En ce lendemain de 11 janvier, une belle lueur d'espérance réchauffe les cœurs.
Les scènes des manifestations contre les sanglants actes terroristes des derniers jours sont réconfortantes.
Tous ces chefs d'états réunis, cette démonstration d'unité, toute cette émotion partagée au delà des clivages traditionnels les plus marqués, soulèvent le voile d'ombre qui nous obscurcissait l'avenir.
Evidemment, on ne peut pas angéliquement espérer que cela suffise à lever la menace terroriste des extrémistes de tous bords.
Mais il faut se réjouir de cette capacité à faire face ensemble, s'appuyer sur ce front uni pour alimenter une vision d'un futur possible.
J'avais honte vendredi dernier. Aujourd'hui, un peu moins.
Je continue de penser que l'émotion retombée, les intérêts politiques et financiers balaieront les promesses de ce 11 janvier. Mais il aura été, et on ne pourra pas effacer les démonstrations sincères de fraternité et de chaleur humaine.
Nous en avions tous besoin après le choc de ces images de violence injustifiable.
L'avenir paraît moins noir. C'est déjà inespéré.
Je vous l'ai dit, je ne prétends pas être une grande analyste politique.
Je vis mon quotidien, tout simplement, comme le votre. Et la journée d'hier m'a parue être hors du quotidien, justement, plutôt de l'ordre de l'histoire. Sans prétention et incontournable.
L'espoir est permis. Même si la vigilance doit rester aiguë. La noirceur est là, sans doute tout près. Mais la grandeur aussi.
A Agorreta, toutes proportions gardées, ce matin, l'aube s'est levée, elle aussi, lumineuse.
Voyez plutôt :
Au petit matin, La Rhune lutte encore contre les ténèbres profondes.
Moins d'une heure après, le franc et glorieux soleil balaie les dernières ombres.
La baie de Txingudy, encore ensommeillée devant Fontarrabie.
Et la même, illuminée.
Si j'étais un tantinet emphatique, (ce qu'à Dieu ne plaise !) je dirais que la journée d'hier nous a sortis des ténèbres, comme l'a fait le soleil de ce matin autour d'Agorreta.
Il paraît malséant de plaisanter quand près de vingt personnes sont mortes et que leurs proches saignent et saigneront de cette absence absurde jusqu'à la fin de leurs jours.
Et pourtant, hier, il y avait aussi la volonté de pouvoir se permettre de rire de tout, pour pouvoir en débattre sans violence, justement.
L'avenir s'assombrira encore sans doute. Ce n'est pas pour autant qu'il faut s'empêcher de se réjouir quand les hommes redeviennent frères.
En parlant de fraternité, une petite anecdote légère à la ferme ce matin encore.
Je terminais de soigner mes vaches. Repues et bien installées, elles prenaient leur repos du matin :
Vous les avez vues déjà, souvenez vous. Le tracteur au font n'est plus notre Ttiki-haundi, puisque le froid l'a mis hors-service. Celui-ci, c'est Karrarro, dont je vous ai aussi déjà parlé.
Mis à part cette nouveauté, donc, toujours la même étable, avec les mêmes vaches.
Mon quotidien est très monotone, je vous l'ai dit aussi. Tous les jours, les mêmes gestes, au même moment. Une routine, je dirais même, un rituel.
Je m'en trouve parfaitement bien.
Ce matin, je sentais mes petites oreilles un peu trop sifflantes. Je souffre d'une affection bénigne mais ennuyeuse. Une histoire de cristaux anarchiques dans des vésicules asynchrones de l'oreille interne.
Avec pour résultat une surdité gênante, et des pertes d'équilibres intempestives et brutales.
Je vous livrerai plus loin le récit d'une petite crise qui me surprît à la jardinerie. Vous comprendrez mieux le phénomène.
A ce matin, le petit malaise me prit soudainement dans le fond de l'étable, là où je stocke la litière fraîche. Juste à côté de ma belle Pollita (en basque, Jolie).
