'était étonnant de voir à quel point nous restons des bluettes...
Nous nous sommes entendues sur le fait que la passion charnelle vidée de ses ardeurs ne ressemble à rien, ou assimilé. J'en reste à des frissons tumultueux d'une chair roulée dans les plaisirs comme le bois flotté dans un torrent colérique. Le canotage fade sur lac apprivoisé laisse un goût insipide en bouche. Je préfère rester sur la berge, avec le seul souvenir de mes sensations vives.
Un ou autre rêve érotique par saison suffiront.
Ou la force de l'intellect sur la chair quand elle se fait triste.
Mercredi 15 mai 2024.
Avec cette rétrospective, le temps me passe. Il est largement l'heure de préparer le déjeuner des familles. Je laisse mon rattrapage peinture pour plus tard. Cette après-midi, je veux terminer l'épandage de mon paillage. Faire un tour avec les chiens dans la campagne détrempée des dernières pluies abondantes.
Notre administratif avance, à la faveur de l'implication de la géomètre, et de ses bonnes relations avec les instances bureaucratiques décisionnaires. Voyons voir, là encore.
Vendredi 17 mai 2024 16h30.
Je suis rentrée prématurément du potager. J'en étais à tuteurer les plants de tomates et piments repiqués ce matin, par un petit 15° au compteur, et bruine en suspension. Pas tellement les circonstances indiquées. Fi ! Je n'en peux plus d'attendre. "Denbora baziak !" à la Mizel. J'ai donc lancé la culture estivale, en partie, puisque les graines de citrouilles et potimarrons sont revenues dans ma poche. La bruine s'est faite insistante, a infiltré ma veste trop légère. La séance jardinage devenait moins plaisante. J'ai abrégé.
J'avais pourtant un programme bien plaisant : tuteurage des repiquages, donc, puis, semis des citrouilles et cousines, après, arrachage des dernières patates primeurs pour libérer le carré aux salades à repiquer. Suivant l'heure, j'aurais pu "jamber" l'ail. Finir par la cueillette-dégustation des fraises en récompense, assise sur les tuiles chaudes du garage en contrebas. Les fleurs vivaces en fond commencent à fleurir. La jachère a bien germé. Mon potager est un coin bien agréable. Mes heures là sont apaisantes et revigorantes à la fois. Par beau temps, incomparable.
Et bien, ce sera pour la prochaine fenêtre météo favorable, concomitante avec un repos salarial. Lundi, peut-être ? Rien ne presse spécialement. Juste mes impatiences mal muselées.
Je vais profiter de ce créneau imprévu pour écrire à mes amies.
20H
Le soleil nous est revenu à 18H. Je n'ai pas repris mon ouvrage là où je l'avais laissé. J'ai entrepris avec un mien familier quelques semis d'aromates. La mise en œuvre est des plus spartiates, mais suffisante pour faire un essai probant.
En parallèle et avec le même investissement de départ, j'ai lancé la production-prototype d'un concept révolutionnaire. L'idée m'en est venue mardi matin, alors que j'étais seule pour la pépinière et le MAF, à la faveur de je ne sais quelle animation extérieure et autre visite de chantier à la sauvage.
J'étais fréquemment hélée du côté des plants de légumes. Le temps n'y est pas, je l'ai déploré plus haut, mais les chalands sont comme moi, impatients. J'étais mobilisée là, à chercher un plant de concombre ou un pied de coriandre, avec le client perdu, tout aussi perdue que lui, ou presque. Le marché couvert, avec sa résonnance acoustique inconfortable est zone non-grata pour moi. Je n'y mets les pieds que quand j'y suis obligée. J'en connais donc mal la disposition.
Stationnant près des barquettes de plants de salade, je me suis fait la remarque suivante : ces plants sont vendus par douze. Après repiquage, ils arrivent les douze à peu près au même moment. Alors, soit il faut manger de la salade matin midi et soir, soit il faut la jeter, quand elle est montée en graines. Un petit gâchis. Complètement hors mode quand on cherche l'éco-citoyenneté.
J'ai connu bien avant des plants de salade vendus en plaques. On détachait les mottes de ces plaques de terreau préformées. Une fois sur deux, on effritait une ou autre motte, ou alors on mutilait la voisine, en découpant trop large la première. Là encore, incommodité, pertes, et pertes.
Je me suis étonnée que personne n'ait pensé à proposer du plant de salade à l'unité, proprettement conditionné en godets de tourbe, par exemple. Pour les autres espèces de légumes, cela se fait couramment. Dans cette projection unitaire, On prendrait trois plants qu'on repique une semaine, trois autres pour la semaine suivante, tout frais, au stade optimal. On ne touche pas à la motte fragile, on ne s'embête même pas à retirer un godet plastique. Il suffit d'installer le pot en tourbe porteur de sa petite salade en devenir, dans un trou de plantation idoine. Et le tour est joué ! Pas de gaspillage, pas de surproduction entre deux passes de manque. Que du bonheur !
Il ne me manque plus qu'une appellation adéquate. J'ai sollicitée Mélanie de la jardinerie. Pour la mise en fabrication, je suis déjà au point. Deux caisses de semis sont installées, auprès des trois caisses d'aromates. Le premier pas.
Ainsi naissent souvent les grandes avancées de l'humanité. Par une idée toute simple, dont la réalisation change le monde. Et oui...
Dimanche 19 mai 2024
Le temps triste persiste. Les gens se lassent. Dans le champ, une volée de mouettes dodues remplace les aigrettes. Pas de nouvelles hirondelles à l'horizon.
A la jardinerie, Hélène est venue me tenir compagnie, pendant que je vaquais mollement, entre deux clients désabusés. Mon après-midi a été de bavardages, à droite à gauche. Même Antoine m'a fait un peu de conversation. C'était plutôt plaisant. Une petite dolence s'insinuerait vite.
J'ai pris des œillets d'inde à l'orange solaire. Je les installerai demain près des tomates.
Une journée potager lèvera mon début de torpeur.
Lundi 20 mai 2024. Pentecôte.
Des trombes d'eau se sont abattues en fin de nuit. Au matin, les ruisselets galopaient dans le champ. Une rivière ondoyait dans la combe. Chez Cousinou, les lacs s'étalaient dans le fond. Totalement déstabilisant, cet anachronisme météorologique. Il fait presque froid. On ne comprend pas comment ce vert luxuriant, pâli quand-même par le manque de chaleur, ces cieux moroses, et la terre aussi boueuse qu'en plein hiver.
J'ai repiqué mes œillets et des salades. Entre deux averses, j'ai quand-même pu ériger mon bâti de maintien pour les tomates et piments. Des horizontales approximatives ne dépareillent pas les verticales obliques. Dans les trous de plantations, l'eau stagne et clapote. L'ambiance est étrange. Incohérente. Le bon du truc, c'est qu'il n'y a pas besoin d'arroser !
J'ai laissé TtonytaPetra en intérieur. Elles défonceraient le champ boueux. Cet hiver déjà, j'aurais mieux fait de ne pas les y envoyer aussi souvent. La pâture est mauvaise d'avoir été piétinée mouillée. Je me le tiendrai pour dit pour la saison prochaine.
Mercredi 22 mai 2024
J'ai fait le plein du soleil venu en visiteur de passage ce matin. Je l'ai happé, jusque pendant la sieste sur la terrasse. Ensuite, les cieux se sont alourdis de nuages gris. J'étais au potager, à jamber l'ail maigre. La bruine devenue pluie m'a chassée. J'ai hésité à aller faire la promenade dans le bois. Finalement, j'ai opté pour un rapatriement au sec. On verra tout à l'heure.
Je me promets une bonne séance d'écriture, quand mes journées gambillent d'une menue tâche à une autre. Là, j'en ai l'occasion. Mais pas spécialement l'envie.
Mes chroniques se dépouillent jusqu'à une ossature factuelle terne. Leur relecture demande délai, pour que les retrouvailles avec ces moments sans reliefs sur le coup se colorent à distance d'une nostalgie sépia.
J'aurais bien été en ville, pour marcher le long de l'eau en gardant le pied sec sous un bon parapluie. Antton m'a détournée Grand Modus. Je pense qu'un petit tour de remblai suffira aux chiens et à la patronne. L'humidité ne réussit pas à mes petits vieux. Seule Bullou baroude entre les herbes trempées sans s'en inquiéter. Cette cruelle a sous mes yeux croqué la tête d'un tout jeune moineau, tout à l'heure. Mes imprécations ne l'ont pas arrêtée. Elle a du sentir que j'étais moins péremptoire que quand elle a eu attrapé des hirondelles. Pour poser la cerise sur le gâteau, elle est montée me déposer le cadavre démembré près du lit, toute fiérote. Je n'ai pas eu le cœur de la tancer.
Bon allez, pluie ou pas, un mot à Céline, et marchons sous l'ondée.
Jeudi 23 mai 2024 21h
J'ai été chercher la paix dans mes paysages gorgés d'eau, rutilants sous les rais obliques du soleil couchant. La sève renfle les bourgeons et les épis. Le frais la réfrène.
J'avais besoin de faire retomber le soufflé d'une journée électrique à la jardinerie. Beaucoup de végétaux arrivés, et quelques mauvaises volontés manifestes. La majeure partie de la direction partie, certains garnements s'étaient sûrement promis une journée dilettante, à l'abri de la pluie du matin. Les camions à décharger, près de quarante box ou rolls à pointer et ranger, ne collaient pas au programme.
C'en était burlesque : un collègue à éplucher des dipladenias pourrissant sur leur chariot depuis trois semaines, l'autre à ranger le fourgon en bordel tout le restant de l'année, pendant que les camions dégorgeaient la marchandise comme un perdu vomit, allongeant la file d'attente jusqu'au portail de Labruquère. Il ne restait qu'une venelle d'accès où se faufiler. Un sketch, un vrai ! Et les deux autres, indifférents, comme sur une autre planète !
J'ai perdu patience, et invectivé les nargueurs sans ménagements. Ah, ça, cette petite jeunesse n'a pas l'usage d'être bousculée ainsi de front ! Quelques cris, quelques démonstrations d'une colère théâtrale, pour finalement mettre la main à la pâte. De très mauvaise grâce, avec un très mauvais rendement.
J'étais en partance pour une fin de semaine vaquée. Je n'ai pas eu les suites de l'affaire.
Revenue ici j'ai tâché de remiser ça bien loin, en promenant ainsi dans le crépuscule paisible. J'y suis plus ou moins arrivée, au stade de la dégustation des fraises, assise sur les tuiles encore chaudes. Les fraises sont aqueuses, sans grand goût. Elles m'ont quand même rendu celui d'un parfum de bien-être mis à mal par une journée un peu trop tendue pour moi.
Dimanche 25 mai 2024.
Une ambiance étrange cette après-midi le long des berges de la Bidassoa grise. Personne, ou presque ! Les bords de végétation sauvage penchée sur une onde paresseuse, aux seuls clapotis de quelques canards enjoués. Un cygne blanc sur fond gris, balancé mollement au gré des miroitements métalliques de la surface à peine ridée. Du grand repos.
J'ai rentré le matin les oignons dont les feuilles centrales jaunissaient. Le bulbe dessous commençait déjà à pourrir, asphyxié de trop d'eau. J'ai sauvé la récolte, en remisant tout ça en frais au congélateur. Pour l'ail, il rouille inexorablement. Les têtes paraissent saines. J'ai croisé en ponts les tiges de la première planche.
Dans les carrés vidés, j'ai ressemé quelques citrouilles et autres courges. Ca remplira joliment l'espace, en gardant la terre fraîche en dessous. Un méli-mélo fleurs légumes fruits. Un esprit fantaisie à peine bridée.
Je retrouve demain mes terribles. J'expurgerai un peu de venin sans doute, à l'oreille toute conquise de mon collègue. A ce stade, il n'est plus que d'en rire. C'est le mieux à faire, d'ailleurs, comme bien souvent.
Mercredi 29 mai 2024
Je me suis amusée à reprendre la décoration intérieure autour de son nouvel occupant : la banquette Néo. Je gardais plus ou moins mon canapé monumental dans l'œil à ce même endroit. Celui-ci fait tout petit, en comparaison. Un tout petit peu plus grand, comme les "fingers" de je ne sais plus qui, ç'aurait pu faire. Je l'ai boursoufflé d'une couverture pliée en appuie-tête. C'était bien mieux, un peu plus haut sur le mur. Recouvert de mon sempiternel tissu aux motifs feuilles-oiseaux dans la jungle, dans les tons exacts de l'environnement, la banquette a repris du volume. Un petit cadre là encore oiseau-branche, toujours dans ces verts romarin-tilleul, a mis la touche finale et parfaite. Tout ça m'a pris la matinée, en essayages et peaufinages. Un vrai petit plaisir.
J'avais de la même manière passé une soirée entière à trouver la juste place d'une lampe sur pied, dans le vieil appartement, il y a plus de trente ans. Cette soirée, je m'en souviens encore. Je me souviens surtout du plaisir de ce moment là. Comme je retrouverai celui de ce matin, dans trente ans d'ici, si j'y suis encore !
Nous avons dans les parages depuis la fin de l'hiver un faisan noir. Un mâle au chant guttural, majestueux dans sa démarche hautaine. Il a pris ses quartiers dernièrement sur le tas de bois de chez Aguirre. Un rescapé de la saison de chasse, ou un évadé d'un de ces élevages controversés.
J'ai du ressemer mes caisses dans le parc à ensilage. Les trop fragiles plantules ont fondu à l'alternance chaud-froid. Il faisait chaud, j'étais bien installée sur un bon conteneur retourné. De l'autre côté du chemin, deux jeunes filles prenaient le soleil. Il nous est encore étrange de voir par ici du monde extérieur. Il va pourtant bien falloir apprendre les saines vertus du partage...
Ma promenade dans le soir a ressemblé à une expédition en Amazonie. Les ronces s'enchevêtrent en travers du sentier dans le sous-bois de l'anglais-espagnol. J'y retournerai avec un bon bâton, pour rouvrir mon chemin. J'aime assez l'idée que cet endroit ne soit pas visité. Il me rend l'impression d'avoir tout à moi cet endroit cavernique à la végétation protectrice. Il faut croire que l'envie d'une possession exclusive me tient. Honte à moi !
Vendredi 31 mai 2024
Une virée avec Meriem m'a enchantée autour de l'étang de Playundi. Un site sauvage, à deux pas de l'aéroport de Fontarrabie, et de ses lourds avions vrombissants. La promenade dans le bois ondule autour de plans d'eau donnés à observer par les étroites ouvertures de tonnes à canards sans chasseurs. Un havre au milieu de la cité, où les oiseaux migrateurs se reposent dans leur traversée depuis l'Afrique jusque dans les pays du nord, et vice-versa. Je découvre ces sites grâce à mes amies plus exploratrices que je ne le suis. Un large monde s'ouvre à moi, dans un rayon de quelques kilomètres.
Je n'ai pas encore le réflexe de prendre la voiture pour aller me balader. Dans ces circuits, je ne peux pas emmener les chiens. Je me promets d'infléchir la courbe vers une ouverture pour moi grand angle.
Lundi 3 juin 2024.
Après une percée ensoleillée de deux heures, la brise fraîche ramène les nuages. Même chose hier. Les jours suivants sont annoncés plus ou moins secs. Les faucheuses dressent leurs rangs de disques impatients. Les conditions n'y sont pas. Mais bon, il y a un moment où il faut y aller.
Je fais pareil avec mes semis de citrouilles. Il fait bien trop froid pour une bonne levée. Le paillage hausse la température de quelques degrés. Les feuilles plates s'ouvrent, bien vulnérables aux attaques les limaces voraces, saisies par le frais. Il fera bien chaud un de ces jours, que Diable !
Je récolte une quantité de fraises affadies de trop d'eau. Elles restent suffisamment parfumées pour nous faire des desserts gourmands.
J'ai arraché la première planche d'ail, celle qui a eu les pieds dans l'eau tout l'automne. Les têtes sont à peine plus grosses que les gousses plantées au départ. Au moins, elles n'ont pas pourri.
Demain, retour à la jardinerie. Nous avons avec J.Michel établi une première partie de la proportion des retombées de l'activité chantier sur le trafic global. Il faut compléter avec le volet livraison seule. Nous avons choisi la période printanière. L'idée est de remobiliser les troupes. Les pourcentages sont honorables.
Nous ferons quand même l'analyse en saison morte, histoire d'établir qu'à ces moments, ces garçons justifieront mieux leur salaire dans le magasin.
Notre métier est tellement saisonnier que l'équipe de fond se détend gentiment en dehors des quelques mois de travail plus intense. Cette saison dernière a d'ailleurs été bien molle. Les résolutions pertinentes prises alors se diluent ensuite en un coupable laisser-aller. Voyons où nous mènent nos tableaux analytiques. Déjà, à quelques bons moments au bureau, à regarder tomber la pluie dehors. Une journée entière ne m'y réussit pas. J'alterne. Mon travail devrait trouver écho favorable, puisqu'il contribuera à ressouder des liens collectifs où la solidarité a perdu ses droits.
J'ai soufflé la tempête. J'apporte maintenant la paix. Prêtresse imprévisible et fantasque.
Mercredi 5 juin 2024
Mes petites hirondelles ont pris leur envol. La dernière a traîné un peu derrière les autres, lovée dans le nid ma foi plus confortable de l'avoir pour elle seule. Le mien familier voisin m'a rapporté que son chien a failli en croquer une, dans le soir. Il a réussi à lui faire lâcher prise par un cri. L'oisillon étourdi s'est envolé maladroitement, salement secoué sans doute.
Je pensais avoir compté cinq petits de cette première nichée. Quand je n'en ai plus vu que quatre, je me suis dit que la rescapée n'avait pas fait long feu. Puis, j'ai observé un nouveau couple dans la porcherie-remise. Peut-être d'ailleurs celui qui y était déjà venu en début de saison, puis reparti. Il se peut alors que mon cinquième petit soit l'adulte du second couple. Rescapé rescapé, alors, et hirondelles de retour au nid. Je préfère ce scénario.
La petite femelle juste arrivée s'est déjà installée pour couver. Idéalement, j'attends le troisième couple dans l'angle des tuyaux sanitaires. La quatrième petite famille de la porcherie extérieure n'était déjà pas là la saison passée. Sans doute la canicule 2022 l'a-t-elle dissuadée de s'installer là, juste sous la charpente tuilée.
Notre population hirondelle s'érode doucement. Ici, entre les vaches mouchues, les couloirs porte-imposte, elles sont au mieux, pour celles qui résistent. Je leur conserve leur habitat, et les meilleures conditions. Je ne sais pas quoi faire de plus.
Les entrées maritimes intempestives, les chutes et remontées de température dans la même journée, quand ce n'est pas un ou autre épisode bruineux, font le foin gris et mou. Les premières cerises sans sucre ne colorent même pas le clafoutis. J'ai rentré en tresses encore vertes un ail ridicule. Suspendu dans l'escalier au dessus de l'étable, il devrait quand-même sécher, et offrir ses têtes minuscules à parfumer l'omelette.
Non, vraiment, les récoltes printanières cette année seront décevantes. Et qu'y faire, là encore ? Notre suprématie supposée en prend un bon coup dans l'aile.
Lola m'a fait peur tout à l'heure. Elle était avec nous au potager, pendant que je tressais l'ail, justement. Beñat me faisait la conversation, posté à côté du poirier où les chiens vadrouillaient. A un moment, ma Lola se met à tituber. Elle fait quelques pas en avant, puis recule, désorientée, manque tomber sur le côté, se rattrape. Elle secoue sa pauvre vieille tête, misérable et toute perdue. Alarmée, je m'avance, la prend contre moi, la rassure. Elle se calme, et, appuyée sur ma jambe, stabilise ses aplombs.
