vendredi 30 juillet 2021

30 juillet


Vendredi 30 juillet 2021  15h24






Des journées maussades se succèdent. Le soleil troublé se montre à peine, au lever, pour laisser très vite les nuages étendre leur cape grise immobile. L'ambiance est très reposante, vraiment pas chaude, à part quelques petites pointes moites.

Ce matin, il chouinait légèrement. Le vent s'est levé juste après-midi, dégageant tout ça. Des amas boursouflés bourgeonnent sur les montagnes.

Météorologiquement, un été tranquille.

Ma pépinière se vide de clients. Je parcours les jauges, je remets de l'ordre, je taille et rafraîchis. Toute la journée d'hier, le seul carré des lauriers roses m'a tenue occupée. Je m'installe un plan de travail à la bonne hauteur, sur le plateau d'un caddie que je fais suivre. Un plant après l'autre, je rabats les branches un peu dénudées, je fais tomber la multitude de feuilles jaunes d'après la floraison. D'une plante dégingandée, piteuse et mal en point, je fais un sujet propre, trapu, aux pousses dardées vers une avenir glorieux. J'aligne cette petite couvée en carrés stricts. 

Et je passe à la planche suivante. 

J'ai travaillé paisiblement, sans peine, sans ennui. Les bruits de fond de la zone artisanale proche ne me dérangent pas. La circulation pourtant dense de l'autre côté du bâtiment parvient très estompée. Les collègues vaquent de ci de là, traversant la pépinière aux grés de leurs déplacements. Un petit salut au passage, quelques mots, je ne les retiens pas. J'aime ainsi parfois travailler seule, toute à mes rêveries.

Un ou autre client égaré par là, acheteur mollet, vite renseigné sur un projet souvent vague, à l'horizon lointain, se contente d'une indication floue, histoire d'échanger quelques mots aimables. Peu de gros clients ces temps-ci. Beaucoup de désœuvrés. 

Ces journées lentes reposent d'une saison bien ardue, où les chiffres gonflent au fur et à mesure que les énergies se vident.

Une saison de passée, une de plus.

L'inventaire fin septembre recalera la suivante. Je continue de m'intéresser à la marche des affaires. En y mettant bien moins d'enjeux personnels, pourtant. La jeune garde est là pour relayer efficacement mon relâchement. C'est dans l'ordre des choses, et je m'y coule ma foi bien volontiers.

Ici, mon univers a un seul soleil : TtonytaPetra.

Je les montre à qui veut les voir, et même à ceux qui s'en passeraient. La nouvelle étable est plus intimiste que l'ancienne. On y accède par des chemins d'initiés. 

Mes bêtes avant étaient en première ligne : on débarquait chez elles comme dans une gare, sans tambours ni trompettes. J'aimais cette représentation immédiate de la vache dans une ferme. On ne pouvait pas trop passer à côté, même si les stalles logeaient dans le renfoncement assombri. Je faisais rentrer tout le monde par l'étable, intentionnellement, jaugeant de la qualité de chacun en fonction de son intérêt pour mes vaches, et de sa sensibilité à leur présence.

Le second marqueur était l'accueil des chiens.

Le quidam autour duquel ils hurlaient rageusement, qui, entré dans la pénombre de l'étable, détournait son regard des croupes alignées, et tordait le nez par là derrière, celui-là, qui qu'il soit et quoi qu'il veuille, je ne donnais pas cher de l'objet de sa visite.

Cet autre, flairé et adoubé par la mini-meute vite silencieuse, s'avançant d'un bon pas dans le fond, et là, c'est le pompon, saluant poliment les génisses aux têtes tournées vers lui sans marquer d'inquiétude, celui-là était d'emblée assuré de ma totale adhésion à sa cause, et ce, quelle qu'elle soit. Ou presque.

Attention, l'attitude outrée d'un qui voudrait caresser les chiens ou flatter les vaches sans s'être préalablement et civilement présenté, est toute aussi, sinon plus, rédhibitoire que le premier cas de figure.

Je me souviens d'avoir définitivement rayé de mes tablettes un malotru qui s'engouffra sans semonces entre les vaches, leur claquant les cuisses et les saisissant par les cornes. Les vaches, effrayées d'un tel assaut, se reculèrent en bout de chaînes. Je tançai vertement le malappris, et lui enjoignis de sortir immédiatement.

Autant dire que je n'écoutai son discours que d'une oreille distraite, et très mal engagée. C'est bien simple, je ne me souviens même pas de quoi il en retournait.

Dans ma vieille étable, olfactivement, la senteur prégnante de la bête saisissait le visiteur dès qu'il approchait. Il fallait vraiment être entré par la cuisine, par une journée de vent du nord, avec la porte donnant sur l'étable fermée depuis plusieurs heures, pour ignorer qu'il y avait des vaches, tout à côté.

L'exception de cette conjonction faisait que rares étaient les visiteurs non assujettis à mes toises d'appréciation animales. On peut, pourtant, j'imagine, être quelqu'un de parfaitement correct, porteur d'une requête honorable, sans s'intéresser à la vache, ou agréer au chien, qui plus est au chien névrotique, tel mon Kief psychologiquement ravagé. 

Je peux le concevoir, dans un souci forcé d'objectivité, sans y croire tout à fait...

Mes grilles d'intégration resteront canino-bovines.

Dans ma nouvelle installation, le front vache est plus en retrait.

L'intronisation se fait à l'abord par les chiens. L'aire d'accueil est plus étroite. Le sas d'entrée plus bref. Les chiens se précipitent dans la courette. Le visiteur reste sagement derrière les fleurs, attendant l'autorisation d'avancer.

Je ne parle ici que du visiteur inconnu, en première approche de la ferme. De celui qui vient ici pour une demande précise. Puisqu'on n'y vient pas par hasard, Agorreta étant hors des conduits de circulations. Quelques promeneurs perdus s'aventurent parfois sur le chemin, mais font généralement vite demi-tour, quand ils comprennent être dans une impasse géographique.

Généralement, si l'on en est pas un familier, on arrive à Agorreta parce-qu'on a besoin d'y faire quelque chose, pas en passant, en direction d'une destination plus lointaine.

Et, dans ce cas de figure, quand on y arrive, on a déjà du mérite, au vu de l'accès. Ne soyons pas mauvais, il est depuis peu parfaitement carrossable, allez !

Le visiteur connu, lui, a déjà passé l'épreuve-test. Et je sais de lui ce qu'il me faut en savoir pour continuer de le recevoir, ou pas.

Mes velles maintenant vivent à l'abri des regards, en alcôve.

A leur arrivée, elles se signalaient par quelques meuglements tonitruants, dont l'écho raisonnait puissamment dans la pièce d'entrée. On comprenait qu'il y avait par là tout près de la bête.

Là, elles ont tout à fait intégré leur délocalisation. Elles se sentent ici bien, complètement chez elles. Elles ne mouftent plus. 

Acoustiquement, elles sont imperceptibles. A peine entend-on la poussée de l'eau dans les abreuvoirs, quand on en est averti, et sait-on alors qu'il y a du monde, en bas.

Je pensais, étant positionnée à l'étage, juste au dessus d'elles,  recevoir en puissance les effluves de leur existence. Je m'étonne, et en fais la remarque souvent à mes visiteurs, du circuit d'aération optimal de mon installation. De là où je suis au moment où j'écris ces lignes, dans cette pièce d'entrée, d'où part l'escalier ouvert qui dessert l'étable, je ne perçois pas la moindre odeur animale. Les flux olfactifs stagnent sûrement sous la voute, et sont emportés au large, collectés et entraînés par un courant d'air vers l'esplanade ouverte.

J'attends l'hiver et ses portes fermées, pour me faire une idée sur l'année.

Personnellement, j'aime l'étable et m'y sens mieux que dans le plus douillet des salons. Mon meilleur bien-être est dans ces moments de complète détente, où, une tasse fumante à la main, les chiens lovés contre moi, je sirote ma tisane, assise sur les dernières marches de l'escalier, à portée de mes velles alanguies en une rumination pensive d'après soins et pansages. 

Je m'imprègne de cette ambiance sereine, presque liturgique. Notre communion dans ces moments est totale,  elles rassurées et contentées par moi, et moi, détendue et apaisée par elles.

TtonytaPetra m'offrent déjà cette communion là. Notre connivence se construit à grands pas.

Elles sont jeunettes, mais déjà familières comme de vieilles vaches qui auraient été là depuis plusieurs années. Notre reconnaissance mutuelle se renforce de jour en jour.

C'est mieux que je ne l'espérais.

Ce matin, il était prévu de procéder à la prise de sang d'achat. Cette analyse détermine l'état sanitaire du bovin entrant, l'absence chez lui de toute pathologie hautement contaminante, telles que les brucelloses, tuberculoses, BVD ou autres saletés toujours d'actualité dans nos troupeaux.

