Bonsoir à tous !
J'ai une petite demie-heure avant le dîner, je viens vers vous.
Quelques réflexions et remarques sur la jeunesse contemporaine animeront aujourd'hui ma chronique.
A l'occasion d'un remplacement pour maladie d'un de mes collègues de pépinière, nous avons eu la chance de faire la connaissance d'un petit jeune bien prometteur.
Un de ces petits jeunes, agréables et dynamiques, ton de voix vif mais pas péremptoire, allure râblée et tonique, geste volontaire et regard franc.
Un petit jeune comme je les aime, vous l'aurez compris.
Comme une aube riche de promesse.
Pas encore la maturité de la journée bien démarrée, mais des prémices très encourageants.
En plus de ce petit jeune si séduisant, nous avons eu aussi des petits stagiaires, ma foi, eux aussi, plutôt porteurs d'espoir.
J'ai maintenant cinquante ans. Cet âge où l'on regarde ses cadets d'un œil condescendant.
Pas forcément encore aigri de la jalousie pour ce qu'on a connu, et que, malheureusement, on a pour toujours perdu.
Mais déjà entaché quand même de la nostalgie annonciatrice de la plus en plus proche vieillesse.
Malgré ce regard un peu biaisé, j'essaie de garder un avis mesuré, et, si possible, raisonnable.
Là, raisonnablement, il y a de quoi se réjouir.
Cette jeunesse que l'on a souvent tendance à dénigrer, trop molle, pas assez courageuse, vite lassée de tout, cette jeunesse, ne serait pas aussi mal engagée dans la vie. Alléluia !
Philippe, mon collègue et néanmoins presque ami, a partagé totalement mes observations concernant ce jeune homme.
Philippe, je vous en parlerai sûrement plus tard, puisqu'il fait partie de mon quotidien professionnel.
Philippe est un homme droit et intègre. Dans ses vues, il est assez judicieux. Nous partageons souvent la même façon de voir.
Philippe dit juste, donc, souvent. (mais pas toujours bon, à entendre)...
Et là, il dit comme moi.
Plus près d'Agorreta, l'occasion m'est donnée d'observer de la jeunesse au plein travail.
A portée d'yeux (et de mes pauvres oreilles), j'ai un descendant de cousinage très entreprenant.
Il démarre à sept-heures du matin, en pleine nuit hivernale, et je le vois rentrer de ses chantiers le soir, à presque vingt heures. Quand ce n'est pas plus tard !
Six jours sur sept, ce petit se démène.
On dit son domaine d'action en difficulté. Je ne sais pas. Ce que personne ne pourra nier, en revanche, c'est qu'il aura essayé, de toutes ses forces et de son courage, méritoire.
L'avenir parlera. Je souhaite vraiment que tant d'efforts dispensés sans mesure soient récompensés. Sinon, c'est vrai que c'est à douter de tout !
Pour en revenir à ce petit jeune nouveau recruté, il se prénomme Jean-Michel, comme notre estimé directeur.
Tout s'expliquerait, donc...
A ce propos, je commis il y a quelques années, une petite ode à mon directeur. Pourquoi pas ?
Je ne résiste pas au plaisir de vous la faire partager. Je lui ai au préalable parlé de mon projet, bien-sûr, vous me connaissez.
Avec cette nouvelle éthique de "Je suis Charlie", c'est bien commode, on peut tout se permettre, sous couvert de la liberté d'expression.
A condition d'en accepter les retours de manivelle, évidemment.
Mais bon, de retour de manivelle à retour d’ascenseur... Il suffit d'éviter de se les prendre sur la tête au lieu de les prendre en main ou en marche !
Allez, je ne vous fais pas languir, plus longtemps. (Comment ça, vous ne vous languissiez-pas ?)
Voici le texte annoncé.
J'avais égrené une panoplie de mes collègues. Les uns après les autres, ils se proposaient (enfin, je, les proposais !) à mon regard.
Voici le texte annoncé.
J'avais égrené une panoplie de mes collègues. Les uns après les autres, ils se proposaient (enfin, je, les proposais !) à mon regard.
JEAN -MICHEL
Allez,
dans la foulée, nous allons appeler maintenant le suivant, roulements de
tambours… Le Directeur !
J’ai
fait sa connaissance il y a peu.
Et
pourtant j’ai l’impression de le connaître aussi bien qu’un petit frère.
Nous
avons la même culture, à peu de choses près la même éducation.
Nous
sommes très différents aussi, suffisamment en tout cas pour être curieux l’un
de l’autre.
Nos
rapports sont professionnels d’abord, mais nos conversations glissent le plus
souvent vers nos vies privées.
Nous
parlons ensemble de choses personnelles, et pour ma part en tout cas, j’aime
écouter ses avis.
Le
garçon est vite sur la défensive. Je prends garde de ne pas le brusquer, quand
j’y pense…
Je ne
désigne jamais mon directeur par sa fonction. Personne dans l’équipe ne le
fait, d’ailleurs.
Il se
prénomme Jean-Michel.
Il est
jeune encore, plus jeune qu’une partie des membres du petit troupeau qu’il
dirige tant bien que mal.