Elle me rappelle Bullou, quand elle s'était fait tamponner sur le côté de la tête par un chien de NIkolas. Là, je n'ai rien remarqué de tel, les trois chiens furètent gentiment. Je prends mon ancienne sous le bras, pour l'asperger d'eau. Je ne crois pas tellement au coup de chaud, mais bon, c'est plus histoire de faire quelque chose plutôt que rien. Ce qui n'est pas toujours la meilleure inspiration qui me vienne... L'eau fraîche sur la tête la ravigote. Elle se secoue quand je la repose par terre, et s'en retourne, comme si de rien n'était. Un vrai bulldozer, cette petite !
Je suis tout de même intriguée. Je l'observe du coin de l'œil, tout en nattant mon ail maigre. Beñat est reparti, flairant peut-être un drame sur le point d'advenir. Ou pour toute autre chose, je ne sais.
Lola marque une grande fatigue. Je la vois quand-même aller et venir dans les allées du potager. Elle repère quelque chose dans le paillage, qu'elle mange. Je m'approche. Je l'ai déjà vue faire, quand nous allons promener. J'avais jusque là pensé qu'elle mâchait voluptueusement des crottes de chat. Pas très ragoûtant, mais assez commun, chez les vieux chiens, je crois. En regardant mieux, je comprends : Lola débusque et mange les limaces et escargots séchés par le poison ! Nom d'un chien, ma vieille chienne s'empoisonne à l'anti-limace ! Il me reste une boîte ancienne, au bon vieux métaldéhyde maintenant interdit. Il y a bien de l'amérisant dedans, censé décourager les animaux domestiques. Lola n'a plus le flair de sa jeunesse. Elle ne perçoit peut-être plus l'amertume, et croque ces cadavres toxiques.
C'est une hypothèse. Elle me convainc. Fi des plants de salade et de citrouilles dévorés, je me promets de garer ma boîte fatale et ses granulés bleus hors de portée de la chienne.
Lola se remet. Son bon regard voilé s'alourdit du temps inexorable qui la fait sourde et lente. Elle garde des pointes de gaité qui la font encore courir et jouer. Certains jours l'ankylosent de douleurs diffuses. A d'autres, elle retrouve un pétillant malicieux.
Je me l'adore, ma Lola. Je la sais vieille. Elle n'a plus beaucoup de temps devant elle. Ca ne nous empêche pas de profiter ensemble de celui qui nous reste.
Samedi 8 juin 2024.
Rentrée de la jardinerie, j'ai envie de me balader face à l'orage annoncé. Les chiens restent dedans. J'ai tiré doucement derrière moi le battant de la porte, pour qu'ils ne me suivent pas. Le vent s'est levé, et de lourds nuages sombres roulent dans un ciel bas.
Je marche dans le souffle froid, pour le seul plaisir de me sentir emmitouflée dans le confort de ma parka Lafitte fumée étable.
J'ai rentré TtonytaPetra pour la nuit. Les petites hirondelles se perchent à l'abri, attendant en ouvrant des ailes frétillantes la becquée de mouches que les parents picorent sous le plafond. J'ai refermé le vantail métallique en me glissant au plus loin d'elles, pour qu'elles ne ressortent pas. Clac ! Tout le monde aux abris.
Mes tresses d'ail parfument l'étable et la pièce en sas. Je guette la pointe d'acidité qui marquerait un début de fermentation mauvaise. Je sais les tiges un peu vertes encore, et les têtes humides. Le courant d'air stratégique à l'endroit où je les ai suspendues assure un séchage sain. Porte fermée, l'air circule moins. Je les garde à vue. Ma récolte famélique doit au moins se conserver.
Il est bientôt 21H. Les impacts orageux sont annoncés pour cette heure. Pour le moment, une risée un peu forte agite bien les feuilles des carolins, et la bruine s'incline en oblique. Pas de tonnerre encore.
Je vais me coucher avec un bon livre. Je lis plus, ces temps-ci. Pas mal d'histoires de retour aux sources, de recherche de racines. Pour ce que j'en lis, je n'ai pas trop mal fait de rester ici.
Dimanche 9 juin 2024
Journée cuisine et divers domestiques, ce matin.
Pour l'après sieste, j'ai poussé sur les bords de Bidassoa. J'aime cette contrée par temps gris. La passerelle arrimée à la paroi rocheuse enracinée de lauriers séculaires contourne le Vieux Fort. J'ai flâné, nonchalante et méditative. J'ai étiré dans ce programme libre une dolence confortable. Assise sur un banc, bien installée sur le bois écaillé, j'ai rêvassé, en ramenant autour de ma gorge les pans de ma parka toujours fumée étable. Du grand repos, un grand bien-être.
J'ai pensé incongrument à cette liberté de ne plus surveiller ses postures. Mes cuisses élargies disgracieusement devant moi s'enlaidissent d'une position peu flatteuse. Je n'y fais plus attention, pas plus qu'à mon ventre rebondi sous une taille floue.
Je me souviens bien comment il y a peu encore, je calculais les angles avantageux et les pauses gracieuses. Je ne me serais jamais avachie ainsi, jambes écartées, cuisses écrasées en jambonneaux. Je me serais immédiatement ressaisie. J'aurais soulevé les jambes sur la pointe des pieds, puisque leur brièveté ne permet pas de soulever les cuisses en assise autrement. J'aurais plaqué mon dos contre le dossier, en prenant garde de rentrer le ventre.
Sans jamais avoir été une beauté, je tenais quand-même à paraître à mon avantage. Mon allure était chose importante. Je n'ai jamais versé dans la coquetterie vestimentaire ou esthétique. Celle de posture m'a par contre toujours tenue. Sans doute parce-que c'est là que je mettais mes aspirations à une séduction au moins minimale.
Toutes les femmes sont soumises à ces dictats, belles comme communes. Les franchement laides s'émancipent peut-être plus tôt de ces coquetteries ?
Elles ne connaissent pas leur chance, celles-là que la disgrâce dispense au plus tôt de tant d'efforts et de contraintes.
La vague a contaminé l'homme, aussi. Depuis plusieurs années, en plus d'être fort, classiquement, depuis les cavernes, et intelligent depuis des temps plus modernes, il se doit d'être beau. Comme la femme s'attache à promouvoir sa performance, en plus de sa grâce. Tant pis si elle s'écartèle à tenir tous ses rôles.
Beaucoup, beaucoup, beaucoup de carcans, de barrières, de poids, d'efforts et de frustrations en devenir.
Là, paisiblement assise sur le bord Bidassoa, avachie dans mon jean douteux et ma parka malodorante, je me suis sentie émancipée de cette obligation de surveiller ma posture. Je m'en suis trouvée bien confortable, comme quand on chausse ses vieilles charentaises éculées après une journée d'escarpins.
Bientôt, le temps où je pourrai rire à gorge déployée, insoucieuse de mon sourire catastrophique. Là, enfin, je serai devenue une vieille femme totalement libre.
Lundi 10 juin 2024
Ce vent toujours frais ne parle vraiment pas de l'été tout proche. A choisir, je préfère ça à la canicule. Il se trouvera bien une fenêtre météo pour faire mes 40 balles de foin. J'ai de la réserve jusqu'à fin juillet. Antton avait broyé la pousse hivernale en début de printemps. Les brins ne sont pas encore vieillis.
En dehors de ça, mon potager sinistré ne m'inquiète pas. Je ressèmerai des citrouilles, s'il n'y a pas moyen de faire mieux.
C'est quand-même un printemps étrange, que nous avons là.
Lola n'a pas suivi pour la promenade. J'en ai profité pour faire le grand tour. Dans le contrebas, la prairie curieusement désherbée a meilleure l'allure. Le trèfle n'a quand-même pas tourné le museau bien longtemps. Il sourd de nouveau sous les tiges de graminées. Il a quand-même pris du retard. Il sera moins dominant. C'était sûrement l'effet recherché.
La végétation exulte partout. Le chemin aux noisettes se couvre en tonnelle d'où le ciel ne transparaît qu'à peine. Dans la redescente de Mieltxon Borda, j'ai respiré à pleins poumons le paysage étale sous le ciel pommelé.
Là, j'attends TtonytaPetra. Elles n'aiment pas le fumet de l'ail en séchage. Ttony surtout boude sa gamelle de luzerne en granulés, si je l'ai laissée à découvert sur le coin de l'évier. Pour éviter ça, je ne les remplis qu'au dernier moment. Le granulé dans son bidon étanche ne capte pas l'odeur, un peu forte il est vrai, de l'ail suspendu à côté. Je surveille du naseau l'absence d'acidité de ces relents. Je dois éviter l'installation d'une moisissure sournoise, lovée dans les entrelacs des tiges. Pour le moment, pas trace du petit champignon duveteux.
La situation paraît saine.
Vendredi 14 juin 2024
La matinée ensoleillée n'aura pas fait long feu. Des gouttes froides d'une averse triste m'ont ramenée ici.
Je me suis réveillée ce matin inquiète de ma réserve de fourrage. Pourquoi ce matin plus qu'hier, je ne sais. Peut-être l'idée que nous tenions une petite fenêtre météo à ne pas louper ? Je pensais même à ce préfané pourtant tant décrié.
Renseignement pris, je ne serais pas équipée pour le contentionner correctement. Mauvaise idée, donc. Mauvaise idée, déjà, avec le retour de la pluie dès l'après-midi.
Pour enrayer la panique naissante, j'ai raflé la réserve disponible de l'année dernière. Je me sens déjà toute mieux...
Je vais retourner cueillir des fraises. Le ciel reste gris, mais il ne pleut plus. Saison sinistre pour le paysan. Je pense à ces éleveurs aux granges vides et aux troupeaux nombreux. A ces maraîchers aussi qui cherchent le parfum, la couleur, la saveur, dans leurs planches frissonnantes. Non, vraiment pas une saison pour les travailleurs de la nature.
Notre administratif prend une nouvelle fois tournure au long cours. Beaucoup d'intervenants nouveaux, pour la toujours même rengaine : dossier complexe. Tiens donc. Il ne va pas aller en se simplifiant, au gré des divisions.
Quand ils le veulent pourtant, nos responsables administratifs savent se montrer décisifs. Une affaire de remblai à évacuer jusque dans les Landes se rapatrie tout localement ici. Ca paraît bien plus sensé. Ca s'est réglé en deux coups de fils, paraît-il.
Comme quoi, quand on veut, on peut. Là, pour nous, j'ai malheureusement l'impression qu'on ne veut pas trop, justement.
Il doit y en avoir, des tractations de couloirs chez nos politiques, en ce moment. Les messageries électroniques doivent prendre feu. Alliances, mésalliances, calculs et stratégies. Tout le fourbis en marche. Le peuple s'y perd. Le pouvoir s'y ébat comme la truie à sa bauge.
Incivils ceux qui pensent que la politique ne changera pas leur vie. Peut-être.
Naïfs ceux qui l'espèrent, aussi.
Participer, entrer dans l'arène, s'y fatiguer et risquer de s'y perdre. Pas donné à tout le monde. Pour ceux qui y sont, manifestement, l'intention la plus ferme d'y rester, quitte à monnayer une morale corrompue.
Mauvais temps pour les purs. Qui ne font pas de vieux os en politique, quand par héroïsme, ils s'y fourvoient.
Désabusée je suis. Désabusée je reste. Les décisions restent cultes, et nos pantomimes de suffrage universel navrantes. Je suis persuadée que la politique n'est que le masque de la finance derrière. Et celle-ci, elle reste intemporelle, quels que soient nos soubresauts pathétiques. Un point de vue comme un autre.
J'avais en projet une chronique sur notre prétention à vouloir nommer toute chose de notre environnement. Je m'en faisais une gourmandise.
Ce sera pour une autre fois : je vais aller cueillir des fraises. Une manière de transfert.
Lundi 17 juin 2024
Finalement, ma chronique fantasmée brillante sera réduite à peau de chagrin, comme souvent.
L'idée, c'était notre propension à vouloir maîtriser ce qui nous tombe sous la main. Le définir, le circonscrire dans une définition, l'enfermer dans un mot. Le brider, comme on enrênne une jument.
Quand je connais le nom d'une plante, je la catégorise dans une suite genre-espèce-variété. Elle est classifiée, à sa place dans un tableau de connaissances.
Quand je ne la connais pas, et il y en a beaucoup, pas plus loin que dans nos talus et nos sous-bois, j'essaie des rapprochements, par réflexe. Puis, je la laisse aller hors de ma pseudo-science, libre de vivre sa vie de plante sauvage. J'ai le sentiment de lui laisser son mystère, d'admettre l'humilité de ma condition d'espèce parmi d'autres espèces, inconnues. J'ai l'impression de m'affranchir de ce désir de domination dévastateur.
J'ai beaucoup perdu de ma fascination, quand j'ai appris que la plante de mon enfance, celle-là dont les graines noires sautaient tels des petits diablotins hors de leurs cosses rétractées comme des ressorts dès qu'on les effleurait, était de la balsamine de l'Himalaya.
Le monde magique de mon enfance, s'est réduit à une plante identifiée, connue, assagie dans la restriction d'un mot, d'un seul. Joli, tout de même, oui, joli. Mais carcan quand-même.
Approximativement dans le même thème, en antithèse, la citation de Camus : "Mal nommer les choses, c'est rajouter du malheur au monde". Quand je complète : vouloir les nommer toutes, c'est chercher à les asservir. Et l'asservissement n'a jamais engendré grand bonheur non plus.
Une de ces nébuleuses où une idée percerait dans la brume, puis s'échappe.
L'actualité du jour me ramène au terre à terre. A la terre, vraiment terre, là, pour le coup.
Notre remblai local reprend du service. Il était fini, puis non, puis oui, mais.
Toujours est-il que ce matin il y a eu un petit mouvement.
La journée s'annonçait belle. Un ciel clair, quelques laitances étirées, une température douce et pas un souffle de vent. J'ai ramené les volets de la maison en position été, pénombre à décourager les mouches. Une ambiance vraiment agréable.
Montée au potager, je venais de vérifier mes caisses à semis. Quelques minuscules plantules de laitue arrondissent les épaules sous la croûte de terreau humide. Bien. Encourageant, quatre jours après le semis. Je relève la tête à un bruit de moteur inconnu.
C'est là que je vois un engin à la grosse gueule gourmande. Une lame haute, large, vorace.
Le précédent glouton a avoir œuvré dans les parages fait figure de petit garçon, à côté. Celui-là d'ailleurs, on l'a renvoyé jouer à ses tas de sable.
Nous avions ici un paysage étale, qui commençait à s'enherber gentiment. Un tapis de lotier parsemé de trèfle blanc et violet, quelques graminées hautes et gracieuses, quelques plants aussi de cette cardonne des oiseaux connue récemment chez Hélène.
Finalement, nommer les plantes, c'est pratique pour les évoquer, mystère ou pas.
Sans ça, il faudrait rameuter le sens de l'observation pour regarder correctement, la mémoire pour rapporter fidèlement, le vocabulaire pour décrire au mieux, l'imagination pour celui qui cherche, son sens de l'observation et sa mémoire pour faire les rapprochements pertinents, en plus d'une connaissance minimale.
En dernier recours, on aurait la consultation d'une encyclopédie lourde et impressionnante, où l'information se niche comme un trésor à trouver, amenée par un enchaînement parfois laborieux. Toutes choses étiolées dans la science livrée en pâtée par nos portables à la numérique infaillible. On a plus besoin d'apprendre, de se souvenir. Il suffit de cliquer, de se laisser aspirer par un écran détenteur universel.
Nos facultés intellectuelles perdent du muscle au fur et à mesure de la propagation dans nos cervelles de l'Internet universel. Nous sommes inféodés. Phagocytés. Dévertébrés. Dégénérés. L'affaire est entendue.
Bref. Revenons à nos moutons.
Il était prévu un profil vallonné, en 2006.
18 ans après, le vallon annoncé s'est bien aplani.
Une petite voussure ici ou là, en attente d'étalage. Pas de quoi recouvrir utilement les sanitaires et la robinetterie à peine enfouis à quelques centimètres de la surface, mais bon.
Bon an mal an, l'ensemble était agréable à l'œil. Il aurait pu se fondre dans le paysage, sans heurter.
Là, nous sommes dans une expectative.
Ce remue-ménage fait un beau spectacle pour les amateurs de travaux publics.
Ma promenade du soir dans le remblai va contourner tout ça. Je m'adapte à la marche des affaires.
Nous partions d'une coulée aux pentes en chassés souples, tout en courbes larges et douces.
Nous arrivions à une plaine un peu morne.
Voyons vers quoi nous allons maintenant.
21H
Je reviens de ma virée dans le soir. J'aime cette lumière étirée en nappes de lumière sous les canopées silencieuses des oiseaux coits.
Je suis passée par le chantier inauguré ce matin. Comme avait dit l'anglaise pas espagnole : c'était lunaire ! Les lianes de ronces et de chèvrefeuilles des passages se grisent de poussière terreuse. En un jour seulement. La pluie bientôt va rincer tout ça.
J'ai salué la machine à grosse gueule. Elle se terre derrière un monticule déjà haut.
Plus loin, là où je contourne, ma promenade est indemme. Pour le moment.
Mercredi 19 juin 2024
J'ai poussé jusqu'au Ball Trap, cette après-midi, après avoir fait provisions de livres.
Mon parcours montagne était déjà occupé par un van et plusieurs chiens. J'ai préféré passer au large.
En bout du chemin des Crêtes, j'ai un autre circuit. Celui-ci plonge dans une cuvette naturelle. Aux abords du tunnel en pierre, le chemin serpente dans un sous-bois luxuriant. Les frondes de fougères développent des corolles hautes, larges, gracieuses. Des vivaces de terrain humide piquètent la pénombre. En voilà d'autres que je ne saurais nommer.
Un moment de grande paix.
Je me suis assise dans les racines d'un chêne séculaire. Une pointe de sensualité saugrenue m'a cueillie par surprise. Pas désagréable.
Lundi 24 juin 2024
Le soleil est revenu. Pas tout à fait franc, mais là quand-même. Ca fait déjà du bien.
Les barres de coupe se remettent à frémir. Le foin sera piteux, mais, comme dit le faneur, il faut bien commencer quelque chose. Contre Mère Nature, pas sûr...
J'ai consolidé ma barrière anti panique pour cause de disette en prospectant chez les négociants en foin.
J.Michel m'a très efficacement assistée dans mes recherches. Cet homme est en or, Céline a bien raison.
Nous avions prévu un déjeuner dans le centre de Biarritz, avec Hélène et Miss Too Much. Par un enchaînement très farfelu dans cet endroit à milles lieues de nos préoccupations paysannes, j'ai dégoté un fournisseur prometteur, par le biais d'Hélène. Nous avons pris date, (enfin pas date, justement, dans l'attente du prochain réapprovisionnement du pourvoyeur). Ca nous fera une virée, pour aller humer sur place la matière première.
Tiens, le soleil se voile déjà. Ici, les brins déjà creux vont finir d'exhaler un dernier soupir épuisé.
Par un de ces autres enchaînements inattendus, je suis passée de ma pointe de sensualité de mercredi au visionnage d'un reportage sur la péri ménopause, hier soir.
Le sujet est plutôt discret, pas bien marchand, sans doute.
C'était assez affligeant. A travers les témoignages croisés d'une dizaine de dames vieillissantes, entre 45 et 60 ans, l'affaire était abordée essentiellement sur son volet physique, entre transformations pas très heureuses du corps, et perte subséquente de toute séduction.
Dans le tas, il y avait une seule femme à la plastique encore très présentable. Elle n'était cadrée que sur le visage, alors que, sportive et dynamique, elle devait encore pouvoir exhiber un corps musclé et attirant. Ce n'était sûrement pas dans la couleur du tableau à présenter.
Une autre, assez jolie elle aussi, paraissait vivre l'affaire sereinement. Elle aussi, présentée assise, silhouette sans développement, quand on la supposait gracieuse encore.