Elle se faisait jusqu'à il n'y a pas longtemps au plus tôt après l'arrivée de la bête. L'idéal étant de la laisser en quarantaine, isolée, le temps de vérifier qu'elle soit saine. Encore faut-il avoir une installation adaptée.

Marcel m'a enseigné que, maintenant, il fallait attendre, un délai de quinze jours, pour pratiquer cette vérification. Sans isolement. Je m'en suis étonnée : est-on bien avancé d'avoir laissé pendant deux semaines son cheptel se pourrir par l'arrivée d'un animal vérolé ?

Il doit y avoir là dessous des tenants et aboutissants qui m'échappent. Dans ces cas là, je ne cherche pas à comprendre, j'applique.

A ces fins de mise en conformité sanitaire, j'ai donc mandé la grande Katrin de venir ce matin en visite professionnelle.

Chaque année, la prophylaxie obligatoire nous amène le vétérinaire, pour ces fameuses prises de sang.

C'est toujours un moment délicat, de pratiquer une prise de sang sur une grosse bête. Aller chercher sous sa queue la veine idoine, en tâchant de suivre les pas de côté de la vache agacée, au mieux, ou alors, d'éviter quelques lancers de sabots bien sentis, en visant au plus juste avant de piquer, tenir le tube sans le laisser tomber dans le paillage fouaillé, attendre en priant d'avoir trouvé le bon endroit que le dit tube se remplisse, en tenant toujours levée la queue que la vache essaie de ramener, c'est souvent un peu rock and roll.

Sans doute dans les étables équipées de box à cet effet, ou de cornadis de contention efficace, la manœuvre est-elle plus aisée. Chez moi, il n'y a rien de tout ça. 

J'ai eu l'heur de connaître quelques vaches étonnamment placides, imperturbables, qui ne pipaient mot pendant toute l'intervention. On leur soulevait la queue, on piquait là dessous, et elles ne bougeaient pas. Continuaient même de manger, comme si de rien n'était.

La plupart de temps, malheureusement, le tableau est moins paisible.

Pour TtonytaPetra, j'étais un peu inquiète.

Je les attache sans problème, pendant qu'elles mangent. J'ai même prévu un système de barre à fixer dans l'auge, pour raccourcir la longueur de chaîne au plus juste, de façon à ce qu'elles soient mieux tenues. Si besoin, je peux les encorder : elles s'y prêtent sans trop de mauvaise grâce.

Les maintenir ainsi tout le temps qu'elles mangent n'est pas un problème. Je les toilette en même temps, étrillant les poils souillés, les brossant ensuite. Une application de spray insectifuge pour le confort, une petite choupette en bout de queue pour la coquetterie, et mes belles sont pimpantes. Elles apprécient les soins de toilette, et gouttent même fort les nettoyages à l'eau tiède, quand il le faut. 

Je pratique aussi ces gestes en dehors des moments où elles mangent. Elles sont alors libres, et pourraient s'esquiver. Mais ne le font pas, tout au contentement de ces soins agréables.

Ttony apprécie maintenant autant que Petra d'être caressée. Je peux lui frictionner les joues, lui malaxer le dessous du cou. Elle adore ça, et reste là, sans bouger, les yeux à demi fermés sur son plaisir. Petra, elle, vient à moi, pose son front contre ma hanche. Elle pousserait même un peu, cherchant à jouer. Je dois contenir ses élans : je ne fais pas le poids pour les contenir, déjà, et, dans quelques mois, elle me mettra par terre à la première poussée.

Notre relation est épanouie, équilibrée.

Pour leur première prise de sang, j'étais quand même tracassée. Deux petites velles de 200 kgs, en pleine forme, ne se laissent pas manipuler contre leur gré. Mon installation n'est pas trop étudiée pour. Elles allaient nous donner du fil à retordre !

La grande Katrin est arrivée en fin de matinée.

Elle est monumentale de puissance, de belle chair bien dense. Grande, rubiconde, forte et pleine de grâce. Dorée au soleil comme l'abricot justement mûri, les cheveux blondis, étroitement gansée dans une tenue ajustée, Katrin s'est avancée, royale.

L'accent teuton lui rajoute un charme quand elle en a déjà tant.

Je l'ai avertie de mes craintes. Elle a haussé ses larges épaules.

Je lui ai expliqué que j'allai attacher les petites, en lui demandant de m'attendre pendant ce temps en haut pour ne pas les inquiéter. Elle a acquiescé, et m'a suivie dans les escaliers ! Sa présence,  le bruit de ses pas fortement frappés sur les marches, l'ont annoncée en fanfare.

TtonytaPetra, à peine effarées de cette masse en mouvement vers elles, m'ont quand-même suivie jusque dans les auges, derrière les gamelles. Leur gourmandise était plus forte que leur curiosité.

Je les avais laissées libres dans l'étable, avec juste un portail posé contre la porte métallique, pour ne pas qu'elles aillent au pré. Ce petit portail nouveau les a intriguées : les autres jours, il n'y était pas. Elles ne sortent pas, le matin, après leur repas. Mais, sait-on jamais, il suffit que je veuille qu'elles restent là, pour qu'elles décident de prendre l'air, les petites bougresses !

Cet empêchement de faire, ce que, sans, elles ne faisaient pas, les a un peu contrariées. Elles sont aller flairer l'obstacle à une liberté qu'elles ne réclamaient pas jusqu'à temps qu'on les en privât. Ainsi donc la velle est aussi complexe, dans sa petite cervelle...

Leurs investigations ne les ont pas menées trop loin. Elles ont léchouillé l'attache galvanisée, et se sont détournées pour se coucher là où elles le font d'ordinaire.

Je les avais à peine attachées serrées, que Katrin s'est emparée vigoureusement de la queue de Ttony. Celle-ci, surprise, a cherché à se dégager de cette poigne invasive. Je l'ai poussée contre le mur, la flattant avec insistance, tâchant par mes caresses de la distraire de l'assaut de derrière.

Ca a moyennement marché. Katrin a soulevé la queue, je me demande même si elle n'a pas soulevé la velle. Planté l'aiguille, fait gicler le sang. Prélevé ce qu'il lui fallait. 

Ttony étonnamment n'a pas réagi à la piqûre. Elle s'est même remise à manger. Je l'ai détachée avant qu'elle ne termine.

Petra a été toute aussi facile.

J'étais bien soulagée. Katrin s'est sommairement lavé les mains. Ses avant-bras sont trois fois plus ronds et deux fois plus longs que les miens. Une titane.

Après son départ, j'ai soigneusement lavé à l'eau tiède TtonytePetra du sang qui sourdait encore sous leur queue. Elles paraissaient très contentes de ce repas supplémentaire, et de ces soins de nettoiement très agréables.

Notre première séance vétérinaire s'était parfaitement bien déroulée.

Un petit suspense dans l'attente des résultats, et des cartes vertes ensuite.

Curieusement, je ne suis pas là inquiète, quand pour bien moins je le suis davantage.

TtonytaPetra le sont encore moins. Elles pâturent entre les châtaigniers, au soleil.

Je les appellerai tout à l'heure, et elles me viendront, toute guillerettes.

Elles croissent et embellissent à vue d'œil, au mien du moins, tout embué de grosse tendresse.









 

lundi 26 juillet 2021

17 au 26 juillet

 


Samedi 17 juillet 2021  8h


Le temps estival se souvient qu'il habite ce côté-ci de la planète.



Mes journées continuent de tourner autour de TtonytaPetra.

Cette nuit, je leur avais laissé la grande porte ouverte. Elles ont passé une grande partie de la journée d'hier dans l'étable, au frais, préservées des mouches harceleuses.

Elles s'y sentent bien, confortables, en sécurité. 

Sur le soir, elles étaient gentiment ressorties. Je les ai hélées depuis la rampe, mes gamelles sous le bras.

- Ttony ? Petra ? Zatozte onea !

(Venez par ici).

Lola était là, derrière moi. Les deux autres, en haut de l'escalier, couchés sur le palier. Nous revenions d'une longue promenade, avec une demoiselle hirondelle.

Tout ce petit monde est rentré dans l'étable. Et nous sommes restés là, à nous faire la conversation, dans la paix du soir.

J'ai repensé à notre discussion d'il y a quelques semaines, avec mes frères. A cette projection que je m'étais fait, pour mars 2022.

Cette même scène, celle-ci, précisément, parfaite, juste comme une note exacte.

Et je me suis sentie bien, au soir d'une journée réussie. Rien d'extraordinaire, en ce vendredi de mi-juillet. Une suite ordinaire de petites choses, dont la conjonction est pour moi idéale.

Un de ces moments rares, fichés dans notre mémoire, quand pourtant rien ne les distingue d'une suite de moments tout pareils. 