Je vous montre le lieu de l'incident :
Vous la voyez mieux ma Pollita ? C'est la bringée, à droite. A côté, c'est Bigoudi. Elles sont pleines toutes les deux (en sémantique vache, ça signifie qu'elles attendent un veau). Pour fin mars ou début avril, nous devrions fêter deux naissances à Agorreta.
Nous suivrons tout ça ensemble, évidemment !
Incapable de me tenir debout, je m'assois dans le foin, adossée à cette belle bête, de deux mètres cinquante de long et de près de huit cents kilos, à vue d’œil.
Elle ne bouge pas. Pollita est placide de tempérament. Sa mère, elle, une pure normande de belle race, l'était beaucoup moins. Elle vous envoyait la patte haut et loin avec aisance et sans prévenir ! Une chance pour moi en ces circonstances que la fille ne tienne pas de sa génitrice !
Mes trois chiens, amusés de la situation incongrue, viennent jouer avec moi. Pollilta, toujours irréprochable, tourne à peine la tête, donne un coup de queue pour éloigner les intrus, et continue de ruminer...
Imaginez si elle s'était levée et énervée de tous ces mouvements inhabituels !
Grâce à Dieu, une petite demie-heure plus tard, mon malaise s'était dissipé, et j'ai pu me relever et continuer ma journée. Dans la paix des peuples et la fraternité des mondes, animaux et humains.
Un petit 11 janvier différé au 12, à Agorreta !
Allez, je vous laisse ici pour le moment en vous confiant ce récit daté de la mi-octobre.
Je vous avais donné rendez-vous en février, mais bon, l'actualité, et mon impatience de vous retrouver aidant, j'ai fait une incartade au calendrier.
A un de ces jours, je ne vous dis plus quand...
Mon après-midi aux urgences
La semaine
dernière, une sérieuse crise de tournis-tanguer m’a littéralement mise à
genoux. Je vaquais paisiblement à la jardinerie, une matinée ordinaire avec une
activité moyenne, rien de particulier.
A la vérité,
depuis le matin, je me trouvais toute mollette, pas très en train. Depuis
plusieurs mois déjà, mon oreille sonnait l’alerte. J’étais parfois en équilibre
instable, voire pas en équilibre du tout par moments. Une vague consultation
entre deux chez le médecin, un petit traitement pris à la louche. J’étais
encore une fois persuadée d’être plus forte que tout le monde et bien certaine
de surmonter ces petites défaillances.
Ce mardi matin,
pour le coup, un peu avant la fermeture, je m’écroulai lamentablement alors que
j’en étais à chercher le passage du portail (quelques bon mètres de large
pourtant et grand ouvert à ce moment), sans le trouver, en buttant contre une
palette de terreau ici, ou un box en bois par là. Une vraie désolation… Je
m’échouai finalement avec gratitude contre le mur du bâtiment, bien contente de
sentir le sol ferme sous moi. Une subite suée, le regard rivé au niveau du la
bennette à déchets, j’étais presque bien. A mon sens. Mes collègues passant par
là au gré de leurs propres occupations en jugèrent autrement et appelèrent des
secours.
Deux pompiers
bottés, mais pas casqués, pour ce que j’en pus apercevoir en levant
fugitivement le regard au prix d’une nuée de papillons noirs me fondant dessus,
prirent les mesures de circonstances et hop ! Me voilà embarquée dans le
fourgon rouge.
La vue de
mes petites bottines maculées de terreau boueux entraîna leur mise en
quarantaine immédiate dans un sac plastique fermé à double-nœuds. Je me
félicitai de l’état convenable de mes chaussettes du jour. Je ne sais pas vous,
mais moi, parfois, pour ne pas gaspiller, je les use jusqu’à la trame et un peu
au-delà, au point que les talons s’ajourent dangereusement. Mais là, non,
j’exhibais une tenue, certes pas de gala, mais bon, d’honnête travailleuse
emportée au débotté (et débottée…) sur son lieu de travail. Ces petites choses
là comptent quand on est en position vulnérable n’est-ce pas ?
Quelques pimpons et vomissements plus tard, nous
arrivions aux urgences. Quatre questions, dont la demande quasi immédiate des possibilités
de prise en charge financière, et me voici coquettement installée sur un lit à
roulettes ma foi plutôt confortable, en bout d’une file d’autres lits à
roulettes semblables, occupés de patients plus ou moins intéressés par la
nouvelle arrivée, selon leur degré de conscience ou de souffrance.