On sentait que ces deux là n'étaient qu'un contrepoint obligé au semblant de débat.
Pour le restant du panel, c'était une désolation. Les plans rapprochés de bourrelets mous et de rides vilaines n'épargnaient rien, ne flattaient jamais. Un échantillonnage très orienté, à plonger dans un marasme insondable les post-quadragénaires.
A aucun moment, il n'a été question de la place de ces femmes dans le travail, dans la société. Très peu aussi d'évocation de leur vie de femme, de couple. Juste pour se mortifier de n'être plus bonnes à rien !
Et bé ! Pas réjouissant, le machin...
Je ne vois pas les choses de cette manière. Même fripée, ramollie, renflée ici quand ce serait mieux de l'être là, je me trouve en bonne forme. Libérée de beaucoup de contingences, même si je n'en ai vraiment pas été l'esclave la plus entravée. J'en parlais il y a peu.
Ce que j'ai perdu, je suis contente de l'avoir eu, comme un prêt dont on a fait bon usage. Pour le reste, j'espère de beaux jours, autrement, pas inintéressants. Je n'ai plus besoin de moments ardents. Le repos me sied mieux. Ma condition physique se coule gentiment dans ce schéma prévu, attendu, espéré, quand même pas.
La plutôt jolie, juste après la bombe, évoquait les rides sur la peau qui racontent une histoire. L'émotion à la vue de mains vieillies.
Ouais, ouais, ouais... Je n'irais pas jusque là. La vieillesse est une laideur et une misère. Un corps vieux ne me paraîtra jamais beau. Emouvant, d'accord. Séduisant, jamais. Au mieux, bien conservé, faisant limite illusion, bien sanglé, et de loin.
Je me cale dans cette étape transitoire. J'ai passé le plus dur : la perte admise comme définitive d'une jeunesse lointaine, et de la pleine maturité déjà déclinante après. J'en suis aux portes de la vieillesse, fringante encore, mais sur la descente, forcément.
Pour la suite et fin, il sera temps, le moment venu.
Cette manière de presque insouciance, aussi, est nouvelle. Les hormones assagies n'y sont pas étrangères. La molécule, aussi, peut-être ? Et bien alors, vive la molécule ! Finalement, la post-péri ménopause, moi, elle me va.
Mardi 25 juin 2024
J'ai été marcher sous les arches vertes du parc écologique Txingudi. Les vrombissements du chantier proche perturbaient la paix de l'endroit. J'ai quand-même pu savourer quelques moments de pause relâché, à admirer les plans d'eau où les oiseaux s'ébrouent.
Je rayonne un peu plus large dans mes promenades. Meriem et Hélène me guident vers des sentiers nouveaux. Pour moi, c'est l'aventure !
Jeudi 27 juin 2024
Deux jours de soleil, et bim ! retour nuageux.
Les foins ont été rentrés dès hier. Un séchage express. La brise y était, le soleil en pointes aussi. Une bonne demie journée supplémentaire n'aurait pas été de trop. Mais elle n'a pas été accordée.
Puisque j'ai décidé cette année de prospecter ailleurs mon fourrage, on me représente l'excellence de ces balles odorantes. Pour me faire regretter mon infidélité. Soit.
Le fait est, ce foin tout frais exhale une riche senteur. Et il y a pile poil le nombre qu'il me manquait pour assurer mon année.
Là, j'attends des nouvelles de mon négociant, j'attends de voir ce qu'il me propose, j'attends qu'il me livre les balles si elles sont correctes. J'attends de voir mes piles emplies de la promesse d'un hiver pourvu.
J'attends beaucoup de choses, en espère autant, et ne peux pas, jusqu'à l'assouvissement de cet espoir, rabattre le caquet à mes inquiétudes vives. La situation est d'inconfort et j'en suis la seule responsable. Si je n'avais pas pris ma quinte dimanche soir, je trouverais à cette heure ce fourrage parfait. Il est trop tard maintenant, et je ne peux pas me dédire.
En consolation, je me persuade que la possibilité d'avoir pris la bonne option reste compétitive. Jusqu'ici, mes foucades ne m'ont pas trop fourvoyée. Je trouverai du foin. je ne sais pas si j'en trouverai du meilleur que celui-là. TtonytaPetra ont fini leur croissance. L'enjeu est moindre.
Pour éloigner un dépit naissant, je préfère voir dans les balles rentrées hier les brins pollués d'adventices creuses. Quand j'ai longé le champ mercredi, les lances brunes des rumex en pleine grainaison couvraient la surface ondoyante des épis blanchis de vieillesse. En dessous, le broyage printanier avait laissé un feutrage défavorable à la bonne pousse des espèces convoitées. Il y a bien une petite production de graminées rescapées là dessous. Ce sont celles-ci qui parfument. Celles-ci aussi qui colorent les spires serrées d'un bleu de regain. Celles-ci qui auraient mérité la fameuse demie journée supplémentaire.
Je ne suis pas suffisamment aigrie pour souhaiter que ce simili regain rancisse. D'être parsemé dans la paille creuse le sauvera sans doute d'une fermentation acide déplorable. Je surveillerai quand-même, pas trop bienveillante. Honte à moi !
Histoire de ne pas admettre ma probable défaite, j'ai juste lancé en conseil de ne pas trop tarder à consommer ces balles... Vilaine et mauvaise !
J'ai de quoi tenir jusqu'à la fin de l'année avec ce que j'ai rapatrié dernièrement. D'ici là, je peux raisonnablement espérer une rentrée de foin potable, ou alors de regain classe supérieure. Quelques semaines à ronger mon frein.
Au moins, le charpentier s'est présenté. Une pane en souffrance et une lèvre de zinc soulevée le requéraient. Il n'interviendra pas lui non plus dans l'immédiat, forcément.
Le savoir en charge de l'affaire me la rend plus légère.
Je peux plus facilement attendre, quand j'ai délégué la réalisation à autrui. Un négociant expérimenté, un artisan familier, tout concourt à apaiser mes impatiences.
Demain je promène avec Meriem. Samedi, je terminerai chez Lafitte ce que j'avais bien avancé samedi dernier, dans le silence monacal du bureau déserté.
L'été se profile agréable.
Vendredi 28 juin 2024
Virée à Pasaia San Juan avec Meriem.
Tout ce que j'aime, des ciels gris, des flots calmes, de la roche durement dessinée par le temps, entre pierre et bois vivant, presque.
Cerise sur le gâteau, un énorme porte-conteneurs engagé dans l'estuaire, en direction du port où les grues immenses alignées sur les quais attendent la marchandise.
Nature sauvage et nature domestiquée par une industrialisation brutale.
J'ai trouvé la cohabitation des deux pacifique, curieusement. Ca m'a rappelé l'image que j'ai longtemps gardée, de ces quelques vaches paissant devant une barre d'usines au loin.
En parlant de vaches, les miennes vivent leur vie tranquille. Petra ocellée et Ttony chatoyante en sables clairs sont toujours aussi belles à mes yeux. Elles ont fini leur croissance, plus ou moins. Elles vont maintenant prendre des volumes, de la densité.
Elles s'assagissent déjà bien. Ainsi, nous vieillirons toutes en cadence, gentiment.
Samedi 29 juin 2024
Je suis retournée à la jardinerie pour terminer mes analyses chiffrées. Je m'y plais toujours autant. Pas de grande surprise à l'arrivée. Je n'en attendais pas. Je voulais juste conforter une impression et un résultat brut, par des recherches mieux ciblées, et indiscutables. J'aime avoir des arguments imparables.
Dimanche 30 juin 2024
J'ai passé mon baptême de l'eau, aujourd'hui. Nous avons avec Hélène, Blanche et Miss Too Much traversé la Bidassoa sur la navette. Pour moi, l'aventure ! Un léger tangage au démarrage et à l'accostage, rien d'affolant pour la terrienne que je suis. Et puis, les tangages, ça me connait !
La vieille Fontarrabie que je ne connaissais que d'ici m'a ouvert ses venelles et ses pans de murs où les fougères se nichent.
La promenade fut très agréable, et la compagnie tout autant.
A mon âge avancé, je découvre ce que mes concitoyens connaissent depuis des lustres. J'ai cette chance d'avoir tant à découvrir, ici même.
Mes amies m'accompagnent dans ces petits périples.
Ma terre est belle. Je la regarde, émerveillée, disponible à ses beautés.
La vie a bien fait les choses pour moi : j'ai maintenant l'envie de goûter à ces plaisirs là. Et le temps de le faire. Une concordance parfaite.
Je me suis demandée si je publierais le semestre.
Puis, j'ai décidé de pousser à l'année.
J'écris moins, maintenant. Parce-que je vis plus de choses que je n'en raconte. Mes paysages intérieurs s'y alimentent. Si un jour advenait où je devrais rayonner au plus près, je développerais.
En attendant, je fais provision. De sites, de lectures, de conversations.
Ma semaine de vacances fut divertie. Je reprends un été laborieux bien léger de la saison passée.
Vendredi 5 juillet 2024
La journée fut tristement marquée par les funérailles d'un homme encore bien jeune pour tourner le dos à la vie. C'est pourtant ainsi.
J'ai accompagné mon père à plusieurs enterrements, ces dernières années. C'étaient des enterrements de vieux, perçus comme justes.
Là, l'horreur sidère et le désespoir fige nos parcours naïfs.
J'étais là par sympathie pour la famille. Le défunt, je ne le connaissais pas. J'accompagnais Beñat, ancien collègue, lui, du malheureux.
J'ai toujours aimé les chants basques dans les enterrements. Là, sous le porche brassé d'air frais, j'ai pu sentir la crispation des entrailles d'une communion funèbre.
Nonobstant, n'étant touchée qu'en seconde ligne, et encore, j'ai aussi fait quelques observations païennes.
Dès l'approche dans ce centre-ville en pleins travaux, j'avais noté une jeune femme vêtue de noir. Ou plutôt, dévêtue de noir, tant son décolleté plongeait profond. Taille bien prise, jupe virevoltante sur des jambes galbées, hauts talons pour la cambrure, elle détonnait sérieusement dans le contexte. Jusqu'à son chignon haut d'où quelques mèches follettes parlaient d'une sensualité incongrument gaie.
J'ai pensé un bref instant que c'était la veuve. Je la trouvais bien désinvolte. Puis, très vite, je compris qu'elle faisait partie de l'effectif des pompes funèbres. Pas du tout funèbre, elle, pour le coup, avec son port altier, son visage soigneusement maquillé, et sa peau toute d'or blond.
Dans un établissement voué à la fête et aux plaisirs charnels, elle aurait été mieux à sa place que sur le parvis d'une église en deuil.
Un de ses condisciples présentait à peine mieux, avec sa veste mal boutonnée sur un ventre rebondi. Un intermittent, sans doute, dont la dernière mission était un peu lointaine. Une fine équipe, vraiment !
Je me remémorais à cette occasion les deux acolytes venus chercher mon père défunt pour la préparation du corps. L'un des deux arborait un teint épouvantable, entre gris et vert. Le mot le plus juste doit être : olivâtre. De larges cernes noirs sous les yeux parachevaient l'effet cadavérique.
C'était saisissant, et les quelques personnes présentes ont été effectivement saisies. Tout de même, ce personnage était bien dans son rôle, autrement mieux que notre donzelle évaporée. Par comparaison, on trouvait bien meilleure mine à mon pauvre père gisant mort. Au moment de la mise en bière seulement, trois jours après, la peau du visage de mon père prit cette même teinte funeste. Notre pompe funèbre restait constant. Il faisait un brin de conduite aux morts, mais ne poussait pas le zèle professionnel à aller au delà.
Après ces premières observations fines et peut-être saugrenues en ces circonstances, la messe allant son train, je remarquais d'autres comportements curieux. Nous étions je l'ai dit dans le porche. A l'entrée de l'église, deux pupitres supportaient deux cahiers ouverts, où chacun pouvait laisser un mot. Plusieurs personnes s'y penchaient, recueillies, et s'en retournaient prier, ou quelque chose d'approchant. D'autres, par contre, paraphaient leur réconfort et s'en allaient, affaire faite. Ils arrivaient, droit sur la page tendue, gribouillaient leur bafouille, et s'en retournaient vaquer à leur quotidien pressé.
Je trouvais ça très déconcertant. On vient assister à des funérailles, accompagner le deuil d'une famille et de ses proches. Pas pointer une feuille de présence obligée. C'était pourtant bien l'impression que ça me donnait.
Au fur et à mesure de l'avancée de la cérémonie, je ne comptais même plus les va-et-vient surprenants. On entrait, sortait, montait et descendait les marches d'accès aux galeries. Comme dans une foire-exposition, où, quand on a payé l'entrée une fois, on est libre d'aller et de venir sans s'acquitter davantage. Les agités ne paraissaient pas incommodés d'un malaise nécessitant l'air frais, non, ils se dégourdissaient les jambes, sans plus de manières.
Je me suis effarée aussi de quelques portables consultés, même pas en douce. J'ai même été soufflée par deux bras tendus au dessus des participants, à usage d'une vidéo ! Un spectacle, un apéritif-concert.
Décidemment, le monde tourne drôle...
La sortie du corps a quand même ramené une ambiance de recueillement ému de meilleure circonstance. Les pompiers en lignes et les ballons de rugby tendus à bouts de bras ont serré les cœurs. Les visages se sont fermés, et la plupart, gorges serrées, ont senti la douleur et l'effroi qui passaient. Cette douleur et cet effroi qui vont longtemps s'inviter chez ceux-là effondrés qui pleuraient cette abomination effroyable.
Samedi 6 juillet 2024
Une tonne de béton chez Lafitte. Pas fourbue pour autant : Jérémy est une vraie bête. Il lève la brouette remplie à bras le corps ! Je me suis contentée d'une participation minimale. Seule la pose des platines me reste imputée.
J'attendrai sans doute J.Michel pour la suite et fin. Il se vexerait de n'avoir pas eu l'opportunité de montrer sa force équivalente. Il ne poussera quand-même pas à deux sacs par brouettée, le bougre ! 1 tonne, trente masses, une par une, ce sera parfait.
Dimanche 7 juillet 2024
En passant dans le roncier au bord du remblai, j'ai remarqué une veste d'hiver jetée dans l'herbe mouillée. Curieux. Je n'ai pas relevé d'autres indices alarmants. Je l'ai laissée là.
Au retour de ma promenade, j'ai rattrapé un groupe de quatre personnes, casquées colonial et guêtres jusqu'aux genoux. Deux couples, l'un dans la cinquantaine, et le second de deux bonnes décennies de plus. L'équipage se frayait laborieusement son chemin dans la sente étroite barrée de lianes griffues. Les deux vieux s'entraidaient avec sollicitude, les plus jeunes leur tendaient une main secourable dans les passages les plus difficiles. Tout ce petit équipage insolite avançait cahin-caha, dans les rires d'une bonne humeur contagieuse. Je les laissais à leur progression, bifurquant en oblique. Nous nous saluâmes courtoisement.
Plus tôt, j'avais été jusqu'au cimetière. Je suis sur le caveau familial une coupe pas trop fleurie, mais honorable de ses feuillages panachés. Quand je ressortais, une jeune femme et deux enfants descendaient de voiture. Elle portait une couronne fleurie.
J'imaginais une histoire romanesque d'amour illicite. Et compatis quand peut-être je ne faisais qu'affabuler.
Mercredi 10 juillet 2024.
Cela fait longtemps que je ne m'étais pas fait une séance écriture aussi longue. Ma rétrospective m'a tenue un moment. J'aime toujours autant tapoter le clavier, ordonnancer dans ma tête des tournures mélodieuses. Ecrire, décrire ou imaginer. Elargir l'espace et le temps à un univers de mots libres.
Il fait à peine chaud. Les moucherons volettent dans l'embrasure de la porte de mon sas. Les dernières remorques de foin rentrent, embaument la cour, pincent mon dépit. Les quatre balles dernièrement remisées à l'étable exhalaient une pointe acide de rance. Elles avaient noirci contre le mur humide d'une saison noyée. La première cape enlevée, l'intérieur est correct. Il y faut tout quand-même. Rien à voir évidemment avec le parfum de ce fourrage frais que l'on me passe sous le nez. Heureusement, TtonytaPetra ne semblent pas le humer.
Je ronge mon frein. Beloscar adoucira mes désappointements mercredi prochain, je l'espère.
Je vais voir Céline vendredi.
Quelques sorties me distrairont.
Lundi 15 juillet 2024
Une longue séance de repérage de mes approvisionnements en foin nous a tenus animés autour de la table. Ca rappelle nos préparations d'itinéraires pour le tracteur de Beñat. Nous irons donc à la presque aventure mercredi.
Antton m'a rendu ma promenade autour du remblai par un passage de gyrobroyeur. Les chiens n'ont plus besoin de sauter entre les herbes hautes. Leur progression est maintenant facile. Les petits rongeurs effarés de se trouver à la pleine lumière leur font amusement, les cruels. Mes fauves sont vieux, les campagnols lestes. Pas de gros prélèvements dans leur population. Tant mieux. Je n'aimerais pas avancer dans un charnier.
La soirée s'annonce. Il a fait gris tout le jour. Le chantier piscine est sur sa fin. Une petite-Rhune s'arrondit devant la grande.
Voilà ici l'œuvre décalée de Taupinus Monstera. C'était le temps de la lutte. Le temps où notre clan au complet avançait en rangs serrés. Le temps d'avant.
Au soir, les ciels immuables d'une journée estivale aux masses perturbées rameute nos humilités trop vite oubliées.
Dimanche 21 juillet 2024
Je termine une longue séance d'écriture public-relations. Je cultive maintenant les relations amicales. C'est bien plaisant, ces conversations à distance, avec réponses en décalé. On y perd sans doute une fluidité dans le sujet, mais qu'importe !
Nous avons trouvé mon foin à Macaye. Un homme truculent, ce bel Oscar. Une prairie largement étale en ce pays pentu, cultivée comme il se doit, désherbée, amendée, pâturée par les pourvoyeuses de lait Onetik. De belles balles en filets.
Antton a réaménagé le hangar pour la centième fois. Nous sommes prêts réceptionner ces pépites.
La température est anormalement basse. Je me retire dans mes pénates douillettes.
Mercredi 24 juillet 2024
Une bonne journée de travail, hier, au grand soleil d'une journée chaude. Notre nettoyage estival avance.
A la faveur d'une panne de ce portable relié au monde, je me suis émancipée de la connexion obligée, exigeante, addictive. J'ai repris sagement un vieux modèle à clapet. J'ai besoin d'être joignable, et de joindre, un minimum. Pas d'être happée, commanditée par l'obligation de suivre H24 ne serait-ce que l'activité de l'entreprise, avec ce WhatsApp dictatorial.
Il n'y a jamais eu d'information capitale diffusée par ce biais. Pourtant, je vérifiais, à chaque fois que le petit icone téléphone vert s'invitait sur l'écran, comme si l'enjeu était primordial. Pour apprendre que c'était le jour anniversaire d'untel, que l'autre tel serait en retard, ou que celle-ci était grand-mère. Tous évènements bien sympathiques, mais dont la diffusion immédiate n'était peut-être pas vitale.
J'ai l'impression de faire un tri salutaire, ces temps-ci. Ce dont j'ai besoin, envie, ce qui m'encombre, m'ennuie. Comme quand je réaménage mon intérieur.
Samedi 27 juillet 2024
21h en direct live.
Le whisky sangria cogne quand-même un peu. La semaine dernière, j'avais mis ça sur le compte du CDB, ou CBD, ou je ne sais quoi je ne sais qu'est-ce.
Là, c'est mieux, un début d'ivresse détente totale, sans l'impression de perte du réel. Je dois quand-même redoser mon apéritif estival du samedi soir de manière à retrouver des eaux moins troubles.
Je me sens lascive. Sans objet, ni surtout sujet. Lascive intellectuellement, avec un presque ressenti de volupté étrange. Une transposition sensuelle dans un monde parallèle, éthéré, anorganique, m'élève au dessus des considérations physiques. C'est très agréable. L'ébriété caractérisée, quoi...
Dimanche 28 juillet 2024
La chaleur tient tout le monde en intérieur. A part un jardinier à la tondeuse vrombissante tout à l'heure, il n'y a que les souffles gentils d'un vent bienvenu. Je suis dans l'axe exact d'un courant d'air rafraîchissant.
J'ai fait une grande lessive estivale ce matin, profitant des conditions climatiques idéales pour des séchages rapides. Je me tiens parfaitement à jour de mes intérieurs. J'ai même fait un semblant de lessivage des poutres du plafond, ici. C'est dire !
Ca me rappelle une journée autrement caniculaire, il y a deux ans je crois. Cloîtrée ici par un presque 40°, j'avais eu la riche idée d'entamer une tournée nettoyage des recoins oubliés. Une suée mémorable !
L'an dernier aussi, je crois, j'ai transpiré sang et eau en voulant ranger mes vêtements dans les tiroirs de la commode de la chambre. Là haut, il faisait bien chaud. Un fond de tiroir affaissé m'avait donné du fil à retordre, le bougre !
Là, j'ai été très raisonnable, alliant avec succès exigence faible niveau et mise en œuvre en dilettante. Largement suffisant à contenter une aspiration mollette à un résultat moyen.
Hier soir, ma langueur a trouvé un aboutissement satisfaisant. Un frisson ma foi honorable, au vu de l'investissement engagé. Ca suffira largement là aussi à mes prétentions bien modestes.
Nous envisageons avec un mien familier la création d'un bassin, dans le bac à fleurs de la cour en bas. Ce bac à fleurs est d'ailleurs fort réussi. Tout le monde en fait compliment. Dans la lignée de nos réalisations coutumières, ce sera encore matériaux détournés et installation sommaire. L'effet peut quand même en être agréable. Nous verrons ça tout à l'heure, quand l'ombre étirera sa fraîcheur dans la zone.
Après moult essais dans les caisses à semis alignées dans le parc à ensilage, j'ai rapatrié mes tentatives dans une modeste jardinière installée dans ma cour-jardin. Les graines ont bien germé. Elles le faisaient là haut aussi. C'est après que les choses tournaient en eau de boudin. Une fonte étiolait les plantules pourtant gaillardes, en l'espace de quelques heures. Impossible de déterminer si la cause en était fongique, ou consécutive à une prédation quelconque. Pas de traces suspectes, et pourtant pas d'autres explications pertinentes. Mon expérience renouvelée ici, même graines, même terreau, paraît plus prometteuse. Pour le moment. J'ai tiré ma jardinière habitée sous la table, pour la préserver du trop fort soleil.
TtonytaPetra prennent l'air dans l'étable. Elles ruminent, yeux fermés. Je leur applique très régulièrement de l'anti-mouches pour leur éviter l'agacement de piqures incessantes. Nous allons samedi acquitter notre foin à Macaye. Nous nous informerons alors du délai de rapatriement. Il me tarde. Elles ne se languissent pas trop, ignorantes de la manne qui les attend. Si tout va comme je le veux.
Les chiens sont affalés sur le carreau frais, dans la brise. Bullou nous pousse un disgracieux chou-fleur sur le museau. Au commencement, j'ai cru que c'était une tique, entre les moustaches. Son extraction me paraissait délicate. Pas facile d'attraper le parasite sans tirer sur les moustaches. A l'observation rapprochée, j'ai repéré une verrue noire des plus consternante pour une esthétique jusque là honorable. Je me demande jusqu'où l'horreur enflera. Elle paraît sécher, se friper. Si ça s'arrête là, ça lui fera une grosse mouche de courtisane sur le museau. A voir.
Bien. Je vais peut-être me faire une séance relecture. Ou alors une virée dehors, si le vent brasse une température confortable. Le projet bassin est au soleil, mais bon, qu'à cela ne tienne !
Rétrospective depuis le 11 Août 2024
Ce fameux dimanche 28 juillet, nous avons finalement œuvré au plein soleil du plus chaud de l'après-midi, entre 16 et 18H. Notre ouvrage a été rondement mené. La caisse en polystyrène trouva son logement parfait sous le jasmin, bien calée contre le mur et la poutre. Ensuite, l'habillage nous demanda à peine plus d'efforts. Nous avons réutilisé les panneaux de bois originellement destinés à un bassin, justement. J'avais rapatrié ça de chez Lafitte, en vue d'en faire la matrice de l'actuelle jardinière de la cour en bas. La chance nous a souri : l'ajustement et l'assemblage se sont coulés bonnes filles dans les approximations de nos compétences limitées en bricolage. Mise en eau, tout était prêt pour accueillir les deux carpettes. Je les ai ramenées le mardi. L'une décéda des suites d'un engorgement nitrique développé par le pourrissement d'une plante aquatique échevelée. L'autre attend une nouvelle paire à venir.
Lundi 29 juillet 2024
Forts de nos réussites en aquaculture, nous avons avec toujours mon même familier décidé d'entreprendre une œuvre de plus grande envergure. La façade côté mer de la ferme a connu quelques retouches à l'enduit, aux endroits où de menues fissures rappellent qu'elle est une vieille dame. Ces ridules serpentaient vilainement au dessus des linteaux d'ouverture.
Mon familier avait le projet de reprendre tout ça. Un rafraîchissement d'ensemble, un petit 150 M2 à peindre quand-même, sur deux niveaux, avec près de dix fenêtres.
Je n'étais pas spécialement convaincue de la nécessité d'une reprise aussi globale. Tito nous a repeint la ferme en 2020. Nonobstant, et puisque mon compagnon d'ouvrage se le sentait bien, je n'allais pas l'abandonner en si bon chemin.
Ce lundi, nous avons dressé l'échafaudage roulant. Les pièces ne se présentaient pas d'évidence. Il nous a fallu l'éclairage de Nikolas. Quelques goupilles de sécurité passablement rouillées m'ont tiré une lippe circonspecte. L'ensemble paraissait tout de même honorablement assuré. Nous avons décidé que, plus légère, j'étais mieux désignée pour aller au plus haut. Mon familier prendrait le milieu, et nous finirions ensemble le bas, avant de déplacer l'édifice pas trop branlant.
Mercredi 31 juillet et vendredi 2 Août 2024
Nous sommes très fiers de nous. Nous avons étalé du blanc plus que blanc. La vieille dame s'est refait une beauté. Histoire de bien faire la différence, nous avons laissé mon pan naturel, d'un écru encore assez frais pour ne pas paraître inconvenant. J'ai juste badigeonné le câble électrique et le tuyau de cuivre nouvellement installé pour arrimer la clôture contre le mur. L'effet d'ensemble est très satisfaisant, et nous sommes en effet très satisfaits.
Nous avons décidé dans la foulée de faire aussi les cheminées, jaunies par l'usage et pas reprises à la dernière séance. Ca a été chose faite mercredi dernier. Là, nous avons sorti l'équipement montagne, avec harnais intégré et mousquetons de haute sécurité. J'étais moyennement fière, là haut, et la poigne solide de mon comparse autour de ma corde de maintien m'aidait bien à faire bonne figure. Là encore, succès bien goûté.
Samedi 3 Août 2024.
Je ne travaillais pas ce samedi là. Nous avions le projet de nous rendre jusqu'à Macaye, pour acquitter la commande de foin. Dans le courant du périple, nous sommes passés à Iholdy, pour récupérer du fromage. J'en ai pris un pour le repas de départ à la retraite de notre J.Marc de chez Lafitte. Une belle ferme, du bon paysan, rubicond et terroir. Dans la perspective agricole, une halte à Saint Palais. J'ai été agréablement surprise par le magasin, ses espaces bien agencés, et un environnement engageant.
Le détour par St Boes en vue d'aller visiter les myrtilles d'Hélène fut moins plaisant. Antton s'impatientait de mes hésitations routières, sa conduite s'en ressentait, et me déplaisait fortement. Le déjeuner à Amou, en pleine course automobile pétaradante dans le centre du village, acheva de ruiner pour moi l'effet détente de notre sortie. Pour couronner le tout, le menu était horriblement cher, et pas trop copieux. Mauvais coup, pour qui ne goûte pas la sophistication d'un service sûrement impeccable. Nous avions il y a longtemps été en troupe déjeuner là bas, lors d'une de nos sorties amicales avec Hélène, Gilles, Yvette et compagnie. Ce jour là, ce furent des mouches énervées qui gâchèrent l'ambiance. Décidemment, Amou ne nous réussit pas.
Je rentrais la tête bourdonnante, endolorie de la trop longue station assise. Une petite sieste plus tard, les choses tournaient mieux, et la soirée me fût réparatrice.
Dimanche 4 Août 2024
Une journée de repos total. Conversation téléphonique avec Hélène, repartie en amour. Je m'étonne de tant parler d'amour avec ces femmes plus toutes jeunes. Moi, je suis complètement rangée des voitures, et ces émois sont bien loin du centre de mes préoccupations. J'écoute, par amitié.
Au soir, j'ai repris un tour de remblai à l'ancienne, le long de la clôture de Nikolas. Ses gros chiens s'éclaircissent d'une hécatombe. Il ne reste plus que Neska et son fils, fils de mon regretté Ballurdo. Ces deux là ne se jettent pas sur le grillage à notre passage. C'est plaisant. Paix à l'âme de ces bêtes défuntes.
Mercredi 7 Août 2024
Une autre de défunte, c'est ma Grand Modus, mon fidèle destrier de ces quinze dernières années. Elle m'a lâché, comme ça, en toute sobriété, sans préavis, clac. Plus rien au contact. Un changement de batterie sans effet, quand pourtant au départ ça semblait suffire. Bien. Garage, petit estimatif de réparation à quelques milliers d'euros minimum. Un coup à la précédente 206. Je dois avoir un mauvais fluide sur l'électronique. Ou l'électronique est programmée pour ne pas trop durer.
Toujours est-il que je me suis rabattue sur le "Nouveau Kangoo". J'ai assouvi le phantasme de la porte latérale. Une ponction douloureuse dans mes finances, mais, qu'y faire ? Ce n'est pas une dépense de caprice.
Vendredi 9 Août 2024
Alléluia ! Mon foin est arrivé aujourd'hui. Des boules aux filets un peu malmenés de tant de manipulations. Qu'importe ! Les brins sont fins, goûteux. Je vais finir mes balles en cours. Voyons ce que mes belles disent de leur nouveau fourrage.
Dimanche 11 Août 2024
Une pointe de chaleur à 40°, aujourd'hui. Je ne me suis pas fait avoir : j'ai fermé au matin. Ici, il fait bon, 25°. Je n'ai pas réitéré l'erreur de ce jour de 2022, où j'avais fermé les écoutilles trop tard, quand il faisait déjà plus de 30° dans la maison. Pas de mouches, les bêtes sagement dans l'étable, le vent chaud dans les feuilles du carolin derrière la vitre fermée. Le rafraîchissement est annoncé dans la nuit. Un pic fugace reste très supportable.
Je me suis tout à l'heure avec les chiens installée dans ma Nouveau Kangoo, tempérée à la climatisation, pour paramétrer des constantes personnalisées. Le tableau de bord d'un avion de chasse, cette voiture. Ce matin, j'avais protégé le caisson arrière, pour le confort de ma mini-meute. Ils ont semblé apprécier, le temps de mes réglages.
Je vais faire une descente dans l'étable. Brosser TtonytaPetra, si elles ne sont pas trempées de sueur.
C'est jour de Fête basque. Il faudrait m'y mener à coup de fusil. Par cette chaleur, le bruit, les gens, les moteurs des tracteurs, l'horreur absolue.
Espérons que les gens s'en portent bien, décidés à s'amuser coûte que coûte. Le frais du soir va détendre la chair ramollie. Les boissons fraîches couler à flots. Les instincts s'aviver. Une ambiance électrique, je dirais. Antton nous fera un rapport différé.
Lundi 12 Août 2024
Rien de très gouleyant. Il a fait très chaud. Ca a gâché la fête.
Hier soir, je m'étais couchée sur la terrasse, à la belle étoile, pour y trouver un frais tout relatif à plus de 30° encore. Pendant le feu d'artifice, un air moins chaud a apporté du bien-être. A ce matin, nous revenons dans des eaux thermiques très confortables, avec un ciel gris étale des plus reposants.
J'ai inauguré la saison nouveau foin de Macaye.
A la fourche, il est dense, facile à décrocher de la balle. Pas trop parfumé, et d'une couleur un peu terne. Le filet ne pose pas de problème particulier. Nous devrons juste trouver une autre source pour la ficelle.
J'avais hâte de voir ce qu'en diraient TtonytaPetra. Elles ont humé, tiré, sans trop de gourmandise, mâché quand-même sans rien rejeter. Ce n'était pas flagrant, comme approche positive.
Je les ai laissées un moment là, pendant que je faisais le tour du remblai avec les chiens. A mon retour, le râtelier avait été vidé de moitié. Quelques brins dans l'auge, mais rien par terre. Très encourageant, ça. J'ai relâché les deux goûteuses, satisfaites même si pas emballées. Elles se sont retrouvées près de la balle recyclée en principe pour paillage, pour cause de qualité moindre. Et y ont plongé le mufle. Les bougresses ! Ma cuvée 2024 leur semblait moins appétente que la 2023 controversée ? Elles doivent se faire à la nouveauté, me dis-je. Et se rassurent de ce qu'elles connaissent. Elles y viendront.
Quel contentement quand, se détournant de la vieille balle, j'ai vu Ttony revenir au râtelier, et s'y servir ! Mes espoirs n'étaient pas vains, et ma démarche controversée finalement justifiée.
Ce foin paraît plus nourrissant. Je devrais en passer moins. Toutes choses à vérifier au fil des semaines à venir...
Jeudi 15 Août 2024
Après la grosse chaleur de dimanche, quelques averses orageuses ont détendu l'atmosphère. Certaines feuilles grillées ne s'en remettront pas. Mais la plupart des végétaux ont bien résisté. La pointe a été fugace.
Le potager a bien tenu le choc.
Je constate une différence notable entre les deux parties : celle mise en culture la première, et la seconde, travaillée depuis l'année dernière. Là où j'ai apporté du copeau de bois par brouettées, sans compter, les plants sont moins opulents, nettement. Je suppute une asphyxie au carbone. Le bois n'a pas été "digéré". Et son apport carbonique nuit à la saine marche de la vie souterraine. Résultat, les légumes s'en voient, là où l'équilibre est perturbé.
Je vais tâcher de rattraper ça, à la saison prochaine. Fi du copeau, et sus au paillage en foin. Je ne manque pas de ce foin à recycler, maintenant que j'ai rentré le fourrage catégorie A. Que TtonytaPetra bouderaient toujours, d'ailleurs, les bougresses !
En faisant tourner l'œil dans les parages, j'ai constaté un autre déséquilibre flagrant. Sur cette parcelle, une infestation d'adventice signe une négligence totale. Une horde de lances grainées de "cornes rouges" avance en rangs serrés. La broussaille s'installe. Une terre en abandon coupable.
Pourtant, le glouton avait fait des pieds et des mains pour s'y mettre. Et m'en pousser.
Cette terre tant convoitée, il l'a laissée là en désastre comme un locataire indélicat. Pour le moins.
Il y a peu pourtant, avant lui, venait là de la culture en abondance.
Antérieurement, du temps de ma mère, il y avait là du maraîchage. Ma mère y travaillait d'arrache pied. Chaque mètre carré était en culture. Chaque mètre carré était ensemencé, planté, biné. C'est bien simple, elle disait à qui voulait l'entendre : "Au jardin, je n'ai que trois "lapaitz". Lapaitz étant le rumex, grande oseille, alias "corne rouge".
Pour avoir moi-même passé un certain temps à sarcler dans le coin, il me semble en avoir croisés un peu plus...
Pas tant que là, quand-même.
Lundi 19 Août 2024
Les hirondelles n'étaient plus dans l'étable, ce matin.
Il y aura eu trois couvées, cette année, 14 oisillons, nés de 4 adultes, je pense. Le plus vieux couple a du faire deux couvées, comme au bon vieux temps.
Loin celui où près de soixante hirondelles s'alignaient sur les tuyaux de la trayeuse.
Vendredi 23 Août 2024
Ma mère mourût il y a quatorze ans. Le jour on l'on sème le navet.
Quelques réminiscences acides m'irritent l'œsophage. Je dois prendre garde à adoucir tout ça. Se souvenir, par force, mais dépolluer, décanter, floculer la lie.
Dans cette saine perspective, je regarde mon étable, mes chiens et mon potager.
Ces jours-ci, tout ce petit monde requiert mon attention. C'est opportun.
Tout d'abord, les hirondelles ne sont pas parties, comme je le pensais en début de semaine. Elles étaient juste sorties au petit matin pour faire une course, à moins qu'elles n'aient prévu ce jour là une randonnée en famille.
Pour le soir, elles étaient de retour, disséminées par petits groupes sur les différents supports que nous avions accrochés sous le plafond à leur intention.
Une petite satisfaction : les savoir parties sans préavis me chiffonnait un peu. Quand je les vois se regrouper en chapelets sur les fils électriques, je me prépare à l'idée de leur départ. Là, ça me semblait trop furtif.
Dans l'étable toujours, le foin. Les débuts furent mitigés. Puis, nous avons appris à nous connaître, le foin, TtonytaPetra, et moi. Des rations moins importantes les rassasient. Ce fourrage est plus dense, il ne "déchette" pas, il nourrit mieux, avec moins.
J'essaie de trouver le point de distribution où TtonytPetra sont rassasiées. Je ne veux pas qu'elles vident les râteliers, et s'en retournent, pas tout à fait repues. Je ne veux pas non plus qu'elles s'amusent avec le fourrage, le tirant pour ne pas le manger. Elles ne trient pas comme elles faisaient le précédent. Elles ne trouvent pas ici de cannes de rumex, ou de collets durcis de chardons. Il n'y en a pas.
Comme le disait un familier, le problème, avec tes rations, ce ne sont pas les rations, c'est toi. Lui-même semblant avérément coutumier du péché de gourmandise, la remarque était cocasse. Mais bon, je fis bonne figure, réceptionnai l'information, et en tirai la conclusion que la remarque, vexante à la première lecture, méritait attention.
J'ai en effet cette propension à distribuer en abondance. La peur atavique de la famine, la culture familiale de l'effroi du manque, m'ont formatée en profondeur. Intrinsèquement, je suis une angoissée de la disette, et de la pauvreté en général. Je n'en suis quand-même pas au point, comme ma mère, de stocker tout et n'importe quoi dans les fonds de placard. Je vis plus insouciante, tranquillisée par les enseignes mercantiles nombreuses et variées, ouvertes 7 jours sur 7 pour la plupart.
Econome, par contre, je le suis. Pas avare, il ne faut pas exagérer. Quand il faut débourser, je débourse, mais il faut que la cause soit juste.
Il n'est jamais trop tard pour s'amender. Et je m'y emploie.
Je pense ainsi avoir progressé sur ce front.
Une autre inquiétude m'est venue de la Petra. Un de ces derniers soirs, je la vois entrer boursouflée de grosseurs sur le cou. Je tâtouille, ça ne la fait pas réagir plus que ça. Je ne m'inquiète pas outre.
Hier soir, ma Petra était en rut. Ses hormones l'agitaient, évidemment. Elle est ressortie à croupetons sur Ttony. Je les ai laissées à leur affaire, dans le soir où le soleil bas étire loin l'ombre des carolins.
Ce matin, je me vois arriver ma Ttony, fringante, toute propre et lisse de la rosée nocturne. Petra doit être juste derrière. Je ne la vois pas. Elle arrive après, claudiquant sévèrement de la patte avant. Immédiatement, je pense à une foulure. Petra est lourde, et pas trop leste. Ses simagrées d'hier soir l'auront conduite à une entorse caractérisée. Elle marche raide, la patte devant elle, avec un appui chaotique.
Ma trousse médicale est toujours la même. J'extirpe ma boîte d'aspirine en poudre. J'en éparpille trois petites cuillerées sur quelques granulés de luzerne, je remue. Je présente à la souffrante. Elle gobe, soufflant quand-même sur les cristaux qu'elle a sentis. Je la laisse au repos. A mon retour d'"en ville", en milieu de matinée, j'observe. Petra rumine, paisible, couchée. Ttony est debout, impatiente de sortir.
Je décide de les libérer toutes les deux. Petra est encore raide, mais moins gênée. La démarche est moins fluide qu'à la normale, mais honorable.
Je surveille dans le champ. Ca ne va pas trop mal. Petra broute. Petra marche, gentiment. Petra se couche et se lève.
Milieu d'après-midi, TtonytaPetra remontent vers l'étable. Je descends voir. Ttony est au râtelier principal. Petra à l'annexe. Oui, j'ai installé un râtelier annexe le long de la barrière. Ttony se faisait trop "suprémante". Elle s'installait en travers de la stalle, et empêchait Petra d'y accéder. Toujours la même histoire, dominant-dominé. Le reste n'est que littérature. Egalité fraternité, c'est joli sur les frontons d'école, ça ne va pas plus loin.
J'ai contourné l'injustice : fixé sommairement à la barrière de séparation étable-local technique, la grille en attente tout à côté en position verticale. Là, elle est à l'horizontale, maintenue par deux bouts de chaîne aux maillons surdimensionnés amarrés à une manille énorme. J'avais ça sous la main. J'ai calculé minutieusement l'angle idoine. Je pense avoir trouvé l'équilibre parfait. Le dispositif est totalement amovible. Il peut se rabattre contre la barrière. Une corde bariolée d'Italie est en attente sur le barreau supérieur. Non, vraiment, je suis satisfaite de mon ouvrage.
Là, tout à l'heure, j'ai pu me féliciter encore une fois. Ca ne coûte rien, et ça fait du bien.
Ttony tirait les bouchées : "jaun eta jabe" . Je traduirais par "Maître et propriétaire". Plus ou moins. Un genre de "seul maître à bord", ou, plutôt, "seigneur et maître". Petra, même pas peur, s'alimentait à mon râtelier annexe. Elle paraissait bien mieux. J'avais noté le matin un point douloureux à l'aisselle droite. Je m'approchais pour examiner la zone.
Un suintement jaunâtre coule le long de la jambe. Un abcès, donc. En train de se purger. Ah ! fort bien ! Un sale frelon ou un serpent énervé a instillé son venin dans l'aisselle tendre de ma Petra. Et ma brave a métabolisé ça en pus, qu'elle expulse. Un mécanisme sain. Mon aspirine était appropriée : elle fluidifie cette lymphe empoisonnée, et facilite ainsi son épuration.
J'étais confortée dans mon projet de lui administrer une seconde ration d'aspirine. Elle avait éventé mon stratagème du granulé de luzerne. En plus, je ne voulais pas lui engorger le système par un trop riche apport calorique.
J'ai pensé à ouvrir une poire en deux, et la farcir d'aspirine. TtonytaPetra sont très gourmandes de poires. En cette saison, elles s'en gobergent. La distribution fait au voisinage une récréation animalière. Ca a parfaitement marché.
J'ai tenté d'appuyer sur l'abcès pour le purger plus vite. Petra s'est vivement reculée. Tout ça est encore douloureux. Je n'ai pas insisté. Trois seaux d'eau approchés ont été aspirés goulument. Ttony empêche aussi l'accès à l'eau, bien-sûr. En temps normal, Petra s'en approche après. Là, j'ai voulu lui assurer les meilleures conditions de drainage, et j'ai fait comme au bon vieux temps. Ca nous a fait un moment d'une grande intimité : ma bête buvant l'eau que je lui présentais, en la flattant doucement de la main.
J'aime ça aussi dans l'élevage : le soin. Quand il marche, de préférence.
Second volet de mes préoccupations du moment : Bullou. Et sa "charampigne" sur le museau et la babine. Begonia a pronostiqué une simple verrue qui sèchera toute seule. Ca prend bonne tournure. Pour le moment, le petit champignon disgracieux ne rosit plus de la base. Il noircit, et devient rugueux. Je surveille.
Bon. J'ai fait le tour des actualités du moment. Je vais de ce pas me goberger à mon tour de framboises. C'est la première étape de ma promenade autour du remblai. Par ces journées estivales chaudes, la sortie se décale en fin d'après-midi. L'oblique du soleil y est doux. L'air transparent. La lumière riche. Un moment de détente parfaite.
Dimanche 1 septembre 2024
Nous entrons dans ma période favorite. Comme disait je ne sais plus qui (Lamartine ? Chateaubriand ?) "j'entrais avec ravissement dans la saison des frimas". Des frimas, ou du moins des orages, nous en avons quelques uns, pas plus tard qu'hier soir, d'ailleurs, où je déchargeai quelques pots et plantes dans la porcherie, à l'abri de l'averse crépitante.
Ma "nouveau Kangoo" me donne grande satisfaction. Je rapatrie ainsi en tout confort tout un tas de marchandise démarquées. Elles retrouvent ici une réhabilitation avantageuse. J'ai même pu y mettre en sus un profilé de bassin de 250 litres !
Là, il faut remonter à une genèse de quelques jours en arrière.
Depuis longtemps, un phénomène m'intriguait : le surpresseur à eau nouvelle génération, installé dans le "local technique" de l'étable, amorce un démarrage intempestif suivi immédiatement d'un arrêt, quand rien ni personne ne le sollicite. J'ai suspecté une fuite, cherché, examiné minutieusement toutes les sorties d'eau de la maison. Rien. J'ai supputé un dérèglement de l'engin, fait venir le grand gaillard dédié. Toujours rien. On soupçonna le cumulus, et sa soupape de sécurité. Tout de même, l'affaire me chiffonnait. Les démarrages étaient irréguliers, difficiles à rapprocher d'une cause précise. Je gardai ça dans un coin de ma tête, comme un grain de sable dans les rouages.
Vendredi soir, j'examinai pour la énième fois l'appareil. Il me semblait que les démarrages inopportuns étaient plus fréquents. J'eus l'idée de débrancher l'animal, pour vérifier si la pression ne serait pas suffisante sans lui. Je l'avais condamné, en gros. Evidemment, la pression "naturelle" était trop faible pour fournir l'eau chaude, par exemple, le cumulus perché en haut de l'appartement déjà surélevé n'étant pas suffisamment alimenté pour en délivrer. Ennuyeux, par ces journées "chaudettes", où une bonne douche à la rentrée est la bienvenue. Je me consolai en me disant que je n'avais pas fait l'acquisition d'un engin passablement coûteux pour rien, au moins.
J'étais toute à l'étude des vannes d'arrivée et de sortie, pour fermer les bonnes et ouvrir celles du direct eau de ville. Et c'est là que je vis, oui, là, une collerette brillante autour d'un des raccords sur un tuyau de distribution, après la pompe. Je passai un doigt, prenant appui sur le réservoir. (Le raccord, tant qu'à faire, n'est pas des plus accessibles). Je le retirai mouillé.
D'un côté, j'étais soulagée d'avoir trouvé le coupable de ce dysfonctionnement qui perturbait ma sérénité domestique. D'un autre, ce début d'avanie hydraulique rameutait une vieille angoisse de la panne d'eau courante. Remontée de la première génération familiale, où il fallait quérir l'eau à Erreka. On va parfois chercher loin, dans ma petite tête.
Ce temps là, je ne l'ai jamais connu, loin s'en faut. Il était à cette époque ancienne question du refus "d'en bas" de donner "un peu d'eau" à ceux "d'en haut", venus en quérir en grande détresse. L'inimitié avait pris source dans ce refus, paraît-il. J'émis, quand on me conta l'épisode, l'hypothèse que ceux "d'en bas" n'en avait guère plus que ceux "d'en haut". Eux mêmes s'approvisionnant sans doute plus bas encore, à cette source d'Erreka.
On ne voulut pas entendre mes avancées diplomatiques. La mesquinerie de ceux "d'en bas" était avérée, démontrée, justifiée. On y tenait ferme. On l'entretenait soigneusement, depuis des décennies, comme on gratte une croûte que l'on se plaît à garder vive. On n'allait pas décrocher si facilement, se dédire après tout ce temps, sur une supputation à la vérification difficile après toutes ces années. Je laissai tomber l'affaire.
Toute la journée d'hier, un peu dissipée de mes travaux de la jardinerie, j'organisais la contre-attaque à ma fuite enfin éventée. D'où le profilé de bassin, pour stocker l'eau en suffisance en vue de l'abreuvement de TtonytaPetra. En cas de panne sèche. Scénario revenu au premier plan à la faveur de la collerette humide.
Petra ne doit surtout pas souffrir de déshydratation, après son épisode malheureux. Tout va bien pour elle, merci.
La chose doit trouver son épilogue heureux demain soir. Mon surpresseur arrêter de ma lanciner. La paix revenir dans ce foyer.
Une autre perturbation bien plus triste me vient de ma vieille Lola. Je la pensais souffrante d'une rage de dent, ces deux derniers jours. Après visite à Bégonia, le mal serait plus profond, niché dans l'os de la mandibule, en une tumeur mauvaise. La chienne a 16 ans. Une belle vie derrière elle. Un traitement la soulage de la douleur. D'ailleurs, elle a retrouvé un allant de jeunesse. Ces anti-inflammatoires, c'est fameux. On n'y pense pas assez souvent, comme remontant.
Je lui fais la vie encore plus belle. Cette après-midi, je lui ai fait une coupe seyante, une manucure attentive. Une avant toilette mortuaire, très anticipée au vu de sa forme actuelle.
Je la nourris à la pâtée de qualité Lafitte. Elle ne peut pas trop ouvrir la gueule pour croquer. Je ne la laisserai pas trop se dégrader. Le moment venu, je la ferai piquer. En la remerciant les yeux dans les yeux de toutes ces belles années d'un attachement indéfectible et partagé.
La verrue de Bullou attendra. La ponction dans mes finances ce mois-ci a été abyssale. Elle n'en souffre nullement. Je m'amuse parfois à la lui triturer, sans que ça la gêne.
La dernière contrariété niche dans la pane de charpente vérolée. Là aussi, l'intervention est programmée.
Décidemment, l'année aura été aux avanies induisant dépenses. Il y a des passes, comme ça.
Mercredi 18 septembre 2024.
Cette séance sera de rétrospective. Je reprends quelques notes plaquées à la va vite sur un bloc-bloc, ce coup-ci. J'ai moins besoin, envie, d'écrire. J'aime toujours le toucher du clavier, la musique des mots. Mais je mets tellement plus de temps à faire les choses, que mes journées se remplissent de riens qui me tiennent.
Là encore, je vais écourter ma séance. Un peu de jardinage dans le voisinage me requiert. Le soleil revenu fait les journées si belles que ce serait péché de ne pas les savourer.
Mon fil rouge bipole attendra encore une année, je le crois. Et pourquoi pas ! Personne ne me le réclame !
Donc :
Mardi 3 septembre 2024
La préparation d'inventaire me retient aux écrans. Mes neurones s'y enflamment.
En revenant, je me dis qu'un long tour dans le soir refroidira les circuits. Il a plu, il pleuvine encore. Je sors après le dîner, à la nuit tombée. Les chiens ont déjà pris la position nuit. Je tire doucement la porte derrière moi, sans bruit. Il fait doux, très humide.
A peine j'arrive près du potager, une horde de moustiques m'assaille. Les insectes survoltés passent même derrière les verres de lunettes, mordant avec férocité les paupières vulnérables. Sur le chemin vers la ville, où je m'avance en espérant une accalmie, une chauve-souris bondie de l'acacia manque me télescoper. Ma balade détente tourne au cauchemar. Je me rentre, comme dans un scénario catastrophe où les insectes et les oiseaux auraient déclaré la guerre à l'homme. Seigneur !
Dans l'étable, TtonytaPetra vaporisées de Saniterpen sont bien quiètes. Je récupère à les panser la sérénité qu'il me manquait. Les hirondelles sont cette fois bien parties. La fuite d'eau est réparée. Les meilleures conditions sont réunies pour restaurer ma tranquillité.
Je repense avec un sourire aux deux petit-fils de mon maquignon Marcel. Deux très beaux garçons. La fibre truculente s'est quand-même perdue au fil des générations. Ceux-ci sont timorés, jeunes encore, peut-être, mais on ne les sent pas de la même trempe que le grand-père. Je pense qu'il doit se bouffer les tripes, à les voir faire, le toujours fringant patriarche au verbe intarissable.
Vendredi 6 septembre
Exceptionnellement, j'ai travaillé à la jardinerie ce matin. Une quelconque manifestation festive à Mendionde a aspiré la force de vente là bas. Il fallait un noyau minimal pour assurer le service. J'ai inauguré la fonction sieste dans ma "Nouveau Kangoo". Très agréable, vraiment. Mon petit gabarit m'autorise un allongement complet. L'habitacle tôlé garantit l'intimité. Le gazon doublé tapis assure un minimum de souplesse au plancher. Lovée dans le sac de couchage, la tête posée sur la mallette de survie, j'ai dormi comme un bébé, bercée par les gouttes de pluie tombées des arbres en bordure du parc de stationnement.
J'avais ensuite prévu une après-midi shopping. Et oui ! L'objectif principal était l'acquisition d'un fauteuil pour remplacer la banquette jugée inconfortable. Quelques bricoles et accessoires à trouver marquaient un parcours sur postes. J'ai abrégé. les centres de consommation, où tout est fait pour tenter le chaland, agressent vite ma sensibilité paysanne. J'ai quand-même à peu près trouvé tout ce qu'il me fallait, et décrété que je n'avais pas tellement besoin du reste.
Je suis rentrée passablement fatiguée des bouchons et de la populace.
Là, pour couronner le tout, ne voilà-t-il pas que je remarque une fuite d'eau, encore, encore une ! Désolation ! C'est le petit piston de réglage de débit d'eau dans l'abreuvoir des vaches qui lâche. Moindre mal, j'ai la pièce de rechange. J'aurais pu attendre dimanche, pour réparer sans TtonytaPetra dans mes pieds, ou plutôt moi dans les leurs. Evidemment, je n'ai pas attendu, j'ai opéré, et vaincu, Dieu merci.
En parlant de Petra, son abcès a trouvé son épilogue dans l'extirpation d'une griffe de plus de deux centimètres, profondément enfoncée dans la chair tendre de son aisselle. Je dis griffe mais c'est peut-être, serre, ergot, dent de reptile ou de rongeur, je ne sais pas. Je suis à peu près sûre que c'est animal. Je continue de la désinfecter, et c'est en palpant la zone, que j'ai senti une pointe dure. J'ai pu la saisir, et tirer dessus. La chose incurvée est venue, amalgamée de poils et de chair. Petra a à peine manifesté, occupée à l'auge. La chose restera un mystère, mais, au moins, ne restera pas en Petra.
Cette extraction a hautement contribué à redonner de la couleur chatoyante à ma fin de journée.
J'ai pu alors détendre mes agaceries. La soirée fut honorable, avec la perspective de mon très prochain fauteuil de confort dans la pièce de loisir.
Dimanche 8 septembre.
Très agréable journée. Comme prévu, montage du fauteuil. Le déménagement destination chambre de la banquette a été un peu laborieux, par les escaliers. Je ne voulais pas solliciter de l'aide, et entendre les sempiternelles remarques sur mes tergiversations. Fondées, les remarques, c'est vrai. Mais bon. Seule je décide, et seule je fais. Ainsi, pas de commentaires désobligeants.
Une petite touche de peinture ou de vernis parfaira l'affaire. Telle qu'elle, l'assise est bien meilleure que la précédente. Je n'ai pas besoin maintenant d'une brouettée d'accessoires, (couverture pliée en dosseret pour la tête, coussin pour la cambrure dorsale, chaise pour les pieds). Tout est dans l'un, et l'un fait le tout. Notable progrès, sauf peut-être pour Txief qui a moins de place pour se coucher contre moi lors de mes séances télé.
Mercredi 11 septembre.
Je me suis fait une marche le long de la Bidassoa, par Belcenia, sous le crachin. Isolée dans ma parka fumée étable comme dans une bulle maternelle, j'ai regardé les flots tranquilles et gris, adossée à la pierre où les racines de laurier-sauce accrochent leur ténacité. J'étais bien.
Vendredi 13 septembre.
Le soleil est là. La campagne rutile, lavée à grandes eaux. La lumière sourd comme une lave trop longtemps retenue. C'est magique. J'ai taillé les arbustes dans ma cour. Je ferai ceux d'en bas dans les jours prochains.
Dimanche 15 septembre.
La belle Hélène nous a rendu visite avec Sebastien. Plaisant, le garçon.
Un bon moment de rires, avec les frérots toujours intrigués des amours locales.
Lundi 16 septembre.
Une bonne virée à Ibardin. Ca faisait longtemps. Un de ces retours des bons moments passés, en perspective agréable d'un avenir possible.
Retour mercredi 18 septembre 2024 20h10
Je remonte de l'étable.
Je pense avoir été au plus près de la suprême sagesse.
L'art de la plénitude. Hors du temps, de l'espace. La scène pourrait se tenir n'importe où, et n'importe quand dans l'histoire du vivant. Hors de toute pensée, d'affect. De la sensation pure et brute. Satiété, contentement, pleine satisfaction. Toute ma recherche depuis toujours.
On comprend mieux pourquoi j'aimerais être une vache, par moments.
(Evidemment, je ne suis pas sûre que ma vidéo soit lisible. Encore une fois, il faudra faire preuve d'imagination : TtonytaPetra ruminent, les yeux dans les yeux).
Samedi 21 septembre 2024
Je suis exceptionnellement à la maison : la maîtresse d'Errandonea n'est plus.
Il ne reste plus que deux vénérables dans le quartier : Maïté et Conchita d'Atchoenia.
A Ciboure, la presque centenaire Tottepin tient la dragée haute à tout le monde. Un temps de bientôt seuls souvenirs de cette génération s'avance.
J'ai toujours aimé les messes d'enterrement. Les chants funèbres, particulièrement.
Là, l'émotion est en retrait, le lien décalé dans la branche. La vue de certains, présents ici absents là, a ravivé le fourmillement d'un bouton de fièvre pourtant presque sec sur ma lèvre. Là, le souvenir restera vif, grinçant. Mais il n'est plus temps.
L'observation de la petite assemblée massée sur le parvis a confirmé mes désillusions sur la sincérité des hommes. L'affliction, sûrement, pour certains. Mais, pour la plupart, la curiosité vilaine, limite voyeurisme. Une vraie conciergerie, où regards en coin et remarques susurrées trottinent bien loin de la compassion et du partage de la peine. Avec moi et mes tenues toutes occasions, les commentaires ne devaient pas être tristes. Un moyen comme un autre de lever l'ambiance.
A ce propos, l'officiante sémillante des pompes funèbres de la dernière fois était là aussi. Son décolleté avantageux aussi parlait de choses bien plus gaies que la mort.
Ttantta était vieille, bien sûr. C'est tout de même un frisson nostalgique de la voir partir de sa ferme.
Bah, j'ai tâché de profiter du recueillement du service religieux. D'en retirer l'apaisement promis par des vœux pieux impuissants à changer les hommes médiocres.
Pour finir d'étaler un baume bienfaisant sur mes débuts d'aigreur, j'ai été marcher au bout du Ball Trap, là où le tunnel ouvre sur le sous-bois luxuriant d'une saison humide et fraîche. Ca a parfaitement fonctionné.
J'ai pensé avec tristesse à toutes ces familles dont les défunts sont morts au moment du Covid.
Ici, pour mon père, nous avons eu la chance de pouvoir organiser une mini-cérémonie. Pas d'envolées d'orgue qui prend aux tripes, évidemment, ni de chants entonnés en cascade depuis les galeries sous la voûte haute. Mais au moins quelque chose d'agréable autour de sa dépouille.
Pour beaucoup, il a fallu abandonner les leurs à une mort solitaire, froide, inhumaine.
Vu d'ici, un joli gâchis.
Je m'apprête à ma soirée. Un tour d'étable, un coup d'étrille sur les dos longs de TtonytaPetra. Avec le nouveau foin, je distribue moins de complément granulé. J'ai l'impression qu'elles s'affinent, deviennent plus musculeuses, moins grasses.
Le ciel roule une ambiance de pluie. Une ambiance doucement triste, et profondément tranquille. De circonstance.
Lundi 2 octobre 2024
La pluie se laisse choir en rideau dru.
Un bon moment pour ma rétrospective relâchée.
Lundi 23 septembre 2024
La journée a été de tailles. Nous avons avec mon familier œuvré aux quatre coins de la ferme. Un bon nettoyage d'automne s'imposait.
Par grande négligence et guère moins coupable fainéantise, nous avons évacué nos déchets, hop !, de l'autre côté du mur, en contrebas, très aisément, dans la prairie où paissent TtonytaPetra. Elles sont venues aux nouvelles, toujours curieuses et tracassières. Il y avait là quelques branches de rosiers, de bignone, de piquant bougainvillée et autres représentants de la flore introduite ici au cours de ces 50 dernières années par votre serviteur.
Dans le champ, justement, tout près du mur, se dresse en oblique piteuse un laurier-sauce sur tige. Une flèche disgracieuse étire cette silhouette maigrelette, penchée au gré des vents forts. Sur la lancée, nous avions décidé de l'étêter, pour lui éviter une prise vite fatale à ce stade. Juché sur l'escabeau mal stabilisé sur le terrain inégal, mon familier œuvra magistralement, et la tête tomba dans l'herbe.
Antton, de passage par là, nous fit remarquer judicieusement que ce fatras végétal en pied de mur était malvenu. Il n'avait pas tort. Nous fîmes amende honorable, et rapatriâmes des branchages enchevêtrés jusque dans la remorque. Antton la viderait protocolairement à la déchetterie le lendemain.
TtonytaPetra nous suivirent dans nos va-et-vient. Elles tiraient quelques bouchées de feuilles. Le plus facile pour elles était cette tête de laurier-sauce, que nous chargeâmes en dernier.
Le travail terminé, après un tour de piste pour la seule satisfaction d'admirer l'ouvrage bien fait, nous nous retirâmes tous dans nos pénates. La soirée avançait, il était temps de rentrer TtonytaPetra dans l'étable. Mâchouillant quelques feuilles perdues, elles s'avancèrent, royales, tout à fait satisfaites de leur côté de la belle journée.
La soirée se déroula sans histoire particulière. Mon laurier-sauce étêté dans le soir avait bien meilleure allure.
Mardi 24 septembre 2024
Au petit matin, je descends à l'étable, comme tous les petits matins que Dieu fait depuis ces 50 dernières années.
Aussitôt, j'avise Petra, couchée, quand d'habitude elle se lève à ma venue. Ttony le fait, dans un souffle poussif, d'abord les postérieurs, les cuisses puissantes, puis, suivant un mouvement lent, les antérieurs, avant d'étirer loin son cou long, en déroulant sur le dos la queue, à gauche, puis à droite. Un lever normal.
Petra finit par suivre le pas. Sa chorégraphie à elle est chaotique, laborieuse. La posture est incurvée, piteuse. L'œil est terne, plat dans l'orbite. Aïe, quelque chose ne va pas !
Je distribue les rations, le foin. Je change le paillage souillé, mets tout mon petit monde bien au propre. Ttony a croqué la luzerne, et s'attaque résolument au râtelier, d'où elle tire vigoureusement des bouchées généreuses. Son attaque est franche, l'extraction des brins, radicale. Petra a grapillé les granulés, à peine relevé le mufle vers le foin. Pour n'en toucher que deux tiges qu'elle ne mâche même pas. Elle essaie d'uriner, y parvient mal. Ca ne ressemble pourtant pas à une fourbure classique.
J'en suis là de mes observations désolées, quand Petra se libère d'un magma visqueux à l'odeur putride. Quelle horreur ! Au lieu d'une belle bouse annelée, régulière et herbeuse, elle nous envoie une giclée de merdasse liquide.
Je ne cherche pas plus loin. Le rapprochement est vite fait : Petra souffre d'une digestion contrariée. Et cette vive contrariété prend sa source certaine dans les déchets végétaux qu'elle a mangés hier. Là, comme ça, je ne vois pas laquelle des plantes a pu l'incommoder à ce point. Mais le fait est, elle s'est mis le système en feu.
La parade en ces circonstances est la diète, le repos, et une bonne hydratation. En principe, les choses s'arrangent ainsi d'elles-mêmes. Le son distribué à petites doses aide aussi le rétablissement du transit. Il me semble avoir également entendu parler de bicarbonate. Je n'ai ni l'un ni l'autre sous la main. L'heure s'avance, je dois aller travailler.
Je laisse TtonytaPetra confortablement installées. J'éparpille une couche supplémentaire de paillage derrière Petra. D'après ce que j'en ai vu, ce ne sera pas de trop. Je lui approche un seau d'eau tiède, juste sous la mangeoire, à portée. Entretemps, elle s'est recouchée, lamentable. Plus de rumination, pas de soupir d'aise, juste une atonie désarmante. Ttony la hume distraitement, et s'en retourne à ses affaires.
Avant de partir, j'appelle mon satellite élevage. Je lui demande d'aller quérir du son, de laisser les vaches dedans, au repos, au foin sec. Je reviendrai aux nouvelles dans la matinée, au cas où l'état de Petra devienne suffisamment préoccupant pour appeler le vétérinaire. Plus de douze heures sont passées depuis l'ingestion du toxique, ça fait beaucoup, mais il y a sans doute des choses à faire, si besoin.
Je ne suis pas franchement alarmée : Petra est jeune, en pleine santé. Elle n'a pas eu le temps de se goberger de ce qui ne lui a pas du tout réussi. Le mal ne peut pas être trop grave.
Dès mon arrivée à la jardinerie, je me jette évidemment sur le premier écran pour chercher du renseignement. On se souvient que mon portable est anachronique, et inapte à collecter l'Internet universel.
Là, les nouvelles sont mauvaises. J'apprends qu'une seule livre de laurier-sauce peut tuer une vache de 500 kgs ! Le site semble fiable. Ma panique s'envole en flèche.
Une livre, 500 grammes, ça fait quand-même pas mal de feuilles. Et de baies, puisqu'en cette saison, le laurier-rose fructifie à tout va. Petra n'a pas du en manger tant que ça. Je la revoie mâchouiller, pas se goinfrer. Le mal est fait : elle est empoisonnée, et je suis tourmentée, autant de culpabilité que d'inquiétude. Quelle piètre éleveuse, de ne pas avoir prévu ça !
J'appelle très vite Antton. Il a distribué du son, elle l'a mangé, me dit-il. Elle s'est levée, a tiré un peu de foin, a bu au seau.
Ma journée est moyenne. Mon labeur entaché d'une distraction improductive.
Au soir, rendue au chevet de ma souffrante, je constate qu'elle n'a en fait rien mangé, et à peine bu. Antton a voulu me préserver, sans doute. Pour autant, elle n'est pas non plus à l'article de la mort. Son regard, s'il n'est pas pétillant, n'est pas non plus complètement éteint. TtonytaPetra ont été scrupuleusement pansées. Elles sont toutes propres. Les cuisses de Petra portent seules les marques de son dérangement.
Je redescends dans la nuit. Petra a un peu bu, elle s'est levée, recouchée. Son œil est moins creux. Je me tranquillise. Nous en serons quittes pour une chiasse mémorable.
Pour le mercredi soir, la bête est bien mieux. Elle a aspiré plusieurs seaux d'eau. Mangé un peu de foin, et de son. Et, surtout, surtout, elle s'est remise à ruminer. Quelques rares tentatives, d'abord, puis, un mouvement mieux marqué, plus cadencé, plus long. Ouf ! Petra est sauvé. Petra vivra ! Je me méfierai à l'avenir. Ma science nouvellement acquise ne sera pas perdue.
Antton a le triomphe modeste. Il ne relève pas d'un : "qu'est-ce que je t'avais dit !", qu'il aurait été pourtant bien en droit de lancer.
Il est un peu comme le système digestif de ma Petra, ce garçon, délicat.
Ttony n'a même pas cillé. Celle-ci est plus rustique.
Dans l'après-midi, le vent du sud souffle fort les médaillons dorés du carolin dans la prairie.
Quand, pour la énième fois, je vide ma brouette de paillage sale sur le tas de fumier, je manque finir empalée. Une branche craque au dessus de ma tête. Je n'ai que le temps de me protéger de mes mains, de m'accroupir, le dos rond. Elle me tombe droit dessus, m'effleure méchamment le dos de la main, et se renverse de tout son long sur le côté.
Voilà comment en l'espace de quelques secondes j'aurais pu mourir clouée sur mon tas de fumier !
Dimanche 29 septembre 2024
Dans le soir tombé, je fais le tour de mes châtaigniers. Le vent fort a secoué les bogues. Elles s'éparpillent autour des pieds. Je descends pour faire ma récolte, curieuse de voir si les caractères prometteurs de mes hybridations se sont maintenus.
Là, je suis surprise de trouver les bogues ouvertes, et vides, bien-sûr !
Nom d'un chien ! TtonytaPetra se sont servies avant moi ! Là encore, elles ont mangé le fruit presque interdit. Je ne leur soupçonnais pas l'habileté à ouvrir les bogues de leurs seuls sabots. les chevaux le font, paraît-il, renseignement pris. Décidemment, ces deux là sont des garnements turbulents !
J'ai entendu parler de vaches empoisonnées par les tanins toxiques de glands de chênes tombés en grand nombre après une tempête. La châtaigne, à part un engorgement, je ne crois pas. Je vérifierai.
Je ramasse quelques beaux fruits, lisses, rutilants, joliment veinés. Il y a un très beau spécimen par bogue, et deux avortons repoussés de chaque côté. On ne peut pas tout avoir !
Je suis satisfaite.
Je rentre dans la grande paix du soir, où les silhouettes des alentours se plaquent contre les satins du couchant.
Ailleurs dans le monde, les bombes tombent encore. Les gens vivent l'urgence de se mettre à l'abri. Dans le bruit, la peur, la douleur.
Nous sommes ici tellement préservés de tout. J'ai presque honte de mon inconséquence, de la relation de cette insignifiance.
Je suis là, pourtant, j'existe. Et mon monde à moi parle de quelque chose d'important, aussi. Je le crois.
Lundi 30 septembre 2024.
A la jardinerie, Vincent compte la pépinière pour notre inventaire.
Moi, je jardine au soleil. C'est un bonheur simple, vrai.
Plus haut, Aguirre, 90 printemps, taille quelques arbustes. De grands espoirs d'une vie encore longue et sereine s'ouvrent à moi.
Dans le remblai, le merisier couché a essaimé des repousses.
Retour au 2 Octobre 2024 18h40
Je reviens d'une tranquille promenade sous la pluie. L'image incarnée d'un moment que je garde en tête, quand je veux échapper à la presse quelconque.
J'ai marché dans les flaques, par les chemins où couraient des ruisseaux jaunis de glaise emportée.
Parfaitement sèche sous ma tenue de pluie, j'ai savouré ce moment. (Comme le disait Betty, là dessous, on pourrait être en tailleur Chanel. Quelle idée !).
J'aime ainsi sentir les éléments, la nature dans tous ses états, tant que ces états restent dans une marge sécurisante. Une pleine journée en intérieur ne me va pas.
Là, j'ai respiré à pleins poumons l'air humide, senti le vent pas violent, regardé longuement le paysage noyé.
Au retour, j'ai inspecté mollement mes intérieurs, vérifié qu'il n'y avait aucune fuite. Fini le temps des suintements, des gouttes narquoises, des auréoles horripilantes. Deux pleines années de combat, mais au bout, la victoire. Que du bonheur !
Si les épisodes pluvieux persistent comme ces derniers temps, il va falloir repenser nos modes de culture. Nos terres lourdes asphyxieront vite les racines, si trop d'eau les compacte.
La nature s'adaptera. Plus vite que nous, sans doute. A la regarder faire, nous apprendrons.
Dimanche 13 octobre 2024
Une magnifique journée s'offre à nous, pure, parfaitement automnale.
C'est la période des récoltes. J'ai rentré quelques citrouilles. J'ai bien peur qu'elles ne soient fades, gorgées d'eau. Nous verrons bien. Elles feront au moins des heureux, à la jardinerie, pour quelques décors de saison.
Le maïs est prêt lui aussi à être engrangé.
A l'arrivée de la grosse moissonneuse dans les parages, une petite inquiétude nous taraude : notre bébé si chéri va-t-il souffrir des manœuvres ?
Je n'aime guère cette tension. Un petit bourdon s'éveille dans mes oreilles.
Au final, tout se passe au mieux. L'apaisement souhaitable et souhaité pointe le bout de son nez, sur ce front au moins. L'ambiance est loin d'être à la totale sérénité, mais le soufflé est quand-même bien retombé des deux côtés. Tant mieux.
Je ne goûte pas spécialement les conflits. Ils ne me réussissent pas. J'ai du mal à imaginer qu'ils réussissent à quiconque. Demandez à ces orientaux à feu et à sang.
Rétrospective de la semaine de vacances :
Mardi 8 Octobre 2024
Une virée ex-mari-ami sur les hauteurs d'Otxondota. Magnifique. Agréable. Diverti.
Une relation souvent recommencée, sur des bases inédites, nous tient en lien. Là, ça me paraît possible.
Pour la fin de journée, le vent se lève. Nous marchons nonchalants sur les abords du Pont Romain, à Ascain.
Des vents violents sont annoncés. Je me crispe un peu. A 20H, c'est le grand calme, celui d'avant les tempêtes...
Mercredi 9 Octobre 2024.
La tempête est arrivée. Les carolins sont secoués avec vigueur.
Nous n'avons rien trouvé de mieux à faire avec Maïlis que de faire du rempotage de ses plantes colonisées de mouches du terreau, sur sa terrasse battue par le souffle déjà bien colérique. Nous avons fini juste à temps. Une violente rafale m'a presque arrêtée, quand je venais chercher un tuteur ici.
Jeudi 10 Octobre 2024.
Un châtaignier a failli être décapité par une grosse branche déchiré du carolin d'en bas du champ. Il se retrouve coincé dans la fourche. Le tuteur a amorti la chute. Le châtaignier s'est quand-même bien penché. Antton a redressé le tuteur, à grands coups de masse. Pas sûr que l'exercice soit du goût de son pote à lui, ce Pudendal renfrogné d'être qualifié de nerf honteux. Le châtaignier a bien suivi. Celui d'à côté, par contre, a grillé ses feuilles bien subitement, je trouve. Mmmm. A voir au printemps. Mon bosquet peut se miter. Pas trop, je l'espère.
Sur la terrasse aussi, les grosses pierres de la murette ont chu. Une ou autre dalle est cassée. J'ai juste vérifié que la bâche était intacte. Pas de fuites, donc. C'est l'essentiel.
Vendredi 11 octobre 2024.
Journée après-tempête. Ramassage des branches. Certaines sont grosses, avec un point de faiblesse en leur centre. Aïe ! Il va falloir régénérer ces arbres, par une taille drastique.
Même coupé à la souche, ils repartiront sûrement. C'est ce que fit celui de l'ancien poulailler. D'ici 60 ans, d'autres se chargeront de ceux-là.
Une petite maladresse me conduit à refondre les plantations sur le muret en face de la cour. Reprise et remaniement. Ca a été l'occasion.
Samedi 12 Octobre 2024.
Journée confection de saucisses, puis jardinage léger. Très agréable. Nous goûterons ça demain.
Lundi 14 octobre 2024.
Les saucisses sont bonnes. Je conserve le restant de chair autour de la vis sans fin du hachoir pour leurrer BUllou : elle avale facilement les comprimés cachés dans la pâtée parfumée. Oui, parce-que finalement, je l'ai ramenée chez Bégonia, pour lui ôter cette verrue vilaine qui boursouflait disgracieusement sa narine. Son menton s'est aussi enlaidi d'une congestion rosâtre bien à vif. Un antihistaminique devrait la soulager, paraît-il. Pour le moment, ce n'est pas très probant. Laissons passer quelques jours.
Lola, elle, se porte comme un charme. Elle fait plaisir à voir, joyeuse et fringante, plus joueuse que les deux cadets plus vieillis qu'elle avec trois années de moins.
TtonytaPetra prospèrent. Elles boudent la balle de foin du moment. Ma foi, elles devront faire avec. Les vaches cousines le tirent avec gourmandise, elles, ce même foin, quand je leur jette les fonds de mangeoire par dessus la clôture. Pas de caprices, donc, pour mes deux gourgandines.
Le rythme de consommation est bon, deux balles par mois environ. J'ai rapatrié 50Kg de son et 80 de luzerne. Avec ça, je pense faire le mois aussi. Je vais mesurer tout ça, pour établir un plan d'alimentation équilibré. TtonytaPetra doivent perdre du gras. Marcel de passage me l'a redit. Il se tient prêt, au cas ou, le bougre !
La soirée se grise d'une entrée maritime apaisante. Nous avons avec Meriem profité des belles lumières automnales sur les flancs ronds des montagnes espagnoles. Elle connaît des promenades à mon goût, sentes empierrées dans les sous-bois, menant à des grottes où des rites semi-religieux accueillent les prières ardentes.
Nous avons fait vœux à l'eau de la fontaine à trois jets. Sans nous consulter, nous avons toutes les deux demandé la perpétuation de notre chance du moment. Que souhaiter de plus que cette vie de paix et de joies simples ? Pas de plus grandes ambitions pour nous deux. Je ne suis donc pas la seule à me contenter de ce qui peut sembler peu, et à le trouver pourtant inestimable.
Lundi 28 octobre 2024
Une quinzaine sans ouvrir l'ordinateur. Je me sèvre. J'aime prendre cette distance avec tout ce numérique vampire.
La nouvelle heure incite davantage aux pauses écriture, en début des soirées plus longues.
Le temps me coule. Je sens moins l'envie d'écrire, de dire. C'est bien connu, les gens heureux éprouvent moins le besoin de parler que ceux en souffrance. Le bien-être, ca n'est couru que pour sa quête. La recherche de son accomplissement nous requiert et nous intéresse. Ceux qui ont la chance de s'en sentir tout près n'en font pas publicité. On n'en entend pas parler, tout simplement. Ce n'est pas pour rien que ça n'est pas vendeur !
Est-ce que j'essaie de m'auto-persuader ? Possible. Pas certain. J'ai quand-même construit scrupuleusement les meilleures conditions pour approcher la sérénité quand on est mentalement constitué comme je le suis. Il n'est quand-même pas exclu que toutes ces années portent maintenant leur fruit. Ne boudons pas notre plaisir, par des questionnements alambiqués. Comme si c'était mon genre...
Allez, rapide rétrospective de la quinzaine, donc.
Mercredi 16 octobre 2024
Il pleut des cordes. Des averses drues, lourdes, martèlent la terre et la creusent en rigoles tortueuses. Que d'eau, que d'eau !
Je vais me promener là dessous, bien au sec dans mon ciré complet. La sensation retrouvée d'être en même temps à l'abri, et au mitan des éléments énergiques.
Bullou paraît mieux.