Je me suis dépêchée d'engranger ce trésor, dès ce 17 juillet. On ne sait jamais, Mars 2022 est loin encore, et il ne faut jamais remettre à plus tard ce dont on peut profiter le jour même...


18h

TtonytaPetra ont ensuite passé une partie de la nuit dehors. J'entrevoyais Ttony la claire depuis mon lit, quand la brune Petra se fondait dans l'obscurité.

Ce matin, quand je suis descendue distribuer les rations, elles étaient au bas de la rampe. 

Je me suis avancée, elles ont levé la tête, vite compris de quoi il en retournait. Elles m'ont doublée pour rejoindre leurs auges encore à garnir !

Puis, la journée pour elles s'est gentiment poursuivie :








Quelques étirements au soleil sur l'esplanade, descente au pré, muxus à la cousine.

Ensuite, pâture, retour dans l'étable, repâture en fin de matinée, sieste à l'intérieur, jusqu'à tout à l'heure, où elles sont ressorties.

Ce sera bientôt ce fameux moment où je m'avancerai sur la rampe, pour les héler, ma scène parfaite.

Une semaine seulement qu'elles sont au pré, même pas deux qu'elles sont à Agorreta.

J'ai l'impression que mes jours ont toujours été ceux-là.

Je retourne à la jardinerie mardi, avec la très satisfaisante impression du devoir accompli, de tous mes objectifs remplis.

Je sens la période à venir partie sur de bons rails, de vieux rails ternis, mais encore solides et droits. Il y a évidemment moins de route à venir que celle qui a été faite. Ca n'empêche. Si l'on compte en bons moments, la durée n'y fait rien !

D'ici et maintenant, j'y crois.


Vendredi 23 juillet 2021  17h10


Il bruine derrière mes carreaux. Ou ce qui en tient lieu, ce fameux matériau ni verre ni plastique, encastré dans la porte métallique, ici, pour donner le jour. Ma murette se colore. Les plantes dans les jardinières de la cour sont encore trop jeunes. Bientôt, elles affleureront au dessus de la barre transversale. Cet hiver,  j'en profiterai d'ici.

Quelques journées chaudes ont fait bondir la végétation. Les panicules fleuries des maïs s'ébouriffent entre les dernières feuilles. Les regains seront riches, cette année, pour compenser les foins plus maigres. 

Les saisons capricieuses perturbent les calendriers, mais la nature s'en arrange.

Je reviens d'une promenade avec Lucie. Nous sommes rentrées, poussées par la pluie légère d'été. Qui mouille, malgré ce que dit la chanson.

J'écris ici, juste au dessus de l'étable.

Les chiens se sont couchés sur les paillassons. Ils se trouvent bien dans notre nouveau logement. Finies les allées et venues d'artisans affairés !  ils ont enfin retrouvé le calme, les longues siestes au soleil, quand il y est, sur le gazon artificiel, les coins frais, au haut de l'escalier ou sur le pas de la porte-fenêtre, leurs fauteuils favoris, l'étable où farfouiller dans la fougère odorante. 

Les perturbations printanières sont derrière. Avec la patronne, ils ont reconstitué leur petit monde parfait.

Le couple d'hirondelles niché dans la tuyauterie de l'étable a entamé sa deuxième couvée. Une autre paire est venue flairer les parages, issue d'à côté, mais n'est pas restée. Pour cette année transitoire, ça n'est pas trop mal : il y a eu trois nichées dans la vieille étable, et une ici. Pour les secondes couvaisons, celle d'ici se déroule dans les meilleurs conditions. Pour les autres, je ne les suis plus trop. Je ne peux pas être partout !

J'ai quand même repéré dans le garage d'Antton trois nids, dont un habité d'une petite tête ronde et d'une queue bifide. Mes hirondelles dérangées ont trouvé à faire, juste à côté. Dans le soir,  les vols cinglent bas, rasant la cour ou le pré. Celles-ci aussi se sont arrangées autrement.

L'essentiel pour moi est qu'elles soient restées par là. Mes superstitions m'auraient turlupinée, sinon.

Les hirondelles de ce printemps d'Agorreta auront certes connu une période difficile. Bruits, contrariétés, délogements successifs, graves disfonctionnements dans les parcours et les cycles journaliers. La génération 2021 pâtira de probables dérèglements psychologiques profonds. Sans compter les troubles fonctionnels inévitables induits par les fortes expositions aux vacarmes et fracas, aux trépidations, et autres dérangements inhérents au chantier. Les oisillons souffriront certainement de déficits auditifs et de pertes d'équilibre subséquentes. Ce seront de futurs petits Ménière ailés. Que donne un vertige en vol ? Une saccade dans la trajectoire, une chute libre ?

Les miens de la nouvelle étable seront sains, sereins, indemnes. Ceux autour, enfants de l'exil, transcenderont sur les générations à venir un traumatisme diffus. 

De tous ceux-là repartiront les futurs. 

Combien de générations couvées et élevées en paix faudra-t-il pour rattraper les dégâts de ce cahot d'un seul printemps de désordres ? 

Nul ne le sait. Chacun espère seulement en une résilience obstinée et salutaire, entre oubli, pardon, et illusions naïves.

La paix d'après les troubles est plus profonde sûrement que celle d'après la paix, trop plate. Qui ne serait même plus une paix, juste un état, paisible, sans plus.

Allez, je repars en campagne sans chapeau. Retour ici :

TtonytePetra sont en ce moment au pré.

Pour leur troisième semaine, elles se calent dans le rythme jour et nuit en liberté dedans dehors.

Elles choisissent la station jour dans l'étable, avec une petite sortie en fin d'après-midi. Elles  reviennent en début de soirée pour les gamelles, et ressortent ensuite, pour ne rentrer qu'au petit matin, quand j'allume la lumière pour regarnir les auges. Elles aiment leur étable. Et j'aime les y voir.

J'en suis à l'apprentissage de l'attache, occasionnelle. Pour les besoins vétérinaires, essentiellement, je dois pouvoir les contenir à la chaîne. Les encorder aussi, si nécessaire. Il faut donc qu'elles expérimentent cette contention.  

J'avais prévu cette étape pour la semaine prochaine ou la suivante. A J+30, plus ou moins.

Elles sont si studieuses et si fluides dans leur intégration, que j'enchaîne les enseignements au fur et à mesure de leurs assimilations.

Quand, têtes plongées dans l'auge, elles se concentrent sur leur nourriture, je leur noue maintenant les brins d'acier autour du cou. J'avais commencé, depuis quelques jours, par leur faire rouler les maillons sur le poitrail, sans insister. Quand elles cherchent les derniers granulés dans les coins, elles poussent les chaînes posées dans l'auge, sans s'inquiéter des cliquetis métalliques. La sensation et le poids de la chaîne autour de leur cou ne les gêne pas. 

Je dénoue les liens avant qu'elles aient terminé leurs rations. Elles n'ont pas encore compris l'entrave. Il faudrait quelques séances supplémentaires, plus longues, pour qu'elles acceptent d'être enchaînées, sans tirer pour tenter de se libérer. Puisque je n'ai pas l'intention de les garder attachées, je me demande si je ne vais pas me contenter de prévoir les visites vétérinaires épisodiques, toujours désagréables de toute façon, avec une contention minimalement limitée à son intervention.

Je ne suis pas encore figée sur mon schémas d'élevage. Je prépare, je tâtonne. L'idéal, serait que les velles connaissent et acceptent toutes les configurations. Je sais souvent pêcher par impatience. Je tâche de me modérer.

Pour cette semaine, je m'en tiendrai là. Passage de la chaîne autour du cou, en séquences brèves, et sans sensation d'entrave. Reconnaissance de la corde, avec jeux tactiles, sans serrer les nœuds.

Petra reste plus docile que Ttony. J'initie toujours chaque nouvel exercice avec elle. Quand le mouvement est compris et exécuté fluidement par la première, la seconde, spectatrice attentive mais renfrognée, demande plus de temps et de patience, pour un résultat moins établi. Elle se prête quand-même au jeu, sans trop renâcler, maintenant. Elle a bien compris que je suis celle qui distribue ces jolies gamelles dont elle est si friande. Que pour arriver à satisfaire sa grosse gourmandise, il faut en passer par moi. Je suis pour elle encore une "à défaut de". Chaque jour pourtant me la fait moins méfiante. Elle arrive même à goûter la volupté d'une caresse bien appuyée. Quand je lui masse énergiquement le poitrail, elle étire le cou, en une posture de contentement sans équivoque.

Ttony vient à moi par Petra, d'abord, par la gamelle, ensuite, et d'elle-même, dans ses moments de complet relâchement. Je la trouve toujours moins attachante que Petra. Plus blonde, par le fait !

Sa silhouette plus ronde, son poil plus souple, sa bonne tête aux yeux francs et décidés, quand Petra paraîtrait presque tristounette, avec son regard de chien battu et son pelage de rat, la rendent plus séduisante que sa sœur, aux yeux de la plupart de nos visiteurs. En compensation de ma préférence personnelle. Ainsi, les affects posés sur elles s'équilibrent heureusement.