Moi, j’en étais à essayer de remettre en place
tout ce qui tournait et virait encore autour de moi, accrochée comme une perdue
à mon petit sac à vomir… Pas en état de mener de fines observations.
Un grand médecin à la blouse blanche flottante sur
un mouvement plein d’allant me jeta un œil au passage, tapota ma chaussette
convenable et passa son chemin pour aller s’occuper plus loin. Je fermai les
yeux, tirai sur moi un peu de drap. J’avais un peu froid. Je laissai aller ma
tête en arrière avec défiance, craignant le retour des papillons. Mais non, ils
me laissèrent en paix et je pus me détendre, toute alanguie de reconnaissance.
Je ramenai les genoux sous le menton, mon petit
sac plastique toujours dans la main au cas où, et, je m’endormis, misérable
mais soulagée quand même.
Un moment plus tard, je rouvris les yeux. Je me
sentais bien mieux. J’écartai mon dispositif anti-nausée, rallongeai mes jambes
et redressai la tête. J’étais déjà une toute autre personne, capable de
s’intéresser à ce qui l’entoure.
Je jetai d’abord un coup d’œil circulaire aux
installations périphériques.
J’étais dans une grande pièce où les lits
s’alignaient, avec de loin en loin un paravent déplié entre deux. Une lumière
suffisante mais amicale, des va et vient de blouses blanches ou de visiteurs.
Un monde assez feutré, mais une température limite fraîche, pour moi du moins.
Très positivement étonnée de me sentir en si bonne forme, je pris le drap sous
moi, et le tirai de façon à pouvoir m’en recouvrir au mieux en le doublant. Je
remerciai au passage le Seigneur (et accessoirement mon patrimoine génétique)
de m’avoir faite de petit gabarit et me permettre ainsi de me préserver un peu
de chaleur corporelle à peu de frais.
Ma petite particularité d’oreille me rend les sons
très irréguliers. Je perçois mal un bruit que vous entendez parfaitement. Par
contre, d’autres sonorités auxquelles vous ne prêterez pas attention, sont pour
moi agressives et dérangeantes. Je m’y ferai, avec un peu de temps, sans doute.
Je n’entendais pas la plupart des conversations à
voix basses qui se tenaient autour de moi. Un vague murmure, un ronron un peu
soporifique. Quelques cliquetis métalliques ou autres grincements de matières
synthétiques par contre me heurtaient le tympan. Je m’habituai à mon nouvel
habitat, comme tout animal qu’on introduit en milieu étranger.
Il y avait foultitude de malades ce jour là aux
urgences. Urgentiste, c’est quand même un métier…
Je notais ces gens pour la plupart pressés, un dossier
ou une bassine à la main. Des gestes sûrs et performants. De la douceur aussi,
dans le regard et dans les mots. Un sourire en passant, une main qui se pose.
Du mouvement, de l’efficacité, mais sans perdre de vue la prise en compte des
détresses, grandes et petites, des allongés confiés à leur expertise.
Pourtant, dans ce qui m’entourait, tout n’était
pas de nature à susciter la compassion ! Loin de là !
Il y avait bien une petite jeune fille prostrée,
les yeux au plafond. Je ne voyais d’elle qu’un quart de profil, sa nuque brune
et une queue de cheval chiffonnée. Un avant bras fin et pâle posé le long de la
barrière du lit, immobile. Elle respirait doucement, soulevant à peine le drap
tiré sans un faux pli sur son buste. Sa mère la couvait des yeux, appuyée sur
l’autre barrière. Elle aussi, brune à queue de cheval, mais de corpulence
robuste et dure de traits. Son attitude évoquait la vierge à l’enfant de je ne
sais plus qui, je ne l’ai d’ailleurs jamais su. Une attention totale et presque
douloureuse. Un spectacle paisible et réconfortant.
