Dimanche 20 décembre 2020 11h40
Vite fait avant de déjeuner, je viens rendre compte de la très agréable matinée.
Je vais cette après-midi à la jardinerie. Il ne nous reste que très peu de sapins à vendre.
Comme nous sommes les seuls à en avoir encore, nous nous régalons de voir les clients difficiles se faire coiffer sur le poteau par d'autres, plus vite décidés. Quand les premiers tournent, lippe boudeuse : "c'est tout ce qu'il vous reste ?" considérant l'un, puis celui là, ou encore cet autre, les seconds s'emparent avidement de ceux qu'ils sont bien contents de trouver. Une main se pose sur une flèche, quand l'autre tirerait sur la branche, juste derrière.
Aaah, ça fait du bien, de se sentir en position de force, daignant attribuer son lot à ceux là, qui, quelques jours pus tôt, s'abaissaient à vous faire la grâce de venir acheter leur sapin chez vous.
Je me rends compte que c'est une curieuse façon de voir les choses. Le rapport vendeur-acheteur serait-il cette opposition où la relation se fait toujours dominant-dominé ?
Je me demande si je ne suis pas retorse...
Ce matin, belle promenade le long de l'Adour encore largement étale, mais sur la redescente.
Les chiens sont tout joyeux dans ces parages. Quelques promeneurs croisés s'amusent de notre mini-meute.
Au retour, un peu de sport cérébral, avec ces grilles de Sudoku, hermétiques sur la fatigue, et dont l'écheveau se dévide allègrement quand le neurone reposé se met à l'œuvre. J'expérimente depuis longtemps la même recherche avec les mots fléchés. Les lettres, ça a toujours été mon domaine de prédilection. Les chiffres, j'aime leur logique froide et implacable, l'absence de toute émotion dans leurs enchaînements. Les émotions, il y a un moment où il faut les remettre au placard, non mais !
C'est une petite jouissance, de remplir les cases, de plus en plus vite au fur et à mesure que la grille avance.
Pour le Sudoku, j'en suis à la phase débutante. Enchantée quand, dès les premières lignes appréhendées, je détermine le bon chiffre à mettre dans la bonne case.
Chafouine, quand j'ai pris le truc par le mauvais bout, et que chaque avancée est besogneuse.
Toute excitée, quand, sur la fin, les dernières pièces du puzzle s'emboitent parfaitement, le bon chiffre appelé rentrant gentiment dans sa case.
Dépitée complet, quand, avançant hardiment, je me retrouve à une croisée impossible, le même chiffre se répétant dans la même ligne, colonne, ou case. Là, tout est à recommencer, tant mes tâtonnements de départ sont peu organisés. Je ne sais pas où j'ai fauté. Alors, mieux vaut tout effacer, bien proprement, et repartir à zéro.
Toute l'allégorie d'une vie, où les erreurs vous rattrapent, à un moment ou à un autre. Et mieux vaut que ce soit le plus tôt possible, tant le chemin est difficile à remonter... Où la logique et la probité vous mènent droit et loin, et de plus en plus facilement.
Je mets des analogies partout. Je vois dans les choses sûrement bien plus que ce qui n'y est. Je m'en perds.
Les petits "vritis" diaboliques s'en donnent à cœur-joie dans ma pauvre tête malade. Les circuits s'en échauffent, à être lancés à toute vitesse dans "toutes directions", comme il est indiqué aux carrefours, sur les panneaux de signalisation. Sauf qu'à un moment, toutes directions, ça n'existe pas, ça n'est plus possible, et, si l'on ne veut pas finir écartelé, il faut en prendre une seule.
Ces "vritis", j'en ai appris le terme il y a peu, dans ce livre d'Emmanuel Carrère, Yoga.
Ce seraient les pensées parasites, celles qui vous tiennent et vous reviennent sans que vous les ayez convoquées, et d'autant plus d'ailleurs que vous essayez de les écarter de votre horizon mental. Vous tâchez de vous concentrer sur une idée, de rester bien centré sur elle. Et, pim pam poum, il vous en vient de tous les côtés, de ces vilains petits gnomes effrénés, qui dansent la sarabande à l'orée de votre réflexion en débandade, effarouchée de tous ces non invités qui reviennent par la fenêtre quand vous croyez les avoir chassés par la porte.
Impossible de tenir le cap d'une concentration efficace, quand les maudits "vritis" en perturbent le cours.
Et maintenant, à table !
Je n'aurai pas trop de toute la vitamine B12 du foie de veau grillé pour fluidifier mes connections neuronales survoltées.
Lundi 21 décembre 2020 10h50
Je me suis mise en cuisine ce matin.
Le ciel est gris léger. Il a un peu plu.
Je surveille ces jours-ci la météo.
J'ai prévu de planter ma première planche de châtaigniers en fin de semaine. Le terrain doit être assez ressuyé.
J'ai hâte.
18h
Le crépuscule rose orangé cisèle la ligne des monts bleus en piémont de Mère-Rhune. Le jour où , dernièrement, je l'ai reconnue, ma montagne isocèle ici de côté, juste à la droite de ces monts-ci, en sortant du village, j'ai failli crier "terre, terre !" comme les marins perdus en mer. Je me suis sentie réconfortée de la savoir là, familière. J'étais donc encore "chez moi".
Je suis rentrée tard de la promenade le long de l'Adour, gentiment poussée dans le dos par le soleil couchant. Les ramilles dénudées irradiaient l'or pâle, sur le gris mat de l'onde, et devant la barre de nuages gris profond retroussée loin dans le ciel. Quelques feuilles molles se décrochaient des arbres et se laissaient choir sur le chemin.
J'ai ressenti la plénitude d'un de ces moments parfaits.
Les chiens devant moi trottinaient.
Bullou s'est découvert un engouement indéfectible pour l'eau, maintenant. Elle adore patauger, nager, plonger et ressortir, s'ébrouer. Elle bondit par dessus les fourrés blanchis de la boue des eaux qui se retirent. Toutes les odeurs déposées là lui parlent d'aventures.
Lola la suit. Moins fringante, elle ne rechigne pas à se mouiller, mais évite de s'embourber. Les bains de boue, elle les laisse aux curistes.
Txief reste définitivement réfractaire à toute immersion. Il est très délicat, lève haut les pattes pour éviter les flaques, dresse les oreilles et les resserre au dessus de la tête qu'il garde très droite. Il se laisse quand-même entraîner à fureter ici ou là. Les odeurs enivrantes, il les respire quand même plutôt sur Lola. Pour lui, ces sucs puissants le déroutent, et l'effraient. Tant de choses l'effraient, ce petit chien trop nerveux...
Je me suis souvenue combien ce paysage m'avait apaisée, en 2017, quand dans ma tête il faisait mauvais.
Combien je regrettais alors mes chiens restés à la ferme.
Là, je les ai devant moi : Bullou grise de boue. Lola un peu déhanchée de la trop longue course. Txief pressé de rentrer.
J'en suis à rassembler mes mondes, à construire petit à petit cette congruence où j'espère nicher mes espoirs de sérénité.
Des moments comme celui de cette fin d'après-midi, je me dis que j'y suis presque.
Pas tout à fait encore. Je reste tiraillée, happée des deux côtés.
Mes frères me représentent un Rivière bien peu séduisant : un marécage en hiver, une fournaise l'été, et, le printemps et l'automne, au Pays basque, c'est bien plus joli.
C'est sûr, présenté comme ça...
Olivier me vante sa contrée, m'y retiendrait, jetterait aux orties Agorreta et tout ce qui m'a tenue loin de lui, pendant toutes ces années.
Je ne me fais pas trop d'illusions : les tentatives des uns et des autres pour me retenir, sont teintées de sentiments impurs. Les uns tiennent à la petite logistique domestique que je leur garantis. L'autre a besoin de sa femme à la maison. Pour ne pas dépérir d'ennui, tout seul. Comme je suis celle qui figure sur les papiers, alors, autant que je sois celle-là...
Mes rôles dans ces entourages, prévalent sur le seul intérêt de ma petite personne, qui, sans eux, n'en aurait peut-être pas beaucoup !
Je me demande s'il n'en va pas ainsi pour tous, et partout. Si les sentiments nobles, amours, affections, amitiés, ne se troublent pas de notions moins éthérées. Nos aspirations romantiques d'adolescence, nos illusions de pureté et d'idéal, ne durent que le temps de nos jeunes années, le seul temps où nous rêvons nos vies, avant de les vivre en vrai, et de comprendre les mécanismes compliqués et mélangés des relations humaines, de la relation à nous-même.
L'interdépendance régit nos sociétés, à tous les étages. Ce sentiment d'une liberté étriquée, subordonnée aux autres, ne me gêne pas : je m'ébats suffisamment au large dans le champ qu'on me ménage.
L'idée d'indépendance et de liberté, cette sacro-sainte idée portée haut en étendard, en a pris un bon coup, cette année 2020. Qui, l'année dernière, aurait pu imaginer que nous vivrions masqués, assujettis aux attestations de déplacement dérogatoire, empêchés de se toucher, de s'embrasser, de se réunir ? Les scénaristes les plus imaginatifs auraient trouvé la ficelle trop grosse !
Et bien, fin 2020, nous en sommes exactement là : à sortir tout légers, quand nous pouvons maintenant le faire sans papier, soulagés comme les enfants quand ils ouvrent leurs lourds manteaux aux premiers jours du printemps.
Nous rêvons tous de pouvoir respirer l'air frais, sans être entravés, embués, empêchés.
Moi, même avant le virus, je n'étais pas très demandeuse d'un espace infini. Je ne revendiquais pas grande liberté, ni plus large autonomie.
J'ai besoin des autres, et j'aime qu'ils aient besoin de moi. Le "je n'ai besoin de personne" ( en Harley Davidson ou pas), ce n'est vraiment pas pour moi.
J'ai du avoir ma période affranchie. Je m'en souviens vaguement. Ces années où j'avais l'impression de porter le monde à bouts de bras, quand il me semblait que moi, je me portais bien toute seule. Une de ces illusions d'optique qui vous tiennent et vous mènent. Qui le font bien, tant que rien ne vient les entacher. Qui vous laissent passablement démantibulée, quand elles se fracassent. Qu'on met de côté, après, les laissant à d'autres qu'elles grugent pareillement.
J'ai cette autre illusion maintenant de me penser plus clairvoyante. J'admets sa fragilité, à celle-ci aussi, mais elle m'est agréable compagnie, dans l'instant présent. Alors...
Alors j'avoue savourer ce moment, où les uns et les autres font leur parade autour de moi. C'est bien agréable. Ca ne durera sûrement pas. Tout mon petit monde va très vite se caler dans le rythme que j'aurais choisi. Au mieux. Au pire, chacun de mes mondes me rejettera. Et bien, il me restera le loisir de m'en faire un autre !
Dans les bons moments, ça me paraît si facile !
Dans les mauvais, je doute d'en avoir la force.
En attendant de voir,
j'aime les deux rives Adour. Je découvre le pays de mon mari, ce Maransin effectivement gorgé d'eau. J'en apprécie le calme, le silence dans la forêt, les bêtes tranquilles dans les herbages infinis.
Du mien, de pays, de celui d'où je viens, j'aime la beauté pimpante, la diversité des éléments mélangés.
J'aime mon mari et j'aime ma famille. Et je les veux tous autour de moi. J'en ai besoin.
Je suis bien ici, comme je suis bien là-bas.
Je suis bien partout, comme on est bien partout, quand on est bien dans sa tête.
Si je le peux, je le veux, je les veux, tous.
Ce sera mon pari 2021.
Mercredi 23 décembre 2020 17h30
J'ai fait ce grand tour délaissé depuis longtemps.
Sous mon parapluie, j'ai avancé dans ce paysage aux roux fauves.
J'ai découvert de nouvelles percées. Le grand chantier, en bas de Mieltxon Borda, s'installe sacrément. La balafre dans le paysage n'est pas vilaine. Elle souligne même la ligne d'arbres en crête, et ouvre vers l'arrière plan montagneux. Evidemment, l'activité de charroi sera moins bucolique que la prairie pentue où les chèvres broutaient les ronciers...
En remontant, j'ai observé une grande activité chez les L. Madame y allait de la soufflette, pendant que Monsieur débarrassait les feuilles mortes et les branches cassées à petits coups de paniers.
Sans vergogne, il entassait tous ces menus débris de l'autre côté du chemin, chez le voisin !
Je me souviens avoir échangé il y a un an ou deux quelques propos avec madame à la soufflette : elle se posait là, en régente, autorisée à contrôler toute activité à un quart de lieu à la ronde, garante des bonnes règles de voisinage, d'après elle.
Et là, ne voilà-t-il pas qu'elle fait aux autres, ce qu'elle ne supporterait pas, qu'on lui fasse à elle-même, la vilaine bougresse ! Oooohhh...
En passant devant la large baie en façade, j'ai d'ailleurs noté qu'une tripotée de petits enfants très proprets, chemises blanches et épis bien rangés sur le côté, s'activaient à dresser une table de fête, pour une bonne douzaine de convives. Et la règle des 6, alors ?
Non, décidemment, ces gens là, les règles, ils les cuisinent à leur sauce, et volontiers pour les autres !
Avançant encore, sur la descente cette fois, je vois, derrière Mailharenia, scintiller la baie. Là aussi, le paysage a changé : cette trouée n'y était pas. Des arbres ont du être coupés.
C'est ma foi bien joli, vu d'ici, cette superposition de plans de terre et d'eau, avec en fond le dos long du Jaizkibel placide.
Les fougères trempées sont assombries en bruns bais. Les ramilles grises dénudées se bleutent du fond montagneux. Le paysage s'ordonne en volumes assonants, autour du val où quelques fumées parlent d'intérieurs douillets.
Le panorama est magnifique. Paisible, alenti par l'hiver, il instille en moi une dolence agréable.
Je reprends ma marche tranquille.
Je redécouvre ma promenade. Quelques temps de retrait me la font regarder autrement.
Olivier samedi m'arrangera ça.
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