TtonytaPetra sont une entité à deux têtes. Comme je suis une éleveuse aux multiples facettes. Nous devrions pouvoir nous entendre.







Les deux petites se montrent globalement bonnes élèves. Elles apprennent vite, et s'y amusent. Presque autant que moi.


Dimanche 25 juillet 2021  19h30


Bullou jappe au milieu de la cour, en bas. Je la tance vertement : elle n'a pas encore assimilé les nouvelles limites de propriétés, la petite !

Nous avons dans l'après-midi avec Olivier cheminé dans le sous-bois de la montagne. Les plans superposés des fougères opulentes, des noisetiers allongés, des repousses de châtaigniers, graciles et ondoyantes, nous ont fait sensuelle escorte en caresses. Au dessus, tout en haut des fûts pâles, les houppiers épaissis absorbaient la clarté grise d'une journée de brume. Le soleil a percé tard, mouchetant la voûte de verdure d'une lumière mouvante.
Nous nous sommes amusés de la magie d'une feuille morte suspendue au milieu du chemin, maintenue en l'air par des fils invisibles d'une toile aérienne. Pour passer, nous l'avons délicatement écartée, mimant une poignée au dessus d'elle. Nous n'avons pas senti le fil dans notre paume, juste regardé le mouvement de la feuille qui suivait nos mains, sans qu'on la touche.
Nous avons refermé derrière nous, délicatement. La feuille a repris sa place, exactement, dans la même tâche de soleil, frémissant doucement, sans tomber, ni s'envoler plus loin. 
Nous avons repris le sentier étroit bordé de branches ployées, laissant derrière nous cette clairière magique.

Revenus à la ferme, j'ai passé un long moment avec TtonytaPetra.
Nous en sommes à J+19.
Elles se sont incroyablement vite et bien adaptées à leur nouvel habitat.
Les rythmes sont parfaitement intégrés. Le changement de nourriture ne pointe plus de désordres digestifs. Une très bonne chose, ça, pour la logistique de l'éleveur : un transit sain, sec, surtout !
La semaine dernière, Petra a fait un petit écart, qui nous a coûté deux jours d'une vilaine diarrhée très malodorante. 
Au soir, les deux miennes longent la clôture, pour faire un brin de conduite aux cousines en transhumance vers leur station de nuit, dans la combe au bas du champ, en cette saison pas trop chaude. Les jours de canicule, le troupeau se couche au haut, cherchant la fraîcheur. Cette année, nous n'y sommes pas !
Petra la coquine a flairé sur l'une des vaches allaitantes l'odeur du bon lait. 
J'imagine qu'elle tétait encore avec profit sa mère, une Brune des Alpes sans doute meilleure laitière que celle de Tony, déjà aride. Elle devait en garder une nostalgie vivace. Passant sa fine tête au travers des rangs de barbelés pourtant serrés, elle s'est allongée, tant et si bien qu'elle a fini par happer une mamelle. Et la sucer. Jusqu'à y faire venir assez de lait pour la chavirer.
La grande, bravasse mais surprise d'être ainsi accostée, s'est reculée, humant quand-même avec tendresse cette toute petite impertinente. Ma Petra a eu un relent de détresse, meuglant après sa mère disparue de son horizon. Celle-ci lui ferait-elle substitution ?
Je voyais venir les ennuis. La grande voisine se faisant vider le lait par ma Petra, et rentrant à son étable auprès de son propre petit le pis sec. Désordres et perturbations à tous les étages.
J'ai hélé ma mienne, je l'ai cajolé longuement, en manière de consolation. Je lui ai expliqué qu'elle était maintenant une grande fille, que le lait, c'était pour les bébés, que je comprenais sa tentation, mais que le mieux était de ne plus y penser.
La grande, éberluée, étourdie par tous ces discours abscons auxquels elle ne comprenait goutte,  a hoché la tête, et s'est éloignée.
Petra dépitée m'a écoutée, à moitié, et s'est détournée, tête basse, vers l'herbe à brouter.
Sa petite incartade alimentaire l'a émotivement chamboulée. Et gastriquement, très fortement dérangée.
A ce soir, tout est rentré dans l'ordre.
Alléluia !


Lundi 26 juillet 2021  15h20


Mon nouvel agencement ouvrier me rend ces lundis surnuméraires payés en tribut toute l'année passée. Je les savoure comme des gourmandises retrouvées alors qu'on les croyait perdues.

En parlant de perdu, je suis très contrariée de ne pas remettre la main sur une paire de mules dont je fis l'acquisition l'année dernière, dans le rayon bazar de  mon supermarché Lidl.
Une paire de mules tout à fait ordinaires, au premier abord. Une semelle de liège, assez épaisse, rehaussée sous le talon, en une assise parfaite à mon pied concave. Ni trop haute ni pas assez, à la bonne altitude, exactement. De quoi faire juste cambrer la chute de reins, sans tirer sur le mollet. Une rareté, si l'on y pense, de trouver ainsi si bonne chaussure à son pied particulier.

Pour l'attache, ces mules reçoivent le pied en une lie large et souple, ouverte en deux bandes. Le cou de pied est maintenu, suffisamment enveloppé, mais pas trop. La toile, sans doute un synthétique vulgaire et sans qualité, s'ajuste parfaitement, ne blesse pas, n'irrite pas, ni ne pince la peau, comme il arrive souvent avec ce genre de chaussants. Une merveille de confort.

J'avais fait l'achat de deux paires de ces chaussures, à cinq euros chacune, estimant là un budget raisonnable pour mon vestiaire de l'année. Ce fut cet argument tarifaire qui emporta à l'abord ma décision. Seulement ensuite, à l'usage, me vint cette grande satisfaction d'avoir, un peu sous une impulsion presque coupable, dépensé si peu pour un confort si grand.

Ce printemps, l'une de ces paires de mules resta à Rivière.
L'autre était d'après moi ici, dans un des cartons du déménagement. Je la revois très bien, acoquinée avec une autre paire de knepettes en caoutchouc bleu, dont je me servais l'été dernier pour faire mon arrosage à la jardinerie.

Je suis maintenant complètement installée. J'ai déballé et rangé toutes mes affaires. 
Une de ces dernières semaines, je me suis mise en quête des mes knepettes, pour les ramener à la jardinerie, puisque la saison chaude demande de longues séquences d'arrosage. 
J'aime à me rincer les pieds, tout en abreuvant les plantes. Je maintiens ainsi une fraîcheur corporelle adéquate à la bonne marche de mes circuits internes. J'ai sur place une paire de sabots prévus à cet effet. Mais, comme tous les sabots, ils sont fermés en leur bout. L'eau envoyée là dedans s'y stocke et clapote, en  gargouillis disgracieux et dérangeants pour une clientèle qui tord vite le nez au moindre bruit suspect. La plupart cherche où se nichent cette armée de grenouilles croassantes.  Au mieux...
Mon bien-être se trouve diminué de cette curiosité engendrée par une nuisance acoustique dont je suis la première dérangée. C'est la raison d'être de mes knepettes ouvertes, en caoutchouc, propres à laisser passer un courant d'eau vive sans en retenir une goutte. Je peux, elles aux pieds, arroser, barbotter, me propulser et travailler, sans gêner personne ni moi-même.

Dernièrement, donc, mes sus-citées knepettes hivernées en visée, je suis descendue à la porcherie-remise. Le carton à chaussures d'été était bien là, aligné sur l'étagère, impeccable, avec son inscription sur le côté. Je l'ai tiré sans difficulté, ouvert. Visité. Sans y trouver mes knepettes, ni mes mules, que je savais associées. J'ai vidé le carton sur la table. Rien ! Quelques espadrilles, deux autres paires de mules sans attrait. Toujours pas de knepettes, et pas non plus mes mules favorites. Ca alors....

Je me targue d'être quelqu'un d'ordonné. Je ne conserve que très peu d'affaires. Ma garde-robe est des plus limitées. Les rangements dans mon nouvel habitat sont vite inventoriés. J'ai par acquit de conscience fait le tour des deux seuls placards possibles où j'aurais pu fourrager mes mules et les knepettes associées, par distraction.  
Même si ça m'étonne de moi, je peux admettre avoir fait une erreur d'aiguillage, dans le déploiement touffu, d'un déménagement même modeste. Rien !
Je me souviens avoir, à l'occasion de ma réinstallation, trié encore dans mes vêtements. En avoir jeté quelques uns, retenus lors d'une première sélection moins drastique. Jamais, par ma seule volonté éclairée, je n'aurais jeté mes mules et mes knepettes d'arrosage ! Jamais, au grand jamais !! 
Non, il a fallu qu'un malin mauvais génie s'y mette : une main obscure a guidé mes gestes, enfournant mes mules et mes knepettes dans une poche quelconque destinée à être débarrassée.
Quel dommage, et quel gâchis ! De si bonnes pièces presque maîtresses, et qui auraient pu durer encore des années à mes pieds...