Vendredi 18 octobre 2024
J'ai remisé les vaches dans l'étable. L'ambiance est hivernale, comme au bon vieux temps, où elles rentraient pour Toussaint, pour ne ressortir qu'à Pâques, plus ou moins. La grande porte fermée laisse le temps mauvais au dehors. L'étable est une antre protectrice.
Samedi 19 et dimanche 20 octobre 2024
La jardinerie est au grand calme. Peu de clients. Pas de trafic.
J'ai consacré ma journée aux chiffres. On le sait, c'est mon dada. Je m'y amuse énormément. Excel commence à être une bonne copine.
Lundi 21 octobre 2024
Les paysages ce matin sont magiques : rincés à grande eau, fouettés de lumière.
Bullou se porte mieux, dopée aux anti-inflammatoires. Entre elle et Lola, je vais pouvoir prendre des actions dans les laboratoires pharmaceutiques. Il paraît que c'est d'actualité, avec la cession de notre Doliprane national.
Mercredi 23 octobre 2024
J'ai mis en route des pâtés hivernaux. Le boucher de la plage remplace avantageusement mon pourvoyeur d'Intermarché, broyé sous le rouleau compresseur performance.
Jeudi 24 octobre 2024
Romiti a livré une belle cargaison de fruitiers et de plantes de haie. Sous le grand soleil et dans la douceur, nous avons magistralement rangé tout ça, avec notre nouveau collègue. Dégingandé, mais plus efficace qu'on ne le croirait à le voir en mouvement, un peu désarticulé de sa longue carcasse. Encore une personnalité particulière, dans notre jardinerie qui n'est pas pépinière que pour les plantes.
Vendredi 25 octobre 2024
Virée dans le Béarn pour aller récupérer NOuga. Le brave chien a une carrière de sept années en cage derrière lui. C'était le reproducteur de l'élevage. Olivier lui fera la vie belle.
Samedi 26 octobre 2024
De nouveau des hallebardes rugies par un ciel plombé.
Pour moi, encore une longue séquence chiffres. J'ai mis au point la matrice. Il ne reste qu'à remplir, au gré des rayons intéressés. Un petit travail de fourmi. Je pense pouvoir améliorer le système, avec cette saisie externe à laquelle je ne me suis pas encore suffisamment intéressée.
Je dois prendre garde à ne pas me laisser avaler par ma passion du moment : l'écran vrille le neurone, à la longue. Sa lumière bleue titille désagréablement les synapses. Je m'y sais sensible. Je dois être raisonnable. Deux trois heures, pas plus, par séances.
Dimanche 27 octobre 2024
J'inaugure ce matin la litière à la fougère. Ca faisait bien longtemps. Je me servais coupablement du foin de rebut. J'ai en réserve quelques balles anciennes. J'avais pensé utiliser ensuite de la paille. On y repère mieux les bouses. Le nettoyage est plus sélectif.
Mon étable est en direct-live sur cette pièce de vie. Je ne veux pas d'effluves aigres-douces ici. Le suivi doit être assidu. Un paillage de fougère éparpillé sur une couche de fumier en décomposition active ne saurait être admis.
J'ai recherché le prix des grosses bottes de paille : aussi cher que le foin ! Bon... Je vais reprendre mon usage du recyclage des rebuts de foin. Mes grandes capricieuses vont encore pouvoir faire des leurs. Quel gâchis, comme dirait l'autre !
Comme j'ai quand-même bien moins de pertes, Dieu merci, avec mon nouvel approvisionnement, je vais mélanger tout ça avec la fougère filtrante. Un compromis très pertinent.
Cette année, les pluies battantes et les tempêtes vigoureuses ont chiffonné les fougeraies. Les frondes froissées pendent le long des tiges rousses, quand elles ne pourrissent pas lamentablement en pied. Ce sera donc tiges dures et plumetis maigrelet.
L'après-midi a été consacré au réaménagement de ma chambre. Ca me prend, par périodes. Mon logement est tout petit. Ca ne laisse pas grande marge de manœuvre. Je me suis tout de même étonnée d'avoir laissé mon lit à sa même place depuis 2017. Je l'avais alors tourné tête à l'est, en espérant m'en trouver mieux dans mes nuits agitées.
La molécule fut bien plus efficace que toutes les théories orientales.
Peu de meubles aussi dans mon modeste logis. Les combinaisons sont vite trouvées. Celle-ci me plaît, pour le moment.
Et voilà le tour de mon actualité, toujours aussi trépidante.
Mes chroniques ont basculé dans leurs ingrédients. Moins de règlements de compte, plus de jalons chronologiques façon journal de bord. Toujours le plaisir d'écrire, compressé dans un laps de temps passé à d'autres loisirs.
Toujours pas en vue ma pote bipole. Je m'exonère maintenant très facilement de ne pas respecter un calendrier fixé par moi seule.
Je le disais : quand les choses se passent bien, il n'y a pas grand chose à en raconter. Là, ma pote aux deux visages, la molécule et moi-même autour, nous cohabitons gentiment.
Je n'en demande pas plus.
Vendredi 8 novembre 2024 18h
Le poirier griffe le ciel à peine plus clair derrière lui.
TtonytaPetra soupirent d'aise. Elles me tirent maintenant le foin de Macaye à belles bouchées gourmandes. Encore une petite inquiétude levée.
J'ai passé l'après-midi au potager. L'ambiance était grise, aujourd'hui. De ce calme apaisant qui me réussit toujours. J'ai planté fèves, pois, aulx, oignons et échalottes. La terre était un peu lourde. Je ressortais une binette parfois chargée, en allant un peu profond. J'ai fumé abondamment. Je me demande si ça ne va pas nuire. J'attends la levée.
Rétrospective semaine. Un rituel.
Vendredi 1er Novembre 2024
La journée est magnifique d'une lumière dorée, pure.
A la jardinerie, les planches de chrysanthèmes annoncent une démarque catastrophique. Mes grilles d'analyse ne sont pas réjouissantes.
Ici, j'ai rapatrié les citrouilles. Elles ne sont pas trop mal, colorées plus que je ne le pensais.
Ma Bullou se gratte toujours la patte. Elle se la lèche compulsivement, jusqu'à l'épiler, et écorcher la peau. Je cherche des explications. La saison des chiendents, une allergie tardive ? J'ai aussi dans le viseur le flacon de lessive liquide, acheté un jour où mes capsules usuelles étaient en rupture. Begonia la voit souvent. Elle est farcie d'antibiotiques et d'antiinflammatoires. Bullou, pas Bégonia. Je ne sait pas où tout ça nous mène. C'est une rente, ces vieux chiens.
Samedi 2 Novembre 2024
Je ne suis vraiment pas raisonnable. Toute la journée encore, j'ai travaillé devant l'écran. Je me passionne. L'intelligence artificielle vient me faire de l'œil. D'après l'une de mes jeunes collègues, elle pourrait travailler pour moi, se charger de la partie la plus fastidieuse. C'est séduisant, évidemment.
Je me méfie quand-même. Comme outil, c'est sûrement fantastique. Mais je suppose que la bougre sait prendre les manettes, et se servir de nos curiosités et paresses pour aspirer de nous une moelle substantielle, à défaut d'être substantifique.
Ce ne doit pas être évident de résister à ce chant des sirènes. J'en tiens toujours pour cette idée de conditionnement orchestré par quelques groupes tentaculaires. Nous devenons produit de consommation, destiné à générer de la richesse, par notre consommation, justement, dirigée au doigt et à l'œil, sans qu'on s'en aperçoive. Instruments grugés quand nous pensons nous servir de ce qui nous commande.
Lundi 4 novembre 2024
Je suis en pleine période de soins canins. Lola, Bullou, mes deux petites vieilles réclament une pharmacopée spécifique. Il va falloir que je leur libère une pleine étagère dans le placard, bientôt !
Les frérots ont monté le tas de fumier. Il paraît plus gras, plus lourd de sa richesse nourricière, cette année. Les fortes pluies ont activé sa décomposition.
Les saisons sont scandées de ces activités paysannes. J'aime ce sentiment de pérennité. Les cycles reviennent. Le temps se cale là dedans sans regimber.
L'après-midi, entre deux visites à Bégonia pour ma Bullou, je fais le tour des mes châtaigniers. Celui qui m'avait paru mal en point est bien sec. Je l'ai retaillé jusqu'au pied. Une pousse minuscule s'enroule dans un creux d'écorce. J'ai redescendu la goulette de protection. Il aura la lumière. S'il en a l'énergie, il repartira de là.
Mercredi 6 Novembre 2024
L'épandage du fumier a rameuté mes muscles. Je n'en suis pas mécontente. La carcasse tient le coup. Au grand soleil du début d'après-midi, j'ai œuvré vaillamment. Antton a tendance a racler la terre sous le tas de fumier. Je me suis retrouvée avec un terreau certes très riche à éparpiller, mais aussi très lourd ! J'ai demandé à ce qu'il approche du fumier du vrai, plus léger, encore que, pesant lui aussi de l'humidité de cet automne. Le résultat en est une cape sombre, épaisse, fumante encore.
Au soir, la fraîcheur coulée dans les combes m'a cueillie dans ma balade. Le crépuscule a ciselé pour moi la silhouette d'un cycliste sur le fond mordoré, pure comme une estampe fine. J'ai pensé à l'affiche du film ET. Je me souviens avoir eu un moment similaire, il y a bien des années. Un répons à travers le temps, de la jeune femme d'alors à celle vieillie de ce soir. Une constance là encore où je cultive le bien-être d'une trajectoire perçue juste.
En pied de la Rhune, une laitance grise le paysage. L'hiver attend son heure.
Plus loin dans le monde, bien au delà de mon périmètre étriqué, Donald a repris le pouvoir. D'après les commentateurs politiques, il s'est maintenant débarrassé de ceux qui l'entravaient lors de son dernier mandat. La bête décriée avance son vilain museau à découvert. La démocratie, le respect de la voix de tous, mènent tout de même à un immobilisme où s'enterre toute velléité d'évolution. Là, on n'attend plus les uns et les autres, ont ne s'embarrasse plus de recueillir les accords. On avance, on tire, et on écarte ceux qui ne suivent pas. Le correct en politique devient la performance, de gré ou de force. Le pouvoir ne se maquille plus. Il commande, et s'attend à être obéi.
Je me demande si ce n'est pas plus simple, plus clair, au final. Puisque, je l'ai dit, je reste persuadée que nous sommes matière malléable au service des puissants.
Je ne revendique qu'une clairvoyance impuissante, résignée. Coupable, peut-être. Responsable de l'avancée à découvert de dirigeants assurés de ne pas trouver de résistance.
J'ai abdiqué, sans jamais combattre. Je le reconnais.
Mon seul sursaut est de me tenir éloignée, autant que je le peux, de ce système pervers.
Seule, la nature me gouverne. Nos dirigeants gèrent mon quotidien. La nature nous gouverne tous, dirigeants et soumis. Parlez-en à ceux de Valence.
Dimanche 11 novembre 2024
Journée d'armistice. Au sortir de la sieste, Bullou fait une grosse chute dans l'escalier. Elle manifeste une douleur vive, par des cris stridents qui me fendent le cœur davantage encore que les oreilles. Après vérification, pas d'os qui pointe à travers la peau, pas de membres à angles droits, pas d'épaules tombées ou de cuisses déboitées. Ma Bullou belle semble pourtant bien souffrante. Il est l'heure d'aller travailler.
Je la serre contre moi, elle se calme, gémit doucement. J'hésite à l'installer dans la chambre sur une grosse couverture au sol. Finalement, je la relâche, et elle saute sur le fauteuil, le regard éploré d'une qui s'apprête à rendre l'âme. J'examine mieux. Elle se laisse toucher sans hurler. Plus de peur que de mal, semblerait. Je la laisse là.
Au soir, elle cahote, dos rond, le moignon en berne, l'œil toujours tragique. J'ose à peine la prendre contre moi. Nous nous endormons, moi, très inconfortable, reléguée au bord du lit, et elle installée de tout son long, soupirant à me fendre l'âme.
Lundi 11 Novembre 2024
Bullou est plus alerte. Je préfère ça : elle se remettait à peine de ses purulences, la pauvrette.
Tout en la veillant, je prépare la présentation à Soja de nos analyses de résultats. J.Michel vient à la rescousse, pour une histoire de Power Point à modifier. Je m'y amusais, jusqu'à ce que ces maudites diapositives me jouent une sarabande incontrôlable. A nous deux, nous avons remis tout ça d'équerre.
Mardi 12 Novembre 2024
Une sortie dans la vieille ville de Salies, avec Hélène et Nicole. Une clavicule en X, une vertèbre en Z. Je suis la plus vaillante du groupe. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois.
Nous arpentons des ruelles charmantes, vieillottes, à la grâce curieuse d'un temps suspendu. Des festons sous les balcons et toitures, des trottoirs en pierre minuscules encombrés de pots de fleurs, de plantes, hétéroclites, une table de jardin, trois chaises colorées. Pour ce que j'en imagine, un mélange de village russe et de ruelles toscanes.
Mercredi 13 Novembre 2024
Là, c'est une balade sur les hauts de Lizarieta. Un enchantement.
Jeudi 14 Novembre 2024
Ma mère aurait eu 100 ans.
Un déplacement près de Pau pour la fameuse présentation Soja me requiert du tout petit matin à tard le soir. Tout se passe bien, à part une histoire de seuil de rentabilité que je dois peaufiner. Ma crédibilité en a pris un coup. En d'autres temps, la vexation m'aurait mortifiée. Là, je fais amende honorable, et recherches studieuses. Je pense avoir défriché le truc.
Vendredi 15 Novembre 2024
Les travaux vont bon train dans la ville.
J'ai toujours aimé ces gros chantiers.
L'occasion de vérifier la persistance des passe-droits. Encore ces histoires de remblais sauvages ou assimilés, quand ce qui est autorisé là est interdit ailleurs.
Une petite trentaine de camions cul à cul, au petit matin, s'allonge en caravane. De gros camions vrombissant, des caisses longues, lourdes, chargées, une puissance en marche, des moteurs qui rugissent, en une enfilade continue, des rotations effrénées. Toute cette machinerie est envoyée sur les routes, grandes et petites, à des dizaines de kilomètres de là, facturée grassement, sûrement.
Le bilan écologique, carbone, économique, politique, tout ça est aplati sous les gros pneus comme l'est la glaise éventrée à grands coups de pelles mécaniques.
Tout près, à portée de pas, une ISDI joliment nommée, (Installation de Stockage de Déchets Inertes), protocolairement installée, attend. Depuis des années. Elle remplit tous les cahiers des charges environnementaux, sécuritaires, citoyens et dérivés. Tout est au cordeau, dans les cases des réglementations les plus avancées.
N'est-elle pas belle et bucolique, cette coûteuse installation classée ?
Oui, elle l'est. Tout comme elle est fermée. Attendant on ne sait quoi. La broussaille s'y met, quelques arbres déjà pointeraient.
Les camions eux, n'attendent pas. Ils roulent et boulent, bien loin de là, dans la campagne profonde. Ils bennent leur charge dans les près, entre les vaches.
Ce doit être autorisé par les instances hautes.
Ca me rappelle mes jeunes années, du temps de notre remblai à la montagne, ici...
En ce temps, on nous bassinait les oreilles de "Centre Technique d'Enfouissement type 3". Quand on a finir d'enfouir, on stocke. Si besoin, on surstocke.
Cette petite Rhune devant la grande parle d'elle-même.
Les mots changent. Les hommes restent asservis aux mêmes pouvoirs.
Mais bon, tout ça est parfaitement régulier, paraît-il. D'accord.
Là, pour cette fois, c'est joli aussi. Un peu surprenant, pour une activité classée, cet environnement champêtre. Les infrastructures obligées sont discrètes, vraiment. Elles se fondent dans le paysage, et ne perturbent nullement les activités paysannes.
Ca change des trains..., médite cette jolie suisse intriguée.
Dimanche 17 Novembre 2024
Céline est venue en visite avec un compagnon charmant.
Un moment très agréable, entre rires et chaleur humaine, quand dehors le gris estompait le paysage. Nous nous sommes montrés curieux, trop peut-être à son goût.
Ce matin, les choses tournaient mal : un réfrigérateur pleurant sa misère, le remplaçant coincé par un radiateur fixé là depuis des décennies. La cuisine en route, et la maison en bazar. Nous avons avec Beñat été d'une grande efficacité. Certains recoins invisités depuis tout ce temps ont été repris.
Pour midi, tout était au point, le repas prêt, la tablée honorablement servie.
Pendant ma balade, je me suis trempée les pieds dans les herbes mouillées. Le soir tombé rendait les paysages gris. Seules les fougères sourdaient de leur fauve profond.
Un dimanche d'automne convivial.
Mercredi 20 Novembre 2024
Journée de pluies diluviennes. Le vent fort se calme sur le soir. Le champ de TtonytaPetra ressemble à une rizière.
L'homme de l'art est venu ce matin. Je prévois d'élaguer mon carolin vieillissant. Celui en bas du champ constitue une menace latente pour mes châtaigniers. Celui-ci, je vais le faire abattre. De vilaines nécroses noircissent le centre des branches arrachées par la dernière tempête. Il a fait son temps, et doit laisser la place.
J'ai du reprendre le bâchage le long de la porte. De vilaines auréoles humides me narguaient dans la porcherie remise. Poussée par le vent, l'eau s'infiltre sous le bâti métallique de la porte, et coule sous la bâche. La toile glisse sur le sol à peine pentu. Quelques infiltrations suffisent à accentuer le mouvement. J'ai lu dernièrement que le même phénomène expliquerait l'avancée incroyable de gros blocs de roche dans un désert de je ne sais où. Ici, je surveille les positions des bacs sur l'arête. Ma parade devrait suffire, pour le moment. Je sais bien que cette étanchéité sera le combat du reste de ma vie...
Le suivi de mon périmètre pourtant pas bien large remplit mes jours. Je me demande avec effarement comment je faisais, avant. J'étais plus jeune, certes. Mais je crois aussi que le mouvement nous entraîne, à tout âge. Je l'ai ralenti, ce mouvement. J'ai bien fait.
Vendredi 22 novembre 2024
Je pensais faire une longue séance écriture, aujourd'hui. Finalement, Lola était bien en jambes, et nous avons pu faire une belle promenade dans la campagne détrempée. Ma séance sera écourté.
En cette saison particulièrement, j'aime les ciels changeants, aux paysages de nuages mobiles. Le soleil pâle perce parfois, cueille ici un pan de roche, un pan de prairie là. Nous sommes rentrés vivifiés et contents, mes trois vieux chiens et moi-même.
J'ai ensuite longuement pansé TtonytaPetra. En ces jours tempêtueux, elles sont à l'étable. Le foin est bon, le paillage épais, l'atmosphère calme. J'ai goûté là encore profondément cette ambiance apaisante.
Un goûter prolongé ensuite ici, en compagnie fraternelle, et me voici à bientôt l'heure de dîner. Le coucher est avancé en ces jours hivernaux. Il fait bon lire longtemps, les chiens assoupis contre moi, une bonne bouillotte brûlante calée dans les reins. Tout ça ne respire pas la jeunesse. Mais tout ça est tellement bon !
Une enfilade de tanks a passé la frontière aujourd'hui. Le monde enfiévré se bouscule de la folie des hommes aveuglés.
Lundi 25 Novembre 2024 18h30.
Je suis rentrée à la nuit du potager. Je me battais avec des filets à ramer mes pois juvéniles. J'ai du en laisser un tout emberlificoté. Je n'y voyais plus, et mes nerfs n'étaient pas moins en pelote que le filet. Je reprendrai mercredi. La pelote en suspens, lamentable, servira peut-être d'effaroucheur aux oiseaux déjà intéressés par les pousses tendres.