Subitement, dans un bond fantastique et
incroyable, la jeune fille se souleva sur le lit, ses membres se raidirent à
travers les tubes métalliques, et elle se mit à gémir une plainte stridente en
ployant sa tête vers l’arrière dans un angle qui me parût impossible. Sa mère
voulant se plaquer sur elle se fit mal contre la barrière et se mit à hurler
pour appeler à l’aide.
Je restai tétanisée et impuissante. Je n’avais
jamais assisté à une crise de convulsions, mais j’imaginai que c’en était une.
Une équipe
médicale intervint dans la seconde et le lit de la jeune fille toujours arquée
fût emporté ailleurs. Les cris de la mère nous parvenaient toujours. Elle fut
conduite dehors par un robuste garçon qui lui expliqua sans trop de ménagement
que « dans ces cas là, les familles, vous nous gênez plus qu’autre
chose ! ». La femme ne l’entendait pas de cette oreille et ne se
laissait pas éloigner sans résister. Une autre soignante prit le relais, plus
en douceur, et les deux femmes sortirent.
Dans ma position de patiente, j’étais passive, et
les autres autour de moi l’étaient tout autant. Comme si notre état de malades
en puissance nous exonérait de participer à
ce qui n’était pas en lien avec notre état. En y réfléchissant, je
n’aurais rien fait de mieux, ni de plus, bien-sûr. Mais c’est ce sentiment de
fatalité, cette inertie, qui après coup m’ont parus étrangers à ma nature plus
interventionniste en temps normal. A se demander s’il suffit de coucher
quelqu’un pour qu’il se sente incapable d’autre chose que de rester
coucher ! L’énergie vitale d’un poisson rouge dans son bocal, juste assez
volontaire pour en faire le tour… Triste nature humaine !
Je me rassurai en me disant que c’était mon
malaise qui me paralysait ainsi, et non pas une défaillance de ma volonté. Sans
en être tout à fait persuadée.
Cette petite jeune fille méritait, demandait et
avait les soins, l’attention, et la compassion des urgentistes.
Mais d’autres, couchés près de moi, les
demandaient, les exigeaient même, sans me donner l’impression d’en avoir
vraiment besoin.
Je ne suis
pas médecin. Mais j’ai eu l’occasion de côtoyer longtemps des gens malades.
J’ai assisté à la souffrance, à la détresse de celui qui est rongé de
l’intérieur. J’ai vu des visages pâlis sous la morsure incessante de la
douleur. Des yeux creusés d’une fatigue insurmontable. Des corps abandonnés et
vaincus d’avoir tant lutté.
Je sais aussi qu’une bonne mine ne garantit pas
que tout aille bien. Qu’on peut très bien se vider d’une hémorragie interne en
gardant le sourire.
Pourtant, quand je considérai ma voisine de
gauche, je n’arrivai pas à me dire qu’elle méritait autant de soins qu’elle n’en
réclamait incessamment. On l’avait « roulée » près de moi. Comme
je me sentais alors mieux, je l’avais regardée, je n’avais rien de mieux à
faire sur l’instant…
Une femme de soixante-dix ans environ, soignée,
les bouclettes encore toutes fringantes d’une récente permanente. Le regard
vif, l’œil alerte et inquisiteur, elle avait de bonnes joues, une peau saine et
la bouche mobile. Et active. Très active…
Elle arriva en grimaçant de douleur, tournant la
tête de droite et de gauche, les yeux tantôt fermés tragiquement, mais le plus
souvent ouverts et fureteurs. Ses mains aux ongles manucurés agrippaient les
barreaux des barrières avec force. Elle agitait des jambes un peu lourdes mais
robustes. Sa robe de chambre chiffonnée attestait de mouvements désordonnés qui
mettaient le pauvre drap censé la recouvrir en boule informe roulée à ses
pieds.
La dame n’était pas contente, et elle le faisait
savoir. Elle gémissait, d’abord doucement puis plus fort. Elle finissait par
héler les uns et les autres d’une voix de stentor. « J’ai mal, j’ai froid,
ne me laissez pas là, occupez-vous de moi… ». Une litanie de plaintes
incessantes.