J'en suis toute désolée. J'ai fait rapatrier mes mules riviéroises par Olivier. Avivant d'autant, par leur port si confortable, la morsure de la peine d'avoir perdu les mêmes.
J'ai ce matin même acheté d'autre knepettes d'arrosage. Gageons qu'elles fassent l'affaire. Pour les mules, j'ai parcouru les étagères, longé les rayons, sans trouver jamais les pareilles aux miennes.
Cette perte restera donc irréparable.
Allez ! En contrepartie, en cherchant mes disparues, j'ai remis à jour, ce gilet-serpillère que je croyais pour le coup avoir jeté. Par ces journées étonnamment fraîches, il me fait bon usage. 
Et honnête consolation.

Je n'étais pas du tout cette après-midi partie pour parler chaussures.
J'étais plutôt occupée de l'enclos encore élargi de TtonytaPetra.
Elles broutent l'herbe rondement. Leur petit pacage est déjà tondu. Nous avons hier matin avec Olivier ouvert le passage vers les châtaigniers. Ce fameux passage où nous les avions tant coursées, le samedi de leur libération vers le pré. Les velles sont petites et tranquilles. Je ne pense pas qu'elles abîment mes arbres bien gainés. Elles pourront ainsi pâturer plus largement, cette bande et le bas du champ. Ca leur donnera de la bonne herbe à manger, et nous épargnera d'avoir à la broyer sans profit.

J'imaginais que TtonytaPetra seraient toutes contentes de voir leur horizon ainsi élargi. Les portails enlevés, je les ai appelées. Elles sont venues à moi, au petit trop, guillerettes. Et se sont arrêtées, net, à l'endroit où les piquets marquaient encore leur ancienne limite. Impossible de leur faire passer cette barrière maintenant imaginaire.

- Quoi ?! m'a dit Petra, courroucée, tu nous a tant grondés la dernière fois pour être allées là, et tu veux maintenant nous y pousser ? Non, mais dis-donc, tu ne tournes pas rond ?!

Ttony allongeait le naseau, vivement intéressée par l'herbe fraîche à portée, tendant le cou, mais sans avancer.

Je n'ai pas insisté.
Toute la soirée, elles ont pacagé l'herbe rase qu'elles avaient déjà broutée.
Ce matin, quand-même, depuis mon lit, je les ai vues, au jour levé, les quatre sabots bien plantés dans l'herbe haute du corridor.
A mon appel, un peu plus tard, elles sont arrivées, les panses rebondies et la prunelle toute éclairée.
TtonytaPetra ont de quoi largement pâturer. Elles sont en pleine croissance. Il leur faut de la bonne nourriture, et de bons soins.
Je veille.

Mon temps d'écriture est achevé.
Je retourne maintenant curer l'étable d'où mes petites sont tout juste sorties.
Aller après prendre ce soleil chaud.
Savourer cette journée détournée et délicieuse d'autant.


jeudi 15 juillet 2021

11 au 15 juillet

 

Dimanche 11 juillet 2021  8 à 19 h


TtonytaPetra sont au pré.




Une première séance pâture,






une pause, têtes levées vers le levant, à humer les chèvres et les chevaux tout proches,







un brin de conversation détendue avec la génisse voisine,







et on revient aux choses sérieuses !






Au soir d'une journée aussi divertie, on rentre et on se couche aussitôt, un peu fatiguées.


Mardi 13 juillet 2021  16h30


J+7

Les choses se passent tout à fait bien.

La sortie programmée pour la fin de semaine m'inquiétait un tantinet.

Les velles sont petites, lestes. Elles débarquent, ne connaissent pas les parages.

Néanmoins, cette première semaine d'intégration intensive me paraissant de bonne augure, j'ai maintenu mon calendrier. J'ai deux semaines de congés, pas douze. Je dois séquencer au plus près.

En les observant, tout le long de cette première semaine, j'ai remonté le fil de leur période juvénile.

Ces petites là ont été élevées en stabulation libre, avec un parcours extérieur. Elles étaient avec les mères, en troupeau. L'installation était moderne, avec des nourrisseurs accrochés aux barrières : TtonytaPetra connaissent le galvanisé, le considèrent ami, et y cherchent leur pitance, en passant la tête entre les barres.

TtonytaPetra connaissent aussi la cote Bugatti. Quand j'enfile ma Vitodo bleue, (une amélioration de la Bugatti de départ), elles s'intéressent vivement. Leur éleveur originel la revêtait aussi, classiquement, quand il venait nourrir ses bêtes.

Ces petites têtouillaient encore, à temps perdu, les pis sans doute vite secs de leurs mères pas trop laitières. Elles se cherchent les mamelles, et ont encore le réflexe de succion.

Elles ignoraient les compléments en granulés. Mais cherchaient dans les gamelles, un fond de farine de maïs, sans doute.

Elles étaient élevées ensemble, nées à trois jours d'intervalle. Très bonnes copines. A la vie à la mort.

Elles n'étaient pas manipulées, pas maltraitées non plus, par leur éleveur. L'humain ne les intéresse pas plus que ça, en dehors de sa mission nourricière, mais ne leur fait pas trop peur non plus.

Elles craignent quand-même le bâton : je l'ai remarqué, à l'occasion de la première sortie, samedi. Elles ont du en tâter, les petites turbulentes.

Petra a été écornée, semblerait. Par un maladroit, qui lui a brûlé deux pastilles de cuir, derrière la tête et près de la queue. Tony parait avoir ses appendices d'origine.  Ou alors, son écornage s'est mieux déroulé.  Ses moignons de corne sont arrondis, gris, quand ceux de Petra sont atrophiés, et blanchis. N'ayant moi-même jamais pratiqué cette technique, je tâtonne dans mes conclusions, je suppute. 

Esthétiquement, je préfère la vache à cornes, naturelle. Pour autant, dans ma trajectoire de redescente en paliers, ce serait aussi bien que TtonytaPetra soient écornées : même sans le vouloir, une vache peut joliment vous emboutir, d'un mouvement de tête distrait. L'autre hypothèse, Petra écornée, et Ttony cornue, n'arrangerait pas mes affaires. Petra est la plus douce, et Ttony la plus bourrue. Ce serait laisser à la plus dangereuse les armes enlevées à la plus gentille. Mauvais calcul... Nous verrons bien ! Après tout, les deux peuvent aussi être "entières".

Je dissocie maintenant bien mes deux velles. 

Au passage, ce mot, "velle", que j'orthographie parfois "vêle" (il n'y a pourtant pas d'affaire de "s" élidé, là dedans, mais bon, passons), n'est pas usité, dans le langage courant. On connait bien veau. Son féminin est bien velle, comme agneau, agnelle. 

J'aime bien cette consonnance femelle, plus légère, généreuse, chantante, que le trop bref et massif "veau". Et alors : veau femelle, merci, quelle lourdeur ! Non, non, non, je tiens à "velle".

Pour en revenir à mes moutons-velles,  j'ai pu au fil des jours peaufiner mon étude de caractères.



Petra est bien Petra. Mais elle aurait d'Anthony une certaine réserve, un petit retrait, face aux évènements de la vie courante. Curieuse, fine, câline, elle vient à moi plus facilement que sa sœur.  

Oui, à l'examen clinique, je les déclare maintenant sœurs, pas tout à fait de sang, mais complètement, de cœur. 

Petra la brune est une cérébrale, une intellectuelle. Elle réfléchit aux choses, les examine soigneusement. Son environnement l'intéresse dans sa globalité. Elle ne se cantonne pas à ses basiques, et va au delà, prospectant plus large. Elle a confiance en la vie, et ne nourrit pas d'à priori négatifs. Sûre de son jugement, elle avance, posant ses pas délicatement, mais posément. Elle ne cherche pas à en imposer, suffisamment sûre d'elle, pour n'être ni craintive, ni agressive. Un caractère optimal.

Petra est ma petite préférée. Nous avons immédiatement bien accroché, dès la rencontre. Ca été l'étincelle des grandes histoires d'amour. Je l'ai trouvée jolie, avec sa robe prune, son ventre blanc, sa petite tête fine, sa conformation élégante. J'ai aimé dès l'abord sa douceur. Elle s'est laissée apprivoiser en 48h, appréciant mes caresses. 

Là, au bout d'une semaine à peine, je peux l'approcher, la toucher, la frictionner, de l'échine et jusqu'au mufle. Elle se tend langoureusement sous la main. Même sans l'appât d'une gourmandise. Bientôt, elle me viendra chercher  caresses, en toute confiance, sans contrainte, ni intérêt, pour son seul plaisir, et le mien, immense.