Le type
basque, indéniablement.
Sa
silhouette est râblée, il est fort comme un bœuf et aime à le faire remarquer.
Il porte
les bras un peu longs près du corps et sa démarche danse sur les pointes de
pieds.
Invariablement,
sa chemise glisse au fur et à mesure de l’avancement de la journée hors de son
pantalon. Sa conformation est ainsi faite.
On peut très fiablement deviner au degré d’envol de
ce pan de chemise-témoin, le degré physique de l’activité précédente.
Pour peu qu’un effort violent ait été sollicité dès
la première heure, nous le voilà déjà alors aussi débraillé qu’à la toute fin
d’une journée de bureau.
Ce petit négligé vestimentaire nuit à son image de
directeur mais le rend tellement plus sympathique à l’abord !
Il
aurait une petite tendance à prospérer au niveau de la ceinture, une petite
rondeur sans lourdeur encore.
Ses mains sont remarquables. Ses
doigts, plus particulièrement. Très longs, fins et déliés.
Il tient ce qu’il prend
curieusement. Le stylo, par exemple, est saisi au plus près de la mine, d’une
façon qui paraît inconfortable. Il semble que la longueur incongrue de ses
doigts le laisse aussi embarrassé qu’un appendice inutile.
Sa préemption en est gênée, du
moins on le dirait. A contrario, l’efficacité de la sus-citée préemption ne se
peut pas nier ! Ce qu’il prend, il le tient bien, et ce qu’il tient, pour
peu qu’il ait décidé de le garder, inutile d’essayer de le lui enlever…
Son
visage est avenant, il sourit facilement.
Mais se
referme très vite.
Les ouvertures de son visage sont
étroites. Il conserve par devers lui son énergie. Et Dieu sait qu’il ne doit
pas en manquer, pourtant !
Il écoute avec
attention, mais méfiance. L’autre est laissé à la limite extérieure de la
perception, en quarantaine, le temps d’être examiné, et peut-être admis, mais
dans un temps second.
Jean-Michel
est persuadé d’être un homme souple et ouvert.
Il me l’a souvent dit, cherchant
quand-même sans trop le dire mon approbation. C’est bien qu’il lui reste un
doute… Et d’après moi, solidement fondé !
Il comprend vite et sélectionne
rapidement les informations. Il est capable de digérer et de s’approprier les
innovations en les améliorant judicieusement.
Mais il veut d’abord les flairer à son
aise. Tel le vieux matou échaudé, il laisse venir à lui en surveillant de
biais. Son attitude face au monde est réservée, au mieux, quand elle n’est pas
carrément défensive.
Il ne s’oppose pas, mais résiste. Il
s’intéresse, son esprit est curieux, mais en restant sur ses gardes.
J’ai évoqué brièvement son parcours
professionnel .
Jean-Michel a réussi une belle carrière.
Il a travaillé pour, a su faire valoir ses mérites et continue de se montrer à
la hauteur de ce qu’on lui demande.
Il est intelligent, vif et courageux. Il
a le bon sens indéfectible des terriens et l’imagination enrichie de ceux qui
ont su regarder autour d’eux. Et comprendre ce qu’ils voyaient.
Il ne manque pas d’énergie, je l’ai déjà
dit. Il a la densité et le compact d’une boule de pétanque justement envoyée.
Quand il est lancé, il fait mouche !
En dehors de sa méfiance bien enracinée,
il cultive aussi un certain goût de l’inertie. Il est adepte du « laisser
mûrir ». Que je rapproche du « laisser pourrir ».
Ce n’est pas de la passivité. Ni un manque
d’audace. C’est la croyance ferme qu’il vaut souvent mieux laisser faire avant
de se décider à intervenir.
L’exact contraire de ce que je suis…
Je ne dis pas qu’il ait tort et moi raison. Ce
serait si simple ! Non, en certaines circonstances, sa devise a démontré
sa justesse. Et en d’autres évidemment, ses limites.
Là où il est touchant, ou du moins là où moi je le
trouve irrésistible, c’est quand il doute.
Le doute est preuve d’intelligence.
On garde l’esprit ouvert à des
raisonnements étrangers, on les respecte et on les admet. Simplement, avant
d’en arriver à l’acceptation, puis à l’appropriation, il y a la phase de doute,
celle de l’observation et de l’étude.
Là, Jean-Michel, sûrement sans le savoir, donne le
plein de son charme. Et je suis certaine que non seulement il ne s’en rend pas
compte, mais qu’en plus il n’aime pas cette étape d’indécision.
Je peux me tromper, mais je pense qu’il préfère ne
pas décider spontanément non pas par goût ou par calcul, mais plutôt parce
qu’il veut se donner toutes les chances de ne pas faire fausse route.
Sa réflexion est une garantie prise contre les
risques d’une impulsion follette. Comme j’en suis moi coutumière !
Par contre, ce temps n’est pas vécu dans le
confort.
Ce n’est pas un mûrissement
respectueux des rythmes des choses et des gens. Ce n’est pas l’attente
réfléchie de déblocages et de décantements nécessaires à un terme qu’il ne faut pas
avancer.
