Vendredi 25 juin 2021 6h45
Le soleil se perd dans les nuages.
Le solstice cette année sera noyé.
Les jours les plus longs, ceux où le soleil rayonne jusqu'à près de 22 heures, ont été particulièrement frais, et sombres.
Au 23, nous avons déjeuné ici, lumières allumées, toutes portes fermées sur le froid, comme au plein hiver.
Hier après-midi, le soleil revenu a tiré tout le monde dehors. J'ai jardiné dans mes nouveaux alentours. Puisque j'ai rétréci mon espace, je vais pouvoir en fignoler l'entretien. J'ai ressemé derrière la murette mon mélange capucine-volubilis. En arrière-plan de mes potées juste démarrées, elles devraient joliment colorer les parages, sur l'été et l'automne.
Ce matin, les nuages sont revenus. Je vais me mettre en cuisine, en prévision de dimanche où la main d'œuvre sollicitée pour la mise en place de l'escalier aura grand faim.
18h20
Je suis allée à la montagne, dans le sous-bois moucheté de soleil, ombragé sous les feuilles translucides où la lumière diffuse les verts tendres. Une paire d'heures au calme, pour faire tiédir mes oreilles surchauffées.
En début d'après-midi, la ferme a tremblé : le haut d'une ouverture à créer a chu en grosses pierres lourdes, agglomérées en une masse énorme. Réveillée de ma sieste en sursaut, je suis descendue : tout allait bien. Le gros bloc de pierre était en voie d'être débité, et personne n'était dessous. Bien. Sur le nid proche, la femelle hirondelle couvrait les petits terrés tout au fond.
J'ai fui dès que j'ai pu les vrilles et les fracas assourdissants.
Là, le secteur est calme. Je vais descendre arroser le jasmin en début de floraison.
Mercredi 30 juin 2021 18h30
J'étrenne l'installation écriture dans le grenier aménagé.
Ce renfoncement de cour, bien protégé, un peu à l'écart du corps de ferme, a toujours attiré mes heures dolentes. Je venais y lire, assise au soleil, les beaux jours, ou alors, lovée dans le foin, quand le mauvais temps m'y retranchait.
Les heures de galipettes dans l'amas chuintant des spathes sèches de maïs m'ont laissé le goût d'un plaisir un peu interdit, d'un temps volé à une journée quadrillée de petites tâches commanditées par une maternelle caporale.
J'étais ici à l'abri, assez éloignée de l'autorité matriarcale, mais encore dans la chaleur des bêtes juste dessous.
Je reconstitue mon petit monde. Je ramène au plus près mes essentiels. Mes chiens vieillis s'y sentent maintenant bien, resserrés sur un territoire plus petit. J'ai redisposé les objets qui me suivent depuis toujours. Je les ai tous maintenant à la vue, quand, avant, je les perdais un peu, dans un si grand espace.
L'escalier transmetteur entre les étages est en place, joliment ourlé sur le mur bombé. Il faut tout adapter, ici, rien ne se cale d'emblée. Ca a été l'ouvrage de dimanche matin. Pour un résultat tout à fait satisfaisant. Cette descente en bois fait pendant au râtelier. La mise en place cette après-midi des balles de foin et de fougère annonce la couleur : nous sommes bien dans une étable.
Vide, encore, mais plus pour longtemps.
J'ai besoin de retrouver la bête, chaude et odorante, placide dans son contentement.
J'ai envie de passer du temps à frictionner des arêtes dorsales dures et longues, des mufles humides, et des flancs solides.
Me vient presque un petit trac, à me demander si je vais encore savoir faire. Ils ne se sont passés que quelques mois, pourtant. Mais ce temps-là m'a paru long.
J'ai le mal de l'étable comme on a le mal du pays. J'entrevois la côte, allez... Quelques jours de patience, encore.
J'ai cette visée, maintenant, de mon seuil de tolérance, de résistance, abaissé. Je sais bien qu'il est probable que ces deux là ne remontent jamais.
Pour compenser ce déficit, je dois adapter le second plateau de la balance : mon environnement, et ses contraintes. A mesure que j'allège la tension de la demande, le ressort de l'offre peut gentiment se laisser aller à un relâchement sans conséquences fâcheuses. Et fortement bénéfique au maintien de ce qui reste de force dans les spires. Ainsi puis-je espérer durer, au mieux.
Reprendre de la vitesse à mon âge est chose impossible. En perdre est plus naturel. Tout est dans l'accompagnement de cette baisse. Dans la fluidité de cette descente. Je repère quelques paliers pas inintéressants...
Je vais dans cette optique recruter deux petites bêtes mignonnes. Pas quatre, pas trois, non, deux. Palier, toujours, palier. Une, elle virerait neurasthénique. Et je n'ai pas besoin de plus de tristesse dans ma tête, que celle qui s'y invite déjà trop facilement. Non, il me faut deux petites bêtes. Ou, même, deux vieilles, si elles trainent avec leur carcasse éculée la joie de vivre de ces vieilles carnes contentes de leur sort. Et il en est !
Marcel va me trouver ça : je m'en remets à lui.
Vendredi 2 juillet 2021 18h
Anthony et Petra profilent leurs contours.
Entre deux petites montbéliardes encore au pis, et deux croisées bleu-blanc-belges presque sevrées, j'ai préféré jouer la sécurité. La montbéliarde en ses premières semaines peut se montrer capricieuse, quand on lui supprime son pis nourricier, pour lui proposer le biberon. Il en est paraît-il, qui se laissent mourir de faim, plutôt que de se compromettre au lait reconstitué. Je ne peux pas risquer pareille avanie !
La bleu-blanc-belge est plus accommodante. En plus, celles-ci s'aliment déjà en sec. Ca devrait aller.
Ou l'art de fouler au pied mes soi-disant intuitions....
Je vais lundi ou mardi, pouvoir mettre l'image réelle sur mes phantasmes.
Je n'ai pas voulu aller sélectionner mes bêtes au déchargement d'un plein camion. Je ne choisis pas mes vêles comme on achète un meuble.
Je laisse le sort faire son travail. Le sort et Marcel. Je m'en suis la plupart du temps très bien trouvée. Et, pour les rares fois où la mayonnaise n'a pas pris, le maquignon a assuré : il a repris les bêtes incompatibles, pour m'en ramener d'autres. Lui, le négoce de bétail, c'est son travail.
Moi, j'ai aussi été élevée dans cette idée que nos vaches étaient nourricières. La sensiblerie devait toujours passer derrière la rentabilité. L'attachement à la bête se frayait tout de même son chemin dans cette rudesse. Mais, nécessité faisant loi, une vache improductive devait être remplacée.
La difficulté de travailler avec du vivant, doté de sensibilité, comme il est dit maintenant dans les textes de loi, niche sournoisement dans ce hiatus, entre l'affect et la calculette.
J'ai souvent vu mon père museler sa sensibilité, en menant un veau au boucher.
Ma mère manifestait moins. Sa muselière s'était mieux verrouillée...
Moi, j'ai toujours eu beaucoup de mal avec ces notions de bêtes machines à produire. Je reste admirative devant les performances d'une grande laitière, ou les scores en kilos de viande jaugés d'un œil expert. Je n'arrive pas pour autant à dissocier la bête vivante et sa production de matière inerte.
J'ai cette chance de pouvoir maintenant avoir des vaches de compagnie. De les panser et de les nourrir, pour le seul retour de cette sensation d'apaisement, de ce plaisir à côtoyer quotidiennement une grosse bête placide. Je prends cette revanche sur ce temps d'enfance, où je ne pouvais pas "sauver" une vache "gentille", parce-qu'elle n'était plus économiquement rentable.
Anthony et Petra sont sûrement des raclures de fond de cuve. Leur destinée naturelle ne les aurait sûrement pas menées bien loin.
Avec moi, mes humeurs fantasques et mes revirements déraisonnables, elles ne seront peut-être pas mieux loties. Mais peut-être que oui....
Je sais mes comportements éleveurs très discutables. Ils sont ce que je suis : mélange d'une sensibilité exacerbée, et de sursauts de brutalité sidérants. Je n'ai jamais maltraité mes bêtes. Je les ai quand-même envoyées à l'abattoir, sans trop d'états d'âmes.
Je sui tarée, je le dis, et on le sait. Mais je me soigne !
Je mène ma vie, à peu près. Je m'occupe de ce que l'on me confie, honorablement. Ce dont je ne me sens pas capable, je le délègue, sagement.
Je pense être en capacité d'élever correctement deux vêles. Si je ne l'étais pas, Marcel s'occuperait de ça : c'est son métier.
Toutes ces justifications qui en disent long posées, je maintiens ma décision.
Il y aura bien une Anthony et une Petra à Agorreta. Détournées du destin commun des vêles en production.
Tout ce qu'elles risquent, c'est la chance d'avoir quelques bonnes années d'une vie tranquille.
Et moi avec.
J'attends les jours prochains.
J'attends de voir à quoi ressemblent celles qui seront probablement mes dernières vaches.
Anthony pourrait être un peu comme celle-ci. Elle serait timide, mais curieuse. Vite en retrait, sans être effacée. Une petite grisée mouchetée, dans la droite lignée des Pamposas, Pintamona, et, plus récemment, en un peu diffus, Graziosita.
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