Le temps s'est enfin calmé. Depuis samedi soir, un vent du sud mauvais soufflait sa colère. J'ai passé la soirée et le début de nuit d'hier à essayer de garder mon gazon sur la terrasse en place. J'ai repris tout ça ce matin, sous une petite pluie fine et insistante. Il me semble avoir repéré un point de faille en pied de mur, vers l'angle. Le vent semble s'engouffrer par là, et tirer par dessous. Il avait ainsi fait chuter les lourdes pierres sur la murette, en cassant deux dalles. Nous verrons à la prochaine tempête si ma parade suffit.
Mon modeste logis requiert une attention constante.
Hier soir, au couchant, après un déjeuner des familles où nous sommes sortis de table à près de 17 heures, et encore après avoir pansé TtonytaPetra, j'ai fait le plein de magnificence. La lumière rasante fouettait les couleurs sourdes de l'automne. Tout paraissait sublimé. Un souffre profond balayait le paysage. Les verts et bruns sourdaient de terre. La barre de mer métallique s'agitait en plumetis blancs sous le souffle persistant.
J'ai marché lentement, pénétrée de cette ambiance fantastique. Il n'y avait personne. J'avais l'impression que toute cette beauté était pour moi seule.
Lundi 2 décembre 2024 17h20
Je reprends l'usage de préciser l'heure de mes petits articles. C'est mieux pour retrouver l'instant à la relecture.
Le soir tombe. La campagne s'accroche aux roux sombres des fougeraies. Tout le reste se fond en gris monochromes, à peine bleutés par les brumes évanescentes.
Il a plu. Il doit pleuvoir encore dans les jours prochains.
TtonytaPetra mangent du foin en cadence. Elles broient les brins entre leurs mâchoires dures. C'est ce son qu'il me semble percevoir dès que je suis ici, même quand les vaches n'y sont pas. Ce son me rassure. Je l'ai mentalisé comme rituel décontractant.
Le clou de ma journée a été l'achat d'une nouvelle toile cirée pour la table, ici. Ca ne paraît pas grand chose. Pourtant, ces motifs fleuris, colorés, accompagnent notre quotidien. Je suis persuadée de leur influence sur nos esprits perméables. La table, on y mange, on y cuisine, on y écrit, on y lit. Les fonctions vitales s'y rassemblent.
Et bien j'ai opté pour cette pièce maîtresse pour un bleu profond, éclaboussé de fleurs et de feuilles ocres, roses, et vertes. L'ensemble est sobrement gai. Tout moi.
Ces temps-ci je suis très mobilisée autour de mon amie Hélène, et de sa clavicule brisée. Je circule, je fais office de chauffeur, puisque, pour le moment, elle ne peux pas conduire. Nous nous retrouvons ainsi régulièrement avec Miss Too Much.
A la jardinerie la valse des sapins a commencé. J'espère que nous finirons mieux qu'avec les chrysanthèmes.
La fin d'année arrive. Je vais "publier" mon long article 2024. Je suis un peu intimidée. J'avais l'usage d'une intimité protectrice. Mon besoin d'exister, de montrer le bout de mon nez, sera plus fort. Je ne suis pas faite autrement que les autres.
Je n'ai même pas relu les trois-quarts de ce que j'ai écrit. Je le ferai plus tard, quand le temps m'aura rendu ces chroniques attendrissantes. Trop fraîches, elles me sonnent fadettes.
Je suis devenue moins exigeante : les fautes, erreurs, redites, redondances et lourdeurs, ne m'offensent pas. Là aussi, je suis faite comme les autres, tous ces autres qui ne s'embarrassent pas d'orthographe ou de syntaxe. La linguistique patauge dans ces errements. La spontanéité y gagne peut-être. Se tromper, c'est révéler, aussi.
Ces remarques faussement profondes m'amusent. Parfois, relues, de loin, elles sonnent même pertinentes. Le temps peut bonifier, on le dit bien.
Je m'apprête aux fêtes en grande sérénité. Seule je serai, à goûter la paix où les miens festoient. Honteuse à peine de ne pas penser mieux à ceux qui ne le peuvent pas.
Vendredi 6 Décembre 2024 17h30
La pluie tombe en rideau léger, sans bruit.
Je suis sortie prendre l'air. Les bosquets ne se souviennent plus qu'à peine de la lumière. Dans les taillis ployés de pluie, les aulnes gardent en mémoire une idée d'or dans les dernières feuilles emperlées de gouttes d'eau.
Pour le soir déjà tombé, tout le monde est aux abris. J'ai dépoussiéré quelques recoins de mon étable. En laissant de ces lourdes toiles d'araignées en tulles accrochées au plafond et sur toutes les aspérités de la vieille maçonnerie. Ca fait ambiance vieille étable, et je tiens à la conserver telle quelle.
Hier soir à la jardinerie, nous étions sur le point de terminer la journée par le réapprovisionnement de nos boxs à sapins. Mouillés, les fûts étaient lourds, malcommodes à bouger. Les filets se prenaient dans les montants des rolls. Les garçons tiraient et poussaient en ahanant.
A un moment, je sens la flèche de l'un me gifler le front. Mes lunettes sont de travers.
-"Hé ! m'écriais-je, attention, merde ! C'est 800 €, là !"
Comme quoi, les priorités éclatent dans ces moments de spontanéité intégrale.
Je remets tout ça en place. Et je me rends compte qu'il manque l'une des lentilles de maintien qui cale la monture sur le nez. Mince, mince !! Cette petite pastille n'est pas bien grande. Ovale, un demi-centimètre au plus, transparente. Catapultée par dessus notre petite forêt de sapins, certains sur pieds, d'autres couchés en tas, elle est bien petite chose.
Il fait nuit, l'éclairage est sommaire. Nous sommes sur la quittée.
Peu de chances vraiment de tomber dessus. A peine plus de l'écraser. Et toutes les probabilités qu'elle soit accrochée sur une aiguille, quelque part, par là, sur l'un des plusieurs centaines de sapins réunis là.
Je me désole. Mes co-équipiers se navrent de culpabilité impuissante.
Nous cherchons, tout de même, nez au sol, torches des portables allumées, pathétiques.
Je me résigne à rentrer avec mes lunettes de travers. Mes verres progressifs, s'ils ne sont pas correctement placés en face des yeux, me jouent des tours. Comme si j'avais besoin de ça, avec mes vertiges vite rameutés à la moindre vision floue.
Tant pis, je n'ai pas d'autre alternative.
Sur ces entrefaites, notre nouveau collègue, grand et très mince, ployé vers le sol, remonte telle une liane libérée d'une emprise. Il tient au bout de son index... ma lentille ! Ciel !
Combien de chances y avait-il, ai-je dit, de retrouver ce tout petit bout de plastique dans cet environnement ? Aucune ou quasiment.
Et bien, en ce soir de 5 décembre, l'improbable s'incarna dans la réapparition presque miraculeuse de cette pastille de plastique.
La remise en place de ladite pastille mobilisa l'ensemble de l'équipe, et induisit un léger retard. Mes collègues d'abord compatissants s'agacèrent à peine. Ils sont globalement charitables.
Le mal n'aurait pas été terrible : un retour dents serrées dans la nuit noire percée de phares, sur un horizon tremblotant d'imprécision. Une visite ce matin à l'opticien, et tout aurait été réglé.
Tout de même, cette augure lumineuse enchanta ma vision d'un avenir proche et même plus lointain.
Pour preuve, la mairie prendrait même en charge l'élagage de l'un des carolins trop grandi, poussé chez elle il est vrai.
Je m'apprêtai à cette petite dépense, et m'en voilà dispensée.
Plus de 800€ là encore.
Dimanche 8 décembre 2024 18h30
La tempête se calme enfin. Depuis hier en milieu de journée, les volées venteuses ont secoué les parages. Toute la nuit, le vent a sifflé contre les volets, cherchant à soulever les tuiles et tout ce dans quoi il pouvait s'engouffrer. J'ai vérifié plusieurs fois dans la nuit la tenue de mon gazon sur la terrasse, agrippée au volet poussé par les rafales. Rien ne bouge. Parfait.
Les chatières des chiens ont claqué à tout va. J'ai eu une nuit bien moyenne. Là, j'ai condamné les trappes. Mes petits vieux sortiront quand je leur ouvrirai, comme le commun des mortels canins. Je compte sur de substantielles économies de chauffage.
Je suis sortie en fin d'après-midi, équipée scaphandrier. J'ai résisté aux poussées violentes, courbé l'échine aux averses de grésil cinglantes. J'aime ces joutes toniques. la perspective du retour à l'abri les rend vivifiantes.
Je me suis dit en voyant des voitures sur le haut que c'était une bien curieuse idée d'aller se promener par ce temps. Pour m'aviser dans l'instant que j'y étais moi-même.
J'ai admiré le paysage brouillé d'eau. Les couleurs ocre-roux hivernales magnifient cet endroit où je m'arrête toujours en contemplation, face aux Trois-Couronnes, en arrière plan de la combe de Béhobie.
J'y trouve une harmonie d'un équilibre parfait, entre monts doux et vals en contrepoints parfaits. Ca m'a évoqué les paysages de Bruegel. Il a su saisir cette lumière dont je parle si mal. Ca s'appelle le talent artistique, je crois.
A mon retour, j'étais dans l'étable aux soins de TtonytaPetra. Une longue interruption m'est venue de Christiane voisine. Une conversation par les ondes ma foi très agréable.
Demain, Hélène nous vient. Je l'ai vue hier déjà, en son domaine rural. Cette clavicule brisée nous fait un point de soudure.
Tiens, le vent se met de nouveau en colère.
Lundi 9 décembre 2024 17h40
Nous avons promené sur le front de mer avec Hélène. La ligne d'horizon s'élevait comme une muraille, sous le ciel gris plus clair. L'eau soulevée paraissait brasser du sable ocre. Nous avons pris l'air, vif, revigorant.
Ensuite, je suis ces temps-ci à font Tchat GPT. Je suis emballée : cette intelligence artificielle, sans émotion perturbante, est pourtant d'une intuitivité remarquable. La réflexion pure, l'analyse fulgurante, la synthèse d'une foule d'informations autrement bien fastidieuse sur les divers sites dédiés me le rendent allié efficace.
J'en suis à l'étude des financements immobiliers. J'ai toujours aimé ces plongées dans des univers pour la plupart rébarbatifs. Je m'y avance comme en contrée exotique.
Les informations collectées finissent toujours par trouver une opportunité, même à distance. Comme si le destin devançait l'appel.
Mercredi 11 décembre 2024
La virée Marie amis nous a menés aujourd'hui le long de la Bidassoa. Pour les hauteurs d'Ibardin, il faisait un peu frais.
Sur le soir, une lance solaire est venue laper le flanc d'Urristy. Au passage, elle cueillait chaque vaguelette, chaque mouette en vol sur le ciel sombre, chaque bateau mollement balancé sur l'eau.
Je me suis souvenue de la même lumière autour d'Agorreta, au même moment de la journée, par un jour ou une veille de Noël.
Plus on avance dans le temps, évidemment, plus les redondances se font écho d'une rive à l'autre d'âges distants. Ca laisse une impression d'intemporalité. Un peu d'emphase plus tard, d'éternité, allez !
Vendredi 13 décembre 2024 17h
J'ai fait le tour des environs. La machinerie porte beau. Xeres s'est refait une beauté. Pour un tracteur de 30 ans, il présente bien. Plus loin, Carraro, 50 printemps au compteur, n'est pas moins fier.
J'ai poussé ensuite dans mes paysages. Les images rendent à peine mieux que mes descriptions. Ca me suffira pour retrouver la profondeur de la sensation. Cette plénitude m'est acquise. Je la thésaurise.
J'en suis à mes Bruegels.
J'y retrouve l'ambiance et les couleurs qui résonnent juste en moi.
Le monde paysan, la vache, tout y est.
Curieusement, ce que j'ai toujours pensé être une horde de loups affamés, surgie de la forêt, prêts à dévorer les pauvres hères dans le village en contrebas, est une meute de chiens autour de chasseurs armés de piques.
Ils reviennent de campagne, dirait-on. Ils protègent le village. Les femmes qui travaillent dehors ne s'alarment pas.
Peut-être pourchassent-ils le loup en forêt, pour ne pas être attaqués, justement.
Il y a forcément une histoire de danger qui rôde. Un de mes classiques aussi.
On garde ainsi des réminiscences erronées... Où nos peurs se nichent confortablement comme la poule au pondoir.
Lundi 16 décembre 2024 17h40
Le soleil s'est couché. La lumière tombe.
Je viens de remonter de l'étable où TtonytaPetra ont maintenant leurs quartiers d'hiver. Elles ne réclament pas de sortie. Elles s'arrondissent un peu trop, je vais devoir réduire les rations.
Une lampée d'air tiède s'est coulée dans l'atmosphère, cette après-midi. L'automne nous a été rendu.
Au potager, seules les fèves s'en tirent bien. Les pois racornissent, l'ail et l'oignon résistent mal. Encore une fois, trop d'eau. Les plantations d'automne seraient-elles trop aléatoires ?
C'est dommage, j'aimais bien mes séances de jardinage à cette époque, le soleil amical dans le dos, puis, le soir tombant qui vous ramène à la maison dans sa fraîcheur. Les bruits sonnent différemment. Les chiens aboient plus loin. Les cheminées fument bleu devant les cieux violets.
L'heure entre chien et loup. Plus chien que loup dans mon monde sans danger.
Mercredi 18 décembre 2024 18h20
Une journée anormalement chaude, pour le coup. Très agréable de laisser la maison grande ouverte.
J'ai les fins d'années très financières. L'année dernière Thibaut le Perdreau me ramenait dans les eaux calmes de l'épargne de grand-mère. Mon incursion dans les sphères boursières m'avait laissée haletante sur la rive.
Là, je prospecte en second rang. C'est bien plus confortable. L'occasion d'explorer un milieu où mon goût pour la mathématique s'ébroue joyeusement.
A la jardinerie aussi, je brasse du chiffre avec gourmandise. Mes collègues s'en agacent. Je vais tâcher de modérer mes frénésies.
Dimanche 22 décembre 2024 10h30
Un dimanche matin idéal : dehors, un temps de chien, ici les chiens au chaud, à côté la marmite qui bouillonne d'une daube parfumée. La tarte refroidit sur le rebord de la fenêtre.
J'ai encore passé l'après-midi à l'ordinateur, hier. Le matin, une manipulation malheureuse a pulvérisé mes tableaux d'analyse. Le premier saisissement passé, je me suis dit que c'était l'occasion de repartir à neuf. En mieux, si possible.
Je m'apprête à la fin d'année. J'aime cette sensation de joie autour de moi. Les malheurs à plusieurs milliers de kilomètres n'empêchent pas de se réjouir, sans trop de scrupules. Une pensée, une obole, et la bonne conscience redore son blason à petit coût.
Vendredi 27 décembre 2024
Une ambiance gorille dans la brume noie le paysage. On voit à peine à 20 mètres. Quand j'ai ouvert les volets ce matin, j'ai été surprise de voir mon ombre en grand format suspendue aux branches nues du carolin. C'était spectral.
Les corneilles coassent dans le silence mouillé. Tout goutte.
Ma journée de Noël fut plaisante. Nous étions avec Hélène chez Nicole. Le temps nous a passé comme une flamme. Nous étions encore à table à près de 5 heures. Il était temps de ramener Hélène à son train. Sa clavicule la handicape toujours pour conduire.
Lundi 30 décembre 2024.
Le temps s'est mis au radieux frais. A la jardinerie, je travaille dehors aux heures tièdes. Avant et après, je me consacre à mes tableaux hypnotiques. C'est une œuvre majeure, pour l'avenir. A ce stade, ça semble assez hermétique à la plupart.
Ca m'amuse toujours autant.
J'ai été tout à l'heure à ma cueillette de gri-gri : houx et laurier. Un mien familier m'a ramené du gui hier, décroché du carolin du bas du champ. L'année prochaine, il n'y sera en principe plus. Il nous faudra trouver une autre niche d'approvisionnement.
Les paysages changent énormément, dans les parages. Des perspectives s'éloignent, libérées de taillis bousculés cul par dessus-tête. La main de l'homme modèle ici les bosquets. A part un châtaignier élancé, vigoureux, en pleine force de l'âge, (paix à son âme, tout le monde n'a pas la sensibilité végétale), il n'y avait là que vergnes et broussailles. Des indélicats s'y délestaient d'encombrantes ordures. Des couples illégitimes y glissaient furtivement une voiture, masquée dans les taillis.
Là, il n'y a plus grand paravent. Le chemin se coulait le long de ces taillis, abrité du vent du nord. J'ai souvent parlé de ce sas entre deux ambiances, où plusieurs degrés de différence vous faisait mettre ou enlever le gilet. Là, pour le coup, il n'y aura plus de choc thermique. Le versant protégé est devenu esplanade ouverte à tous les vents. La mer s'offre ainsi, longue, étale, à qui aime la voir.
Quelques lapins de garenne auront tôt fait de trouver un autre gîte. La main de cet homme là n'est pas omnipotente. La nature lui rendra ses limites.
Pour les sentes perdues sous les amas de souches et de terre enchevêtrées, les promeneurs passeront simplement ici, quand ils passaient là. Un peu de changement ne nuit pas.
Pour les derniers jours 2024, Hélène m'a conseillé une émission radiophonique philosophale sur un thème profond : le vide et l'essentiel. J'ai tâché de comprendre.
Pour ce que j'en ai retenu, ça a bien résonné en moi.
Je n'avais pas forcément rapproché le "sens", comme le sens de la vie, signification, du "sens", mouvement, direction. (Il est quand-même à déplorer que, dans la langue française, plusieurs mots synonymes se partagent le poids d'une même chose, quand, pour des concepts assez majeurs, on en écartèle un seul).
Tout près, l'essentiel, dont mes proches me disent fervente. Cette définition de moi me va.
"Le" sens de la vie sous-tendrait qu'il n'y en a qu'un. Il ne faut pas se louper.
"Un" sens à la vie, laisse une respiration, induit l'idée de quête jamais aboutie. Inutile de se mettre une pression folle. La finitude intrinsèque à notre condition de vivant laisse le temps de vaguer, puisque c'est le périple qui compte, et pas l'entrée au port.
Dans "essentiel", il y a l'épuration de tout ce qui fait du bruit et n'enseigne rien. De tout ce qui distrait et ne conduit pas dans la bonne voie. Ce qui égare. Fait perdre le sens, la direction.
Dans essentiel, il y a ce "sens", ce mouvement dans cette direction.
Et le mouvement nécessite un espace, un vide, pour aller d'un point à un autre. Si on est dans le plein, on s'y fige, on ne bouge plus qu'avec la masse. Plus de quête, une destination qui s'éloigne dans le temps, paraît inatteignable. Ca bloque comme un embouteillage un jour de chassé-croisé.
D'où, CQFD, pas d'essentiel sans vide.
Alors que le vide fait pourtant peur. Benêts que nous sommes. Le vide, c'est près du néant, tout de même.
C'est donc ici un vide sans danger, un vide de dégagement, reposant, comme un silence dans un discours trop dense.
Un vide salvateur, dans notre monde de frénésie, de bruit, d'agitation.
Le calme, pour permettre le mouvement lent, efficace d'autant. Pour avancer vers sa destination. Bonne, tant qu'à faire.
Aller vers son "destin".
S'il est tout tracé, il n'y aurait qu'un sens, prédéterminé. Nous serions exonérés de la responsabilité de faire fausse route.
Si nous le tenons dans nos mains, ce destin, ça vaut le coup de s'arrêter de temps en temps pour être certain d'être sur la bonne voie. Mettre le temps en suspens, un moment, laisser venir ce fameux vide. Mettre en place les meilleures conditions pour installer la congruence.
J'en parlais il y a dix ans. Ma quête est donc philosophale. Essentielle.
Puisque je sais que je n'arriverai donc jamais au pied de l'arc-en-ciel, je cultive la gratitude d'avancer vers sa lumière.
Chemin faisant, si le froid sèche la croûte de terre, je vais dans les prochains jours cultiver mon jardin.
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