Mes petites velles sont libres, au champ, mais aussi dans l'étable. Je ne les enchaîne pas. Je n'avais pas pris jusque là la mesure de la barbarie à maintenir une bête attachée à son auge. J'avais toujours vu faire ainsi. Mes vaches attachées semblaient d'ailleurs contentes de leur sort, et ne paraissaient pas réclamer autre chose. 

C'est un anthropomorphisme, de transposer à l'animal nos considérations humaines. Nous ne supporterions pas cette astreinte. Encore que. Si nous n'avions pas connu plus grande liberté que celle octroyée par une petite longueur de chaîne, peut-être nous trouverions-nous fort bien de l'entrave. Notre bien-être se calerait dans ce domaine où le possible admet ses limites. L'impression, l'illusion, surtout, de jouir de liberté, se suffit de la compréhension de cette liberté. Si on n'en a jamais eu davantage, on peut très bien se suffire de ce que l'on a. Quand on est un animal sensé. Ou un humain raisonnablement borné.

Humain sophistiqué, on serait d'une autre essence spirituelle. Notre existence, telle quelle, n'assouvirait pas nos phantasmes. On rêverait d'autre chose, d'ailleurs, on imaginerait une autre vie, meilleure, un autre monde. Celui-ci, acquis, nous semblerait terne et inintéressant. Et c'est là que commencent les ennuis...  

Je sens que je m'éloigne un peu de mon sujet, là. Revenons à l'ici et maintenant. 

TtonytaPetra ont été élevées libres de leurs mouvements, dans un périmètre assez large. Si je leur impose maintenant une contention plus étroite, elles vont s'y faire. Elles sont toute jeunettes, encore, et leur adaptabilité les calquera au moule qu'on leur tend. 

Pour autant, je n'ai plus envie de ne voir de mes bêtes que leurs culs, aussi jolis soient-ils. Je veux dans mon étable converser avec des têtes expressives, croiser des regards francs, regarder mes génisses déambulant, décontractées, et non pas coincées dans un arc de cercle à la tangente abrégée.

Evidemment, la maintenance en est modifiée. Si mes vaches vont et viennent dans l'ensemble de l'étable, elles souilleront plus largement. Encore que, toujours. Je pense que ces bêtes, comme la plupart des bêtes, sont capables de se discipliner, et de scinder leur espace de vie en secteurs dédiés à chacune de leurs fonctions vitales, si elles en ont la place.

Déjà, TtonytaPetra se couchent aux mêmes endroits. Près de la murette, la nuit, contre la balle de fougère, dans leurs stations de jour ici, au pied du frêne, dehors. Pour leurs petits et gros besoins, je repère aussi leurs petits coins. Au final, la logistique de nettoyage s'en trouve allégée. Mes histoires de maintenance bétaillère étaient aussi une idée fausse. Encore une.

Bien-sûr, dans une stabulation libre où tout le monde se piétine presque, impossible de faire respecter une telle organisation. Tout le monde patauge la même litière, se couche là dedans, et reste là, planté dans la merde noire jusqu'aux flancs. Quelle horreur !

Dieu merci, la nouvelle étable d'Agorreta est toute aussi atypique que l'ancienne. Quelques concessions au modernisme n'en ont pas défloré l'âme. Deux bêtes, et deux seulement, dans un espace où on en mettrait une petite dizaine, en élevage conventionnel. Dans cette densité de population, et avec un suivi plurijournalier, les velles chatoient de leur plus beau pelage immaculé.

A ce propos, le nombre de têtes dans un troupeau est un indice de richesse. Dès qu'on déclare avoir des bêtes, la question pas subsidiaire est : combien ? Quand il voit un troupeau de bétail dans un champ, l'éleveur, même amateur, par réflexe, essaie de les dénombrer.

Moi, avec mes deux velles, je fais évidemment piètre figure. Mon atavisme paysan se recroqueville dans cette paire ridicule. Pour compenser, à la question posée, je lève l'index et le majeur, en signe de victoire. Mes paliers indispensables ne feraient pas bon ménage avec un reste d'orgueil mal placé. Celui-ci, je l'ai enchaîné au plus court, maintenant, et muselé serré. C'était le mieux à faire.

Je reviens après ce détour logistique, à mon étude de caractères.

Au vu de toutes les fines observations sus-citées, Petra est une Katto Pelato miniature, pour le physique, mitigée d'une Graziosita pour le tempérament. Elle combine la sérénité de la première, avec la malice et la finesse de la seconde. La crème de la crème, en vache.




Ces deux-là sont maintenant rendues à leur statut originel : elles fabriquent de la viande.

Leur crochet par Agorreta leur aura fait des vacances. Y pensent-elles encore ? Je ne le crois pas. Rassasiée, laissée à elle-même, la vache redevient bovine. Et c'est le mieux qu'elle ait à faire, pour vivre au mieux son destin bovin. 

La bête contentée en sa panse se souviendrait peu, ne nourrirait pas de regrets inutiles, comme elle n'imaginerait pas une autre existence que la sienne, à partir du moment où ses essentiels sont assurés. 

Dans le cadre de nos connaissances de la psychologie animale, bien incomplètes, je gagerais...

Moi, je pense encore à elles, avec une pointe de remord, de les avoir abandonnées à leur sort commun.

Mais bon, c'est maintenant au tour des TtonytaPetra d'être privilégiées. Ca compense. Important, la compensation, toujours !

Alors... je m'absous, assez facilement. C'est tellement plus commode !





Anthony, devenue Ttony, est moins attachante, d'après moi. 

C'est une plus jolie bête, aux yeux connaisseurs : massive,  lourde de bonne viande. Elle est bien proportionnée, en volumes musculeux. Sa tête est courte, son regard franc. Sa robe blonde me l'a disqualifiée au premier coup d'œil. C'est bien injuste, pourtant : son ton miel clair est bien celui de la Montbéliarde, le panaché blanc en moins. Elle a le mufle et les sabots noirs de son père limousin. Elle en sera moins fragile, la corne blonde des montbéliardes étant plus vulnérable.

De caractère, c'est la présence de l'exceptionnelle Petra qui la dessert.

Si je n'avais pas cette toise hors normes, je trouverais sûrement Ttony très agréable. Elle est plus méfiante que sa sœur, évidemment, puisque celle-ci est incroyablement avenante. Je la soupçonne quand-même d'être aussi plus rustaude, moins réfléchie. Elle reste placide, sans brutalité. Pour esquiver ma main posée sur son dos, elle s'écarte, gentiment, sans brusquerie. Si je veux être juste, je dois lui reconnaître un caractère tout à fait accommodant, très honorable, pour une si jeune bête tout récemment arrivée. 

Je ne dois pas me laisser aveugler par mon admiration pour Petra. L'éleveur doit rester équitable, et remiser ses préférences inévitables derrière les exigences loyales de la conduite raisonnée d'un troupeau, même de deux têtes. Particulièrement de deux seules têtes, configuration propice à la flambée de jalousies dévastatrices.

Ttony agit par instincts basiques, pour se nourrir, retrouver son troupeau. C'est elle qui meuglait le plus fort  son désarroi depuis l'étable fermée, sentant au dehors les blondes voisines. 

C'est elle encore qui a sauté au travers des rubans électrifiés, pour se rapprocher du troupeau de l'autre côté de la clôture. Elle est meneuse dans les prises de risques : elle ne réfléchit pas, elle fonce. 

Comme disait Michel Audiard (je crois) : "Un imbécile qui marche ira toujours plus loin qu'un intellectuel assis". Petra dissèque le problème, flairant scientifiquement le ruban.  Ttony bondit au travers, sans perdre de temps à se poser des questions... et passe outre, de fait, quand l'autre toute seule serait restée derrière !

Je reviendrai plus tard sur cette journée de samedi.

Où Ttony fit des siennes...

Par analogie, Ttony me rappelle Buru-haundi. et Neska Motz.  Chez Buru-Haundi, le gène de Bleu étouffait sous une couche hermétique toute étincelle de malice. Neska Motz était beaucoup plus maline, plus mitigée dans son sang. 




Ttony n'est pas bête non plus, loin de là. Elle est juste plus instinctive que sensitive. Ca n'est pas pareil. On subit ses instincts, quand on perçoit ses sens. Les instincts nous dominent, quand les sens nous guident, bien ou mal, d'ailleurs.

Bref.

Pour la couleur de robe, on est évidemment bien loin du compte, entre ma miel clair, et ces deux ténébreuses ailes de corbeau.

Là, je remonte à Kattalin, et j'approche au plus près : génétique semblable, avec ce Montbéliard bien remonté, ce caractère parfois imprévisible, mélange de timoré et d'audace brutale.



Plus loin encore, on aurait la Louloutte, mère d'Illargi, Ederra, et sa fille Gaberdi, pour la pointe de sang limousin.
TtonytaPetra sont deux petites bêtes mignonnes. Pour les experts, elles ne valent rien : pas de race, pas de coupe. 
Mes quatre Neskaks précédentes en avaient, elles, de la "coupe". Leurs cuisses rebondies parlaient métier. Elles étaient les résultats de croisements recherchés pour produire le plus de viande possible. 
Mon père était très fier de sa dernière cuvée. Marcel lui a fait ce plaisir.

Moi, mes vaches ne sont pas là pour la galerie. Elles sont là pour mon plaisir.
Dans mon répertoire, celles qui remontent le plus, ne sont sûrement pas les plus "belles".
Quand j'ai demandé à Marcel de me trouver deux nouvelles bêtes, je pensais à mes Ttipinoak, Ttikiti et Stul, ces deux jumelles que j'avais là aussi associées sous le même nom. Elles sortaient d'un cirque. Petites, chétives, mal nourries, elles faisaient peine à voir. Je les ai soignées, et elles ont embelli, à mes yeux.
Je pensais encore à Bigoudi, elle aussi issue du même cirque, à Bidart. Elle aussi, bonne compagne de plus de dix ans.
TtonytaPetra ont failli être deux ânesses venues de Zugarramurdi. Elles ont viré velles.
De noire et blanche, elles ont muté brune et beige.
Mon attente s'est habillé de plusieurs robes, sur plusieurs bêtes.
Il s'incarne maintenant dans ces deux là, et j'y mets mon plus bel espoir de moments de sérénité et de plénitude, tout simples, tout sains.

Comme j'en ai tant eu, déjà, tout bêtement assise dans l'étable, à contempler mes bêtes tranquilles.

Mes vaches tracent au fil du temps une lignée en pointillés. J'y retrouve cette même trame où j'ai l'impression que ma vie se faufile.

Une idée de perpétuation, de recommencements, d'éternité, quoi ! (rien que ça !)

Une idée qui me va, qui me plaît, infiniment, définitivement.


Jeudi 15 juillet 2021  10h


J'ai terminé mon tour logistique dans les parages. Les espaces étrécis me permettent un suivi de qualité, dans un temps plus court. C'est une bonne chose, tout à fait appréciable.

Ce mois de Juillet est remarquablement frais, et pluvieux. La nature regorge d'eau, mais manque de chaleur. Les maïs traditionnellement en fleurs au 14 juillet ne décollent pas. Les malheureux estivants rêvent d'une journée de plage où faire le plein de soleil, et grelottent sous les anoraks.

Ici, mon programme vacances tourne autour des derniers aménagements, et de mes velles. Autant dire que chaud, froid,  soleil, pluie, peu me chaut !

Pour mes derniers jours de congés, et puisque j'ai atteint avant la date mes objectifs, j'apprécierais le retour du beau temps annoncé. Ma cour aménagé en coquet jardinet m'invite à de longues séances de lecture, au soleil, en levant de temps en temps les yeux sur le beau paysage, une tasse de tisane parfumée à la main.

(Si feu ma mère entendait l'énoncé de ce programme de grande fainéante, elle se retournerait dans sa tombe... Paix à son âme, et paix dans la mienne.)

Un dernier coup de peinture dans le grenier parachèvera mon installation ici. Olivier se propose, je laisse faire, bien contente de ne pas avoir à me hisser au dessus de l'escalier.

Je me concentre sur les velles.

Je suis totalement satisfaite de ces petites. A l'heure où j'écris ces lignes, elles ont parfaitement intégré les cadences voulues.

Je les nourris vers les 7 H. J'ouvre la porte métallique, et je rafraîchis les litières. Sans se précipiter, quand elles ont terminé de racler les derniers granulés dans l'auge,  elles sortent, royales, humant l'air du matin.

Elles pâturent. Quand elles sont rassasiées d'herbe, elles se couchent au pied du frêne. En mitan de journée, il leur est agréable de faire une sieste à l'intérieur. Elles ressortent ensuite, repâturent, et se reposent de nouveau sous le frêne. 

Sur le coup des 19H, je les hèle, mes gamelles à la main. Elles ne se le font pas dire deux fois, et rappliquent, fissa fissa. Je referme alors la grande porte. Je les regarde manger, voluptueusement, craquant leur ration, les yeux fermés sur une gourmandise assouvie. 

C'est ensuite pour moi le meilleur moment de la journée : je les caresse, les cajole,  les brosse, les frictionne, les bouchonne, longuement, en psalmodiant de douces litanies incantatoires. Elles reconnaissent maintenant ma voix, mon odeur, mes gestes. Petra se laisse aller complètement, quand Ttony contient encore son relâchement. De moins en moins chaque jour. Elle voit sa sœur si bien satisfaite, et, partagée entre l'envie et la peur, hésite encore. Mais approche.

En journée, les vaches voisines du Cousinou ne s'intéressent pas trop à elles. Ttony les bâde pourtant, passant la tête entre les fils barbelés. Deux génisses s'approchent, puis s'éloignent : les miennes sont trop petites, pour susciter un quelconque intérêt, chez ces adolescentes. Comme dans ces cours d'école, où les petits de primaire essaient d'attirer l'attention de ceux du collège, sans y arriver.




Ttony  s'accroche, appelle Petra à la rescousse. 

Petra fomente une petite jalousie :"reste avec moi, qu'ont-elles donc que je n'ai pas ?!". 

Un mini drame cornélien se joue. 

Et se conclut par l'éloignement des grandes, dédaigneuses et indifférentes.






Ttony lâche l'affaire,  et revient à Petra, qui, bonne fille, ne lui en veut pas.






Ces deux-là me rappellent une autre paire : Galzerdi devenue Beltza, fille de Bigoudi, et Rubita, fille de Pollita, en leurs jeunes années :





C'était l'été 2015, au début de juillet. 

Six années on passé. Le vieux pommier a chu. Et l'histoire continue...


11h00


Je reviens à ce samedi 10 juillet 2021 : le jour ou tout a failli basculer !

Au passage (un de ces passages où l'on s'avance assez loin pour oublier d'où on partait, si on n'y fait pas attention),  je suis addicte maintenant à ces feuilletons et émissions de télévision, décriés comme bêtifiants, et pourtant regardés à très large audience, comme sous le manteau, par des téléspectateurs un peu honteux de trouver leur plaisir dans ces zones mal famées. 

On se revendique volontiers intéressé par les Artes et autres chaînes intellectuelles ou informatives. Pour les "Plus belle la vie" et autres "Un si grand soleil", c'est un peu comme se curer le nez. Tout le monde le fait, mais personne ne s'en vante.

Moi, j'aime bien. Ca me distrait, j'apprécie de regarder de belles personnes, de jolis intérieurs, de beaux paysages. Je m'intéresse à ces petites histoires, raccourcis pimentés de nos vies souvent trop plates. 

J'imagine que les acteurs du "jour où tout a basculé" (Chérie 25, 12 à 13h), n'auront jamais le César. Qu'ils sont persuadés pourtant d'avoir du talent. Qu'ils s'affligent des hermétiques qui ne le comprennent pas. Que Charles Aznavour (qui "s'y voyait déjà") chante pour eux.

Et bien, je m'y retrouve, dans ce bain là : moi aussi, je me pense grand écrivain et je suis la seule à le penser comme ça. Et alors ? 

Je me console très bien avec mon "bloc". J'en divertis quelques uns, et, j'en ennuie d'autres, qui peuvent très bien aller voir ailleurs, si l'herbe y est plus verte.

Les comédiens approximatifs de ces petites séries de ménage me convainquent, moi, et c'est déjà ça !

Je m'interromps pour quelques administratifs, où l'on demande en urgence quitus.

Moi aussi, justement, je demande quitus, et me l'octroie toute seule sans attendre qu'on me le donne !

Je continuerai après le repas, ce "jour où tout a basculé", justement, et la sieste.

Sur le coup des 15h, je referai notre dernier samedi, et les aventures de ma satanée Ttony.


16h

Entre relecture et visites familiales, le temps me passe.

Le soleil perce. Je ne vais pas résister à aller en profiter.

Ma narration du samedi en sera abrégée.

J'y viens :

Tony réclamait avec insistance la sortie. Elle se languissait. Il y avait urgence.

J'avais pour le coup rajouté à notre programme de fin de semaine, la mise en place de la clôture séparative, pour parquer efficacement mon cheptel juvénile.

Il s'agissait de permettre à mes velles d'être au champ, sans qu'elles aillent se mélanger aux chevaux. Je craignais pour ma part davantage leur inclinaison pour les vaches de Cousinou, qu'elles avaient flairées depuis l'intérieur.

Autour des chevaux, les rubans électriques contiennent Prince, Lorry et June. Les biquettes, Oreo en tête, se sont invitées là dedans. Tout ce petit monde vit en bonne harmonie.

Côté vaches voisines, la clôture est en état. D'une bonne hauteur, avec 5 rangées de barbelés, elle dissuade toute tentative de saut, particulièrement pour mes toutes petites.  Ttony se met parfois debout, sur les postérieurs, en s'appuyant sur la barrière. Mais elle est lourdaude, et ne décolle pas. Heureusement !

Je me méfiais de celle-ci. Pas assez...

J'avais dans l'idée de circonscrire la pâture, autour de la rampe, en un périmètre resserré. Ainsi, si elles faisaient des difficultés pour rentrer, je n'aurais pas à arpenter trop large pour les ramener. C'est le souci, dans cette histoire de sortie. Pour aller gambiller dans le pré, les velles ne feraient pas de manières. Pour le rapatriement à l'étable, ça risquait d'être une toute autre histoire.

Un rajout de trois rangs de ruban électrique ferait notre affaire.

Le vendredi, nous avions avec Olivier bouclé magistralement le chapitre aménagement de la cour. Le résultat est d'après moi un petit bijou. Conçu au départ pour optimiser l'étanchéité de la porcherie-remise, en bas, mon projet bâchage et engazonnement, testé à l'étage supérieur, a ici donné son plein. Végétaliser le coin nous a régalés.

Nous avons terminé au soir.

Pour le samedi, nous restait cette fameuse clôture. Il nous manquait de la fourniture. Mon goût pour la récupération et les détournements de matériaux ne suffirait pas.

Quoi qu'il m'en coutât, et là, ça commence à faire, je devais aller quérir emplettes.

Nous étions de retour, avec Olivier, Grand Modus bardé jusqu'à la gueule, quand nous avons sur la montée croisé Marcel. Il s'en retournait, avait vu les velles, les avait trouvées "déjà mieux", en trois jours...

J'aurais bien aimé bavarder avec lui plus longuement, apprendre peut-être par lui ce que j'avais tenté de déduire toute seule. Il ne pouvait pas s'attarder davantage, et nous avions de notre côté un joli programme de travail. "Ez dute hauk astirikan" comme disait l'autre. Nous n'avions pas le temps.

Nous nous sommes mis au travail prestement.

Je sentais Olivier un peu contrarié par ce rajout intempestif dans notre cahier des charges. TtonytaPetra meuglant derrière la porte fermée leur détresse me furent alliées efficaces.

Nous plantâmes piquets, fixâmes barbelés, vissâmes moult isolateurs, étirâmes rubans et accrochâmes poignées.

Pour trois heures de l'après-midi, le pacage était prêt.

Prenant une profonde inspiration, je tirai la porte coulissante. 

La journée était belle, ensoleillée, avec une petite brise rafraichissante. Le paysage rutilait, la mer sur l'horizon plaquait son azur impeccable.

Les chevaux broutaient, à peine dérangés par nos travaux.

De l'autre côté de la clôture, le troupeau de blondes s'affairait mollement autour du râtelier à foin, dans le bas du champ.

Je craignais que TtonytaPetra se ruent dehors, et se jettent dans les rubans électrifiés. J'ai entendu parler de génisses qui se seraient cassé les reins, en bondissant en arrière, saisies par le courant électrique. Olivier était en garde. Je faisais la tenaille.

TtonytaPetra sortirent, gentiment, s'avancèrent dans la cour bétonnée, circonspectes.

L'air frais oxygéna assez vite leurs petits cerveaux. Et y distilla la bulle de liberté. Enivrées, elles se mirent à courir, au petit trop, d'abord. La descente de la rampe fut un peu bousculée. Arrivées dans l'herbe, elles ne se tenaient plus de joie. Elles se ruèrent l'une derrière l'autre, s'envoyant des ruades allègres.

Ttony fut la première à faire connaissance avec le ruban électrique. Au moment où elle le toucha du mufle, elle reçut la décharge, et se recula, sans mal. Petra suivait le mouvement, en retrait.

Ttony avait vu le troupeau, en bas. Et parfaitement compris que ce qui l'en séparait, c'était ce foutu ruban, dans un premier temps.

Elle revint à la charge. A cet instant, le courant séquentiel ne passait pas. Les décharges sporadiques laissaient un petit intervalle de temps entre chacune d'entre elles. 

Je ne pense pas Ttony capable d'analyser ce fonctionnement, en si peu de temps. Non, je pense qu'elle a voulu retenter le coup, poussée par son instinct, cette volonté de rejoindre le troupeau qu'elle prenait de loin pour le sien. Cette pulsion était plus forte que la peur de la douleur ressentie le moment d'avant. Elle avait perçu la sensation, mais l'ignorait, gouvernée par une force supérieure. Son troupeau était là, elle devait y aller.

Si elle avait essayé d'analyser la situation, elle aurait douté, attendu. Sa seconde tentative, aurait échoué, comme la première, repoussée par la décharge électrique impulsée la seconde d'après.

Mais, je l'ai dit, Ttony ne réfléchit pas, Ttony fonce.

Et elle fonça, tout droit, entre les rangs de ruban qu'elle effilocha derrière elle comme un voile de mariée en charpies.

Petra s'engouffra dans la brèche à sa suite.

Elles galopèrent toutes les deux le long de la clôture, direction le troupeau, toutes !

Elles étaient magnifiques, feu et flammes dans le soleil oblique.

Nous les regardions, abasourdis, impuissants. Remis de notre si mauvaise surprise, nous descendîmes à notre tour dans le fond du champ.

TtonytaPetra tentaient de passer les barbelés. Nous nous mîmes à courir. Les blondes levèrent la tête, s'approchèrent.

Le fil ronce fut meilleure barrière que le ruban électrique. Ttony recula, dépitée. Petra n'insista pas. Elle était là, plus pour tenir compagnie à sa sœur que par conviction personnelle. Elle, le troupeau, elle avait compris que ce n'était pas le sien. Il n'y avait là dedans aucune brunette, comme devait l'être sa mère. Alors...

Les deux génisses grandettes vinrent flairer le museau de ma Ttony désappointée. Elle ne les reconnaissait pas, et pour cause !

Avec Olivier, nous étions en garde rapprochée. Nous voulions éviter que ces deux dadettes s'en aillent ensuite prospecter de l'autre côté, là où les vaches du frérot l'aîné leur ferait tentation. 

Si, pour s'en approcher, elles traversaient au milieu des chevaux, ce serait la débandade complète ! Lorry la renfrognée était bien capable de les courser, et là, tout pouvait arriver : mes deux velles terrorisées ne connaitraient plus ni clôtures ni limites, elles s'étriperaient sur les barbelés, pour tenter de fuir en panique. 

J'avais bien en tête les mésaventures du Petit Breton de Fauvette, méchamment éraflé en passant au travers du fil ronce, pour échapper à Pollita, qui voulait le chasser de son champ. Lui, tout petit, exténué, s'était arrêté juste de l'autre côté, et nous avions pu le récupérer. Mais celles-ci, bien plus fringantes, jusqu'où pourraient-elles aller ?

Les choses se présentaient au plus mal. J'en avais les oreilles bourdonnantes.

Olivier prit au large, entra chez les chevaux. De mon côté, je remontai entre les châtaigniers. Je voulais pousser TtonytaPetra dans le corridor, entre les rubans des chevaux, et la clôture mitoyenne. 

Je m'approchai, elles avancèrent dans la bonne direction. S'engagèrent en effet dans le passage étroit. Ttony se retourna : elle ne voulait pas s'éloigner des blondes. Petra, un peu perdue, la suivit. J'étais à l'entrée du passage, je leur bloquais la route. Je levai mon bâton en écartant les bras, hurlai à pleins poumons. Là, Ttony marqua l'arrêt, et Petra recula. Ah, elle connaissait le bâton, c'était toujours ça !

Les rubans des chevaux dans cette partie étaient assez écartés. Nous n'avions pas prévu que les velles iraient là. Le danger grandissait, de les voir s'engouffrer là pour s'échapper. Je remontai au plus vite. Autant que je le pouvais, du moins : c'est bien pour éviter ce genre d'efforts, inadaptés à mon âge avancé, que j'avais d'après moi tout bien calculé.

Par deux fois, les velles remontèrent. Parce-que par deux fois, elles repassèrent dans l'autre sens au travers des rubans que nous avions raccrochés entretemps.

Finalement, je décidai d'en revenir à la bonne vieille clôture traditionnelle. Antton, obligeamment, nous approcha un panneau grillagé de grande dimension. Nous complétâmes par une grille plus petite glanée dans le coin. En deux coups de cuillère à pot, Olivier installa tout ça.

Nous avons maintenant à disposition un barrage efficace, léger et fonctionnel, avec un petit portillon d'accès pour aller entretenir autour des châtaigniers.

TtonytaPetra aiment beaucoup ce coin là.

Je les regarde, depuis ma fenêtre.


Toute alanguie encore, après plusieurs jours, des efforts de la course.