L’infirmière venait la voir à chaque passage,
remontait le drap, rectifiait l’inclinaison du lit, l’assurait de quelques mots
patients que l’on faisait au plus vite pour s’occuper d’elle. Il ne fallait pas
qu’elle s’inquiète, on avait bien conscience qu’elle n’était pas satisfaite,
mais il y avait du monde et on s’occuperait d’elle aussi, dès qu’on le
pourrait. A priori, elle pouvait attendre, et sans rien dire, comme le
faisaient la plupart de ceux qui étaient là.
Quelques
visiteurs s’impatientaient de leur côté, trouvant que la prise en charge du
malade qu’ils accompagnaient n’était pas suffisamment rapide. Ils s’excitaient
les uns les autres, hochant la tête et gênant ostensiblement le passage des
soignants, histoire de montrer qu’ils étaient là, au cas où on ne les verrait
pas. « Ne vous inquiétez pas, on arrive, on va s’occuper de vous »
chantonnaient les professionnels mécaniquement et sans ralentir le pas. Les
visiteurs soufflaient, et, prenant leur malade à témoin, en profitaient pour
lever le camp sans vergogne au bout d’à peine une demi-heure d’attente.
D’autres, habitués des lieux peut-être ou de la
maladie sans doute, s’asseyaient silencieusement auprès du lit, en prenant
garde de ne pas occuper trop de place. Ils échangeaient quelques mots à voix
basse avec le patient qu’ils veillaient, souvent une personne âgée, à peine
consciente, à peine vivante, et restaient là, ensemble dans le même combat,
perdu d’avance souvent.
Je dis perdu d’avance souvent, par bêtise, puisque
je suis bien placée pour savoir qu’on ne peut jurer de rien.
Il y a deux ans, mon pauvre père était bien pire
que le pire que j’ai vu ici. Et aujourd’hui, ce serait presque lui qui
viendrait prendre soin de moi en s’inquiétant de mon état ! Bref, nous
parlons trop souvent en généralités.
Sur ces entrefaites, ma voisine se plaint
toujours, et ses regards se tournent vers moi, quémandant une aide et une
compassion absente.
Derechef, gavée par ses jérémiades injustifiées,
je me redresse et me tourne vers elle. Surprise, elle se tait, enfin, un peu
inquiétée peut-être par la brusquerie de mon geste.
-
Que voulez-vous au
juste ?
-
Oh…mon dos, j’ai mal à mon
dos, je suis trop couchée, murmure-t-elle comme on agonise.
Je l’ai dit, je suis familière de la maladie, et
je connais assez le matériel médical de base pour savoir l’utiliser. Les
verrouillages des barrières de sûreté, les systèmes d’inclinaison des lits
médicalisés, les réglages des hauteurs des potences et autres basiques de
l’installation médicale n’ont pas de secrets pour moi. D’un geste un peu
brusque sans doute, j’attrape le levier de déblocage sous la partie haute du
lit au dessus de la tête de ma grande souffrante, et crac, je relève le lit
avec la malade d’un bon 45°en un quart de seconde.
Saisie, la geignarde roule des pupilles effarées,
silencieuse enfin.
-
Et là, ça va ?
-
Euh, oui, oui, je vous
remercie…
Et elle se tait, enfin.
Quelques minutes plus tard, on vient la chercher.
Elle me lance un regard noir et un demi-sourire en même-temps, que je lui
rends, sans rancune.
On roule près du
mien le lit de celui qui était donc son voisin.
Et je comprends,
très vite, d’où venait le désagrément le plus vif de la pauvre dame…
L’homme gisant
maintenant près de moi est assez jeune. Mais lui par contre, cela fait bien longtemps
que personne, ni lui-même, n’a pris soin de lui. Il doit dormir dehors, ses
cheveux gras pendent sur ses joues violines. Ses ongles longs et sales griffent
sa cuisse compulsivement. Il porte aux pieds de vieilles savates déchiquetées
qu’il a refusé de se laisser enlever.
Un clochard, l’œil
mauvais et l’haleine lourde de mauvais vin.
Il y a de tout en
ce bas monde, et j’arrête là mes investigations le concernant.
Un petit somme
plus tard, des mouvements saccadés à ma gauche attirent mon attention.
Là, je conseille
au lecteur délicat ou pudibond de sauter ce passage. Il n’est pas destiné aux
oreilles trop chastes.
Moi, en bonne
fille de la campagne, les choses de la nature me sont familières. On n’assiste
pas à une saillie de vache sans être un peu aguerrie aux choses de la
vie ! Je ne m’offusque pour le coup pas trop facilement.
Là, quand-même,
après un rapide coup d’œil, puis un autre un peu plus appuyé, je constatai une
attitude un peu inhabituelle en bonne société. Ce brave homme, profitant sans
doute d’une montée de libido soudaine, se masturbait furieusement, à moins d’un
mètre de moi, les yeux vagues et la bouche entrouverte sur un petit râle
rythmé.
Le premier saisissement
passé, il me vint un fou rire incontrôlé. La situation était cocasse,
vraiment !
A l’oreille, ou du
moins, à ce qu’il m’en restait, l’homme avait terminé son ouvrage. Bien. Je
risquai un œil, et bien sûr, à ce moment là, il quêtait mon regard.
Là encore, petite
mise en garde, séquence un peu « hard ». Mais bon, la réalité est
ainsi :
-
Tu vois, vieille salope,
ce qu’aurait été bien, là, c’est qu’ tu m’suces ! me grince-t-il avec un
accent « parigot »
Et il me sourit de toutes ces dents pourries.
Je vous l’ai dit, je ne suis pas du genre vierge
effarouchée, j’en ai passé l’âge d’abord, et n’en ai de toute façon jamais
cultivé la tournure. Mais, bon, quand-même, un reste d’éducation
judéo-chrétienne me poussa à le remettre à sa place, ce mal embouché. Lui
laisser l’impression qu’il me choquait l’aurait trop contenté !
-
Si tu veux, lui dis-je en
me tournant urbainement vers lui. On peut essayer. Mais ne t’étonnes pas si je
te vomis dessus, je ne suis pas très en forme en ce moment.
Et
toc ! Je commençai à m’amuser de le voir déconfit.
Je déchantai
vite :
-
Ouais…, t’es pas bandante,
mais au moins, t’es marrante ! J’t’aime bien, tu peux êt’ ma copine…
Et il se tourna de l’autre côté en me gratifiant
d’un petit pet bien senti.
L’animal ! Comme si j’avais besoin
d’entendre ça, dans mon état ! Et avec mes mauvaises oreilles…
Je n’en avais pas tout à fait terminé. Un collègue
de mon voisin se présenta pour le voir.
-
Tiens, j’te présente ma
nouvelle copine, lui dit ce dernier en me désignant.
L’autre, du même genre que le premier, le panache
de la position debout en plus, me considère et lance à la cantonade :
-
Eh ben, tu les prends de
plus en plus vieille mon vieux !
Toujours agréable à entendre, n’est-ce pas ?
Enfin…
Mon tour était venu d’être examinée plus
longuement. On me roula vers une stalle individuelle.
Mon prétendant ne me fit pas, lui, l’honneur d’un
signe d’amitié. Comme quoi, finalement, la vieille geignarde ne manquait pas de
raisons de se plaindre, sans qu’on le sache…
Une gentille infirmière, jeune et douce, me
demanda de me dépouiller de ma maigre tenue, à l’exception de ma culotte.
Là encore, comme quelques heures auparavant, je me
réjouis d’avoir le matin puisé dans le tas des sous-vêtements encore
présentables. Vous savez, cette petite culotte qui ne vous galbe pas trop mal,
qui reste bien en place et vous donne une réelle assurance, même sous un short
informe. Ce soutien-gorge ajusté, mais pas trop, ou rien ne baille mais rien ne
déborde non plus. Un petit imprimé fleuri assez coquet, agréable à l’œil.
J’enfilai la chemisette ouverte dans le dos. A ce
sujet, pour avoir observé plus tôt dans l’après-midi certaines patientes
déambulant ainsi attifée, j’aurais une petite remarque à faire.
Je sais bien que la priorité en ces circonstances
est à la commodité. Qu’on ne cherche pas à faire de vous la reine du bal et que
le seul souci de la gente médicale à ce moment est de pouvoir vous examiner,
vous piquer, vous brancher, en un minimum de temps et de confort. D’accord.
Mais là, tout de même, il me semble que l’on
pourrait conserver cet aspect primordial tout en préservant un minimum de
féminité et de dignité au patient. La lie censée refermer le dispositif dans sa
partie arrière est souvent absente. Par le fait, la chemisette baille depuis le
milieu du dos. Et offre à la vue de tous les spectateurs placés derrière, la
partie charnue et pas toujours glorieuse à mes âges de votre anatomie…
Quand on fait péniblement suivre une potence avec
une perfusion plantée dans le bras, on ne peut pas toujours s’assurer que le
petit tablier vous enveloppe correctement. Et suivant la corpulence à
recouvrir, le résultat est plus ou moins satisfaisant ! Une triste paire
de fesses ramollies dans une culotte pendant en berne n’est pas ce qu’il y a de
plus réjouissant à exposer. Les patients en sont bien conscients qui tâchent
autant qu’ils le peuvent de garder bonne face (ou plutôt verso…).
Bah ! Me direz-vous, si votre principale
préoccupation est cette coquetterie déplacée, c’est que vous n’êtes pas si
mal ! C’est vrai, et mon propos ici n’a pas sa juste place, je le
reconnais.
D’ailleurs, comme la plupart des autres sans
doute, je n’ai fait aucune observation et me suis contentée de laisser tout ça
de côté.
J’expérimentais les tests de premières prises en
charge avec une certaine curiosité.
Prises de tension, de température, de sang. Petits
jeux très amusants à je te touche le bout du doigt, je me touche le bout du
nez, yeux fermés, yeux ouverts, je lève une jambe, je la replie… Je me félicitai
de la facilité avec laquelle je semblais satisfaire aux attentes de mon
sympathique examinateur.
Un petit dispositif de ventouses me fût appliqué
sur tout le corps. C’était amusant, tous ces petits tétons métalliques
surnuméraires qui me poussaient de partout !
Une petite virée dans les couloirs jusqu’aux
installations d’imagerie sophistiquées, et retour à la stalle départ.
Je n’étais pas inquiète de mon état. Je me sentais
mieux. Le médecin ne tarda pas à me dire que je n’avais pas grand-chose à faire
là. Que mon petit malaise était « périphérique », et qu’aux urgences,
on traitait le vital. Il me fit cette remarque avec bon sens et je ne perçus
aucune acrimonie dans ses paroles.
Après tous ces examens divers et variés, il était donc avéré que mon état de santé
n’était pas inquiétant. Je souffrais d’une anomalie probablement congénitale de
mes oreilles. Là, immédiatement, je repris tous mes remerciements au Très-Haut
et vouai aux orties un patrimoine génétique aussi délabré.
Je vivrais
très bien avec. Bon. Mais avant de retomber et de bouler comme une patate que l’on a lancée en l’air,
je devais consulter un spécialiste de la chose et suivre le traitement
recommandé. Bien.
J’étais un peu penaude d’occuper ainsi un temps et
un espace précieux. Mais bon, toute cette petite batterie d’examens me
rassurait tout de même, et sans ce passage aux urgences, je me serais sûrement
encore contentée de me dire que la crise était passée et que je n’avais pas
besoin de mieux me soigner.
Grâces soient rendues à notre Jean-Marc de la
jardinerie, secouriste qualifié !
(Je peux maintenant rendre grâces de tous côtés
puisque mon capital remerciements est intact…)
Mon grand mari, passé en coup de vent dans
l’après-midi, un peu inquiet, devait repasser dans la soirée.
Je retirai à petits « flocs » mes
mignonnes ventouses. Repassai mes vêtements « civils », y compris mes
bottines au préalable débarrassées de leur terreau dans le sachet plastique.
J’étais redevenue moi-même.
J’attendais les dernières consignes du médecin pour
pouvoir partir.
Un bon sourire, et une franche poignée de mains
plus tard, je remerciais tout le monde pour les bons soins et m’en allais au
bras de mon mari prévenant et solide.
Une vraie petite aventure, et le rire qui me
revient quand j’y repense.
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