Non, ce temps du doute est un peu
douloureux. La décision reste en suspens, un peu comme un danger qui menace. Il
faut choisir, écarter des possibilités qu’il regrettera peut-être de n’avoir
pas retenues.
Un reste de sa méfiance atavique. Et
là, c’est de lui-même qu’il se méfie, autant que de la tournure des choses et
des gens.
Jean-Michel n’est quand même un
misanthrope doublé d’un pessimiste chronique. Loin de là !
Il y a la foi dans l’avenir chez ce
garçon, et la belle assurance de sa capacité à y prendre convenablement sa
place. Sa curiosité le mène vers les autres et vers l’avant. Il ne se replie
pas sur lui-même.
Mais il garde en tête que les choses
faciles sont suspectes, que ce qui le séduit trop pourrait le détruire.
Nous le taquinons souvent sur son
célibat.
Oui, Jean-Michel, est jeune encore,
d’accord, mais à son âge, la plupart sont déjà en ménage. Ou ne le sont déjà
plus…
Quelques clientes, visiblement très
intéressées par le personnage, et pas seulement pour la valeur, certes
inestimable mais tout de même, de ses conseils professionnels, s’en étonnent
auprès de nous.
Comment, me disent-elles, cet homme
si plaisant et tellement serviable est célibataire ? Comment cela se
fait-il ? s’écrient-elles, toutes prêtes à se pencher très sérieusement
sur la question.
Certes pour la plupart, ces dames
ont un peu d’âge. Mais leur jugement n’en est que plus valable. Si leur
candidature spontanée à peine déguisée reste moins tentante. Elles parlent
d’expérience et leur regard est bien aguerri de tant de temps de fines
observations.
Je m’en amuse assez, et plus encore
de rapporter ces propos orientés à notre Jean-Michel qui fait semblant d’en
rougir, le coquet !
Nous plaisantons, nous plaisantons,
bien-sûr, mais tout de même, à bien y regarder, n’y a-t-il pas là un petit
enseignement supplémentaire à tirer ?
Matière de qualité à corroborer nos
supputations précédentes sur sa nature humaine ?
Je le crois, et je vous le dis, oui,
mes frères, notre Jean-Michel bien-aimé est un garçon un petit peu renfermé sur
ses peurs de l’autre et de la Femme en particulier.
Il m’a un peu conté l’histoire de sa
famille. C’est édifiant.
Les femmes y tiennent un rôle un
peu suranné difficile à faire coller avec nos contemporaines. Des mères et des
épouses effacées, ombre des mâles qu’elles servent en silence.
Ou alors matrones et patronnes
castratrices, dévoreuses d’autorité et impossible à gérer.
Au milieu de tout ça évidemment, le
Jean-Michel petit garçon a du voir les choses d’un œil un peu effrayé. Les
couples qu’il a connu fonctionnaient sur des schémas un peu extrêmes de
domination ou de dépendance.
Je n’ai pas relevé dans ses propos
la restitution d’une relation de couple équilibrée et équilibrante.
Sa mère est morte jeune encore, et
la maladie a du transformer son rapport à son époux. Son père est je crois
marqué encore par l’influence mauvaise de l’une de ses belles-sœurs
dominatrice. Il en a souffert dans son histoire avec son épouse et a du faire
partager à son fils ses rancœurs.
Je ne suis pas spécialiste de ces
choses là, et j’ai pu mal comprendre une histoire compliquée. Jean-Michel me
parle de plusieurs de ses tantes, cousines et autres, et je mélange parfois
tous ces prénoms.
Là encore, j’affabule peut-être complètement. Taxez-moi d’avoir l’imagination
trop galopante. J’ai toujours pris ça pour un compliment.
Toujours est-il que rien n’explique
le célibat de notre Jean-Michel, si tant est que ces choses là doivent
s’expliquer.
Chacun vit sa vie selon ses choix et
ses priorités. Je pense d’ailleurs, et je le lui souhaite, que Jean-Michel
n’est pas du tout à plaindre. Il paraît épanoui et ne donne pas de signes de
tristesse.
Ce garçon me plaît beaucoup. Il
m’attendrit et je me sens proche de lui.
Par moments aussi il me consterne.
Son attentisme, ses arrêts brutaux-butés, ses suffocations de jeune fille outrée
quand je le pousse dans ses retranchements, tout ça me le fait éviter certains
jours.
Mais notre pépinière est grande et
propice aux isolements.
Quand je le sens mauvais sous ses
sourcils bas froncés, le front barré des trois rides d’avertissement, je
m’éloigne, tout simplement.
Des jours meilleurs nous viennent et
nous reprenons gentiment nos échanges agréables.
J’y ai pris goût et je me demande
comment je faisais avant de le connaître…
Quel bienfait de travailler avec des gens de bonne qualité !
Je vous en parlerai, en détail, plus tard.
Mais là, cette jeunesse (et un peu moins jeunesse), pleine de promesse, ça me fait du bien, tout simplement.
Comme ce grand soleil en plein hiver.
Trêve de mauvaise poésie.
A bientôt mes amis !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire