vendredi 30 décembre 2022

DECEMBRE 2022

 



Jeudi 1er décembre 2022 18h30


Je viens de terminer mon article sur la maladie de Ménière. Finalement, ça restera bien un article, un peu construit, à peine plus que mes autres élucubrations.

Je l'ai bouclé dans le délai imparti (par moi). Je l'ai à peu près organisé suivant le plan de départ. Je dois maintenant m'astreindre à un travail de relecture, de correction. J'aurais du faire ça avant la publication, dans la bonne logique. C'est une façon de déblayer le chantier, de le livrer ainsi, pas tout à fait fini. Comme je le fais pour mes "châtaignes d'Agorreta", cet article sera amené à être modifié, au fil du temps, et des évènements, sans doute. Ainsi, il ne sera peut-être jamais tout à fait "fini". Au moins tant que le Ménière sera mon copain dans la vie. Ca peut me mener loin, d'après ce que j'ai compris.

J'espère qu'il trouvera un auditoire intéressé, parce-que concerné.

J'espère qu'il remplira un vide, celui que j'ai trouvé quand j'ai voulu pour moi-même me documenter. Sans me plonger dans une étude trop technique, trop ardue pour moi, la relation de cette expérience par quelqu'un d'accessible m'aurait aidée.

La nuit est tombée. Il a fait froid, aujourd'hui. J'ai beaucoup écrit.

Je vais soigner TtonytaPetra. Me préparer une soirée agréable, en bonne compagnie.


Mercredi 7 décembre 2022  17h30


La brume enveloppe la crête du Jaïzkibel. Les lumières tremblent le long de la baie. Plus près, les cheminées fument bleu dans l'atmosphère grise.

Je viens de fermer la grande porte métallique sur l'étable, où TtonytaPetra tirent le foin avec gourmandise. 

J'ai fait du nettoyage dans mon potager, cette après-midi. Le soleil perçait suffisamment les nuages pour tiédir mon dos courbé. C'était très agréable. J'ai enlevé les choux-fleurs, et les choux vidés de leurs têtes. Ils avaient bien raciné, en un chevelu profond. J'ai bêché sommairement la terre meuble, où paillage de bois et feuilles mortes constituent un substrat léger, facile à travailler. 

Des envies de commencer mes planches hivernales me rôdent autour. Le carré est prêt, à côté. Des repousses de cosmos l'étoilent. Dans le fond, entre les fraisiers, ces cosmos sont en pleine floraison, petites lunes blanches vaporeuses sur fond gris. 

J'aime bien ce coin, sa vue sur les damiers en dessous de la Rhune. 

Le poirier penche. Lola flaire toujours derrière la murette. Je la surveille : si elle plonge dans le trou, j'en serai quitte pour aller chercher l'échelle.

Plus tard, je suis allée jusqu'au petit bois. Les collines roussissent et se dorent, lumineuses sur les flancs bleutés des montagnes qui paraissent lointaines, en cette saison, par temps de brume.

Dans la sente près du châtaignier parti à la conquête du chêne vénérable, sans parvenir encore à en percer la ramure dénudée, une véritable pluie de feuilles dolentes est tombée, comme il neige, en flocons paresseux. Une risée de terre, amicale et taquine, les portait au sol en un amorti confortable de berceuse.

A l'orée du bois, sous la voûte clairsemée du châtaignier encore flamboyant d'or roux, le tapis s'épaissit, à peine craquant en surface, et vite moelleux en dessous. Je suis rentrée en élargissant une boucle périphérique autour du remblai. Les circuits du milieu s'embourbent. 

La reprise à la jardinerie a été agréable. J'ai fait beaucoup de public-relations. Recueilli les confidences des uns et des autres. J'aime bien. Je me sens comme un petit pont entre des personnalités pas toujours compatibles. Je suis suffisamment détachée du contexte pour ne pas me laisser engluer dans ces missions médiatives. Chacun reste sur son quant-à-soi, mais se sent écouté, compris, transmis. J'ai l'impression de faire œuvre utile.


Vendredi 9 décembre 2022  17h55


J'ai déjà fermé les volets sur la brume dans la nuit. Je suis à peine sortie, cette après-midi : une bruine insistante flottait dans l'air. 

Je surveille avec une ferveur ardente le plafond de ma porcherie-remise. Samedi dernier, nous avions avec Olivier mis en place un énième système étanchéité. Cette fois, après avoir bâché le sol, repris les joints aux bas des murs et de la porte, nous nous sommes attaqués à l'enduit fissuré. 

Tout comme sur la terrasse en haut, j'en tiens pour des infiltrations massives sur la paroi verticale, sinuant jusque dans la dalle craquelée, sous la bâche, ainsi neutralisée dans son effet barrière par une prise sournoise par dessous. Olivier n'était pas persuadé. Je m'accrochai ferme à la réussite flagrante à l'étage du dessus. Finalement convaincu, mon homme m'approvisionna en larges plaques de poly... pas propylène, non, ni éthylène, uréthane ne va pas non plus...non, ah, oui ! polycarbonate ! Ils sont beaucoup, dans la famille des poly.

Pour la mise en œuvre, nous avons du démonter quelques maillages de soutien aux plantes en place, avec précaution. Ensuite, ça a été un jeu d'enfant. Enfin, avec le bon outillage, et le bon praticien. Pour le soir, mon mur en fresque était camouflé d'un habillage jaunâtre (et oui, les plaques étaient de récupération). Les plantes en paravent masqueront avantageusement tout ça.

Il a commencé à pleuvoir hier. J'étais à la jardinerie. Je n'ai pas pu évaluer la quantité d'eau tombée ici. Tout de même, le plafond bien sec du côté gauche me parût très encourageant. A droite, là où nous ne sommes pas intervenus, une auréole sombre s'étalait, sans goutter, comme d'habitude. Ce côté-là menace, mais ne pleut pas. A vue de nez, ça signifiait qu'il avait plu assez, pour que, sans notre dispositif préventif, quelques filets d'eau se laissent choir près de l'imposte, en face. Et là, rien : le béton sec, le plafond parfaitement clair. 

J'en étais à regretter quelques trombes d'eau, pour avérer notre réussite. Dans la nuit, j'ai entendu une ou autre averse drue. Ce matin, avant même de saluer TtonytaPetra, j'ai allumé la remise : toujours impeccable ! 

Je m'étais un peu avancée mercredi, en retirant toutes les caisses de récupération de fuites. J'en avais assez de les voir, ces grosses masses blanches. Je les avais retirées, puis remises, au gré des infiltrations plus ou moins productives. Sûre de mon coup, ou alors dans l'idée de conjurer le sort, mercredi, je les ai utilisées pour peaufiner mes rangements sur les étagères. J'en ai tout de même conservées quatre, vides, en disponibilité sur le haut du rack, sait-on jamais.

La bruine de cette après-midi, persistante mais non agressive, ne me semble pas épreuve suffisante. Je vais devoir patienter un peu, attendre un bon épisode de pluie bien musclé, pour crier victoire sans arrière-pensée.

Alors, puisque je garde une prospective positive en première ligne, nous dupliquerons le procédé sur le second pan de mur. Là, deux panneaux de bois grisés protègent déjà l'enduit calamiteux. Ca explique les infiltrations plus légères du côté droit. Le bois est perméable, on le sait. Un bon doublage par l'arrière en poly...ane, oui, c'est ça, polyane, fera meilleure barrière.

J'ai hâte. Hâte de vérifier le bien-fondé de mes théories. Hâte de les voir mises en pratique tout à fait. Hâte de voir ma porcherie-remise bien sèche. Elle restera sur deux pans en configuration de cave, donc, forcément, humide. Non, pas humide, disons mieux... fraîche.

Le vocabulaire est important, dans la mentalisation d'un projet. Aussi.


Dimanche 11 décembre 2022  18h


Je rentre  à peine d'une promenade dans le soir. Elle aurait du être de parfaite détente. Ne l'a pas du tout été.

Plus tôt dans l'après-midi, j'ai mené à bien mon application de polyane sur les panneaux de bois. Finalement, plutôt que de les décrocher, pour fixer le film en dessous, et les revisser ensuite au mur, j'ai préféré laisser en place ce dispositif parfaitement bien arrimé : il a résisté à moultes tempêtes, je ne suis pas sûre de le remettre aussi solidement. 

Pour le moment, l'effet est assez affreux, avec cette bâche grise plus ou moins bien tendue sur près de 4m2. Au premier coup de vent un peu sérieux, mes petites agrafes citadines vont lâcher. Je vais voir très rapidement à arranger l'affaire, en apposant par là dessus un camouflage plus correct à la vue. Pas de gazon, là, ce serait trop lourd, je n'ai pas le moyen de bien le bloquer. Non, je vois plutôt un petit treillage léger, où le lierre qui rampe en pied pourra se hisser. Je compte beaucoup sur les végétations pour mes décors. Ce que ce pauvre lierre endurera, s'il suit mon plan, à la pleine chaleur de l'été, exposé au soleil implacable au plus chaud du jour, avec la réverbération du polyane en dessous, m'inquiète un peu. Nous n'en sommes pas là.

J'étais donc satisfaite de l'avancée de mon travail, confiante en ses effets espérés. Le chantier plus ou moins terminé, faute d'agrafes, j'ai soigné TtonytaPetra en approche à cette heure. La lumière baissait. Le fond de l'air s'était adouci. Ou alors mes efforts m'avaient échauffée.

Je hélais les chiens restés à l'intérieur. Ils se précipitèrent, à grands clacs de chatières. Nous nous mîmes en route, eux frétillants, moi me retournant fréquemment pour juger de l'effet de mon travail. Assez moyen, à ce stade, mais j'ai déjà le fini en tête.

Nos sentiers habituels sont devenus avec la pluie boueux. Je préfère maintenant faire le tour, le long de la clôture. Ca me rappelle le bon vieux temps, quand nous passions au large, par un chemin aujourd'hui disparu : nos paysages évoluent.

Les chiens ne sont pas encore familiers de cet itinéraire bis. La dernière fois, je l'ai emprunté pour la rentrée. Ils suivaient, toujours contents de retrouver leur confort. Là, en partant, ils folâtrent un peu, flairant de ci-de-là. Je les appelais, pour que Lola particulièrement ne perde pas le fil de l'histoire. Finalement, elle, elle suivait gentiment, quand les deux autres, perturbés dans leurs habitudes, erraient au large, me cherchant de la vue. Je les appelais, ils levaient la tête, mais ne savaient pas par où m'approcher. Des tas de gravats les séparaient de moi, plantée plus haut sur le tertre. 

Après quelques allers-retours pour essayer de les remettre sur la bonne voie, sans y parvenir, tout déboussolés qu'ils étaient, je décidai de m'avancer avec la seule Lola. Les deux autres m'attendraient dans le remblai. C'est déjà arrivé, quand ils aperçoivent de loin un gros chien, et qu'ils préfèrent rester dans leur périmètre de sécurité. A un moment, Lola décida de rentrer. Elle est coutumière de ces voltes faces, sans trop de sommation. Je me suis dit : elle va ramener les deux autres à la maison, je les retrouverai là bas, après ma promenade. Pour une fois, je n'aurais pas à surveiller d'autres chiens croisant dans les parages, au cas où les miens s'en prendraient à eux, ou fileraient de peur.

Je marchais tranquille. L'air était effectivement moins vif. Je contemplais le paysage, face aux Trois-Couronnes, dans le soir tombé. Les ors s'approfondissent en mat, les fauves s'assourdissent en bruns profonds. Les ramilles légères des saules bleuissent leur gris en plumets légers au dessus des talus sombres. Le violet des montagnes derrière souligne tous ces tons en touches comme le ferait  un écrin. 

C'était bien joli, calme, tout à fait apaisant.

J'en étais là de ma détente totale, quand j'aperçus au loin la tâche claire d'un petit chien. Il semblait perdu, allant et venant, le nez au vent. Une promeneuse marchait d'un bon pas sur le chemin au dessus. Elle tenait en laisse deux molosses. Je regardai mieux la tâche claire. Elle ressemblait bien à Bullou. J'appelai, elle m'entendit, se tourna vers moi. J'écartai grand les bras, comme je le fais souvent avec elle, quand elle me vient en course folle. Elle commença alors effectivement à courir pour me rejoindre. Elle était trop loin encore, mais j'imaginais bien sa mimique, langue sortie et yeux pétillants de joie. 

Les deux molosses percevant le mouvement se mirent à aboyer. Leur maîtresse tira durement sur les laisses. Mais, trop tard, ma Bullou paniquée bifurqua brusquement, et se lança dans une sente parallèle, à l'opposé de moi. Mon temps de détente avait expiré.

Je repartis sur les traces de ma petite chienne affolée. Je l'appelai. Je la connais, dans ces cas, elle se terre dans un fourré, et n'en bouge pas tant qu'elle n'est pas sûre qu'il n'y ait plus de danger. Il y a bien longtemps, ainsi, nous nous inquiétâmes toute une nuit, avec mon père, parce-qu'après un coup de fusil trop proche, Bullou disparût, et ne revint qu'au petit matin. Quelle fête elle nous fit, alors, et quelle joie pour nous, déjà résignés à l'avoir perdue sans savoir où !

Je l'ai cherchée, appelée, sifflée. Elle connait les parages. Elle va rentrer plus tard, me dis-je. Mais je n'aimais pas du tout l'idée de la savoir atterrée, dans le froid de la nuit. Je m'inquiétais moins pour les deux autres. Je savais Lola rentrée, et Txief l'aurait suivie. Du moins, je l'espérais ainsi.

Je sillonnais nos sentiers. La lumière baissait. Les promeneurs étaient rentrés. Le paysage se fondait en une masse sombre indistincte. J'étais désolée. Tout le bénéfice relaxant de mes contemplations était perdu.

Enfin, quand je m'apprêtais à rentrer, complètement dépitée, Bullou surgit à un tournant du sentier. Sa robe blanche me la signalait dans la nuit. Je l'appelai, grandement soulagée, toute heureuse de la retrouver. Elle me fonça dessus, je la réceptionnai avant qu'elle ne butte contre mes jambes, comme elle le fait après une course. Une longue séance caresses, où elle me fit comprendre par de multiples contorsions et gémissements toutes les péripéties de sa fuite, et nous rentrâmes, elle faisant des allers-retours, toujours enivrée de joie, et moi, retrouvant tout le plaisir de ma promenade.

A la ferme, Lola attendait au bout de la cour. Txief était déjà rentré, à peine à l'affût. Là, tout le monde se repose, museaux fourrés dans les pattes repliées.

Je vais avancer un peu ma lecture du Ménière. Quelques fautes se nichent toujours au détour d'un paragraphe. Le plaisir d'écrire m'emporte trop souvent au delà de la vigilance grammaticale...


Lundi 12 décembre 2022 18h50


Je viens de terminer une première lecture du Ménière. Qui sera très certainement la dernière ! Repérer des fautes à chaque relecture me décourage. Elles s'amusent, les sournoises, se fondent et passent inaperçues, une première fois, pour mieux vous sauter au visage ensuite.

L'orthographe et la grammaire se perdent : à lire les notes, mails, sans parler des articles sur les réseaux sociaux, elles ne sont vraiment pas la première préoccupation de ceux qui écrivent.  

Moi, je reste attachée à ces basiques. Je sais que je fais des fautes. Les correcteurs de Gueguel ou autre Vindos ne corrigent que les mots qu'ils connaissent. Les conjugaisons, les accords, ma foi, si, quelque part, ça existe tel qu'ici, pourquoi pas, aussi, bien là ? Ils s'en foutent. Ils ont leurs limites, et on ne peut pas s'appuyer entièrement sur eux. 

En relisant, sommairement, je corrige quelques erreurs grossières. Il en reste, c'est sûr. Je m'en excuse. Sans prendre trop de peine pour les rattraper. Honte à moi !

J'ai ce matin été particulièrement efficace. J'ai bouclé toutes mes courses hebdomadaires "en ville", en y adjoignant un crochet par Mr Bricolage, pour y dégotter mon camouflage de polyane. J'ai trouvé deux panneaux coquets, légers, parfaits pour l'usage que j'en avais. Au retour, dans la foulée, j'ai fixé solidement tout ça. La pluie arrivait tout juste, quand j'avais à peine terminé.

Un petit coup de vent n'a rien emporté. Il n'était pas bien violent. La solidité de mon arrimage restera à vérifier. 

Pour la pluie, cette bougresse est tombée du côté sud, de là où elle ne tombe que très rarement. Evidemment, mes murs protégés côté ouest ne faisaient pas grand rempart. Tout de même, à l'inspection d'après sieste, j'ai confirmé mon diagnostic optimiste côté gauche, dans la porcherie-remise. A droite, plusieurs petites auréoles me narguaient, à des endroits où je ne les vois jamais. J'ai bien l'impression que cette tentative d'étancher ma remise sera le combat de mes vieux jours...

Pour la suite, mes chiens ont été plus attentifs, aujourd'hui, à me suivre en promenade. Après quelques hésitations, Bullou et Txief ont fini par imprimer le changement de parcours. Bullou particulièrement était toute follette, enjouée, guillerette.

Cette petite est tellement expressive, tellement sensitive ! Quand elle plante ses yeux noisette dans les miens, elle me darde sa confiance totale comme une coulée de miel clair. L'affection canine est chose profonde, indéfectible. Je n'ai trouvé ce regard que dans des yeux de tout jeunes enfants. Très vite, nous perdons l'innocence, la capacité de pleine confiance, semblerait.
A l'étable, TtonytaPetra sont moins dans l'émotion. Elles expriment leur satisfaction toute simple à être bien nourries, correctement traitées. Là aussi, le lien est franc, fiable.

Pas trop d'entourloupes avec la gente animale. Notre sophistication lui est étrangère. C'est bien reposant.


Mercredi 14 décembre 2022 18h30


Ma tablée se vide d'un goûter tardif.

La journée a été magnifique, d'une douceur surprenante. La maison est restée grande ouverte sur le soleil bas, visitée dans ses moindres recoins par la belle lumière.





Pendant la promenade, je suis restée un moment en imprégnation dans la lueur mordorée de la fin d'après-midi. Je me sentais irradiée de toute cette beauté, instillée en une nappe tiède et onctueuse jusque dans ma moelle. Son bienfait circulait dans mes veines comme un onguent  nourricier. C'était un de ces moments parfaits comme j'ai eu la chance d'en connaître beaucoup. 

Si c'est de l'emphase, alors je suis bien emphatique. L'agrément de ces montées exaltées, je le savoure. Je me fais provision de ces moments. Il sera bien temps autour de n'en avoir que le souvenir, ou l'espérance.

J'aime plus que tout ces paysages d'entrée en hiver, quand la lumière flamboie en derniers éclats, avant de redescendre en terre. Ce seront bientôt des gris, à peine ocrés ou alors relevés d'un parme discret. J'aime bien aussi, même si ça soulève moins de pleine euphorie en moi. Alors, c'est le temps d'une mélancolie douce et reposée, agréable aussi d'une sérénité plus dolente.

Ma journée a été de légers bricolages. Après une petite virée ménagère dans ces électroménagers trop vite encrassés, je me suis attaquée au décor de mon intérieur. Là, une redistribution de mes images murales m'a tentée. Pour quelques pièces faciles, mon faux-miroir au nord inversé, une création arbre-oiseaux, je la jouais facile. Tout ça est léger, à portée. 

Ensuite, grisée sans doute par l'effet d'après moi très réussi de ces menus changements, j'ai attaqué un ouvrage plus ambitieux. Je fais suivre depuis près de trente ans une nature morte de grandes dimensions. Un petit mètre soixante sur quatre-vingt centimètres, à vue de nez.  J'ai toujours apprécié ce genre de représentations, à la Chardin. Celle-ci propose des coupes de fruits autour d'une cruche ventrue. Des grains de raisins ont roulé sur la table, les grappes se déversent  entre panières de pommes et grains de cerise. Ce léger anachronisme raisin-cerise me pince à peine. Licence artistique permet. Tout ça baigne dans une lueur crépusculaire, où les fruits vitellins cueillent la lumière sur leurs flancs charnus. Quand le soleil donne dessus, c'est magnifique.

Cette œuvre majeure a connu plusieurs emplacements. Dernièrement, elle était dans cette pièce, sur le plus grand pan de mur. Elle était un peu surdimensionnée, et écrasait de sa masse sombre l'endroit. Nonobstant, j'aimais avoir à portée de regard mes fruits et leur cruche. 

En parallèle, depuis une dizaine d'années cette fois, j'ai acquis une toile avec branches fleuries de blanc et oiseau fondu là-dedans. Un genre de Van-Gogh japonisant. Celle-ci aussi, j'aime à la regarder à l'envie. Elle est à peine plus petite que la première. Mes murs sont majoritairement des pans de petite taille. Pour ces deux tableaux là, je n'ai pas cinquante choix. En fait, j'en ai deux, dont l'un, en haut, dans le dos, où le tableau par ses proportions rend bien, mais me prive de l'avoir sous les yeux, si je ne me plante pas devant dans l'intention arrêtée de le contempler. 

Autant, devant mes paysages, je fais de longues stations, autant, dans la maison, je m'occupe en va-et-vient, ou alors, j'écris, ou je lis. Le plaisir de la vue des tableaux est furtif, happé au passage. L'image dans cette pièce est bien à disposition, et j'en profite en plein. Là haut, c'est un peu du gâchis. Ces derniers temps, c'était donc le simili Van-Gogh et ses branches fleuries qui était un peu perdu pour moi.

J'ai alors ce matin décidé d'arranger ça. J'ai repéré un troisième emplacement possible pour mes grands tableaux. Celui-ci, est visible d'ici, et d'en haut. Il est suffisamment large et haut. Là, vraiment, tout y est : la place, la bonne distance, le bon angle de vue. C'est un emplacement bien tentant. Malheureusement, cette pépite a un écueil : elle offre son pan à près de trois mètres de haut, au dessus des meubles de cuisine. 

Jusque là, une pendule en soleil, charmante, au demeurant, de belles proportions avec ses rayons généreux, ornait cet endroit. Très avantageusement, je dois dire. En étudiant la chose, je lui trouvai un point de chute idéal, plus bas, sur une face perpendiculaire. Elle prendrait la place du faux-miroir au nord inversé, relégué celui-ci en haut, sur ce fameux pan dans le dos. Ce nord approximatif, je peux bien me l'enlever de l'œil, je le perds assez comme ça. Inutile de matérialiser davantage mes errements.

Le mur libéré me tendait les bras. La vis de maintien d'origine supportait le poids léger de la pendule. Mon tableau aux grains de raisin n'est pas bien lourd, un peu plus tout de même. Hissée sur l'échelle, j'éprouvai la fixation. La vis ploya, lamentable, en un angle désolé. Ah. 

Je n'étais pas très confortablement installée, là-haut. J'eus la tentation d'accrocher mon grand tableau tel quel. C'est ce que je fis dans un premier temps. Le tableau se retrouvait trop bas. Je redescendis, faisant difficilement suivre le cadre imposant. J'avais dans l'idée de fixer une accroche dans le milieu du bâti, appuyé sur un tasseau de maintien en bois. Ce que je fis.

Je remontai, ahanant, toujours encombrée et en équilibre précaire. Là, le tableau penchait en avant. Mince. Je devais le caler sur les côtés, pour redresser la gîte. L'heure du déjeuner approchait. Je fis un montage à la va-vite. Remontai. Raccrochai. L'effet n'était pas mal, le tableau bien centré sur le pan de mur, bien droit. Pour autant, je savais ma fixation précaire, avec cette vis en berne.

Je remis à l'après-midi la suite de l'affaire. Ma sieste ne fut pas reposante : j'avais en tête le fracas du tableau s'il tombait, le cadre en bois disloqué, la toile déchirée, un meuble écorné, un chien blessé, si ce n'était pas moi-même. Ou le tout à la fois : un désastre annoncé.

Ainsi tourmentée, je repris le chantier en son début. Remontai à mon échelle replacée, écartai le tableau, enlevai la vis. Je repartais à neuf. Sans trop de mal, j'insérai une cheville, un piton. A l'arrière du cadre redescendu à grand effort, je vissai un crochet solide. Une ou autre remontée et redescente encore pour ajuster le niveau, peaufiner le calage, et le tour était joué. Il était près de dix-sept heures ! 

Une presque journée dédiée à un seul placement de tableau. Oui, mais maintenant, j'ai mes grains vitellins sous les yeux, dans une petite oblique facile, d'ici, et la même d'en haut. Double profit, plaisir décuplé. 

Pendant que j'admirai mon travail terminé, le soleil rasant du couchant a posé en grâce son doigt sur la joue rouge d'une pomme. J'y ai vu la consécration de mes efforts. 

Le plaisir est plus vif d'avoir été si mérité. Cette tentative était à la limite haute de mes capacités. La réussite n'en est que meilleure. 


Vendredi 16 décembre 2022 18h48


La maison ronronne de bien-être, tiède, silencieuse, chaleureuse.

 TtonytaPetra ruminent en bas. Elles heurtent parfois de la corne l'abreuvoir, renvoyant jusqu'ici un son sourd en cadence. J'aime les sentir ainsi tranquilles. Je les ai gardées dedans, aujourd'hui. L'eau dégouline partout dans le champ, le bas de la rampe est une mare boueuse où je m'enlise avec ma brouette à fumier. Je prendrai garde demain matin de na pas trop la charger.

Nous avons ce matin fait le plein de foin. Dans ma remise bien rangée et à peu près sèche, je peux rentrer plusieurs balles. Une réserve pleine, c'est toujours rassurant.

J'ai tout à l'heure récolté les poireaux. Congelés, ils ne durcissent pas comme en terre, durant l'hiver. Les fûts sont bien longs, un peu minces pourtant. Le dur été ne les a vraiment pas aidés. Pour les carottes, elles ne s'en sortent pas trop mal non plus. Je terminerai mes récoltes dimanche ou lundi. Ensuite, j'épandrai sur ce carré libéré du fumier, puis du copeau de hêtre. La couche arable à côté est maintenant parfaite, même mouillée. Légère de tout ce paillage mélangé, elle se travaille onctueusement, sans peine. Je sens bien que dès janvier, à la faveur de quelques jours de soleil, je vais planter mes bulbes, mes envies, mes espoirs, pour la nouvelle année.

Demain à la jardinerie, dernière tirée pour les sapins. La finale du mondial de foot dimanche va sûrement vider le magasin. Alors, demain, il va falloir tout donner ! L'équipe est performante, ça devrait aller.



Lundi 19 décembre 2022  8h 















Du levant et jusqu'au ponant, des coulées de lumière fantastiques flamboient et enluminent.
A n'importe quel moment, de n'importe quel endroit, la beauté sourd et éclate en gerbes puissantes. Je ne m'en repais pas.

J'ai terminé d'arracher ma planche de carottes. Les fûts se tirent sans mal, tout propres dans le paillis léger. Le carré est maintenant nettoyé, prêt à être amendé, et paillé, pour les cultures futures. Je pense utiliser l'ensemble du potager, cette année. Cette nouvelle méthode simili-permaculture m'a parue tellement agréable, tellement facile !
Je jouerai sur les assolements, les rotations de variétés. Les planches seront suffisamment reposées, entre deux cultures, et nourries abondamment. Le fumier ne manque pas. Les copeaux non plus.
Un vent tiède souffle les feuilles et les fétus dans les recoins. Les arbres se dénudent à vue d'œil. 
Il n'est même pas six heures du soir, et la nuit est tombée derrière les carreaux. Les lumières de la ville tremblotent. Vers Orio, les branches nues du carolin, balancées par le vent, les font clignoter.
TtonytaPetra se sont couchées, rassasiées. Les chiens soupirent dans leur sommeil. Txief reste à la maison, depuis hier, quand j'emmène les deux autres en promenade. Ce petit chien vieillit à vue d'œil, lui aussi.


Vendredi 23 décembre 2022  18h


Une journée à l'ambiance estivale se termine. Depuis quelques jours, il fait incroyablement bon. Le vent chaud assèche les ornières. La maison grande ouverte respire à fond.
Finalement, j'ai planté mes bulbes maraîchers, en plus de la fève et du pois. C'était trop tentant. Mercredi, en fin de matinée et tout l'après-midi, j'ai travaillé dans mon potager, au grand air, dans une tiédeur bien appréciable.  
Un petit bavardage avec une voisine en partance m'a tenue un moment. Quelques gouttes éparses de pluie m'ont ramenée à ma terre. J'ai préparé le carré d'à côté pour le printemps. Celui où j'avais mes poireaux, mes carottes et mes choux. Le temps de repos sera raccourci, au détriment des préceptes sacrés de la permaculture. C'est bien connu, le sacré, c'est inaccessible, à moins de le profaner. Ce que je fais, donc. 
Pour compenser et en manière de sacrifice, j'ai doublé l'apport en fumier. Une fine couverture de copeaux par là dessus, et tout ça va travailler avantageusement, jusqu'au printemps. J'ai été agréablement surprise de constater la vitesse de décomposition de mes couches de cartons-sciure-fumier, entre le dernier printemps, et maintenant. Il n'a que très peu plu, (!), et pourtant tout ça s'est quand-même transformé en une masse légère, profonde, homogène, un véritable bon terreau de culture. Mon fumier si organique, riche d'une vie en dormance, accélère le phénomène. A chaque coup de houe, de gros vers noueux se tortillent. Le rouge-gorge attentif monte la garde. Un petit microcosme parfait nourrit ma terre.

Aujourd'hui, je suis descendue dans le champ. Les châtaigniers sortis des tubes durcissent en bois. Le long des tiges pas encore troncs, il n'y a plus de repousses à enlever. Pour les plus jeunes, ça n'est pas encore gagné. Quelques bourgeons terminaux ont séché. D'autres plus bas ont pris le relais. J'accompagne.

Je surveille aussi la clôture entre le pacage de TtonytaPetra et celui des voisines. Leurs conversations, cous tendus par dessus les lignes de barbelés, écartent les piques, et affaiblissent les fils. J'ai du reprendre un ou deux endroits où ces bougresses avaient réussi à couper carrément la rangée supérieure.
Tout ça m'a gentiment menée à la fin d'après-midi, vite là en cette saison des plus courtes journées. TtonytaPetra soignées, j'ai été faire mon tour rituel. Maintenant, Txief et Lola ne m'accompagnent plus. Ils avancent un peu, et rebroussent chemin très vite. Je n'ai plus que Bullou pour me suivre. 

Avant hier-soir, ma petite noisette était malade, toute retournée de vomissements. Elle rejetait un liquide jaunâtre, sans rien de solide, d'une consistance de bière aigre. La quantité de ce liquide m'inquiétait. Je l'ai laissée hier matin au repos. Ses vomissements s'étaient espacés. Je me pensais quitte pour une visite à Bégonia, ce matin, et les quelques centaines d'euros qui vont avec. Quand je suis rentrée hier soir, un peu inquiète de savoir comment j'allais trouver ma souffrante, elle est venue me faire fête, un peu après les deux autres, alanguie encore, le pétillant de l'œil terni de fatigue. Elle n'avait plus vomi. 
Mes frères ne l'ont pas vue de la journée, cloîtrée en haut dans son cab-refuge, comme mourante. La voir mieux m'a soulagée. Cette nuit dernière, ma petite s'est parfaitement reposée, exhalant quelques soupirs dramatiques, histoire d'avérer son épuisement. Au petit matin, sa prunelle brillante et son moignon de queue frénétique ont levé mes dernières craintes. 
La journée me l'a rendue égale à elle-même, enjouée et câline. Elle a juste eu un moment de début de panique, quand, dans le champ au châtaignes, en conversation avec un aimable voisin à l'angle de ma fameuse clôture, je n'ai pas vu mes génisses, Zaldi et les vaches voisines s'attrouper autour de nous. Bullou se voyait mal partie, encerclée par toutes ces grosses bêtes qui lui soufflaient dessus. Je l'ai hissée contre moi. Elle n'était pas encore trop fière, claquant des dents aux naseaux trop proches des vaches venues la flairer. Nous avons levé salon, tous, et chacun est reparti chez soi.

Demain à la jardinerie, je continuerai mon réaménagement d'envergure, entamé mardi. J'adore ces chantiers. Je suis arrivée à fédérer un ou autre gaillard. Les sapins ne les mobilisent malheureusement plus trop. Il nous en reste beaucoup sur les bras. Noël cette année verra sans doute moins de sapins dans les chaumières. Les traditions se perdent...


Mercredi 28 décembre 2022 17h20


Un voile nuageux grise la baie. Il a encore fait anachroniquement chaud aujourd'hui. La sobriété énergétique de rigueur y trouvera bon compte.
L'entre-fêtes alentit les activités. Les ripailles demandent réparation, repos. J'ai cette année cumulé le soir de réveillon, en bas, et le déjeuner du lendemain, dans les Landes. Même en restant raisonnable, riche nourriture, bien assez de boisson, et moins de sommeil, encrassent les systèmes. Pour le jour de l'an, je me contenterai du déjeuner à Saubusse. Ainsi, j'aurais accompli mes civilités. La chaire est bien bonne, à ces occasions, la compagnie agréable. Je retrouve le plaisir d'une petite promenade en forêt, avant de rentrer retrouver mon monde, ici.

Mon engouement du moment se porte sur les éclairages extérieurs. Dans ma cour-jardin, quand je rentre de la jardinerie, à la nuit, en cette saison, les quelques gros cailloux posés en lests sur le gazon synthétique matérialisent durement des embûches sur le parcours. 
L'année dernière à cette époque, un rocher-photophore et un projecteur solaire fixé au dessus de la porte métallique faisaient l'affaire, plus ou moins. Pour là, le rocher s'est sérieusement terni, et n'éclaire plus rien. Le projecteur a baissé la tête, et biaisé son angle. Je l'ai d'après moi rectifié, d'un coup de tournevis, et d'une rondelle glissée en son arrière. La cour est un peu longue, pour sa portée. A son mieux, il s'allumait quand je passais l'angle du balcon. Et déjà enjambé à l'aveuglette le premier caillou. Cette année, avant mon intervention, il ne me captait que quand j'étais tout près, hors de danger, en gros. Je vais vérifier ce soir si j'ai amélioré son score, ou pas.
En complément de ce premier dispositif, j'ai rajouté sur la tranche du mur aux panneaux de bois un second projecteur solaire. La visée de celui-ci serait de m'éclairer dès la sortie de la voiture, et d'accompagner mes pas jusqu'à temps que le premier prenne le relais. Je couvrirais ainsi en totale sécurité l'ensemble du trajet.
La fixation de ce projecteur requérait un perçage dans le béton. Ma petite machine à batterie n'y suffisait pas. J'ai sorti la quincaillerie plus lourde, avec sa percussion. Bien casquée, j'ai percé, plus facilement que je ne le croyais. Le boîtier est maintenant fièrement positionné en proue. Il demande je crois quelques jours de charge, pour être opérationnel. Résolument tourné vers le sud, à la bonne hauteur, il devrait être performant. Les prochains jours parleront.
Pour le fun, je vais rajouter quelques lampions dans les bacs à plantes. Tout ça devrait être charmant, romantique à souhait. 

Plus tôt dans la matinée, j'ai récupéré sur le zinc en bordure de la toiture un petit morceau de maçonnerie, coiffé d'un bout de tuile. Je l'y ai vu il y a quelques jours, en remontant vers l'ancien poulailler, d'en bas, descendu du faîtage, sans doute, et en voie de tomber dans la gouttière. Le faîtage paraissait entier,  pourtant. Je suis très attentionnée à repérer les éventuelles avanies de la maison. Une petite entrée d'eau, à bas-bruit, fait un joli dégât sur la charpente, si on la laisse aller.
Cette récupération nécessitait un outil à manche, le débris étant un peu trop haut pour être atteint à la main, depuis la terrasse.  Là encore, je me suis agréablement étonnée de la facilité de la manœuvre. Le fragment de ciment s'est gentiment laissé porter par la bêche, jusqu'à choir gentiment dans le canal devant moi. Je n'ai plus eu qu'à l'enlever de là. 
Le ciment et le morceau de tuile s'étaient décollés. Je regardai de plus près mon faîtage, me demandant d'où cet assemblage pouvait bien venir. Je ne voyais qu'un endroit possible : la pointe au dessus du zingage, juste avant les planches de rives jointées en oblique. De là où j'étais, je ne voyais pas comment ces plaques de zinc étaient soudées. Je m'inquiétais pour la couverture de la terminaison de la panne centrale. Si les deux bandeaux de zinc recouvrant les deux planches de rive jointaient par une soudure en ce sommet, ma mini tuile posée sur le ciment servait de protection à cette soudure. Et sa défection laissait une possible fente, ou, au moins, un point de fragilité dans la protection. Si les bandes se recouvraient au delà de la cime, il n'y avait pas de danger. La mini tuile maçonnée là n'était qu'esthétique. Hum, je n'y croyais pas trop. Tout en pensant le zingueur mieux inspiré de souder sur un plat, plutôt que sur une pointe.
Le doute instillait en moi son poison. Je ne pouvais pas vérifier, en restant sur la terrasse. Appeler un professionnel juste pour peut-être un simple constat me semblait exagéré. Attendre la venue d'Olivier, c'était souffrir quelques jours encore. Il ne me restait plus qu'à monter moi-même sur le toit, pour aller y voir de plus près, et en avoir le cœur net. 
Ce pan de toiture est facilement accessible, sur son côté, par la terrasse. S'y avancer n'est pas dangereux. Pour autant, l'aplomb en bout, sur l'autre façade, est de plus de six mètres. C'est ce qui me faisait hésiter. J'examinai mieux le champ opératoire, et délibérai : je n'avais pas besoin de m'avancer jusqu'au bout pour avoir une bonne vue de la situation. A califourchon sur le faîtage, à un mètre de son extrémité, je pourrais facilement vérifier si le zingage chapeautait bien la panne, sans possibilité d'entrée d'eau. Si l'ouvrage était mal façonné, je ferais alors intervenir un charpentier. Je ne me risquerais pas à trafiquoter une parade imparfaite, si près de l'à-pic.
Ce terme moyen me satisfit. Je l'appliquai dans la foulée. Grimpai sur les tuiles, avançai accroupie sur le faîtage. Le dernier mètre leva mes inquiétudes, et me récompensa de mon audace : les plaques de zinc se chevauchaient sur la pointe en épaisseur, et la soudure plaquait la supérieure à l'autre, bien plus bas, sur le versant plat. Je m'en retournai, admirai au passage de la haut la vue panoramique magnifique en cette matinée limpide, avant de redescendre sur le plancher de mes vaches sorties brouter dans le pré.
Toutes ces facilités cumulées me firent l'humeur légère. 

Dans la douceur du milieu d'après-midi, les trois chiens m'ont aujourd'hui suivie. Nous sommes passés par ce sas entre les versants sud et nord, ou la coulée d'air remonte ou descend en température de plusieurs degrés, selon le sens d'où on le prend. Là, l'ambiance était étale. De la bande de mer plate au bleu bien tranché sur le ciel, aux monts arrondis des montagnes en face, l'air restait tiède, égal.
La nuit est tombée. Je vais passer par l'extérieur, pour me présenter dans la cour par le devant. Mon projecteur de complément ne doit pas être suffisamment chargé. Je testerai déjà le premier. Par une journée où tout s'est si fluidement enchaîné, ce serait dommage de terminer par un loupé.



Vendredi 30 décembre 2022  18h40

Encore une journée magnifique, à la douceur hors saison, bien agréable au demeurant.
Mon vieux projecteur a retrouvé un angle de captation mieux venu. La cour est un peu trop longue pour lui. J'attends la performance complémentaire de son adjoint.

Aujourd'hui, c'est l'angle de la cour des vaches qui m'a mobilisée.
TtonytaPetra cultivent les relations publiques avec le voisinage. La plus grande des deux génisses d'à côté est une vraie pot de colle. Dès qu'elle est sortie dans son pré, elle vient s'enquérir des miennes, encore à l'étable à cette heure là. Elle se présente à l'angle du mur, là d'où l'année dernière mes génisses s'étaient échappées, et meugle en appel. Les miennes, occupées au râtelier, ne répondent pas trop. Quand elles sortent, elles viennent tout de même saluer la voisine avec civilité.
Le muret surplombe le terrain voisin d'une paire de mètres. Il y a bien une clôture par dessus. Pourtant, l'année dernière vers cette même époque, en se bousculant, sans doute, TtonytaPetra avaient basculé, emportant avec elles les fils barbelés. Elles ne s'étaient pas fait mal. Mes frères en avaient été quittes pour une course dans le champ, histoire de les ramener chez elles. J'étais à la jardinerie ce jour là.
Suite à l'incident, en plus d'une clôture "en dur" côté est, j'avais plus ou moins sécurisé cet angle, en en condamnant l'accès, par quelques lignes de barbelés tirées en oblique. Ca paraissait aller.
Ces derniers mois, la voisine câline et Ttony se sont beaucoup rapprochées. Elles se suivaient le long de la clôture, écrasant quelques fils au passage. Quelques clous, un ou autre raccord, et les dégâts étaient réparés. Depuis avant-hier, je ne sais pas ce qui s'est passé, les deux adolescentes sont chafouines, et s'évitent. Ca arrive aussi, dans la gente bovine.
Petra était un peu jalouse de la complicité des deux blondes. Elle suivait Ttony, un peu, comme pour la ramener à elle, puis, s'éloignait, pour aller brouter là où l'herbe lui semblait plus verte. 
Depuis avant-hier, elle a pris le relais avec la voisine délaissée. Mais elle, elle ne longe pas la clôture, en bas, dans le pré. Non, elle, elle cultive salon dans ce fameux angle de cour. L'autre, chavirée d'amitié, lève sa bonne tête, pour s'approcher de sa nouvelle meilleure copine. Elle pousse du mufle les lignes basses de fil ronce, les remontant le long du tube cylindrique auquel elles sont attachées. Elle arrive ainsi à passer la tête dessous, et allonge encore le cou, pour toucher Petra, qui, elle, écrase les lignes obliques du dessus, pour s'approcher aussi. A elles deux, elles parviennent à la rencontre physique, se hument, enivrées, se léchouillent, et cultivent une relation semi-amoureuse. 
J'ai tout de suite repéré là le nid à ennuis. Aujourd'hui, ces deux là s'adorent et se mamourent, demain, elles se disputeront, et chercheront à s'encorner. Ma clôture d'angle n'y résistera pas. Et ce sera de nouveau la chute, l'évasion, de la plus haute, évidemment, la mienne, la course, les emmerdes. Tatata ! Pas de ça chez moi !

J'ai donc pris les mesures nécessaires. Une fin de rouleau de grillage rigide à mailles suffisamment serrées traînait dans le garage de Beñat. Il m'en a fait don, pour que je puisse mener à bien mon ouvrage de sécurisation du périmètre.
Dans l'après-midi incroyablement douce, sous un ciel calme de nuages gris étirés sans menace, j'ai positionné, cloué, arrimé, mon grillage rigide aux piquets en place tendus de fils ronce. Le résultat en est un triangle de quarantaine sanitaire, où les bêtes seront distantes de l'une de l'autre. Ce sas de sécurité devrait les décourager de parlementer à cet endroit. Qu'elles descendent, là où TtonytaPetra ne risquent pas la bascule. Oui, parce-que je la vois bien venir, celle-là : il y aura réconciliation, nouvelles alliances, disputes encore et boudouillages. Des affaires de jeunesse, quoi.

Mes jours filent ainsi comme une flamme.
Une pleine année civile dans ces locaux s'étire et tire  à sa fin. C'est le moment traditionnel des rétrospectives. J'ai parcouru dernièrement mes chroniques passées, de la même période. Je retrouve avec une réelle tendresse celle que j'ai été, et ma vie d'alors. Je retrouve avec précision la couleur de ces jours. 
Je souris de certaines de mes insolences puériles. Je ne cultive pas la nostalgie de ce temps-là. Je suis reconnaissante de l'avoir vécu tel que je l'ai vécu, parce-qu'il m'a menée là où je suis, et suis bien.
C'est au moment de l'assoupissement, ou juste après un demi-réveil, quand la conscience cède la place, ou ne la reprend pas tout à fait, que des réminiscences me rattrapent. Je me crois encore en bas, je cherche la lumière vers des ouvertures du côté où je les avais alors, et m'étonne de la configuration d'ici, quand je n'y vois qu'un pan de mur plein. J'entends ces bruits si familiers d'une maison. 
Pour moi, dans la vieille ferme, le grincement de la porte du poêle, le battement têtu de celle de la cuisine, quand on ne l'avait pas suffisamment claquée pour la fermer, le bruit des chaînes des vaches, différent de celui d'ici. La vibration intermittente du réfrigérateur. Le vent, dehors, plus assourdi qu'ici. La lumière différente sous les plafonds hauts. L'odeur du bois brûlé, celle piquante de la fumée. La perspective en fuite depuis le fond de la chambre jusqu'à la cour où ma mosaïque fracasse le reflet par ses fragments de verre. Le bruit des griffes des chiens sur le carreau ou le parquet. La voix de mon père, même celle de ma mère, parfois, qui m'appelle.
Certaines images incongrues me visitent. Je ne les identifie pas, pas plus que je n'en connais la cause. Une silhouette floue dans l'air, une forme étrange penchée sur moi. Elle instillent une manière de malaise, disparaissent.

Puis, je me réveille, allume la lampe, et me retrouve ici et maintenant. Mon décor me surprend, puis, très vite, me plaît. Je reprends pied dans le moment et l'endroit. Je suis contente d'être là, et en ce temps. 
J'aimais ma vie d'avant. Mes articles me le confirment, même si je n'ai pas besoin de les relire pour m'en rappeler. La seule période difficile que j'ai eue à passer m'a suffisamment fait sentir la chance immense d'avoir vécu cette vie là, si préservée, simple et saine. 
Vu de maintenant, je sais que ma trajectoire est juste, et bénéfique. Quand je m'endors, je sais trouver le repos, quand alors je cherchais juste l'oubli dans le sommeil.  

Je cherche moins la paix. Je crois bien que je l'ai trouvée.




 



jeudi 1 décembre 2022

MON MAUDIT MENIERE

 


MON MAUDIT MENIERE

SOMMAIRE

 INTRODUCTION

Pourquoi ce livret ? Pour qui?

1/ HISTORIQUE


2/ SYMPTOMES

1/ acouphènes
2/ surdité
3/ vertiges
 

3/ CAUSES


4/ TRAITEMENTS

1/ médicamenteux
2/ kinésithérapie vestibulaire
3/ psychologique
4/ sociétal ou comportemental
        5/ technologique
        6/ chirurgical


5/ EFFETS SUR LA VIE PROFESSIONNELLE

1/ restriction des emplois 
2/ perte de compétitivité-handicap


6/ EFFETS SUR LA VIE PERSONNELLE

1/ angoisses de la chute
2/ isolement par la surdité
3/ perte de confort et de confiance
4/ risques dépressifs


7/ LE DEBUT DU PARCOURS

1/ les premières crises 
2/ les crises à répétition
3/ la consultation médicale et les diagnostics
4/ la mise en place des traitements

8/ LA RECHERCHE DU CONTROLE

1/ l'observation de soi et du phénomène
2/ l'expérimentation des parades


9/ LA VICTOIRE !

1/ l'habituation
2/ l'anticipation
3/ la réussite


10/ LES CONSEQUENCES 

1/ l'obligation de réorganiser sa vie
2/ la prise de conscience de sa vulnérabilité
3/ une recherche d'équilibre 
4/ une hygiène de vie améliorée
5/ des relations moins nombreuses, plus qualitatives
6/ la philosophie de l'aléatoire
7/ la gratitude du retour à une normalité 


11/ MON PARCOURS


12/ MES ANECDOTES



13/ MAINTENANT







INTRODUCTION


Je souffre de cette pathologie qu'on appelle Ménière, comme près de trente millions de personnes sur la planète. Nous ne sommes pas seuls.
Ce livret s'adresse à ces près de trente millions de personnes, pour le moins aux francophones, et à leur entourage. Ca fait encore pas mal de monde, trop, pour ceux qui en sont. 
Sa prétention est de réconforter, soulager, donner espoir.

Je parle pour ceux qui vivent vraiment la maladie au quotidien, pendant des années. 
Certains connaissent une crise, ou quelques crises, sporadiques, et, bienheureusement, plus rien. Ils ont croisé le syndrome, mais ne sont pas malades. 

Nous, les vrais Ménières, les Ménières vieillis, considérons ces profanes comme de petits joueurs. Nous compatissons, nous comprenons évidemment leur panique, sur le moment, quand la crise est bien carabinée.  Ces occasionnels sont des accidentés sur le parcours, quand nous en sommes les baroudeurs au long cours.

Les Ménières vieillis, pour leur malheur, enchaînent les crises, par périodes, à des fréquences insupportables.
Ce que j'appelle crise, c'est le temps où, même avec un fusil sur la tempe, on ne peut pas se mettre debout, et s'y tenir. Le moment où, entre vomissements, frissons, suées et acouphènes assourdissants, on devient misérable, rampant invertébré. 
L'entre-deux, ça reste la maladie, avec son inconfort, sa souffrance, l'angoisse d'une possible chute brutale à tout moment. Ca n'est plus la crise, mais c'est déjà bien assez.

A certaines périodes fastes, j'ai subi des journées entières où j'étais plus souvent en crise que dans l'entre-deux. C'était invivable. 
Heureusement, ca n'a pas duré. 
Je me suis jetée sur toute la pharmacopée disponible, dans une palette suffisamment large, pour endurer, et passer le pic. Ca a marché. Ponctuellement.
En parallèle, et pour ne pas revivre ça, j'ai pris des mesures plus générales, réaménagé ma vie.  Ca m'a demandé plus de temps, évidemment. On ne réagence pas son environnement comme on décapsule une pilule. Mais là, la rémission a été plus saine, et plus pérenne.

Le Ménière est un vrai parcours du combattant. Les embûches y sont nombreuses, et les chutes et rechutes, au sens propre et au figuré, décourageantes.
Pourtant, le Ménière est formateur, aussi, d'un enseignement intransigeant, à la sanction implacable.

Après quelques crises à plusieurs années de distance, rétrospectivement repérées, j'en suis depuis 2012 à dix années de vraie maladie. J'ai, je le pense, je l'espère, atteint le pic en 2017. Depuis, les choses vont mieux. J'ai en visée d'améliorer encore mon état. 
Je ne pense pas qu'on guérisse d'un Ménière installé. On l'apprivoise, cependant, suffisamment pour espacer les crises,  les atténuer, et, pourquoi pas, les voir disparaître. Ça prend en moyenne, ai-je lu quelque part, et bien retenu,  deux décennies. Il ne faut pas être pressé.
J'en suis à plusieurs mois de répit, entre deux épisodes de quelques jours, pendant lesquels j'essuie une ou deux crises, plus ou moins sérieuses, et de plus en plus brèves. Quelques minutes seulement, parfois, même si l'effet perdure dans un malaise diffus, plus longuement, mais jamais au-delà de quelques heures. Quand je me souviens de la période critique, autant vous dire que je vais mieux.

La maladie n'est pas mortelle. Elle n'est même pas grave. Pour autant, elle vous pourrit joliment la vie ! Pour les cas où les traitements ne soulagent pas les symptômes, elle est perçue par trop de professionnels comme une maladie nerveuse, sans trop de fondement physiologique, du moins, connu et maîtrisé. Dans ces cas-là, évidemment, quand la science médicale avance une lippe dubitative, c'est souvent synonyme  d'une causalité vite enveloppée dans ce stress si fourre-tout. On avance des hypothèses, mais la médecine traditionnelle reste circonspecte. Vous vous retrouvez seul avec le bébé sur les bras, et personne pour vous dire exactement comment il est arrivé là. Et, surtout, comment il en partira !
Si les mesures de première intention, traitement médicamenteux, et kinésithérapie vestibulaire,  ne s'avèrent pas efficaces, vous êtes vite catalogué comme un hystérique, incapable de supporter une pression normale. 
Ca n'arrange pas vos affaires, vous, qu'un peu de sincère compassion aiderait bien. Vous vous sentez incompris, nié dans votre maladie, et dans la recherche de la reconnaissance de sa souffrance. Vous seriez illégitime dans vos plaintes. Votre monde n'est qu'une vallée de larmes...

La maladie ripe alors vite en effet sur une vulnérabilité psychologique, puisque la notion de danger imminent, la peur de ces chutes imprévisibles et brutales, dangereuses, l'inconfort de symptômes pénibles, usent votre résistance nerveuse, en plus de mettre à mal vos ressources purement physiques.
On en arrive au chien qui se mord la queue, ne sachant pas si c'est l'état psychologique délabré qui entraîne le physiologique, ou l'inverse. L'œuf et la poule, et vous au milieu, complètement désemparé.

La science du cerveau et de notre système nerveux a sûrement fait d'énormes progrès.
Malheureusement, cette pathologie du Ménière, avec un trop petit nombre de malades, sans doute, et le relatif succès des parades de première intention, ne  passionne pas les chercheurs.

J'ai évidemment comme vous consulté des spécialistes, ORLs, neurologues, kinésithérapeutes.
Ils ne m'ont pas soulagée.
C'est pour vous, qui êtes dans mon cas, que j'écris.
Vous, qu'on reçoit avec compassion, au début, puis, agacement, quand vous persistez à ne pas aller mieux. Votre syndrome résiste à tout ce qui marche, chez d'autres. Le problème n'est pas la maladie, le problème, c'est ce que vous en faites. 
Et, on vous dirige gentiment, avec douceur, mais fermeté, vers des spécialistes de la psychologie. Oui, puisque, finalement, ce qui ne va pas, chez vous, c'est vous !

Je suis persuadée de la pertinence d'une prise en charge psychologique de la maladie.
Persuadée aussi, qu'en creusant davantage, dans ce système auriculaire compliqué, dans notre corps organique, physiologique, il y a quelque part un mécanisme défaillant, un dysfonctionnement.
C'est ce dysfonctionnement, hors de portée, pour le moment, de la connaissance médicale de nos spécialistes, qu'il faut rechercher, et corriger.
 
Le jour où un éminent professeur décortiquera tout ça, les Ménières "résistants" ne deviendront pas "vieillis".
On les soignera. On ne se contentera pas d'essayer de parer aux symptômes, en leur tapotant gentiment l'épaule, avant de les éconduire pour les renvoyer à leurs petits et grands malheurs.

Ceci dans l'avenir du futur.
Pour le moment, nous tentons de faire au mieux, avec, entre condescendance et compréhension.

Entre souffrance, courage et espoir.


La longue cohabitation avec le Ménière vous aide à démêler toutes ses causes, à faire le tri, plus ou moins, dans les facteurs interagissant dans ces mécanismes si sophistiqués d'une toute simple et inoffensive oreille humaine.
On n'apprend jamais mieux que quand on est le premier concerné, et intéressé, à l'acquisition de cette science.
J'ai fait mon apprentissage. Je n'en ai pas fini.

J'aurais bien aimé, à mes débuts, avoir un maître. Il n'aurait pas pu marcher à ma place, mais il aurait avec attention guidé mes pas, pour m'éviter de trébucher trop fort. Je lui aurais fait confiance, je l'aurais écouté, et j'aurais suivi ses conseils.
Je n'ai pas la prétention d'enseigner à qui que ce soit. J'ai juste l'envie d'accompagner, avec bienveillance, avec mon expérience, ceux qui sont au début du processus, ceux qui avancent sans voir le bout du tunnel. 

La maladie, quelle qu'elle soit, ne peut pas trop être un sujet léger. Ceux qui souffrent sont moyennement disponibles à la blague.
Je prends quand-même le pari de surfiler mon récit de rire, de gaîté, de moquerie, pas toujours gentille, sur les autres, et aussi sur moi, pour pouvoir m'y autoriser.
Le Ménière n'est pas toujours pris au sérieux, par ceux qui n'en souffrent pas. Il reste incompréhensible, saisissant, amusant, franchement hilarant, dans les cas de chutes brutales, sans dommages, vues de l'extérieur.

Je comprends ces réactions, j'aurais eu les mêmes. Il m'arrive de les partager, la crise passée...
Je suis bien persuadée, que là, comme en toutes choses, il vaut mieux rire qu'en pleurer. Et que c'est peut-être par le rire, justement, qu'on se tire le mieux de ce si mauvais pas.

Pour la forme, je ne suis pas plus professionnelle de l'écriture que je ne le suis de la science médicale. J'essaierai de faire de ce livret un fascicule lisible et intelligible, évidemment, mais aussi, et peut-être d'abord, distrayant.
Je pense nécessaire d'expliquer ma manière de faire, pour rendre certaines coordinations au premier abord surprenantes, moins déconcertantes.
Ma visée n'est pas la réalisation d'une œuvre littéraire aboutie. Elle reste tout de même la tentative de parler de la maladie de Ménière, le plus agréablement possible, et, tant qu'on y est, de manière divertissante.

Je ne considère pas cette tentative comme une obligation de résultat. Je n'y ai pas d'enjeu majeur, ni de calendrier. Pour autant, j'y reviens, tout comme si j'en avais un. Je me suis vaguement donnée un objectif : l'achever pour la fin de l'année. Tout à fait arbitrairement, puisque j'aurais aussi bien pu prévoir deux, trois, cinq ans, pour le finir. Ou ne pas me donner de terme. Ca n'aurait pas changé grand-chose à l'affaire : le monde n'attend pas après moi.
Et bien non, j'ai en fait besoin de sentir dans mon horizon un cadre. Quitte à me le donner toute seule. Le vague d'une trop grande liberté me désarçonne. Ménière m'a appris le sens aigu des limites nécessaires.

Pour la méthode, j'ai calé maintenant une manière qui concilie mes fugues et fantaisies, avec un 
semblant de structure.
J'ai d'abord élaboré un plan, dont les lignes s'articulent selon une logique raisonnable.
Là derrière, je prends les éléments du récit comme ils me viennent, sans chercher à les ordonner. Cette anarchie comble mon besoin d'errance. Je n'ai plus le sentiment de me plier à un carcan étroit. Je fais juste attention de rester plus ou moins centrée sur mon sujet. 

Ensuite seulement, je décortique mon texte en plusieurs parties, selon leur appartenance à chacun des volets de mon plan de départ. Je rectifie quelques subordinations et quelques enchaînements incongrus, pour faire de l'ensemble une suite cohérente. Autant que la cohérence soit à ma portée...
Je reconstitue ainsi un puzzle dont chaque élément me surgit dans les mains au fur et à mesure.
Très rarement, trop ?, le bon chapitre est au bon endroit. Plus rarement encore, le texte d'un seul tenant d'écriture se loge dans une seule case.
C'est la démonstration flagrante d'une pensée en feux d'artifice, anarchisée, où n'importe quelle idée fuse, dans n'importe quelle direction. En retravaillant ce fatras, il y a quand même moyen, je le crois, d'en tirer une trame fluide, aux maillons parfois disparates, mais plus ou moins bien reliés les uns aux autres.
Avec un peu de pratique, je pense même arriver à me discipliner.  En avançant, je devrais mieux coller à mon plan. Ne serait-ce que parce-que, au fur et à mesure, les cases à remplir seront moins nombreuses, et les pièces de mon puzzle plus rares.
J'écrirai alors plus efficacement, c'est sûr. Cette satisfaction palliera peut-être le début d'ennui de l'appauvrissement de mes arguments. Ou pas.
Je serais déçue, je pense, si je n'arrive pas à construire quelque chose de potable. Mais je me connais : je m'arrangerai pour terminer, quitte à bâcler, et engoncer mon projet peut-être trop audacieux pour mes capacités, dans une perspective moins ambitieuse, mais plus à ma portée.

Je n'ai aucune formation médicale. Si j'ai essayé de m'informer sur la maladie de Ménière, je n'ai jamais creusé bien loin, très vite découragée par la trop grande technicité des publications autorisées.
Dans ce livret, mes références seront complètement approximatives. Mes explications seront davantage des interprétations très libres des phénomènes expérimentés.
Je rapporte ici ce que j'ai vécu, fidèlement, du moins autant que ma mémoire le soit.
Je transcris ce que j'ai appris, et retenu, des spécialistes et des ouvrages dédiés, à ma manière, sans me soucier d'inexactitudes, ni même d'erreurs scientifiques manifestes.

Ceux à qui je m'adresse ne sont pas des étudiants pointus intéressés par le Ménière. Les études médicales, pour le moment, restent évasives sur la cause de la maladie. Les symptômes sont bien observés, justement décrits. Les mécanismes profonds restent hors de portée de la science, d'après ce qu'on m'en a dit.

Ceux à qui je m'adresse sont des gens qui souffrent, voudraient bien comprendre pourquoi, si on est capable de le leur expliquer. Et on ne l'est pas. 

Ceux à qui je m'adresse voudraient d'abord, et, avant tout, être soulagés. 
Avant une petite prétention littéraire, c'est ma visée.


Que mes lecteurs me lisent donc avec indulgence...



1/ HISTORIQUE


Que quelqu'un se soit intéressé à cette pathologie est déjà une chance. 

Les premières études furent menées à l'aveuglette, sur des patients sourds-muets. Le sujet n'était pas la préoccupation prédominante de la science médicale, à l'époque.

C'est là qu'intervient le Dr Prosper Ménière, dans les années 1840.





Romantiquement, j'ai imaginé qu'il était lui-même atteint de la maladie. Ca l'aurait légitimement poussé à investiguer plus avant.
Finalement, il semblerait que non. Prosper Ménière était un médecin brillant. Il n'accéda pourtant jamais à la chaire de professeur, malgré la publication d'ouvrages médicaux unanimement reconnus par ses pairs.
Sa carrière subit une bifurcation inattendue, dans les années 1840. Il se retrouva dans un institut spécialisé dans les enfants sourds-muets. Le sujet ne soulevait pas l'enthousiasme médical, alors. Ca devait être une échappatoire, à un moment où Prosper se décourageait sans doute de ne pouvoir atteindre une situation plus brillante. 
Peut-être, harassé de tant d'efforts mal récompensés, brimé par une épouse déçue de le voir piétiner au second plan, connut-il dans ces années notre fameux burn-out. Là, j'imagine.

Quoi qu'il en soit, et pour notre chance, il se rabattit donc sur l'examen poussé du système auriculaire, chez ces enfants mutiques atteints de surdité. 
Au passage, ce terme d'"auriculaire" m'a au départ déconcertée : je connaissais le petit doigt auriculaire, mais, pour ce qui concerne l'oreille, appendice, j'aurais plutôt orthographié "oriculaire" d'oreille, justement. Après enquête rapide, il s'avère que le petit doigt est le seul que l'on puisse glisser dans l'oreille, et que de là viendrait l'analogie. Ainsi, il y aurait d'abord eu "auriculaire" d'oreille, puis, "auriculaire" du doigt. Je trouve ça tiré par les cheveux, mais pourquoi pas. Fin de la parenthèse.
Le lien entre les deux handicaps, mutisme et surdité, est établi rapidement. Un enfant qui n'entend pas peut difficilement faire l'apprentissage du langage oral. Ces enfants étaient considérés comme attardés, handicapés de naissance, et pour la vie.

Le Dr Ménière fut sans doute ému par leur souffrance, et, fort de ses compétences avérées, se mit à étudier en profondeur notre système auditif, et ses complexités.

C'est au détour de ses explorations, qu'il fit le rapprochement avec ces vertiges rotatoires, dont souffraient certains de ses contemporains. Un ami à lui, peut-être.
A l'époque, on assimilait facilement ces vertiges à des crises d'épilepsie. 
Il n'est pas si loin, le temps ou on amalgamait épilepsie et possession spirituelle. De spirituelle à démoniaque, il n'y a qu'un pas, allègrement franchi par nos ancêtres, et même, je crois, par certaines peuplades primitives encore existantes.
A quelques siècles d'écart, nous, malheureux Ménières, finissions grillés sur le bûcher.
Fi donc des plaintes, et estimons-nous bienheureux !

Depuis 1940, la science médicale s'est tout de même penchée sur nos malheurs. Si le mécanisme profond reste mal expliqué, des recherches menées sur les symptômes, et leur traitement, ont permis d'améliorer la vie des malades. Pour certains, ils ont même parfaitement fonctionné, et ces chanceux ont repris le cours de leur vie là où le Ménière les avait malencontreusement cueillis, quelques mois ou années plut tôt.

Je l'ai dit plus haut, mon livret ne parle pas de ceux-là. Ceux-là, ils sont tirés d'affaire, soulagés. Ils sont bien-sûr à mêmes de comprendre notre désarroi, ils ont expérimenté ce que nous vivons depuis des années, mais l'usure ne les a pas autant fatigués. Et c'est tant-mieux pour eux !


Pour les autres, la lutte est longue et pénible.
Je suis persuadée que la reconquête de ce qui se rapproche de la sérénité est possible, après un parcours de Ménière abouti. Persuadée aussi qu'alors, la vie devient meilleure, bien meilleure qu'elle ne l'aurait été sans cette traversée du tunnel.

On se réconforte comme on peut...



2/ SYMPTOMES



1/ acouphènes


Les acouphènes sont en général les premiers rangs du bataillon d'attaque de la maladie.
Dans la maladie de Ménière, ils s'installent, subrepticement, sournoisement.

Tout le monde a connu ce phénomène de l'oreille qui siffle. Et la plupart n'en souffre que quelques secondes, quelques minutes tout au plus. Un traumatisme, l'exposition à un bruit trop fort, un changement subit de pression extérieure, peuvent l'induire pour plus longtemps, quelques jours parfois.
Le sifflement est plus ou moins fort, plus ou moins aigu. Il n'est jamais agréable, toujours perçu comme une gêne.
Normalement, il reste ponctuel, temporaire, tout au plus, et se laisse oublier.

Chez les Ménières, les premiers acouphènes sont plutôt discrets. On ne les repère pas franchement, comme ce phénomène de sifflement dans l'oreille.
L'acouphène entre doucement, par la petite porte, pour ne pas se faire remarquer. Les premiers vrombissements, assourdis, restent en arrière-plan.
Moi, pendant longtemps, j'ai cru, en traversant le grenier et en percevant ces bruits de fond, qu'il y avait du monde en conversation bourdonnante, dans l'étable en dessous. En descendant, j'étais surprise de ne trouver personne. Le vrombissement cessait alors, le plus souvent, et je ne m'en inquiétais plus.
Cet inconfort vint me visiter de plus en plus souvent, et dans des lieux de plus en plus divers. Il s'accentua aussi, dans ses tonalités sonores. De simple vrombissement, il se mua en bourdonnement insistant, puis, en sifflements plus difficiles à supporter. 
Un environnement trop bruyant en amplifiait immédiatement le volume, et le propulsait vers des aigus vrillant toute la tête. J'en sentais la répercussion rythmée comme un battement de cœur logé dans mes oreilles.
Une situation de trop grand silence ne me convenait pas non plus : seule à seule avec mes acouphènes, je n'entendais plus qu'eux. Ils m'obnubilaient. Un gentil bruit de fond amical, un environnement douillettement bruissant, me faisaient très agréable compagnie, en diluant les indésirables dans un tableau agréable.

Les acouphènes ne sont pas douloureux. Ils sont entêtants, usants. Ils vous poursuivent jusqu'à l'endormissement, qu'ils perturbent, évidemment. Le temps passant, ils ne vous lâchent plus. Ils modulent tout de même des accalmies. Vous espérez alors en avoir fini. Vous retrouvez dans votre tête le silence, si bienfaisant. Vous vous dites : ça y est, ils n'y sont plus... et puis non, ils sont bien là, tapis, sournois, indéboulonnables.
Pour les Ménières avérés, vieillis, comme il est dit, ils reviennent, et finissent par se creuser une loge à temps complet, dans votre pauvre tête affolée.
Au début, vous l'êtes, affolés, justement. Vous pensez que vous ne tiendrez pas. Les acouphènes en continu vous rendent dingues, ils prennent toute la place, vous ne pouvez plus vous en distraire, vous en êtes prisonniers.
Vous renoncez à croire à leur disparition. Tout ce à quoi vous aspirez, c'est de les rendre moins agressifs. Une redescente dans les graves, un ralentissement dans les battements, vous sont intense soulagement.

Vous ne croyez plus retrouver un jour la sérénité du silence. Et, sans vouloir vous décourager, il se peut bien que vous ne la retrouviez jamais. 
Le moindre choc sonore, la moindre conversation un peu animée dans une pièce fermée, et les sifflements reviennent en bataillons serrés. Pour plusieurs heures, au mieux, plusieurs jours, parfois.
Dans les périodes de tension, ils ne vous quittent plus. Ils vous épuisent, et cet épuisement empêche votre cerveau de les renvoyer dans les cordes.
Les acouphènes mobilisent votre énergie, la sape.
Ils occupent aussi le terrain de votre environnement sonore. Ils vous en éloignent, et vous enferment dans une bulle de grand malaise. Vous n'entendez qu'eux. Vous devenez moins perméable au reste.

En situation de silence objectif, c'est pire encore. Un fond sonore discret les dilue, ne serait-ce qu'un peu. Ce que vous percevez en dehors d'eux, vous donne l'impression de relâcher leur emprise. Ils sont des envahisseurs. Les autres bruits, ceux que vous savez être réels, vous laissent l'impression d'un semblant de normalité.

Vous avez bien compris, après les tout débuts, que vous vous inventez ces bruits. Ces acouphènes sont des illusions sonores. Ils prennent source dans votre système auditif interne, sans aucune raison d'être extérieure.
Vous ne maîtrisez plus votre audition. L'acouphène s'est installé en vous, et pille votre accès au silence. Même si le vrai silence n'existe pas, même si votre propre activité organique fait du bruit, même si notre monde vit et s'entend, plus ou moins fort selon les contextes, les "exempts" ne peuvent imaginer ce que les victimes d'acouphènes donneraient, pour en être débarrassés.

Il faut du temps, et beaucoup de maîtrise, pour s'habituer aux acouphènes. L'accoutumance est difficile, semble hors de portée, au début.
Pourtant, je vous l'assure, on s'y fait.
On apprend même à apprivoiser l'acouphène. On cohabite, tant bien que mal.
L'immense soulagement à un retour au calme, suffit à redonner confiance.
Avec le temps, avec beaucoup de temps, pour la plupart, les acouphènes deviennent partie intégrante de votre vie. Ils s'y font une place raisonnable. Vous finissez par retrouver le reste, l'environnement sonore autour. 
Vous pouvez même les oublier, à certaines occasions, quand ce que vous entendez par-dessus eux happe votre concentration.
L'ennui, c'est le retour à la situation antérieure, quand les acouphènes se rappellent à vous, comme des invités indélicats qui s'incrustent.
Vous avez renoncé à les bouter hors de chez vous. Le mieux que vous ayez réussi à obtenir, c'est de les fourrager dans une remise où vous arrivez à les mettre hors de votre vue.

J'ai parfois l'espoir de les neutraliser. D'en faire des désagréments légers. De trouver même parfois un certain réconfort à leur seule accalmie.
Incroyablement, quand ils modulent en moi une harpe amicale, je les apprécie.
J'y vois ce qui se rapproche maintenant le plus pour moi de la paix intérieure.
Je me demande même si j'aurais cette gratitude, sans ça...


2/ surdité


Les Ménières présentent un handicap auditif, plus ou moins sérieux.
La présence des acouphènes amortit l'acuité à la perception des sons extérieurs, par le simple phénomène de paravent. 
Le système des cellules ciliées, transmetteur de l'information sonore, est perturbé.

Généralement, les Ménières sont atteints dans une seule oreille. Ou alors, de façon plus prononcée d'un côté que de l'autre. C'est mon cas. Cela engendre la désorientation sur la provenance des bruits. On entend, mais on n'identifie pas l'origine spatiale de ce que l'on entend. C'est très déstabilisant. 
C'est aussi un facteur d'angoisse. 
Le bruit est par atavisme une alarme, le signal d'un danger potentiel. Quand on l'identifie, on se réfère à une expérience déjà connue, et connue la plupart du temps pour n'être pas dangereuse. Quand on en localise l'origine, on en reconnaît plus facilement la cause, et on en revient à quelque chose de moins offensif. La notion de danger disparaît, ou, au moins, s'amenuise.
Imaginez l'inquiétude suscitée par un bruit étranger, que vous n'arrivez pas à situer, ni à identifier.
C'est très inconfortable. Ça vous maintient dans un qui-vive permanent.

Pour l'entourage, votre désorientation acoustique devient vite une source d'agacement, ou d'amusement, selon l'état d'esprit du moment. Vous hélez quelqu'un, et il tourne, comme une girouette en roue libre, incapable de venir vers vous, puisqu'il ne sait pas où vous êtes ! Vous en êtes quitte pour lui donner des informations géospatiales, sur votre position par rapport à la sienne, s'il daigne rester immobile. Ce qu'il fait rarement, tout désireux qu'il est d'accéder rapidement à votre demande, et, pour ce faire, de vous localiser.
Quand, en plus, comme moi, vous confondez la droite et la gauche, ça n'est pas gagné !

Imaginez-vous sur un sentier de montagne. Vous entendez près de vous le moteur pétaradant d'une moto, que vous ne voyez pas. Vous ne savez pas s'il arrive derrière vous, ou s'il va débouler sur l'un des côtés. Vous vous jetez de droite, ou de gauche, ou, vous restez immobile, ou encore, vous tournoyez sur vous-même pour essayer de le capter dans votre champ de vision. Toutes ces tentatives, incomprises du motard, le déconcertent. Au mieux, adroit, il vous évite et continue son chemin, en se demandant quel est ce taré qui gigue là. Au pire, en essayant de vous éviter, il glisse et chute. 
Là, vous n'avez pas localisé l'origine du bruit, du danger, mais vous l'avez au moins perçu.

Une difficulté vient s'ajouter à la configuration, quand c'est un cycliste, qui vous approche sans que vous l'ayez vu, ni, a fortiori, entendu, venir. Là, vous marchez, tranquille. Lui, pensant que vous l'entendez, pédale, tranquille aussi. Il serre un peu, s'attendant à ce que vous serriez de votre côté. Il arrive sur vous, toujours tranquille. Vous ne paraissez pas trop vieux, ni trop brinquebalant. Vous allez vous écarter. Et puis, non. Le cycliste arrive toujours sur vous, il est surpris de votre indifférence. Il vocifère, furieux. Enfin, vous le percevez, dans votre dos, ou quelque part dans les parages. Vous vous retournez, brusquement, saisi de surprise.
Saisi lui aussi par la brusquerie de votre volte-face, comme le motard tout à l'heure, il peste, tangue, se rattrape, ou pas.

J'ai souvent eu ainsi maille à partir, que ce soit à la campagne, ou en ville, dans le flot d'une circulation dense.
Sagement, je me tiens bien sur les trottoirs, je regarde à deux fois avant de traverser. Sur les sentiers champêtres, je m'accompagne souvent de mes chiens. Ils me donnent l'alerte, bien avant que mon suiveur n'arrive sur moi. J'anticipe alors le dépassement du promeneur sur cycle, et nous nous saluons aimablement, bien loin de tout conflit ou accident.

En plus de cette difficulté à identifier l'origine des bruits, il y a la surdité par elle-même : l'incapacité à les percevoir. 
Les Ménières ne sont généralement pas complètement sourds. Et ils ne le sont pas pareillement des deux oreilles. Celle qui est touchée, est plus déficiente que l'autre. La seconde finit aussi par perdre de sa capacité, par usure excessive peut-être.
Ils ne sont pas non plus sourds avec la même constance. Selon qu'ils soient en périodes de crises ou pas, ils entendent plus ou moins bien. Leur audition est déficiente par paliers, selon le terme des professionnels. Je n'ai jamais trop compris ce qu'ils entendaient par là. Sûrement une histoire de fréquences des sons, ou tout à fait autre chose.
Ce que je sais, par contre, c'est que ma surdité n'est pas figée. Du moins, elle ne l'était pas, au début. J'avais par moments l'impression de retrouver l'intégralité de mon ouïe. Le meilleur des tests était celui du téléphone. En portant le combiné d'une oreille à l'autre, je mesurais parfaitement le décalage. Quand ce décalage s'amenuisait, c'est que l'oreille incriminée retrouvait sa capacité. Mes troubles d'orientation s'atténuaient. Tout allait mieux.
Le même test, tout aussi probant, se réalise facilement, en bouchant alternativement une oreille, puis l'autre.
Je vérifie aussi très facilement le niveau de ma surdité quand j'écoute la radio ou la télévision. Quand je dois tourner le bouton du volume au-delà du 18, ou quand les barrettes éclairées se hissent en haut de l'échelle, mauvais : l'oreille ne répond plus. Quand les signaux d'alarme redescendent : aahhh ça va mieux, aujourd'hui ! Pour en avoir discuté avec quelques Ménières, la perception de la radio est bien meilleure que celle de la télévision. Une affaire de fréquences, sans doute.

Maintenant, mon oreille droite est bien plus fainéante dans sa perception des sons que celle de gauche. J'ai l'impression qu'elle s'est stabilisée à un niveau, malheureusement, très bas.
Pour la gauche, elle aussi touchée, les fluctuations sont très perceptibles. Je sens très bien par moments l'ensemble de ma joue congestionné, cette impression de lourdeur, comme quand on a eu une anesthésie buccale. La sensation d'un poids mort. A ces moments-là, j'entends moins bien, vraiment moins bien, de mon oreille encore valide. Puis, ma joue s'allège, mon oreille "refroidit", et retrouve un semblant de punch pour assurer sa fonction.

Parallèlement à cette perte "classique", quoique non linéaire d'audition, le Ménière souffre d'hyperacousie. Certains sons lui parviennent amplifiés, douloureusement agressifs. Certains tons de voix, certains bruits, deviennent insupportables. 
J'ai remarqué une bonne part de subjectivité dans ce volet de ma surdité. Immanquablement, les bruits perçus comme trop violents, prennent leur origine dans une personne ou un contexte jugés négatifs. Je supporte parfois très mal la montée de ton dans une conversation désagréable, quand par exemple des rires intempestifs et tonitruants me dérangent bien moins. L'aboiement de mes chiens ne me fait pas sursauter. Quand le claquement d'une porte, même bien moins sonore, percute mes nerfs. L'effet de surprise est centuplé par l'hyperacousie. Le désagrément aussi.
Ces deux faces opposées de la surdité du Ménière en font une petite énigme pour l'entourage. D'un sourd, on attend qu'il ne réagisse pas au bruit. La surréaction à un impact sonore devient incompréhensible. 
Et pourtant, c'est ainsi.

Le Ménière est assez insaisissable, mais plutôt loyal, sous cet aspect. Pour la surdité, ou l'hyper-acousie, elles s'annoncent civilement. C'est en périodes de crises qu'elles sont les plus dérangeantes. En dehors, elles ne vous cueillent pas à froid, comme peuvent le faire les vertiges.
Par contre, l'inconfort est constant, quand la maladie est installée. Il y a du mieux dans l'audition, dans les périodes calmes, mais jamais elle ne revient au niveau de départ. L'hyperacousie se détend aussi, à ces moments. La sensibilité aux bruits dérangeants s'émousse.
Il faut se résoudre à perdre de l'ouïe. Et renoncer aux environnements trop bruyants.


3/ vertiges


D'après moi, le phénomène le plus spectaculaire, et le plus handicapant de la maladie de Ménière, est la perte brutale de verticalité, selon le terme médical, plus simplement dit, la chute.
Souvent, on me demande : "Et tu ne sens rien venir ?" 
Et moi de répondre : "Si je sentais venir, crois-tu que je tomberais comme une patate, toute raide et sans aucune tentative de me rattraper ?"
La chute paroxystique chez le Ménière est d'une brutalité saisissante. Elle ne laisse le temps de rien, ni de parer, ni de comprendre.
La sensation est celle d'une poussée dans le dos, ou alors d'une aspiration brutale,  quand ce n'est pas une éjection, un lancer, comme si l'on devenait une vulgaire balle, que l'on peut envoyer s'écraser ou se perdre dans toutes les directions, selon la fantaisie d'un joueur fou de rage.

Il y a une telle violence, dans ces chutes, une telle fulgurance, que le sentiment d'impuissance est total. Cela survient en un millième de seconde, et ne laisse malheureusement pas trop le temps de s'agripper à quelque chose ou à quelqu'un. Ça n'a rien à voir avec un tournis, même sévère, un vertige au sens commun, où la sensation de la perte d'équilibre est bien moins soudaine, et bien moins brutale. 
On peut avoir une idée du déséquilibre ressenti après une de ces chutes, par comparaison, quand, de la position accroupie, on se relève trop vite : j'ai la tête qui tourne, dit-on alors. On multiplie par une échelle centuplée, et on bloque le tournis en boucle, sur une durée variant de quelques secondes à plusieurs heures. On est loin du compte, mais on est dans la bonne projection.


Pour les chutes paroxystiques, celles qui vous envoient sauvagement valdinguer sans aucun préavis, l'impression d'impuissance et d'incompréhension est évidemment décuplée. Ce sont celles-ci les plus dangereuses, celles qui vous projettent à terre face en avant, en paralysant tous vos réflexes de sauvegarde.
Je ne sais pas si c'est pour ne pas augmenter l'effroi ou pas : certains spécialistes vous assurent que ces super vertiges foudroyants n'interviennent pas en position assise, au volant d'une voiture, par exemple.
Je ne devrais peut-être pas les démentir, pour la même raison. Peut-être à tort, j'ai le souci de délivrer mon expérience, telle que je l'ai vécue. Je pense aussi, que, si d'autres la vivent de la même manière, ils seront réconfortés de savoir que leur cas n'est ni unique, ni désespéré.
Tant que l'on n'a pas été secoué comme un chiffon en étant assis, ou couché, il est bien naturel de s'accrocher à l'idée que les chutes n'arrivent qu'en station debout. Ça rassure, en restreignant le champ de mines des possibles.

Malheureusement, il arrive d'avoir des vertiges saisissants, tourbillonnants, assis, aussi, et couché. 
Evidemment, le risque de tomber en étant couché est moindre. Il m'est pourtant bien arrivé de me jeter hors du lit, ne sachant plus du tout où j'étais ni comment. Et de rencontrer malencontreusement sur ma route l'angle dur d'une table de chevet, ou le pied lourd d'une lampe.

Les plus fréquentes de mes chutes ont quand même été classiquement verticales. L'impression, je l'ai décrite quelque part, est celle d'un tapis sur lequel vous vous tiendriez debout, et qu'on retire avec force et brutalité de sous vos pieds. Le mouvement vous projette, en l'air ou à terre, dans un monde lui aussi tourbillonnant, ou alors frénétique de séquences superposées, comme celles d'un film passé en multi-accéléré.

Dieu merci, certains vertiges sont moins offensifs. Ils se sentent arriver, et laissent le temps de s'assoir, de s'accrocher, de se mettre en sécurité. Cette seule position moins dangereuse les atténue, même si les suites peuvent être tout aussi désagréables que pour les premières.
Ces chutes sont perçues par les pratiquants aguerris comme gentillettes. Après quelques pas déséquilibrés de pochtron en sortie de fête, on se vautre, en se réceptionnant comme on peut. Dans ces cas-là, la chute laisse le temps de prendre une ou autre mesure préservatrice. 
On tombe, mais on tombe en se sentant tomber, même si la sensation n'est pas celle d'une chute "normale",  où l'on perd l'équilibre après s'être pris les pieds dans un obstacle, en glissant, ou en étant bousculé. 
En parlant de ça, il faut avoir vécu une chute de Ménière, pour apprécier le bien-être d'une chute ordinaire. L'impression de tomber, quand on tombe en sachant pourquoi on tombe, même si on l'a compris trop tard pour ne pas tomber, justement, est d'une suavité incroyable. 
Pour les Ménière, les chutes, même les plus douces, celles qui avertissent une demi-seconde avant de vous fondre dessus, restent incompréhensibles. Elles laissent complètement dans le désarroi, alimentant l'impression d'être soumis à quelque chose d'imprévisible, et de profondément injuste.




3/ CAUSES



Un symptôme pouvant avoir plusieurs causes, et une cause pouvant engendrer plusieurs symptômes en conséquence, il y aura forcément des redondances dans mon inventaire, de toute façon exhaustif, et dans l'articulation de ce paragraphe et du précédent. J'ai aussi tendance à rameuter les parades à ces symptômes au plus vite, au risque d'anticiper sur les traitements, prévus pour le paragraphe suivant. En résumé, tout ceci est un joli bordel, où mes tentatives d'organisation abdiquent lamentablement. Pour autant, les éléments épars s'articulent autour d'un seul objectif : repérer, et parer. Le souci d'ordre vient après, ou pas ! A chacun de faire son marché là-dedans, et de ranger son panier comme il lui convient.

Je l'ai spécifié en introduction, je ne suis aucunement versée dans un quelconque domaine médical. Mes explications sont tout sauf scientifiquement autorisées. Ma seule légitimité, ma légitimité tout de même !, me vient d'une expérience longue, difficile, et pragmatiquement documentée. 
Pour avoir essayé de comprendre les mécanismes métaboliques des différents symptômes du Ménière, j'avoue avoir trouvé leur étude bien ardue. 
Je livre ici mon manuel non illustré à l'usage des profanes et des concernés. Cette imagerie naïve m'a aidée à me représenter ces causes, à défaut de les avoir scientifiquement cernées.
Pour en avoir parlé avec des spécialistes, j'ai d'ailleurs l'impression que, même pour eux, elles sont assez obscures et difficiles à saisir, ces maudites causes.


        1/ les acouphènes


Les acouphènes s'expliqueraient par des vibrations de membranes auriculaires. 
Leur modulation suit les variations de l'environnement sonore. La plupart des gens connaissent le phénomène de sifflement ou de bourdonnement, après une exposition prolongée à un bruit violent.
Pour les Ménière, la sensation perdure, même si son intensité varie. Chaque nouvelle exposition réactive le traumatisme, et provoque la résurgence d'un niveau d'acouphènes plus ou moins soutenable. 
Dans le meilleur des cas, les sifflements ou les bourdonnements s'atténuent, leur fréquence descend dans les graves. C'est alors un véritable soulagement.

L'état nerveux joue un rôle prépondérant dans la perception des acouphènes. Evidemment, plus on est calme, moins ils sont lancinants. Une situation inconfortable, nerveusement éprouvante, les rameute en rangs serrés. 
J'ai qualifié parfois les acouphènes d'hallucinations auditives. Le cerveau crée les sons, qui n'existent pas. 
J'ai l'impression parfois de réentendre un bruit que je viens d'entendre. La sonnerie de mon portable, par exemple, ou le bip d'un message, normalement perçu, je continue de l'entendre pendant un bon moment, alors que personne ne m'appelle ni ne m'envoie de message.
Quand je suis dans l'attente d'un évènement, d'une visite, tout bêtement, par exemple, j'ai l'impression d'entendre la voix de celui ou de celle que j'attends, avant qu'il ne soit là.
Ca n'est pas la même chose que de guetter un bruit, quand on essaie de le détecter parmi d'autres. C'est bien l'impression d'entendre objectivement ce bruit, en sachant bien qu'il n'y est pas.
Quand je travaille, mon portable professionnel sonne parfois, évidemment. Moi, j'ai l'impression de l'entendre tout le temps. Je dois vérifier le voyant lumineux signalant l'appel, pour savoir s'il sonne réellement, ou si c'est moi qui m'invente cette sonnerie.

Les acouphènes constituent une gêne entêtante, une fatigue lancinante. Ils ne sont pas douloureux. Ils sont presque pire.

Si la participation du cerveau dans le phénomène est indéniable, le mécanisme de cette construction auditive reste mystérieux. Ce serait un peu comme si, une idée, un concept, une réminiscence intellectuelle, se matérialisait, se concrétisait en son, au lieu d'en rester au stade abstrait. Comme une fuite dans le circuit normalement imperméable à ce premier stade de mentalisation.


         2/ la surdité


Pour la surdité, les causes paraissent mécaniques, avec une compression de membranes, une histoire  de capteurs ciliés endommagés, d'après ce que j'en ai compris. Les petits bras censés collecter les sons se mettent en grève. Ils captent mal. L'information sonore, passée au sas de cette barrière inerte, parvient comme très éloignée, assourdie, confuse. La multiplicité des sons, de leur origine, se traduit par un brouhaha complètement illisible. 
Le cerveau mal desservi par ce salmigondis inexploitable trie comme il peut, compense par des approximations. 
C'est amusant de voir combien l'imagination valeureuse tente de pallier ce manque-là. D'une information supposée, tronquée, incomplète, on suppute. Raccrochant ici et là quelques éléments épars et passablement convergents, on retrame l'histoire. Le résultat est parfois approchant de la réalité, et parfois pas du tout ! 
Le fruit de ces reconstitutions hasardeuses peut-être déconcertant, et réellement amusant. Instructif aussi, par la fantaisie des analogies utilisées. Je suis sûre qu'il y a là un creuset psychologique d'une richesse inexploitée.

Pour un tracteur censé être livré sur "plateau", je comprenais qu'il arrivait par "bateau". Le fait est, l'engin venait bien de loin. Mon "bateau" illustrait  nettement mieux cet éloignement géographique !
Un client étonné du montant de ses achats me lance "Eh, je ne suis pas rentier !" Et moi, j'entends qu'il a "perdu son dentier"... Rien à voir, sauf si, comme moi, on a contemplé avec admiration ledit "dentier", une merveille de porcelaine immaculée, en se disant qu'il a dû coûter bonbon !! Et que le client doit être suffisamment à l'aise financièrement pour pouvoir se payer quelques plantes, même onéreuses...

Je pourrais citer ainsi des centaines d'exemple, où ma surdité réserve des surprises bien amusantes, et intéressantes, aussi, pour suivre le cheminement d'une pensée intuitive.


En complément de cette surdité déjà handicapante par elle-même, le Ménière ne détecte pas bien l'origine spatiale du bruit : il ne repère pas sa source, sa provenance.  Cela doit tenir à la différence de perception entre les deux oreilles. Les retours sont mal synchronisés, la stéréo anarchique. C'est le bazar dans la circulation d'une information déjà floue. Complètement désorienté, le pauvre Ménière mal renseigné ne sait plus vers où se tourner, quand on l'interpelle hors de son champ de vision.
Je me rends bien compte de l"inscientifique" de mes explications. Je n'en ai pas de plus techniques. L'étude m'en a parue trop ardue, pour un bénéfice piètre.
Le caractère définitif de ce symptôme dans le parcours d'un Ménière vieilli le fait considérer comme impossible à juguler. S'atteler à décortiquer les causes physiologiques compliquées  de la surdité ne la lèvera pas. 
On sait pouvoir parer, même imparfaitement, avec la technologie, en court-circuitant les organes de transmission de l'information auditive, défaillants chez les Ménière, vers les récepteurs cérébraux. C'est déjà beaucoup !
Des ordinateurs miniaturisés captent les bruits, et les transmettent directement au cerveau, passant outre les mécanismes défaillants. Le son en est métallique, chuintant, malgré les meilleurs réglages. Mais, effectivement, le son parvient plus clair, intelligible et "traductible".
Pour ce que j'en ai expérimenté, les appareils auditifs ne compensent malheureusement pas la désorientation.  Ou alors, je n'ai pas eu les bons ! J'ai rencontré peu de Ménière, pour pouvoir aligner des statistiques documentées. Ceux avec qui j'ai discuté de ce point particulier m'ont fait part de la même déception. La technologie n'a peut-être pas dit son dernier mot !
L'hyperacousie, cette perception exacerbée du bruit, doit elle aussi provenir d'un disfonctionnement de transmission auditive. Un petit nerf effiloché, sur le point de rupture, crépite en étincelle à la réception du son. Un léger grattement devient raclement insupportable, un tambourinement d'impatience se mue en cavalcade assourdissante. Imaginez le grincement aigu d'un couvert contre le fond d'une assiette : une torture ! 
Un son moyennement désagréable pour la plupart, perçu généralement comme insignifiant, voire un peu gênant, est un coup porté à bout portant pour le Ménière. Il sursaute alors exagérément, se crispe sous l'effort pour maintenir un semblant de contrôle. Si le son perdure, la souffrance est telle que le Ménière quittera le lieu, s'il le peut. Sans aucun souci de politesse ou de convenance, à ce stade. Pas toujours sortable, ce petit Ménière...


        3/ les vertiges


Résignée à subir la médiocrité de mon audition, obligée de cohabiter avec mes acouphènes, je m'attache davantage à comprendre ce qui peut provoquer les vertiges, dans le but de les éviter, évidemment !
Là, je pense que la compréhension du phénomène aide à sa résorption. Là, pour le coup, cela vaut vraiment la peine de s'y intéresser de près.

Je vais essayer de décrire comment, d'après ce que j'ai compris des différents spécialistes consultés, j'explique les vertiges, et leur phénomène induit le plus spectaculaire et dangereux : les chutes, brutales, et impossibles à anticiper.


Ce genre de chute serait l'effet du déchirement soudain d'une membrane auriculaire interne. Les liquides contenus dans les vésicules, libérés comme des génisses auxquelles on ouvre grand le portail, s'engouffrent dans les circuits annexes. J'image ça en pensant à un torrent déboulant dans des galeries souterraines.
A ce moment-là, les pressions osmotiques garantes de l'équilibre sont sauvagement neutralisées, complètement inopérantes. C'est la débandade. Pour le malheureux hôte d'une mécanique ainsi anarchisée, la perte complète du sens de son environnement. Il n'y a plus alors ni haut ni bas, ni droite ni gauche. Il n'y a plus que des surfaces dures, qui traversent l'angle de vision affolé, très près, bien trop près.
Moi, dans ces moments-là, ma préoccupation est de savoir quand, cette horrible sarabande va s'arrêter, et, surtout, comment sera la réception de cette haute voltige bien involontaire.
La réponse ne tarde généralement pas, abrupte et douloureuse. La tête heurte durement le sol, la surface d'un meuble, ou un pan de mur. Je n'ai jamais eu l'heur de tomber sur un coussin moelleux et amical. J'ai pourtant toujours eu la chance incroyable de ne pas me faire mal. Quelques bleus ont boursoufflé mon front ou endolori une épaule, rien de plus.

Vu de l'extérieur, c'est assez saisissant. Quelques spectateurs de mes malheurs m'ont décrit ça comme un saut raidi, où je me jette dans le vide, pour atterrir, face contre le sol, comme poussée par l'invisible. La première stupeur passée, ils s'en sont amusés, après s'être tout de même assurés avec moi que tout allait bien. Ou du moins, pas trop mal, entre nausées, tremblements, jambes en coton et suées alternativement froides et brûlantes. Ces suites sympathiques peuvent ne durer que quelques secondes, ou de longues heures, les jours fastes.

C'est ce phénomène aussi qui signe l'aspect purement mécanique, la seule défaillance fonctionnelle exclusivement physique.

Evidemment, la crise paroxystique, fondue dans un épisode classique de Ménière, est l'effet de causes conjuguées. La partie psychologique, nerveuse, l'angoisse se nourrissant de l'angoisse en un cercle vicieux, provoquent la chute, par congestion sans doute des vésicules auriculaires, sous l'effet du stress, ce bon vieux stress fourre-tout, pour le dire simplement. Parce-que de toute façon, je ne saurais pas le dire techniquement : je n'ai pas les compétences médicales pour le faire.

Par contre, certaines chutes toute aussi brutales, interviennent à un moment isolé d'une période de crises. 
Même si l'expérience est plus légère, si elle se restreint à une perte momentanée de l'équilibre, sans aller jusqu'à la chute, avec ce si sympathique sentiment d'avoir autour de soi un monde mouvant, tournoyant, le phénomène se déclenche, hors de tout contexte psychologique.

On m'a rapporté des séquences comparables à des crises de Ménière, à la suite de la pratique de plongée, par exemple. Il y a là forcément une cause toute mécanique, une affaire de pression osmotique anarchisée par l'environnement extérieur. 
Les oreilles qui se bouchent quand on monte en altitude ne sont pas le fait des seuls Ménière névrosés. S'ils ne provoquent pas une perte subite et complète de l'environnement spatial, avec la chute brutale en conséquence, ils signent quand-même une corrélation entre ces fameux cristaux auriculaires dont la fluidité garantit le bon équilibre, et la pression atmosphérique toute extérieure.

Pour nous, les Ménières, quand un simple mouvement de tête, vers le haut, sur le côté, vous mord à la nuque et vous chavire la vision en un tourbillon subit, j'ai du mal à croire qu'on puisse incriminer autre chose qu'un défaut fonctionnel. 
Pour me le représenter, j'imagine la bulle d'un niveau de chantier. L'inclinaison entraîne en principe la bulle avec elle, en un mouvement synchronisé, et fluide. Notre bulle à nous loge quelque part dans l'oreille. On parle de cristaux. Là, au lieu de suivre la danse, la bulle, ou les cristaux, ou ce qui s'y apparente, ne suit pas. Elle, ou ils, en restent à la posture antérieure à l'inclinaison. Et là, le liquide-mère ne sait plus quoi faire de cette bulle paresseuse. En une réaction mécanique, elle la secoue, la bouscule, l'affole.
Je pratique aussi une variante, avec la boule de mercure, coincée dans la colonne d'un thermomètre déréglé.

Toujours dans l'idée de m'approprier ma maladie, dans la visée de l'apprivoiser, j'ai transposé les quelques informations médicales glanées et plus ou moins comprises. Il y est question de pressions, et du manque d'harmonisation de ses pressions. Ma bulle isolée dans un liquide pressant, n'est plus en état de s'adapter, de suivre le mouvement. Sous le poids d'une compression trop forte, elle explose, ses parois se déchirent, et laissent déferler en elle le flot invasif de hordes barbares. Plus sobrement, les liquides ou autres lymphes voisines.
Le phénomène n'en arrive pas toujours à cette extrémité. La compression se fait parfois lourde et insistante, distordant la pauvre petite bulle comme de la pâte à modeler. Mais elle tient bon, déformée, malmenée, mais hermétique, encore.
Là, on tangue, l'espace devient vite ondoyant, on a l'impression d'un étau posé sur la tête, dont les mâchoires vous enserrent douloureusement. On en sent le poids, et on en sent la compression, plus forte au niveau de l'oreille, et plus largement dans toute la joue. 
A ce moment, tout ce qui soulage cette congestion est bienvenu. J'ai expérimenté des massages dans la zone de la joue et de la nuque. Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. Les larmes, aussi contribuent à alléger le trafic. Les Ménières ont d'ailleurs souvent la larme à l'œil. C'est déconcertant pour l'interlocuteur, qui ne pensait pas avoir un discours aussi émouvant. Mais ça fait un bien fou. Alors, au diable les convenances !

La source de cette pression peut être extérieure à l'hôte. 
La seule pression atmosphérique est durement ressentie, chez les Ménières. Bien plus désagréablement que chez les autres. Les bruits, aussi, le tumulte, le brouhaha, les fonds sonores, les vibrations, induisent une congestion douloureuse sur la bulle. 
Certaines actions mécaniques, dès qu'elles interfèrent dans la sphère ORL, y provoquent des perturbations. Un Ménière aguerri ne se mouche par exemple jamais sans filet, c'est-à-dire sans s'appuyer sur un support quelconque. Quand le Ménière éternue, par réflexe, il écarte les bras, cherchant là encore à parer à la perte d'équilibre. Le Ménière vous regarde rarement en coin. Son champ de vision sécure est étréci à un carré franc, et droit. Le Ménière ne laisse pas trop sa tête aller en arrière. Il ne regarde la voûte céleste que couché. Dans les rues étroites bordées de bâtiments hauts, il se concentre sur le trottoir, et les rez-de-chaussée.
Cette restriction de l'horizon alimente sans doute la rigidité des cervicales, et contribue tout à fait contre productivement  à leur manque de souplesse, et, sans doute, à la perte de fluidité dans les transferts des humeurs voisines, particulièrement dans cette contrée auriculaire toute proche.
Ainsi, la cause produit son effet, qui aggrave à son tour la cause. Pas facile de s'en sortir !

Evidemment, la pression nerveuse, intérieure, indépendante de tous ces facteurs, perturbe aussi très efficacement notre pauvre bulle.
Quand ce ne sont pas les aléas de l'organisme lui-même, surpris par un afflux énergétique imprévu, et mal contrôlé. Après la prise exagérée de sucre, par exemple, j'ai souvent senti une chaleur envahissante, accompagnée de bourdonnements insistants dans les oreilles, annonçant un vertige imminent. Dans la même veine, un repas trop salé embouteille aussi les circuits, par la rétention d'eau, probablement.

En règle générale, le trop ou le trop peu ne sont pas bonnes escortes du Ménière. Ménière, il aime l'équilibre, et, si vous ne l'écoutez pas, il vous le fait perdre, histoire de partager les plaisirs.

Tout ça rend ce symptôme de la maladie bien inamical. Et la multiplicité des causes potentielles en complexifie la prévention, et le traitement. L'imprévisibilité de ces vertiges qui mènent à la chute brutale, entretient une angoisse permanente, usante, dévastatrice pour le retour à un minimum de sérénité, indispensable à les contenir, justement.

L'ensemble des causes décrites ici s'enlacent et s'entortillent en une trame inextricable. On ne peut pas les considérer une à une, procéder par élimination, pour tenter d'enrayer tel symptôme ou tel autre, ou encore telle manifestation du symptôme en question. Ce serait tellement simple !
Non, tout ça avance en rangs serrés, et la contre-offensive doit viser l'ensemble du bataillon d'attaque.

Mon inventaire n'est sûrement pas exhaustif. Je ne parle que de mon expérience, assez poussée, malheureusement, et bien malgré moi.

Ménière est un roublard : il ne dévoile jamais ses sources...



4/ TRAITEMENTS



1/ médicamenteux


    1/ Pour les acouphènes 

Les seuls traitements médicamenteux appropriés semblent être des tranquillisants. On agit sur l'état nerveux central, ralentissant le cercle vicieux de l'énervement causé par les acouphènes, qui génère leur aggravation, qui génère l'affolement, qui génère, etc, etc...
Ca marche, ponctuellement. A mon avis, ça fait plus de mal que de bien, à la longue, en neutralisant la capacité du cerveau à agir efficacement pour un effet pérenne, et sain. Sans compter les dommages collatéraux sur l'ensemble du fonctionnement psychique.
Ce serait comme fragiliser la reconsolidation d'une cheville fracturée, en se reposant trop longtemps sur sa béquille.
Je pense qu'il vaut mieux réserver ces traitements psychotropes au tout premier stade de la maladie, si le sujet ne parvient pas à juguler le tourment des acouphènes. Ce coup d'arrêt chimique permet d'éviter l'engrenage dans la spirale fatidique.  
Pour la suite, l'exploration de techniques différentes me semble à privilégier. 
Pour autant, la médication existe, et elle marche. Je n'hésite pas pour ma part à l'utiliser, ponctuellement. Ma "béquille" reste la plupart du temps dans le placard, mais je sais l'y trouver, si besoin.

        2/ Pour la surdité

Je ne connais pas de traitement médicamenteux qui pallie la perte d'audition. J'ai eu pris des anti-inflammatoires, des diurétiques, de l'huile de paraffine, prescrits par des spécialistes. Il me semble que c'était dans la visée de décongestionner les membranes et les vésicules auriculaires. J'ai plutôt rapproché ces traitement des vertiges. Peut-être ont-ils aussi une action mécanique sur la capacité d'audition.


        3/ Pour les vertiges


En première intention, les médecins prescrivent des anti-vertigineux, pour juguler au plus vite la crise de vertige. Ils sont efficaces sur bon nombre de malades, et soulagent ainsi beaucoup de Ménières "débutants".
Les Ménières vieillis sont malheureusement résistants à ces molécules d'acide acétilleucine, et de bétahistine, essentiellement. (Ce sera ici ma seule note scientifique, ou assimilée).
J'ai avalé des plaquettes et des plaquettes de Tanganyl. J'ai vidé aussi des boîtes et des boîtes de Betaserc. Au début, j'ai bien eu l'impression d'un mieux. Ensuite, j'ai raccourci le temps entre les prises, jusqu'à dépasser de beaucoup les posologies recommandées. Les molécules sont devenues inopérantes. La chimie ne m'aidait plus. Je désespérais. Je sombrais. Je tombais.

La prise de diurétiques et d'anti-inflammatoires est aussi préconisée. Ponctuellement, ces types de médicaments apportent un réel soulagement.
Il m'a semblé aussi sentir un mieux après une cure de glycérine.

Les traitements médicamenteux du Ménière visent essentiellement à soulager les symptômes. Puisqu'on n'a pas trop jusqu'à présent décortiqué les causes ni identifié la source...


2/ kinésithérapie vestibulaire


La kinésithérapie vestibulaire traite les vertiges.
Elle est souvent recommandée, en parallèle des traitements médicamenteux.
Elle est censée prendre durablement le relais, et permettre de s'en affranchir.
Les kinésithérapeutes recommandent d'ailleurs l'arrêt du Tanganil, dès que le vertige est contrôlé. Le cerveau doit apprendre au plus vite à rétablir l'équilibre. L'action médicamenteuse entrave son "enseignement". Toujours l'histoire de notre béquille, aide précieuse au tout début, à relayer au plus vite par soi-même.
Beaucoup de patients ont bénéficié de ces séances de kinésithérapie vestibulaire, et leurs vertiges ont disparu. Les bienheureux !
Moi, en bonne vieille récalcitrante, je n'ai pas su apprendre.

Les séances consistent à muscler le cerveau, dans sa fonction pour assurer l'équilibre. 
Par exemple, on vous fait assoir sur un fauteuil tournant, qu'on fait pivoter, dans un sens, puis dans l'autre, de plus en plus vite. Vous devez fixer un point au départ, et le retrouver à l'arrivée. Le professionnel mesure le temps nécessaire pour que l'objectif redevienne stable, après avoir trépigné dans votre champ de vision au moment où on arrête le manège. Le but en étant de raccourcir ce temps de réadaptation.

Pour varier les plaisirs, on vous installe dans une chambre noire. Vous êtes debout, pieds nus sur un tapis rembourré, en mousse dure. Une barre de maintien en arc s'arrondit autour de vous, comme quand vous comparaissez au tribunal. (J'ai vu ça dans les films). Jusque-là, ça paraît bien.
Un point rouge s'allume devant vous, et s'agite de droite et de gauche, sur une ligne imaginaire.
On vous demande de le suivre des yeux. Bien. Le petit point brillant est un peu frénétique, ses mouvements sont saccadés, il pique des pointes, et vous sème parfois. Vous savez le retrouver pas trop loin, sans tourner la tête. Agrippé à l'arc de maintien, ça ne vous pose aucun problème.
Les affaires se compliquent quand on vous demande de lâcher l'arc. Pour commencer. Là, ça devient plus coton. Puis, plus haut, toujours plus haut, le petit coussin moelleux sous vos pieds se met à tanguer. Vous êtes comme sur un bateau !
Bon, on n'électrifie pas l'arc pour vous envoyer une décharge à chaque fois que vous vous y appuyez. Mais le jeu consiste à ne pas s'en servir. (Toujours notre béquille).

Je me suis appliquée à ces exercices. Avant moi, le plus jeune de mes frères a développé la maladie. Les séances de kiné, il en a fait pendant des années et des années. Au bout du compte, ses vertiges ont complètement disparu. Il ne lui restent qu'un déficit auditif mineur, et un petit fond acouphénique léger, d'après ses dires.
Encouragée par un si bel exemple, je me suis accrochée. Pas à la barre, puisqu'il ne le fallait pas. Non, au tapis ! Les orteils fermement plantés dans la mousse, raidie jusqu'à la douleur, j'ai suivi le petit point rouge comme une perdue, comme si ma vie entière en dépendait. 
Je ressortais de ces séances fourbue, hachée, courbatue comme après trois jours à la mine.

Le kinésithérapeute a dû changer son coussin, plusieurs fois, lacéré par mes orteils crispés dans la mousse pourtant dure.
Finalement, constatant, navré, ma torture, et le peu de progrès que je faisais, il m'a conseillé de repenser sérieusement à la pharmacopée lourde : je devais absolument me décontracter.
Je ne comprenais pas bien comment il pouvait déconseiller la prise prolongée d'anti-vertigineux, pour me laisser tomber dans la marmite des tranquillisants, plus néfastes encore, d'après lui, au début de nos séances.
"Pour un moment, au moins," me dit-il.
Je ne l'ai pas écouté. Nous avons mis fin à notre collaboration. Lui, soulagé pour ses équipements épargnés. Moi, abandonnée à mon triste sort désespéré.
J'ai laissé de côté tubes et plaquettes.
Cherché une autre voie. Que j'ai fini par trouver. Alléluia !


3/ psychologique


La maladie de Ménière induit un tel inconfort persistant, un tel sentiment de vulnérabilité, qu'il impacte forcément la sphère psychologique. 
Que ce soit pour les acouphènes, l'audition altérée ou les vertiges, la prise en charge psychologique est globale. La recherche est celle du calme, de la gestion des situations propres à favoriser les trois symptômes. 
Les thérapeutes attachés à une approche psychanalytique explorent des voies plus mystérieuses. Je ne m'y suis jamais engagée, à tort peut-être.
Le travail psychologique est forcément long. C'est un cheminement intime. Tout le monde ne s'y prête pas avec bénéfice. Certains sont justement mis en difficulté, quand il s'agit d'explorer leur monde intérieur.
Pour ma part, j'ai toujours ressenti une facilité de la part des professionnels médicaux somatiques, dans ce renvoi vers le psychologique. Comme ils ne pouvaient expliquer ma résistance à ce qui paraissait soulager la plupart des malades, j'avais le sentiment qu'ils me renvoyaient cette impuissance à la face, incriminant mon mécanisme psychologique et son fonctionnement délétère.
Je l'ai écrit quelque part, le "stress" fourre-tout et la soi-disant incapacité à le maîtriser, sont bien commodes, pour ne pas avoir à mieux expliquer une pathologie complexe, qui ne se laisse pas facilement examiner. 
Je maintiens que si ce fameux "stress" pince la même personne au même endroit, si cette personne somatise toujours là et pas ailleurs, c'est bien que cet endroit, cette fonction, sont au départ défaillants, fragiles. Je persiste à croire qu'une petite étude poussée de la fonction ou de l'endroit en question résoudrait une bonne partie du problème, et la soi-disant incurie psychologique en même temps.
Dans ces déroulements en volutes entrelacées, il est bien difficile de démêler où ça commence, et comment ça finira. Les symptômes volatiles s'enroulent autour de causes fuyantes, elles-mêmes figurant des symptômes. 
Le travail consisterait à désimbriquer tout ça, comme on tire la ficelle d'une pelote dans laquelle elle s'est enchevêtrée, sans la couper !

La qualité de la relation thérapeute-patient détermine évidemment le bienfait de la thérapie. Je ne doute pas qu'elle ait été bénéfique pour beaucoup.

Mes à priori et mon attitude défensive me privent peut-être d'un soulagement potentiel. Je suis tellement attachée à vouloir faire reconnaître l'aspect purement somatique de la maladie, d'après moi minimisé, que j'écarte les  traitements des causes psychiques. A mon avis, la détérioration psychique d'un Ménière en est un effet, plus probablement qu'une cause. 
Traiter les effets de cette détérioration me paraît opportun, par quelque moyen que ce soit, y compris par ce biais psychologique. Je n'ai pas poussé bien loin les investigations dans ce sens : les rares professionnels consultés me semblaient vouloir chercher trop loin, quand moi j'aspirais à être soulagée là où j'étais en difficulté : dans mes angoisses de la chute.

J'ai bien été tentée par des théories sur la cognition comportementale. Le concept plus pragmatique me séduit. Malheureusement, je n'ai trouvé personne pour me l'enseigner.
Maintenant, rassurée par l'espacement des crises, persuadée que les chutes imprévisibles se feront oublier, un jour, je suis moins en demande d'aide.

J'ai compris la part d'une tension toute subjective dans cette pathologie. Je pense qu'une bonne thérapie peut aider à lever cette tension arbitraire, et souvent démesurée. Une prise en compte plus globale de la personnalité est sûrement nécessaire, et bénéfique. C'est sûrement une erreur : je ne m'y suis pas plongée. 

J'ai préféré la ligne de fuite : supprimer ou éviter tout ce qui pouvait me causer cette tension, justifiée ou pas. Ça m'a pris un peu de temps, mais je crois y être arrivée.


4/ sociétal ou comportemental


Je pense ce volet proche de cette méthode cognitive effleurée dans le chapitre précédent. Ainsi, comme le Mr Jourdain de Molière, qui ferait de la prose sans le savoir, je ferai de la cognition comportementale sans le savoir non plus. Ou alors, je me trompe complètement, ce qui ne serait pas la première fois.... ni la dernière !

Bref.

Je parle ici des aménagements de vie propres à soulager les symptômes du Ménière. On peut en présumer qu'ils ont une action sur les causes. Ou pas. Cela fait bien longtemps que j'ai renoncé à chercher en profondeur. Je me contente de traiter en surface. L'effet est sûrement moins efficace, mais au moins, il existe. En attendant que la science progresse, et offre une parade meilleure, on pallie comme on le peut.

Les acouphènes montés dans les aigus ou vrombissant plus sourdement paraissent être l'avant-garde des vertiges : logiquement, je veille à fuir toute situation où ils se manifestent ainsi. 

D'emblée, les situations bruyantes les rameutent. 
J'évite tous les rassemblements de foules, particulièrement en intérieur. J'évite tous les environnements sonores, la proximité de machines ou d'engins bruyants. Cela fait belle lurette que je ne me suis pas assise à une table d'un restaurant bondé. Je décline toute invitation à une fête en salle. Je ne mets jamais les pieds dans les foires expositions sous chapiteau. Je ne fréquente pas les grands magasins par jours d'affluence. Je fais un détour quand je dois passer à proximité d'un chantier. Je m'éloigne des gens qui parlent fort. 
Quand je suis obligée d'être soumise au bruit, je porte un casque. C'est sûrement disgracieux, mais, à ce stade, c'est le dernier de mes soucis ! 

Les acouphènes rappliquent aussi en situation de tension nerveuse, indépendamment de tout environnement sonore. On peut être dans le silence total, et pour autant, les acouphènes vrillent votre crâne : il y a rififi dans vos neurones, vous êtes en difficulté, psychologique, ou même physique. Le tourment, l'angoisse, la peur, même consciemment non perçus, tombent les masques.
Là, je trouve que les acouphènes sont une saine alarme. Ils donnent un signal fiable. Il vaut mieux en tenir compte au plus vite, détecter la menace, et s'en préserver, si c'est possible.
Juchée sur le haut d'une échelle, d'après moi en toute sécurité, j'en redescends au plus vite,  quand les acouphènes tintent en sirène. Je n'ai pas le vertige, (!). A certaines occasions, je travaille paisiblement, sur cette même échelle, sans être incommodée, ni inquiétée.  
Je ne déclenche pas automatiquement mes acouphènes à chaque fois que je suis dans une même situation. Ce n'est pas de l'appréhension. Les acouphènes sont bien un message ponctuel, avertissant d'un danger potentiel ponctuel, et non perçu. Si mon échelle tangue et que j'en redescends pour mieux la caler, je n'ai pas de montée  d'acouphènes. Parce-que je sais ce que je dois faire, en toute conscience.
Evidemment, si mon échelle glisse, que je la sens riper contre son appui, sans rien pour me raccrocher, là, c'est sûr, j'aurais peur, et, si je ne m'écrase pas fatalement au sol, il y a de fortes chances pour que les acouphènes m'assaillent. Dieu merci, un tel cas ne s'est jamais présenté. 
Les jours où les acouphènes piaillent trop fort, je n'y monte pas, à l'échelle. C'est bien plus sage.

Les acouphènes d'un Ménière vieilli ne se taisent jamais tout à fait. C'est leur modulation qui varie. Chaque Menière connait les siennes. Et s'y fie.

En dehors des acouphènes et de leurs variations, les vertiges peuvent choisir de jouer leur partition en solo. Vous pouvez vous sentir bien, calme. Vos acouphènes ronronnent, gentiment. Le moment paraît quiet. 
Soudain, vous sentez comme une contraction dans votre nuque : c'est trop tard, le monde chavire, et vous basculez. Vous avez peut-être tourné la tête trop vite, l'avait relevée, dans un angle trop serré, vous vous êtes relevé en apnée, ou Dieu seul sait ce qui s'est passé, mais, quelque part entre vos cervicales et vos vésicules auriculaires, un faisceau nerveux s'est coincé, une bulle d'air a explosé, ou une membrane fragile s'est déchirée. Vous voilà jeté à terre, quand, une milliseconde plus tôt, vous vous sentiez au mieux dans le meilleur des mondes.
Là, malheureusement, je ne vois pas comment on peut parer. Si ce n'est en gardant toujours présent à l'esprit cette dictature du mouvement fluide et lent. Dans les périodes ou le Ménière se sent mieux, la tyrannie du "tout doucement" se desserre. Il en arrive à l'oublier. Jusqu'à la prochaine injonction implacable... Tout le travail de reprise de confiance et d'élargissement de l'amplitude dans les mouvements est à refaire. 

Je me doute bien que la nervosité, la peur, l'angoisse, favorise le faisceau nerveux coincé, la bulle explosée ou la membrane déchirée. Qu'elles fragilisent tous ces petits mécanismes. Je vois mal comment les éviter, quand on se sent tellement impuissant, tellement soumis aux caprices d'un sort aussi injuste, d'une mécanique aussi imprévisible.
Il faut du temps, beaucoup de courage et de positivité, pour parvenir à vivre, non pas serein, mais au moins à peu près libéré de cet asservissement à la notion d'un danger potentiel imminent.
Il y faut tout une congruence d'éléments pointés vers la même direction : le retour au calme.

C'est un travail global, à très large spectre. C'est un travail gratifiant : il porte ses fruits. On en mesure l'avancée au laps de temps qui s'agrandit entre chaque crise.
C'est du moins ainsi que je le perçois. Ainsi que je le vis.
Là, malheureusement, il n'y a absolument rien de mieux  à faire que d'y tendre, jour après jour. 


        5/ technologique


Pour pallier la surdité bonne copine des Ménières, les appareils auditifs sont une bonne aide. 
La surdité isole, en société, que ce soit professionnelle ou privée. Vous êtes dans une assemblée, et vous ne pouvez pas participer à la conversation ou au débat, puisque vous n'en percevez pas les arguments et enchaînements. 
Les appareils auditifs, en augmentant artificiellement les volumes sonores de votre environnement, vous y ré-introduisent. La technologie là comme ailleurs a fait beaucoup de progrès, et ces appareils sont maintenant capables de compenser une perte auditive, en tenant compte de la fréquence des sons qui vous sont inaccessibles. Ils peuvent aussi être adaptés au cas par cas, selon les situations, bruyantes ou plus calmes. Les réglages sont pointus et certains malades y sont experts.
Pour une surdité constante, dont la défaillance est linéaire, l'appareillage est sans doute une béquille efficace, et confortable.
Pour les Ménières, la capacité auditive varie. Selon que l'on soit en période de crises ou pas, on n'entend pas de la même façon. 
Ces fluctuations sont une grande difficulté pour un éventuel appareillage auditif.

J'en ai fait l'expérience. Les appareils pallient bien la surdité. Ils captent les bruits, et les transmettent directement aux récepteurs arrière, en court-circuitant les maillons défaillants. Ce sont de petits ordinateurs, sophistiqués. Ils ont leurs limites. S'ils compensent une surdité constante, ils ne peuvent pas intégrer dans leurs performances les variations des capacités d'audition du porteur. Ils assureront une amplification égale, quelle que soit la perception du moment. Cela induit un inconfort potentiel, quand ce n'est pas une véritable souffrance, pour des bruits amplifiés par l'appareil, superposés à une audition déjà plus haute que l'usuelle.

Les Ménières, entre autres joyeusetés, sont, je l'ai plus haut, aussi atteints d'hyperacousie. L'hyperacousie est la sensation d'entendre très fort des bruits qui ne le sont pas. Ainsi, la surdité du Ménière est très difficile à cerner, tant elle est fluctuante, et contrastée dans une amplitude complètement anarchique.  
Ces bruits perçus comme hautement agressifs, en deviennent insupportables. Quand la technologie froide et constante se greffe là-dessus, autant vous dire qu'on a la sensation d'un cervelet qui explose. Le bruit tonitruant, plus exactement, perçu comme tel par une terminaison nerveuse sans doute mise à vif à ce moment-là, amplifié par l'appareil auditif, aussi sophistiqué soit-il, vous fait l'effet d'une bombe qui éclate tout près de vous.
J'ai essayé des appareils de haute performance. Je n'ai pas lésiné sur la qualité, et ses promesses d'un meilleur confort auditif. J'ai insisté, pensant que je m'habituerais, que mon cerveau et la technologie numérique cohabiteraient harmonieusement. 
Après  deux années de visites assidues chez le spécialiste, que je remercie ici au passage pour sa patience, j'ai abandonné. La compensation auditive que je supportais, était si basse, que ses avantages ne valaient pas les inconvénients inhérents.

Je sais que certains malades règlent eux-mêmes leurs appareils, pour les adapter au milieu ambiant, sonore, ou plus calme. Des applications leur permettent de pallier  les fluctuations de leurs déficits. Ils se trouvent bien de cette aide technologique, et bien aussi de ce sentiment si plaisant de reprendre un semblant contrôle sur une maladie aussi imprévisible.

Je travaille dans une jardinerie, avec des pics d'activité très marqués. La jardinerie est à proximité immédiate d'un aéroport. Nous sommes sur le passage d'un couloir aérien très fréquenté. Certains jours, des exercices sans doute militaires, zèbrent notre ciel de mirages foudroyants. Pas les mirages que l'on s'invente, les avions de chasse.  Mes collègues eux-mêmes sont saisis par ce vacarme qui fuse au-dessus de leurs têtes. Ils n'ont en général pas le temps de m'avertir. Et moi, je n'ai pas non plus le temps de me boucher les oreilles, quand j'ai les mains prises par un sécateur ou un conteneur. 
Les deux années pendant lesquelles j'ai porté mes appareils, je manquais me jeter au sol, ou alors, je m'y jetais, carrément, happée par un vertige fulgurant, dans les heures qui suivaient l'agression sonore. Au mieux, mes acouphènes se vrillaient dans les aigus, prenant la toute première place dans mon environnement, pour mon plus grand inconfort.
Je vis dans une ferme. Calme et paisible, au milieu de vaches placides, jusqu'à temps qu'un tracteur vrombisse tout près, sans trop de préavis.
Je ne suis pas très adepte des technologies numériques. Mon portable téléphonique est antédiluvien.  L'appareillage auditif, aussi performant soit-il, par manque d'informations sur la situation du moment, ne suivait pas. De toute manière, avec les irruptions fracassantes d'un vacarme imprévu dans mon horizon acoustique, je n'aurais pas eu le temps de le prévenir, même mieux outillée pour le faire. 
L'appareillage peinait. Et moi, je souffrais. J'ai abandonné.
Mes appareils si onéreux, dorment maintenant dans leur boîte, m'infligeant la culpabilité d'un achat conséquent, mal rentabilisé.

D'autres malades, eux, heureusement, évoluant dans un milieu sonore plus stable, trouvent une amélioration réelle dans cette aide technologique. 
Même si elle représente un investissement coûteux, la technique numérique est à essayer, je le pense. Dès que la déficience auditive est compensable, la possibilité d'en limiter les effets aide à ne pas amplifier le désagrément de ne pas entendre. Le symptôme n'est pas effacé, mais il peut-être neutralisé à un niveau acceptable.
L'accoutumance au port des appareils auditifs est plus facile, si l'on s'y astreint au plus tôt.
Les spécialistes sont généralement attentifs à obtenir les meilleurs réglages, ceux qui vous soulagent au mieux.
La difficulté des fluctuations de l'ouïe demande des visites fréquentes, pour régler les appareils au plus près de la situation du moment.
Alors, votre audioprothésiste finit par devenir un bon ami, celui qui connait bien votre mode de vie, et s'emploie à vous permettre d'en profiter au mieux.
Ce peut-être ma foi l'occasion de nouer des relations agréables.


        6/ chirurgical


J'ai entendu parler d'opérations chirurgicales pratiquées pour soulager les troubles du Ménière. D'après ce que j'en ai compris, la visée serait de figer l'activité des fluides dans les vésicules auriculaires. Je n'ai jamais exploré ce volet. A priori, ce n'est pas la solution proposée en première intention. Mon cas est sérieux, par moments, je l'ai pensé désespéré. Ce recours ne m'a pourtant jamais tentée. Je ne peux donc pas en dire grand chose de plus.
A plus petite échelle, l'administration d'anti-inflammatoire directement dans l'oreille interne, au moment d'une perte brutale de l'audition, serait efficace, et préserverait d'une détérioration future lors de crises prochaines. Le geste n'est pas banalisé, et peu de spécialistes le pratiquent, d'après ce qu'on m'en a dit. Les résultats sont paraît-il probants, à condition d'intervenir très vite : encore faut-il avoir à disposition le professionnel, et l'équipement médical approprié, dans un laps de temps si court.




5/ EFFETS SUR LA VIE PROFESSIONNELLE




1/ restriction des emplois 


La pathologie de Ménière est incompatible avec l'exercice de tous les métiers bruyants. Déjà. Malheureusement, notre monde, professionnel ou plus large, l'est de plus en plus, bruyant. Certes, les conditions de travail tiennent maintenant compte du meilleur confort des travailleurs. Des équipements de protection, en particulier des casques, sont prévus pour tous les ouvriers du secteur des travaux publics, par exemple, ou de l'artisanat faisant appel à des machines bruyantes. Pour autant, les foyers d'activités sont plus urbains que ruraux. Les entreprises siègent rarement en pleine campagne. Celles dont l'activité siège en campagne, justement, recourent à des engins mécanisés vrombissants, rugissants, stridents, pour la plupart. 
Tout le monde n'a pas la chance de travailler dans l'ambiance monacale d'un laboratoire immaculé, ou d'une salle d'archives feutrée. 
Ceci pour le seul bruit.
Le Ménière supporte aussi difficilement les situations de tension.
En dehors de l'activité professionnelle en elle-même, les trajets sont souvent source de bruits. Même si l'on se déplace avec son propre véhicule à l'habitat parfaitement insonorisé pour les plus chanceux, ils requièrent pour le moins une certaine vigilance. Cette seule attention sollicite les centres nerveux, et mobilise une tension mauvaise alliée de l'instauration d'un sentiment de sérénité. 
La technologie moderne, tous les vecteurs du numérique, avec leurs écrans lumineux insidieusement agressifs, leurs signaux sonores pouvant être perçus comme agaçants par leur fréquence, constituent aussi une atteinte certaine à la tranquillité ambiante.
Plus généralement, le monde du travail est connu pour être de plus en plus exigeant, particulièrement en terme de productivité. Le rendement, la performance, sont recherchés, au détriment de la qualité de la production bien souvent. 
Cette tendance nuit évidemment à l'ambiance dans le travail, et engendre une fatigue nerveuse psychologiquement épuisante, à la longue. La plupart des secteurs d'activités sont touchés. Par le fait, la plupart de nos Ménières sont davantage encore que les autres impactés.
 
Je pense que le ressenti de la tension est propre à chacun. Ce qui pour l'un est oppressant sera juste motivant pour le suivant. La tolérance au stress est bien différente de l'un à l'autre. Elle n'est pas linéaire : on ne supporte pas les mêmes choses de la même façon, à différents stades de sa vie, ou même suivant des configurations particulières.
Les malades de Ménière sont généralement des gens peu résistants aux tensions, quelles qu'elles soient. Je ne suis pas sûre qu'ils soient vulnérables par constitution. Ils pourraient avoir développé cette vulnérabilité à cause de la défaillance fonctionnelle qui les handicape. Ce serait ce dysfonctionnement qui engendrerait la baisse du seuil de tolérance à la pression, engendrant une faiblesse psychologique induite. 
Je me rends compte que je m'attache à cette version de l'histoire : il m'est plus agréable de penser que la faille niche dans ma seule oreille, plutôt que dans les circonvolutions profondes de mon psychisme. Sans doute suis-je mieux préparée à l'idée d'un organe défaillant qu'à celle d'une distorsion mentale. Peut-être, très rationnellement, parce-que je pense qu'il est plus facile de repérer une tare dans le corps somatique que de la dépister dans l'entité bien moins saisissable de notre psyché. Plus facile aussi sans doute de la traiter au niveau du corps organique, que dans le domaine intime et secret du mental.
Ou, beaucoup moins rationnellement, parce-que le fonctionnement mental, me semble terre vierge à ne pas profaner...
 
Au final, que le processus s'enclenche dans un sens ou dans l'autre, que la faille se creuse ici ou là, du "ou" inclusif, c'est-à-dire aussi bien, ici et, là, importe moyennement. Le plus intéressant, c'est bien de parvenir à le juguler, puisqu'il paraîtrait que, pour le moment, on ne sache pas exactement repérer le siège de cette faille.

Je m'éloigne peut-être un peu du domaine professionnel. Tout simplement parce-qu'on ne peut pas circonscrire une pathologie telle que celle du Ménière dans un cadre étroit. 

La conclusion de tout ça, c'est que le Ménière recherche absolument des domaines d'activité au plus calme, du point de vue sonore, et au moins trépidant, du point de vue rythme et pression.

J'ai la chance de travailler dans le secteur des plantes, de l'agrément. Par définition, mon métier est agréable, et léger. Je suis née dans le milieu paysan, je reste très attachée à la terre, au végétal. Ce métier de pépiniériste en jardinerie me convient tout à fait. Je n'y ai pas d'enjeu lourd, je ne travaille que pour des créations de jardins amateurs.  Si le camélia que j'ai vendu s'avère rouge quand on le pensait rose, ça n'est pas la fin du monde. Ca peut contrarier le client, ça ne lui enlèvera pas une jambe.
Je suis actuellement bien remise de mon Ménière. Je vois les choses ainsi. 
Quand j'étais au pic de la maladie,  j'en étais bien incapable. Je me focalisais sur les bruits, celui de l'aéroport tout proche, celui de la zone artisanale plus près encore, celui des chariots roulant sur le revêtement inégal, celui des conversations croisées des clients et des vendeurs. 
J'étais incapable de prendre du plaisir à agencer un joli lot d'arbustes, incapable d'apprécier de participer aux projets de clients sympathiques, venus à moi en toute confiance. Je travaillais en pilotage automatique, entièrement mobilisée par mes efforts à résister aux agressions sonores, principalement.
Le problème n'était pas mon travail. Le problème, c'était mon état.
J'ai cette chance d'exercer ce métier. Pour ceux qui travaillent dans des secteurs moins favorables, j'imagine leur désarroi. Beaucoup de Ménières ont du changer de métier, quand ils l'ont pu. Certains ont du arrêter de travailler, faute de trouver ce qui leur convenait, à minima.
Je suis bien certaine que le fait d'être "sorti" du monde du travail n'est pas un facteur positif pour la suite. Quand ce n'est pas un choix, évidemment. 
Le Ménière n'étant pas une affection très connue, la difficulté est grande de faire admettre cette incapacité à conserver un poste de travail. Les symptômes sont déconcertants, difficiles à comprendre, à admettre, pour ceux qui ne les connaissent pas.
L'absence de compassion, de compréhension, accentue le sentiment de culpabilité du Ménière qui sent bien qu'il ne peut plus continuer à travailler comme il le fait, sans pouvoir le justifier par une pathologie connue, pour laquelle on admettrait son invalidation.

Ce sentiment de culpabilité, le fait de se sentir incompris, n'arrangent pas les affaires du Ménière, déjà psychologiquement bien en difficulté. C'est un tournant délicat dans son parcours. Un moment où l'on glisserait facilement dans une spirale délétère.
Je suis persuadée que le seul moyen de s'en sortir est d'expliquer, quand on a la chance d'avoir un auditoire bienveillant. Le monde du travail est dur. Il est pourtant constitué d'hommes et de femmes capables d'entendre. La plus large connaissance de la maladie contribuerait à faciliter cette communication. A nous les Ménières de parler, d'expliquer, avant d'en arriver à des situations critiques. A nous les Ménières, de nous écouter, de ne pas négliger les premiers signes de la maladie, de ne pas l'ignorer. On prend bien plus facilement les bonnes mesures, quand on les anticipe.
J'ai été bien près de renoncer à travailler, à un moment. C'aurait été bien dommage. Je m'épanouis tout à fait dans ma pépinière, avec mes collègues. Je ne peux pas dire ce que j'aurais fait si j'avais quitté mon emploi. Je ne sais pas si ça aurait été mieux ou pas. Je souhaite à chacun de se trouver bien de sa décision, quelle qu'elle soit. Je lui souhaite surtout de ne pas tarder à la prendre. Le seuil de résistance d'un Ménière s'abaisse de façon exponentielle, à chaque crise. Attendre la suivante sans chercher à prendre les bonnes mesures, c'est se condamner à subir, à souffrir.


2/ perte de compétitivité-handicap


La surdité n'empêche pas de travailler, ai-je entendu. Sauf si on est accordeur de pianos, ai-je répondu !
La surdité est perçue comme un handicap mineur.
Par ceux qui n'en souffrent pas...
La surdité ne se voit pas. Particulièrement la surdité du Ménière, avec ses phases d'hyperacousie complètement déconcertantes. D'un sourd, on s'attend à ce qu'il n'entende pas. Sûrement pas à ce qu'il ne supporte pas des bruits perçus par les "bien-entendants" comme à peine désagréables, voire inoffensifs. Sans avoir vécu cette expérience d'une perception auditive anarchique, on ne peut pas comprendre, je l'admets bien volontiers.
L'inconfort de la surdité particulière du Ménière provoque les difficultés décrites plus haut. Il handicape évidemment le malade.
Les vertiges sont plus facilement perçus comme un handicap réel, et invalidant. Même si leur mécanisme et leur manifestation saisissante laissent circonspect, on comprend bien que celui qui est à terre, incapable de se relever ni même de relever sa seule tête, quand il ne vomit pas tripes et boyaux, n'est pas dans la meilleure tournure pour réaliser des performances professionnelles remarquables. Quand le pauvre Ménière se remet sur ses jambes flageolantes, on n'attend pas de lui qu'il reprenne le collier comme si de rien n'était.
Pourtant, quelques heures, ou quelques jours après, en principe, Le Ménière reprend son travail. Une crise de Ménière, c'est trois jours d'arrêt. Quand ces arrêts sporadiques se succèdent, le travailleur est vite en difficulté, vis-à-vis de son employeur, s'il est salarié, ou de son entreprise, s'il est patron. 
La trajectoire de carrière d'un Ménière est vite mise en péril, si les crises persistent. 
La maladie oblige à reconsidérer les perspectives professionnelles, comme elle oblige à reconsidérer toutes les perspectives, plus généralement. On ne laisse pas Ménière de côté, pour suivre sa route, comme si de rien n'était. Ménière n'est pas un invité qu'on éconduit. Ménière installé n'est pas une maladie qu'on laisse derrière soi, pour reprendre sa trajectoire là où elle avait été interrompue. Ménière installé vit à vos côtés. Le mieux à espérer est qu'il ne prenne pas trop de place, qu'il se laisse oublier, sachant qu'à n'importe quel moment, à n'importe quelle occasion, il se rappellera à vous, si vous négligez de suivre ses injonctions.
La maladie de Ménière est réellement invalidante. Elle demande des adaptations de vie, professionnelle et autre.
Elle laisse, si on la prend en compte sérieusement, la possibilité d'une vie active agréable.
Ce serait dommage de ne pas payer le tribut qu'elle demande. Le prix en vaut vraiment la chandelle. 



6/ EFFETS SUR LA VIE PERSONNELLE



1/ angoisses de la chute


La maladie de Ménière, principalement par ses chutes à répétition, entretient un sentiment d'angoisse permanent. On ne peut plus vivre pareil, quand le danger vous fond dessus avec cette fulgurance et cette brutalité.
A une période, je ne me risquais jamais à traverser une aire "à découvert". Par-là, j'entends traverser un espace, même étroit, sans possibilité de s'accrocher à quelque chose. Et quelque chose de solide, s'il vous plaît ! 
Toujours, je longeais un mur, repérais une poignée, une saillie, un support quelconque, pour pouvoir m'y arrimer, si nécessaire. Quelques mètres sans ces alliés m'épouvantaient. Je m'y risquais le cœur battant dans la gorge, le souffle court, et une rivière de sueur dans le dos.
Mon effroi alimentait mon angoisse. Mon angoisse alimentait mon Ménière.
Le plus sûr moyen de chuter, c'est de redouter la chute. Immanquablement, ça ne manquait pas...
C'était infernal.

On ne vit plus pareil, quand on a connu ce sentiment d'insécurité permanente.
J'ai gardé de cette époque l'usage de vivre toujours comme en état d'urgence. Mes angoisses d'alors se sont bien calmées. Il en reste quand-même ces réflexes d'une vigilance, d'une défiance, de chaque instant. 
Je marche maintenant sans peur. Mes crises paroxystiques se sont faites très rares. Plusieurs mois séparent un épisode du suivant.
Tout de même, dans ma vie quotidienne, dans les gestes de tous les jours, je garde en tête la possibilité de la survenue d'une chute imprévisible. Je sais que je peux me retrouver à terre à tout moment, et y rester, incapable de me relever, quelques secondes, quelques minutes, ou quelques heures.
J'ai beau essayer de me persuader que tout ça est derrière moi, chaque nouvelle crise renvoie toutes mes tentatives dans les filets.
Le meilleur moyen que j'ai trouvé pour parer à cette peur, c'est de vivre chaque moment, en y adjoignant une prévention du risque. 
Par exemple, quand j'ai à faire à l'étable, je referme toujours la barrière derrière moi, à chaque passage, même si je dois y repasser dans les minutes suivantes. Ainsi, si Ménière me rattrape au tournant au moment où je suis dans la stabulation, les génisses resteront à leur place, elles ne s'échapperont pas par le portail ouvert.
Dans les escaliers, je m'agrippe fermement à la rampe.
En voiture, je conduis très prudemment, et je me concentre sur ma respiration, quand je me sens tendue. J'évite tout mouvement brusque de la tête. Dans les angles où la vision est trop oblique, je me positionne au plus large, de manière à en élargir le champ.
Dans mon environnement, j'essaie d'éviter tout objet ou tout meuble aux angles vifs.

Plus généralement, je ne remets jamais au lendemain ce que je peux faire le jour même. Toujours avec cette idée que je puisse en être empêchée par une crise.
Ménière pointe au-dessus de ma tête comme une épée de Damoclès.
C'est sans doute une philosophie de vie très pragmatique, et lucide, pour n'importe qui, de savoir qu'à tout moment, l'imprévu peut vous surprendre, désagréablement, et perturber le cours de vos journées, empêcher vos projets.
C'est tout de même difficile à vivre, quand ça ne vous lâche pas.

L'espacement des crises atténue cette angoisse. Et l'atténuation de cette angoisse espace les crises.
Le chien qui se mord la queue.
Toute la difficulté est d'ouvrir cette spirale infernale.
J'y suis arrivée. Beaucoup d'autres l'ont fait. Beaucoup d'autres peuvent raisonnablement espérer y arriver aussi.


2/ isolement par la surdité


La surdité isole. Elle vous laisse sur le quai, quand des conversations croisées, des environnements bruyants, ne vous permettent pas de différencier le discours de celui qui s'adresse à vous du brouhaha alentour. Vous ne percevez plus la voix de votre interlocuteur. Le fond sonore environnant brouille votre réception. Très vite, cela devient très incommodant. Et très vite aussi, cela rameute le restant de la troupe des désagréments du Ménière.
Très souvent, une soirée animée, une tablée trop nombreuse, se paient par des lendemains sifflants, oscillants, compressés dans un malaise parfois crispé en crise aigüe de vertiges.

Les Ménières ne sont en général pas de très agréables convives, dans les grosses fêtes. Très vite, ils s'étiolent, ne participent plus aux échanges, serrant les dents sur le chaos instillé dans leur tête.
Si la conversation s'égare en tirs croisés, elle est perdue pour eux. Il n'est pas toujours facile de discipliner un groupe, en demandant à chacun de parler à son tour !
 
Le Ménière passe vite pour un rabat-joie, en société. 
Il préfère s'isoler, ou restreindre son cercle professionnel, social, ou amical.

La surdité angoisse. Le bruit est ataviquement une alarme. Habiter un monde bruyant, sans avoir accès à cette alarme génère le sentiment de vulnérabilité, de danger permanent. Entendre, c'est voir venir. Le sourd est la proie de l'inattendu, puisque aucun signal sonore ne vient l'avertir de la survenue de cet inattendu. Tout ce qui n'est pas dans son champ de vision est potentiel champ de mines. Le sourd se sent désarmé, dépossédé d'un sens majeur. 
Puisque je ne peux plus compter sur mon oreille pour m'informer de l'activité sonore de mon environnement, je me fie à mes chiens. Comme il existe des chiens d'aveugles, mes chiens de sourde pallient mon handicap. Ils sont mes oreilles. J'ai trop souvent l'impression d'entendre quelque chose, quand il n'y a rien. Je regarde alors mes chiens : s'ils restent tranquilles, c'est qu'il n'y a effectivement rien. Si par contre ils s'agitent et aboient, je sais qu'il faut que je regarde ce qu'il se passe. 
Leur présence m'assure une véritable tranquillité. Sans eux, je serais tout le temps sur le qui-vive, croyant entendre, cherchant l'origine de ce bruit imaginaire. Mes chiens prennent maintenant de l'âge. Lola, la plus vieille, est elle aussi passablement aussi sourde que sa patronne. Je la vois faire : elle suit les autres, aboie quand ils aboient, sans savoir vers quoi. Elle a toujours un temps de retard. Par contre, quand elle a repéré l'intrus, elle est la plus véhémente ! Pour compenser, sans doute...
Je vais devoir adjoindre à ma vieille garde une recrue plus jeune, et plus efficiente.

L'absence de signaux visibles et identifiables de son handicap prive le sourd de la compassion, de l'aide de l'autre, même bienveillant, tant qu'il n'est pas au courant de votre invalidité. Cette ignorance alimente souvent un agacement bien compréhensible, quand celui qui parle ou interpelle pense être ignoré, alors qu'il n'est tout simplement pas entendu, pas perçu.
Dès que je suis face à un interlocuteur, je l'avertis de ma défaillance auditive. En tête à tête, la plupart des gens font l'effort de s'adresser à moi de face, d'articuler, de s'assurer que j'ai bien compris ce qu'ils me disaient. En société, cet effort exclusif à mon endroit les prive de participer à la conversation générale. Alors, bien souvent, je me retrouve en touche, isolée dans ma bulle bourdonnante.
Cette mise à l'écart accentue le sentiment d'isolement. Je n'ai jamais été très fêtarde, ni attirée par les rassemblements. Mes activités ne nécessitent pas grandes réunions. Pour les seules que je ne peux éviter, j'essaie de suivre, ou de trouver une bonne âme pour me faire une retransmission en différé. Ca me donne l'occasion de ne pas sur-réagir d'une manière trop spontanée, trop à chaud, comme il m'arrivait de le faire avant. Ca n'est pas toujours un mal...


3/ perte de confort et de confiance


Il est très désagréable d'habiter un monde que l'on perçoit mal. Tenter de comprendre son environnement sonore par d'autres biais que l'audition mobilise une grande énergie. Le Ménière n'est pas complètement sourd : il entend mal, confusément, comme de très loin. Tenter de compléter une information partielle ou brouillée sollicite sa concentration, son observation, et ses capacités de déduction. Il doit reconstituer à partir de fragments, ce que les autres reçoivent bien clair et net. C'est une fatigue, un inconfort incontestable.
Forcément, ses tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès. Le Ménière, partiellement sourd, déchiffre souvent mal l'information.  Chaque erreur manifeste le déstabilise. J'ai bien évoqué des situations amusantes, ou la reconstitution retraçait un cheminement intuitif judicieux. Malheureusement, en pendant, il y a toutes ces réponses "à côté de la plaque", données quand on n'a pas compris, et qu'on ne veut pas faire répéter.  Vos interlocuteurs se fatiguent à le faire, même s'ils sont compréhensifs.  On ne saurait les en blâmer. Ces interventions erronées vous représentent comme quelqu'un qui ne comprend rien, quelqu'un avec qui il est bien peu intéressant de converser. Et vous, à force d'être confronté à cette image, vous finissez par y adhérer. Vous finissez par vous persuader qu'en effet, vous n'êtes pas bien intéressant.
Il faut avoir une sacré réserve de confiance en soi, pour pouvoir en dilapider une si grande partie sans la perdre tout à fait ! 

Le si sympathique volet des vertiges est le meilleur ennemi de la conservation de cette confiance en soi. A quoi vous fier, quand le monde autour de vous peut à tout moment se mettre à valser et vous projeter à terre ? Comment garder la maîtrise quand tout peut basculer en un millième de seconde, sans que vous ne compreniez pourquoi ? Comment croire en soi, quand vous savez que c'est justement en vous que niche le mécanisme de cette folie ? Vous être votre propre ennemi : c'est vous et vous seul qui sentez le monde se dérober autour de vous. Lui, il ne bouge pas !
La perte de contrôle est totale. Vous ne vous faîtes plus confiance. Vous vous sentez incapable de maîtriser quoi que ce soit. C'est la débâcle.


4/ risques dépressifs


Toutes ces joyeusetés cumulées vous minent. Votre capacité de résistance est usée. Vous ne croyez plus pouvoir retrouver un monde stable, sécure. Vous perdez l'équilibre spatial. Et votre équilibre mental venu à la rescousse est aspiré dans cette spirale. Vous vous sentez déconnecté du monde "normal". Les crises successives aggravent vos symptômes, et l'aggravation de ces symptômes empire votre état. 
Vous êtes mûr : vous ne voyez pas d'issue. Votre vie sera celle-là, entre vertiges affolants, acouphènes obsédants, et mise à l'écart de tout, et de tous. Vous vous voyez au travers du regard des autres, ou plus exactement au travers de ce que vous imaginez que les autres pensent de vous : à ce stade, rien de bien terrible. 
Les perspectives d'avenir se fondent dans votre découragement, dans votre désespoir. Les petits plaisirs se ternissent. Les grands, vous n'en rêvez même plus. Vous vous étonnez juste quand vous voyez les autres s'y adonner avec insouciance. Vous, ça fait belle lurette que vous ne vous souvenez même plus de ce que ça peut faire, passer un bon moment, vivre une expérience agréable.
Vous êtes au fond du seau, vous êtes au pic de la maladie. Désespéré.
Et pourtant, il y a une issue. Cet état ne durera pas toujours, si vous décidez d'essayer de vous relever.
J'ai connu cette étape. C'est une horreur. Le jour où, compulsant des articles sur ce maudit Ménière, j'ai lu qu'on en guérissait, je me suis accrochée comme une perdue à cette phrase.
Ca ne disait pas exactement qu'on en "guérissait" : ça disait que les vertiges disparaissaient, même si on gardait une certaine instabilité,  que la surdité, elle, subsistait, évidemment, et que l"habituation" aux acouphènes les rendait supportables. 
Je buvais du petit lait, et chaque mot de cette chronique était un baume sur mes souffrances vives.

Ca disait aussi que tout ça finissait par arriver, alléluia !!, au bout d'une période d'entre quinze et vingt ans... Ah.
Je suis de nature un peu présomptueuse : à l'époque, c'était il y a cinq ans, j'en étais à cinq ans de maladie installée. J'en étais à ce moment glorieux décrit juste plus haut : j'avais touché le fond.
Je me suis dit qu'avec un peu de volonté et de vitalité, je pouvais m'obtenir une remise de peine. De quinze, je n'en ferais peut-être que sept, qui sait ?
J'avais envie d'en sortir, et cette seule envie marquait un tournant positif. Cet article a été ma bouée de sauvetage.
Au final, cinq ans encore après, soient dix de maladie avérée, je ne suis pas encore sûre d'être tout à fait tirée d'affaire. Ma surdité est en effet gentiment installée, mes acouphènes sont aussi devenus des invités pas trop dérangeants, les bons jours, et, pour les vertiges, ma bête noire, je croise les doigts, comptant avec ferveur les semaines, puis, les mois, depuis la dernière crise.
Je respecte scrupuleusement la notice d'utilisation à usage du Ménière. Je ne m'écarte pas de la bande de roulement autorisée. Aujourd'hui, mi-novembre 2022, j'en suis à presque dix mois sans crise de vertige paroxystique.
Je me donne jusqu'à fin janvier 2023, une année pleine, pour décréter que je suis en rémission. Ce que l'on peut obtenir au plus près de la guérison, pour cette petite pathologie attachante.
Pour la suite, si l'intervalle entre deux crises est de cet ordre là, je ferai ce que je faisais avant 2012 : je mettrai ces heures de malaise entre vertiges et nausées sur le compte d'un excès alimentaire, ou d'une quelconque autre cause rationnelle. Je le faisais ainsi alors par ignorance, je le ferai dorénavant par fétichisme, histoire de ne pas me rameuter ce bon vieux Ménière, toujours à l'affût d'un mauvais coup.
Ménière, pour lui fermer le museau, il faut lui laisser le moins de place possible.



7/ LE DEBUT DU PARCOURS



1/ les premières crises 


Ménière est un sacripant patenté : il ne s'annonce pas de face. Il vient en visite dans vos parages, dans vos systèmes périphériques, en dilettante. Une crise, parfois violente, surgie de nulle part, puis, plus rien. Cette première expérience est bien désagréable. Affolante, pour la plupart, livrés à une sarabande diabolique de sensations vertigineuses.

Elle survient souvent à l'occasion d'un événement qui a réuni des conditions de bruit, d'agitation. Une soirée un peu arrosée, avec une petite montée en émotion, lui fait un lit accueillant. On l'assimile alors évidemment à une classique gueule de bois. On ne tient vraiment pas l'alcool, se dit-on. Même si la consommation a été raisonnable. L'explication la plus plausible reste celle-là.

Elle survient aussi à la suite d'un dysfonctionnement de l'oreille, due à une otite, par exemple. Ou alors, une dépressurisation brutale, comme quand on fait de la plongée sous-marine. La cause est purement fonctionnelle. Surtout, il y en a une !

Un mauvais positionnement de la tête, sans aller chercher d'acrobatie périlleuse, provoque parfois le déclenchement d'une bonne crise de vertiges, de nausées,  ou des deux, pour les plus chanceux.

Ces circonstances là sont assimilables à des accidents. Une survenue ponctuelle, d'un désagrément ponctuel, lié à une plateforme de conditions favorables.

On ne s'inquiète pas trop. Ménière a peut-être rôdé dans le coin, mais, on ne le connait pas, et on ne pense pas à lui. Lui, par contre, si le terrain lui a plu, il ne vous oublie pas !

Je suis polluée par ma propre expérience : bien des gens ont vécu une crise, puis, plus rien. Les bienheureux. C'est ma frustration d'avoir été une élue dans la confrérie qui me fait représenter ce maudit Ménière comme un visiteur sournois et intéressé. Quand il peut n'être qu'un  passant égaré.  Je reste vigilante, quand on me relate une telle expérience. Je n'avance pas trop de théories sur le Ménière, quand je suis capable de tenir ma langue. Rarement. J'ai pourtant bien l'impression d'avoir débusqué l'ennemi dans ses premières approches.

Le cas de figure le plus courant prend racine dans une situation de tension, de fatigue nerveuse, principalement. Le système lymphatique, (ou tout autre, j'utilise ce mot là parce-qu'il sonne bien), circule en principe fluidement dans les vésicules de l'oreille interne. Une petite accélération ou une densité de circulation sont résorbés sans trop de dommages : un petit bourdonnement, un bon mal de tête, un léger tournis, pourquoi pas, et on est quitte pour aller se reposer le neurone, si l'on ne veut pas que ça coince plus sérieusement. La crise musclée survient alors après une accumulation de ces situations, comme si le système subissait une érosion lente... mais sûre ! Si l'on n'est pas entêté ou présomptueux, si ont peut le faire tout du moins, on lève le pied, ou on éloigne le foyer de perturbation. Et les choses peuvent en rester là.

Je n'ai pas l'impression d'avoir connu des gens souffrant de crises répétées, qui s'en seraient tirés comme ça, voyant les syndromes s'éloigner comme ils sont apparus, sans rien mettre en œuvre pour ça. La plupart s'en sortent avec le traitement médicamenteux, les séances de kinésithérapie vestibulaire. Ils ont de la chance.

Je l'ai dit au début, je parle des autres, de mes compagnons d'infortune, qui ont essayé toutes les parades de première intention, et n'ont pas pour autant mis Ménière à la porte.
Nous avons tous connu la même ligne de départ, mais notre course a été bien différente, malheureusement pour nous.



2/ les crises à répétition


Passé ce premier sas de triage, les Ménières résistants en sont au début des joyeusetés. Les solutions classiques n'ont pas fonctionné sur eux. Ils ont vidé des plaquettes d'anti-vertigineux et autres, accumulé les séances de kiné. Rien n'y fait. Au début, ils ont bien l'impression d'un mieux. Réel, d'ailleurs, rien que par ce sentiment de reprise de contrôle. Leur syndrome a été correctement identifié, on leur a bien décrit ce qu'ils ressentent. On leur propose une petite panoplie de solutions. Ils vont bien faire tout ce qu'il faut, suivre scrupuleusement le protocole, et tout ira bien. Ils y croient ferme, c'est normal, c'est leur voie de salut.
Puis, très, trop, vite, les crises reviennent. Les parades marchent moins, puis, plus du tout.
Le découragement vous tombe dessus. Vous avez la sensation d'être livré à la maladie, sans défense, sans recours. Sans explication. Pourquoi ce qui marche pour tant d'autres ne fonctionne-t-il donc pas pour vous ? 
La danse est lancée. Vous êtes parti pour en baver.


3/ la consultation médicale et les diagnostics


C'est un véritable soulagement, quand vous n'avez jamais entendu parler de ce qui vous arrive, de trouver quelqu'un qui connaisse ce que vous vivez. Le Ménière n'est peut-être pas la pathologie la plus courue, elle est tout de même connue par les professionnels. La première consultation chez un généraliste vous arme d'une paire de médicaments, l'acide acétylleucine, commercialisé sous le nom de Tanganil, et la bétahistine, le Bétaserc. Le premier pour stopper en urgence la crise de vertiges, le second en traitement de fond, à prendre sur au moins un mois. A mon époque. La prescription de quelques séances de kiné vestibulaire complète ce premier traitement. On vous invite en parallèle à aller consulter un spécialiste, pour avérer le diagnostic, et faire un bilan plus complet.
Arrivé chez ce spécialiste, vous subissez la petite batterie de tests préliminaires. On évalue votre perte auditive, et on recherche dans vos yeux je ne sais quel paramètre. A la lecture du diagramme de ce dernier examen, la ligne pointillée où s'est posé votre regard diverge d'un œil à l'autre, signe qu'il y a là quelque part un défaut de parallélisme. Je vulgarise. On insuffle enfin dans votre oreille une vapeur chaude, en vous prévenant que vous risquez de ressentir une sensation de tournis. Pour ma part, je n'ai jamais rien ressenti pendant l'examen, que j'identifierais comme un tournis : la notion même de tournis étant oblitérée pour moi par celle du bon vieux vertige, quatre étages au dessus.
A l'issue de tout ça, l'ORL pose son diagnostic : syndrome du Ménière, à droite, à gauche, ou, pour faire plus fête, dans les deux ! Il vous explique qu'on ne sait pas soigner la maladie. Mais qu'on maîtrise assez bien les symptômes. Vous repartez avec une nouvelle ordonnance des mêmes médicaments, une petite posologie pour une décoction à la glycérine, en variante un anti-diurétique, ou quelques anti-inflammatoires. Quand le client lui paraît méchamment ébranlé, certains médecins ajoutent un petit tranquillisant. Vous ressortez de là, un peu plus serein d'avoir été diagnostiqué, pris en charge.


4/ la mise en place des traitements


Immédiatement, en bon élève désireux de suivre scrupuleusement les consignes, vous appliquez à la lettre les posologies et les prescriptions. A ce stade, si vous en êtes à plusieurs crises consécutives, vous êtes fervent disciple et convaincu de trouver là votre salut. Pour beaucoup, en effet, vous le trouvez par cette voie. Alléluia !
Si les choses n'ont pas trop mal tourné pour vous, vous retrouvez de l'audition, vous oubliez les vertiges, et vos acouphènes s'estompent, jusqu'à disparaître. Menière vous a fait un petit brin de conduite, puis, vous a laissés continuer tout seul, allant de son côté chercher ailleurs de quoi mieux s'amuser.
Pour nous, ça ne s'est pas passé comme ça, à notre grande affliction.

Pour nous, ces traitements n'ont pas eu l'effet escompté.
Pour nous, leur échec signifie la suite du parcours sans filet. La science médicale nous laisse sur le bord du chemin, complètement désemparés. L'injustice nous accable. L'issue tant désirée s'éloigne, se floute. Nous ne savons plus vers quel saint nous tourner. Quelques uns explorent les voies des médecines parallèles. Certains y trouvent du soulagement, voire un réel mieux-être. Je n'ai pas expérimenté. 
Moi, je me suis retrouvée face à face avec la maladie. Je me suis sentie complètement dépassée, incapable de reprendre la main, vouée à subir, impuissante. En plein désarroi.




8/ LA RECHERCHE DU CONTROLE




1/ l'observation de soi et du phénomène


Passé ce stade de découragement, de résignation à ne pas trouver d'aide extérieure, si l'on ne sombre pas tout à fait, on ne peut que se prendre en main, tout seul, comme un grand.
Puisque la solution semble être en nous, on se dédie à la chercher, quelque part au fond de soi.
Dans un premier temps, sans plonger dans une introspection abyssale, on essaie de parer au plus pressé : comprendre la survenue des crises, dans l'objectif évident de les éviter. On s'observe, on fait des rapprochements. 

On commence une étude détaillée sur les circonstances, les comportements, les conditions, qui ont précédé la crise. On essaie de croiser tous ces faisceaux pour en faire une présomption de convergence. On dissèque son Ménière. 
On le fragmente, catégorisant les crises suivant leurs manifestations. Certaines ne font que vous effleurer : un bref sentiment de perte d'équilibre, vite rattrapé. Une impression plus longue d'instabilité, accompagnée d'une nausée diffuse, ou plus prégnante. D'autres sont plus insistantes : l'impossibilité de rester debout, la nuque enserrée dans une prise douloureuse par décharges de compression, vous obligeant à vous assoir et rester immobile, le regard figé dans un horizon étréci. Les dernières, les plus redoutées, les crises de vertige paroxystiques, qui vous font chuter brutalement, sans préavis ni possibilité de parade. 
Toutes ces options se combinent et se déclinent à l'infini, vous offrant un panel démultiplié en un delta grisant.
Vous persistez à comprendre, à repérer. Vous vous faites des conclusions, histoire de vous rassurer. Ca peut marcher. Jusqu'à ce que la prochaine crise vous démontre l'inanité de vos tentatives appliquées.
Ménière ne se laisse pas saisir facilement.



2/ l'expérimentation des parades


A force d'essais, vous finissez par acquérir une connaissance empirique. Vous avez suffisamment expérimenté pour avoir sous la main une panoplie de secours plus ou moins efficaces. 
A chaque fois que quelque chose marche, vous vous y accrochez ferme. La respiration lente et profonde semble contrecarrer l'offensive : vous respirez lentement et profondément, religieusement. Ecarquiller les paupières paraît affermir un horizon qui commencerait à tanguer : vous avancez comme un ahuri qui aurait trouvé son Graal.
Dans un autre registre, vous avez remarqué que certains excès alimentaires ne pardonnent pas et sont vite sanctionnés par une crise : vous revoyez votre régime, préférant les petites collations aux gros repas, évitant tous les trop, trop de sucres, trop de gras, trop de sel, trop d'excitants. Vous devenez un ascète, espérant par votre rigueur apaiser les foudres de ce méchant Dieu Ménière.
Evidemment, vous renoncez à tout ce qui est bruyant, tout ce qui favorise les montées en excitation, bonne, ou mauvaise. 
Vous vous cantonnez à une zone un peu insipide, où vous vous tenez à l'abri des agressions sonores, des montées ou redescentes trop vives en excitation, de tous les excès quels qu'ils soient, alimentaires ou comportementaux. 
Vous devenez l'image vivante de l'humanoïde exemplaire d'un mode de vie sain, calme et équilibré. Votre vie paraît aux autres emmerdante comme la pluie. Pour vous, si elle vous réautorise à la vivre debout et à peu près stable, elle est magnifique.
Finalement, sous des dehors un peu brutaux, Ménière n'est pas un méchant garçon. Si l'on fait abstraction de ses mauvaises manières, il peut faire un ami honorable. Pas complaisant, mais très fiable dans son rapport sanction/récompense. En exagérant à peine, on pourrait dire qu'il vous veut du bien...

J'ai comme vous essayé d'amadouer l'animal. Dans ma vie, pas mal de choses ont changé.

Les évènements fâcheux induits par la maladie ont eu pour conséquence sur mon habitat et sa décoration intérieure, une épuration drastique de tous les meubles, bibelots, et tout autre objet susceptible de présenter un angle ou une surface dure, non indispensable à ma vie quotidienne.
Dans le même esprit, ma douche est équipée de barres de maintien. Pendant ma période exacerbée, je prenais toujours mes douches assise dans le bac. Et là aussi, les vertiges me rattrapaient. En effet, la position tête renversée, yeux fermés, sous le jet crépitant d'eau chaude qui s'insinue dans vos oreilles, est presque une provocation à la survenue de la crise. 
Bien arrimé, les articulations de doigts blanchies par la tension de l'emprise, on se sent moins proie sans défense. Cette seule sensation suffit à relâcher la mécanique auriculaire, et évite la chute vite dangereuse dans un environnement d'émail dur et glissant. 
Le brossage des dents, au petit matin, tête penchée dans le lavabo et tournée sous le robinet, est une voltige périlleuse. La montée rapide de sucre dans le sang après la tartine de confiture, le mouvement plongeant, la torsion cervicale, tout y est. Pour peu que vous ayez traînassé au lit, et que vous soyez un tantinet pressé, vous remplissez les meilleures conditions pour être éligible à la crise de vertige : le fond du lavabo devient mouvant, son rebord se jette à votre visage, vous n'avez que le temps de capter l'éclair de la robinetterie, avant de sentir votre tête cogner, durement, le sol, l'angle d'un mur, l'angle de ce maudit lavabo derviche tournant. C'est un début de journée assez moyen.

Là encore, j'ai choisi mes sanitaires en recherchant les angles arrondis, les rebords effacés. Mes fixations sont prévues pour des tractions désespérées. Tout ce qui est là est indispensable, minimaliste, et  non agressif, dans la mesure du possible.
Mon intérieur est ainsi monastique. Et pas seulement par goût, même si j'aime en toute chose me tenir à l'essentiel. Mon état s'est bien amélioré. Je reprends des postures "normales" dans les gestes courants de ma vie quotidienne. Mais je continue de m'accrocher, sait-on jamais...

Concernant mon quotidien aussi, j'ai bien évolué dans mes comportements.

Au volant de ma voiture, par deux fois, j'ai pilé, avec l'impression de me trouver soudainement dans le tambour d'une machine à laver lancée à plein régime. Je n'ai pas eu le temps de me rabattre, de prévenir mes suivants par la mise en route des feux de détresse. Je ne sais même pas comment j'ai appuyé sur le frein. J'aurais tout aussi bien pu écraser la pédale de l'accélérateur. Ou alors, et ce serait bien réconfortant, il reste dans ces situations extrêmes, un dernier réflexe inentamé par les désordres qui neutralisent tous les autres.
Pour tenter de parer à ce risque, je conduis toujours très doucement, en laissant des distances de sécurité suffisantes. Quand je me vois talonnée par un conducteur pressé, j'essaie, tant que cela est possible, de me serrer à droite, pour le laisser passer.
J'ai pensé un moment qu'il me faudrait renoncer à conduire. A une période très critique, je l'ai d'ailleurs fait. Puis, j'ai été mieux, et j'ai voulu reprendre le cours de ma vie, le plus normalement possible. Je travaille à 40 Kms de mon domicile. Je ne peux pas me passer de ma voiture, si je veux continuer. 
Cette prise de décision, sûrement contestable, de refuser de me laisser enfermer par ma maladie, m'a permis de reprendre un semblant de contrôle sur ma vie. Au moins autour de ce maudit Ménière.

Pour les postures, j'évite toute brusquerie dans mes gestes. Mes relevés et mes accroupissements ne sont jamais tout à fait insouciants. Jamais d'impulsions saccadées dans mes transferts d'un plan à un autre. Toujours, une fluidité prudente me fait glisser d'un niveau à l'autre. Je mentalise ma bulle, et l'exhorte par anticipation à suivre le mouvement suivant, histoire qu'elle ne se perde pas dans la chorégraphie.

Les Ménières comprennent vite l'intérêt de se remettre en mouvement avec précaution, après une chute, ou un simple vertige sans suite. On ne repart pas guilleret et fringant, quand on a repéré la bête. La reprise est précautionneuse, comme quand on se coule en fuite hors d'une pièce où l'ambiance tourne au vinaigre. L'amplitude des mouvements de tête, particulièrement, ne se reconquiert pas spontanément. On sent dans l'instant que tourner son regard en oblique, en gardant la tête droite, ou chercher à regarder en haut, ou en bas, n'est vraiment pas la chose indiquée !
Tout arc déviant d'un point fixe, sur une ligne intransigeante d'horizontalité, est dans la milliseconde sanctionné par le retour du tournis. Plus généralement, tout mouvement brusque du corps est proscrit. La position de sécurité optimale allie un environnement solidement sécurisant, le sol, à défaut d'autre chose, ou un support que l'on sait suffisamment bien ancré pour pouvoir s'y arrimer sans l'emporter dans sa chute. Le Ménière en détresse oublie toute bonne manière, décence ou orgueil. Il n'a qu'un objectif, arrêter la sarabande qui le fait valser. 
J'ai plusieurs fois agrippé un bras, une jambe, même, au grand désarroi de celui ou de celle qui, fortuitement placé à ma portée, matérialisait un ancrage. Quand, naturellement, en situation maîtrisée, je suis d'une froideur bien loin des effusions physiques. Toute honte bue, je n'ai alors qu'une supplique : faites-moi assoir par terre !
Certains, croyant bien faire, essaient de m'allonger, de me soulever les jambes, m'enjoignant de respirer profondément, et calmement. Quand, tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un immobilisme rigide. Le Ménière au sol s'assoit, en un angle bien droit. Il se ramasse autour de ses jambes, buste en avant, et ne lève pas les yeux, accroché avec fixité à un point droit devant lui, et à sa hauteur de regard.
Lors de mes premières crises, à la jardinerie où je travaille, j'étais incollable sur les chaussants des pompiers appelés à la rescousse par des collègues passablement affolés. Pour le reste de leur tenue, ils auraient pu porter un déguisement de carnaval, je n'en aurais rien vu.
Pour la respiration lente et profonde, je mets au défi les plus aguerris d'en être capable, quand ils se sentent emportés dans un tel tourbillon.
Lors de petits tournis anodins, en effet, la seule respiration maîtrisée suffit pour enrayer le phénomène.
Les Ménières sont par force experts dans l'art de la tentative de maîtrise. Parce-que cette maîtrise leur est Graal...
Les plus ferventes exhortations au calme, ils se les adressent eux-mêmes !
Pour autant, le soutien même maladroit de quelques bienveillants est un réconfort propice à améliorer la situation, à condition qu'ils soient capables d'écoute.
J'imagine bien que le spectacle de quelqu'un s'effondrant ainsi soit saisissant, et propre à engendrer une petite panique, pour le moins un début de désarroi.
On n'a pas toujours la chance d'être en présence d'un autre Ménière, qui, lui, sait exactement ce qu'il faut faire : vous assurer un appui solide, vous le faire savoir, et rester là, près de vous qui êtes prostré, en vous accompagnant de sa seule présence réconfortante.

Le Ménière, le gros de la crise passé, n'aspire qu'à une chose : retrouver un monde à peu près cohérent, et se laisser alors aller à une bonne sieste réparatrice. Malheureusement, les circonstances ne le permettent pas toujours, et le Ménière méchamment secoué reprend tant bien que mal le cours de sa journée. Ses performances sont assez moyennes, ces fois-là...

Le plus efficace m'a semblé d'informer mon entourage familial, professionnel, social et amical, de ma maladie. De leur en expliquer les symptômes, et les aboutissements. Ils comprennent en général la manœuvre. La première crise à laquelle ils assistent les impressionne. Pour les suivantes, ils sont encore déconcertés, alarmés quand la chute est dangereuse, mais, globalement, efficaces à en juguler les effets.
C'est la meilleure parade que j'ai trouvée : puisque je ne peux rien pour empêcher ces chutes foudroyantes, au moins, qu'elles ne prennent pas une ampleur exagérée.
La première fois où je me suis retrouvée à terre, dans la pépinière, bien incapable de me relever, ni même de relever mon regard, mes collègues ont appelé les pompiers, contre mon avis. Dans ma triste position, il est vrai, il avait peu de portée ! J'en ai été quitte pour une journée aux urgences, quelques examens, et le constat navré que l'on ne pouvait rien de plus pour moi. Ce dont je me doutais déjà !
Les fois suivantes, les mêmes collègues dûment enseignés se sont contentés de m'installer au mieux, me mettant à l'abri des intempéries ou du trop fort soleil, et de faire quelques tournées de surveillance. 
J'avais scrupule à les mobiliser ainsi. Je ne pouvais malheureusement pas grand-chose pour lever leur sollicitude inquiète.

Le Ménière apprend ainsi l'humilité. Une saine science, à laquelle on ne pense généralement pas assez.

Durant mes séances de kyné, tout n'a pas été improductif. Encouragée par le professionnel à garder les yeux bien ouverts, je m'applique à les écarquiller, quand je vois la ligne d'horizon trépider devant moi. Ca marche.  
Je pratique aussi, suivant ses conseils, la contraction musculaire, particulièrement des muscles fessiers et  jambiers. Par séquences chronométrées, je contracte, et je relâche. Je respire en synchronisé. Inspirant et soufflant avec application, dans les mêmes temps. Là encore ça marche. Et ça améliore considérablement la tonicité de ces zones potentiellement vite sujettes à mollissement.
Ces techniques ne jugulent pas la crise paroxystique foudroyante. Celle qui ne vous laisse le temps de rien. Mais je peux attester de son efficacité pour les crises qui s'annoncent plus civilement, et vous laissent une demi-seconde pour organiser votre défense.
J'ai entendu parler également de postures, propres à faciliter le réordonnancement des cristaux auriculaires. Je n'ai pas pratiqué, faute d'enseignement. 
Les séances de kiné nous ont donc laissé quelques enseignements pas inintéressants : on applique ce que l'on a appris. Garder les yeux bien ouverts, respirer profondément, mentaliser ses appuis au sol, contracter et relâcher les muscles, des jambes particulièrement. Essayer de faire abstraction d'un environnement trop large, se concentrer sur un point précis, et se baser là dessus pour reconstituer son espace.  
Je livre ici ce que moi, j'ai retenu de ces séances. C'est peut-être tout à fait étranger à ce que d'autres en ont retenu. 
Le Ménière, finalement, c'est quelque chose de très personnel, d'intime, presque...
J'aurais tendance à dire que chacun trouve ses parades. Du moins, qu'il les cherche activement !
A partir du moment où ça paraît marcher, la sensation d'y "pouvoir quelque chose" améliore considérablement le ressenti, réduit l'appréhension, et limite les crises, par ce seul succédané d'un semblant de début de contrôle. Sentiment vite rendu illusoire par la crise fulgurante du vertige saisissant.
Qu'importe que les techniques paraissent vraisemblablement appropriées ou pas ! Le tout est d'y croire...
J'ai entendu une fille rencontrée chez le kiné, justement, il est vrai passablement farfelue par ailleurs, m'assurer de son mieux-être, par le seul fait de se natter les cheveux en deux tresses, bien parallèles de chaque côté de sa tête.
Ma foi, va pour les cheveux en tresses, pour ceux qui n'ont pas fini de se les arracher par désespoir !

Les acouphènes sont eux aussi, dans une bien moindre mesure tout de même, de bien mauvais amis. Avec l'accoutumance, on les repère. On ne les neutralise pas. Savoir qu'ils sont le fruit d'un dysfonctionnement auditif ne les empêche pas de vous pourrir joliment la vie. Là aussi, quelques stratégies défensives peuvent utilement soulager.

A partir du moment où l'on a repéré que le son entendu, ou plus exactement, imaginé, n'est pas réel, pour ne pas continuer de le prendre en compte, la meilleure solution reste de s'en distraire et de focaliser son attention ailleurs. Se concentrer sur une source sonore agréable, douce, déjoue les assauts parasites des acouphènes. Dilués dans l'ambiance, ils se fondent et se laissent oublier.
Une occupation plaisante, prenante, le tient aussi à distance.
Pour moi, les bricolages légers, le jardinage, le soin à mes bêtes, ramène la furie des acouphènes à un bourdonnement assourdi. Dans un autre registre, j'aime bien les mots fléchés. (Attention, pas trop ardus pour ne pas m'y décourager, pas trop faciles non plus pour me laisser le plaisir d'une recherche raisonnable). Quand mon esprit est ainsi concentré, dans un environnement tranquille, je sens le relâchement de toute ma zone ORL, une décongestion, une décompression. Je retrouve alors un semblant de paix. Très rarement, trop, rarement, j'en oublie mes acouphènes.

Ce phénomène d'habituation est à priori ce que l'on peut espérer de mieux, quand ces maudits acouphènes se sont installés à demeure.
Pour ceux qui débutent le parcours, je suis persuadée de la possibilité de les neutraliser, en appliquant immédiatement les bonnes parades. D'ailleurs, et Dieu merci, plusieurs en ont fait l'expérience heureuse. Ils se souviennent de l'épreuve des acouphènes, et s'ahurissent de savoir qu'elle peut devenir un quotidien. Et pourtant, c'est le cas de millions de personnes "acouphéniques" dans ce bas-monde...

Les Ménières vieillis aspirent avec ferveur à retrouver le silence. Ils s'en souviennent et le regrettent. Malheureusement, je pense cette quête déraisonnable. Je la pense même totalement contre-productive. En effet, plus on s'obstine à contrer les acouphènes, plus ils vous entêtent. Vos tentatives de leur échapper les alimentent.
La meilleure chose à faire semble bien être de s'en distraire. 

Pour la surdité, en dehors des prothèses dont j'ai parlé dans le volet des traitements, on peut toujours explorer les alternatives offertes par le langage des signes, ou la lecture sur les lèvres. 
Le Ménière n'est pas tout à fait sourd. Sa déficience est partielle, même si elle peut devenir très importante. L'appareillage suffit en général à lui permettre de communiquer presque "normalement". 
Pour les réfractaires à la technologie dans mon genre, l'écoute est évidemment plus difficile, et la communication entravée. Elle reste encore possible. Renoncer à ce reste me paraîtrait une abdication lamentable, et me priverait du bénéfice avéré de l'écoute plus attentionnée d'être imparfaite.
 
Plus prosaïquement, je n'ai jamais été capable de lire sur les lèvres. Le langage des signes me paraît lui aussi bien ardu. 
Une connaissance me racontait que son père, subitement devenu sourd après l'exposition à une violente explosion, avait appris à lire sur les lèvres en quinze jours. Je suis restée dubitative : soit je suis, moi, très bête, soit il est, lui, très marseillais...

Ma seule parade à la surdité partielle est un accroissement de la concentration envers celui qui me parle. Pour les bruits de l'environnement, je n'essaie plus trop d'en rechercher l'origine. Quand je suis avec mes chiens, je me fie à eux. Quand je suis avec quelqu'un, je me renseigne auprès de lui. Seule, je suppute, je cherche, vaguement, et puis, haussant les épaules, je me détourne.
Je vis ma surdité comme une fatalité. Comme on entre en vieillesse.




9/ LA VICTOIRE !




1/ l'habituation


On se fait à tout. A Ménière comme au reste. Les premières crises affolent, paniquent, désemparent. Les suivantes désolent, résignent, enseignent. On apprend à vivre en équilibre instable. On apprend à jongler avec les jours "sans", ceux où il vaut mieux réduire toute cause possible du déclenchement de la crise. On se surveille, on se veille, avec attention, vigilance. Cette vigilance ne se relâche plus. On n'entreprend rien sans garder en tête Ménière et sa possible irruption, à n'importe quel moment. 
Si cette vigilance ne vous use pas jusqu'à la trame, si elle vous laisse un fond de ressource pour vous intéresser au monde autour de vous, vous commencez à faire refluer la peur. Vous intégrez Ménière dans votre horizon. Il vous surprend moins. Il vous empoisonne toujours la vie, mais vous vous y êtes faits...


2/ l'anticipation


Le début de la reprise de contrôle coïncide avec le moment où vous décidez de prendre de l'avance sur la maladie. Si elle reste souveraine au moment des crises les plus soudaines, vous sentez que vous avez une maîtrise sur elle, par la prise de mesures conservatoires. Vous vous sentez moins soumis, puisque vous savez ce qu'il faut faire pour éviter les crises. Vous avez bien compris qu'il vous faut faire allégeance à ce tyran. Vous avez dans le même temps compris que ce qu'on vous demande peut être bon pour vous, en dehors de votre vulnérabilité à la pathologie. Avec le temps, vous vous trouvez mieux, dans votre relation au Ménière, mais aussi, plus largement, du point de vue de votre santé, de votre qualité de vie. 
Vous avez été forcé de revoir votre hygiène de vie, votre environnement, votre attitude. Ménière vous a contraint, vous a appris l'humilité, mais aussi la résistance. Fuir ses responsabilités vis à vis de soi-même dans la maladie de Ménière est une erreur. Et cette erreur se paye, se repaye, par chaque nouvelle crise. 
L'objectif est d'éviter ces nouvelles crises, qui détériorent à chaque fois votre capacité à prendre le dessus sur la maladie. Le piège réside dans ce sentiment d'aléatoire absolu : la crise vous happe comme le rapace fond sur sa proie, avec une fulgurance saisissante. Cette impression de n'avoir rien vu venir, de n'avoir rien pu faire, alimente la tentation de s'exonérer de tout effort pour contrer la survenue des crises. L'injustice est perçue comme incompatible avec toute stratégie de lutte. 
Pourtant, les moyens d'améliorer sa situation existent, et ils fonctionnent. Leur mise en place demande du temps, de l'organisation, de la volonté. 
Je suis sûre que j'aurais pu m'éviter une si longue période de souffrance, si j'avais dès le départ pris les bonnes mesures. Je ne m'y suis résolue qu'au moment où, éreintée, j'ai compris que je n'en ferais l'économie. 
Plus ce moment vient vite dans le parcours du Ménière, plus ce parcours sera court, facile, et bénéfique, au final.


3/ la réussite


Je le redis : on peut reconquérir une vie agréable, même quand on est un Ménière vieilli. Je préfère "résistant", mais on ne m'a pas demandé mon avis sur la terminologie professionnelle.
Je ne suis pas la seule à l'avoir expérimenté. J'ai eu ce moment de découragement total où la perspective de la vie que j'ai aujourd'hui me paraissait inatteignable. Chaque période de mieux me la faisait espérer, et chaque période de crise me retirait cet espoir. L'alternance de ces deux passes était épuisante. Pourtant, les passes mauvaises ont fini par refluer, quand je me suis astreinte à tenir compte des exigences de la maladie. Les crises sont devenues plus rares. Pas forcément moins violentes, peut-être même au contraire, puisque pendant les périodes où elles se succèdent, elles paraissent moins inattendues, et le fait de s'en méfier constamment les rend moins saisissantes.

Quand elles s'espacent, les crises surprennent d'autant plus désagréablement, et repoussent d'autant l'espérance d'une vie sans. L'intervalle de temps entre deux crises est l'étalon-or du Ménière. On compte les semaines, les mois. 
Chacun définit son seuil de tolérance, le stade admissible où il estime sa maladie supportable.

Pour moi, j'ai admis et accepté ma surdité partielle. J'ai intégré les acouphènes dans mon fonctionnement. J'espère les maintenir à cette fréquence plus grave et bien plus agréable, la majorité du temps. J'accepte leur montée dans les aigus, quand les circonstances les favorisent, comme un phénomène normal, en dehors de la maladie.
Mon véritable axe de progrès pointe la disparition des vertiges. J'estime que leur survenue à plus de trois mois de distance, une par saison, est déjà un immense desserrement d'étau.
Là, à dix mois de répit, je me considère tirée d'affaire. Je sais très bien que demain peut me ramener à revoir ma théorie optimiste. Je sais aussi que ma théorie optimiste peut me tirer d'affaire, en complément de ma contribution disciplinée à cette réussite.
Je me tiens à cet enchaînement. Je croise les doigts. Je touche du bois. J'explore et active tout ce qui ravive ma foi.



10/ LES CONSEQUENCES 



1/ l'obligation de réorganiser sa vie


Ménière est intransigeant : il ne vous lâche pas, tant que vous ne l'avez pas écouté. Vous aurez beau esquiver, vous accrocher à votre vie d'avant comme un perdu, il vous rattrapera toujours. Vous aurez fait un grand pas en avant, quand vous aurez admis ça. 
Je sais bien combien il est facile, quand le creux de la vague est derrière soi,  de théoriser sur le bénéfice et la nécessité absolue d'un changement global de vie, quand on rame avec son Ménière depuis des années. 
En général ces années ont fragilisé votre situation, sociale, professionnelle, personnelle. Vous n'êtes vraiment pas dans la meilleure posture pour prendre un nouveau départ, avec tout ce que cela implique de courage et d'organisation. Ménière a phagocyté vos forces, et votre espérance de retour à une vie "normale". Pourtant, la seule voie de salut est là.
Certains changements ne nécessitent pas de bouleverser votre quotidien. Un bon régime alimentaire, une hygiène de vie plus saine, moins dissipée, peuvent se mettre en place rapidement, et sans y investir la refonte profonde d'une vie. Ces premières mesures peuvent d'ailleurs suffire.

Bien souvent pourtant, la mutation doit être plus globale, intégrer l'ensemble des facettes de votre vie. Les tensions, particulièrement, prennent principalement leur source dans une activité professionnelle, une situation familiale, ou personnelle, installée depuis suffisamment longtemps, pour avoir sapé votre résistance. 

On ne maîtrise pas tout, dans sa vie. On n'a parfois pas le choix : exercer son métier, parce-qu'il est dans son seul domaine de compétence, habiter un environnement bruyant, parce-qu'on ne peut pas toujours déménager d'un claquement de doigts, lever une lourde et épuisante obligation : s'occuper quotidiennement d'un enfant malade, de vieux parents dépendants, subir une contrainte impossible à lever. 
Certaines situations ne se choisissent pas, elles se subissent, comme un fardeau dont nul ne peut vous décharger. Vous l'aurez remarqué comme moi, avancer la tête dans le guidon, n'aide pas à élargir ses perspectives d'avenir. Les contraintes, les obligations, ne sont pas toujours des fatalités. Sauf dans les cas extrêmes, il y a des possibilités d'alléger le poids de ce qui vous écrase. Simplement, la particularité des malades de Ménière, c'est d'être traqueur, tendu, obnubilé par une charge que l'on ne s'impose jamais mieux qu'à soi-même. 
Voir autour de soi des gens supporter facilement des situations tout aussi pesantes que la vôtre, pourrait vous aider par leur valeur d'exemple. Malheureusement, pour des natures comme celles qui font les meilleures proies du Ménière, loin de se dire qu'il est possible de se libérer de ce sentiment de tension éprouvante, elles cultivent une culpabilité mordante : celle de ne pas être à la hauteur. Et cette culpabilité fait un mets de choix pour votre tyran insatiable.

Les contraintes se lèvent parfois d'elles-mêmes. La situation critique s'améliore, évolue favorablement.
Là encore, les choses sont souvent plus compliquées. La participation favorable du destin n'est pas gagnée. "Aide-toi, le ciel t'aidera". Ces bons vieux adages ne manquent pas de fondement : c'est bien pour ça qu'ils se sont érigés au rang de dicton. Celui-ci est à méditer très sérieusement, quand la sortie d'impasse traverse une zone de turbulence.

Le Ménière vieilli ne fait pas l'économie d'un réagencement. Au vu de son ancienneté dans la maladie, ce réagencement ne se réduit pas à quelques remaniements légers. Ceux-là, le Ménière en a vite compris la nécessité, et a pris les mesures idoines. Si les symptômes persistent, plutôt que de reconsulter votre médecin impuissant à les soulager, posez-vous les bonnes questions. 

Je ne mets pas la faute sur le malade. Il n'y a pas de faute. Il y a un disfonctionnement métabolique, une défaillance purement somatique, et il y a ce qu'on peut en faire. Au mieux, suivant les possibilités et les circonstances.


2/ la prise de conscience de sa vulnérabilité


A un moment ou à un autre, la maladie, Ménière ou quelle qu'elle soit, vous met face à votre fragilité. Vous étiez persuadé d'habiter un corps sain. Ses premières défaillances vous surprennent. Vous vous sentez trahi. Ce corps sain est perçu comme un du : il doit fonctionner. 

Il faut avoir été malade, sérieusement, pour percevoir les choses dans le sens contraire : le corps en bon état de marche est un petit miracle. Un grain de sable dans les rouages, et tout peut se gripper. Quand on explique que la maladie de Ménière loge quelque part dans le système d'une toute simple oreille, on ne se rend pas compte de la frustration générée par cette explication. 
Quand le spécialiste vous précise que la maladie n'est que périphérique, qu'elle ne remet pas en cause le bon fonctionnement de votre système nerveux central, je ne sais pas pour vous, mais moi, j'ai eu la tentation de lui mettre une gifle. En gros, il vous explique que vous n'avez pas grand chose, ou quelque chose de tout à fait bénin, et que vos plaintes sont infondées. Je sais bien que je généralise, et que beaucoup de professionnels sont capables d'empathie. Tout de même, pour en avoir parlé avec d'autres malades, je ne suis pas la seule à avoir connu cette impression frustrante de dénigrement. 
Evidemment, le soulagement de n'avoir rien de grave, qui mette vos jours en danger, est réel. Tout de même, vous avez l'impression que toutes vos misères tiennent à une petite bulle perdue dans un labyrinthe minuscule, et vous vous sentez bien petite chose...

Le bon du truc, c'est que vous touchez véritablement du doigt la sophistication de notre machine humaine. Quand elle consent à tourner à peu près rond, votre gratification est immense. 


3/ une recherche d'équilibre 


Le premier équilibre recherché par les Ménières est le basique équilibre spatial. Le Ménière se méfie des situations où il risque de le perdre, tout bonnement. Avant de monter à une échelle, avant d'approcher un à-pic, il s'assure. Les jours où il se sent vulnérable, il ne le fait pas, tout simplement !
Il réfléchit à deux fois avant de lever intempestivement la tête, de la tourner trop vivement, ou de se baisser ou se relever trop rapidement. 
Ses mouvements sont plus lents, plus réfléchis. 
Ensuite, le Ménière est en recherche de situations calmes, où ses sens auditifs ne sont pas sursollicités. Il évite évidemment les rassemblements où les conversations croisées, le bruit ambiant, le plongent dans un brouhaha inconfortable, insoutenable.
Tout bruit fort l'incommode, le surprend. Il est perçu comme un danger, puisque, ne pouvant pas localiser son origine, le Ménière ne l'identifie pas sur l'instant à quelque chose de connu.

Ainsi, le Ménière lui-même évite de faire du bruit. Contrairement à certaines personnes atteintes de surdité, qui parlent fort, le Ménière utilise un ton de voix bas, et amorti. Il est très attentif à ne pas générer de bruit : un Ménière ne claque pas une porte, il ne jette pas un objet métallique sur une table, il n'entrechoque pas des assiettes, ou des couverts.

Le Ménière est silencieux, lent. Il ne fait pas de bruit, ne brasse pas beaucoup d'air.
En gros, le Ménière s'apparente à un marsupial !
Il est perçu comme quelqu'un de timoré dans ses mouvements, taciturne, pas très boute en train, assurément !
Un personnage peu agréable en groupe, en somme.

Par contraste de cet effet fade en société, le Ménière en tête à tête devient une toute autre personne. Surprenante, intéressante, attentive. Par effet de contraste, le Ménière reprend des couleurs. Son calme le rend reposant. Sa compagnie s'enrichit d'une philosophie de vie ramenée à l'essentiel, loin des bruits et des agitations d'un monde en marche accélérée.

Je parle ici du Ménière "rédempté". Celui qui a appris de sa maladie, suffisamment pour en faire une manière de richesse. 
Celui qui rampe encore dans l'ornière profonde et hostile, celui-là, c'est sûr, est bien incapable de redistribuer une sagesse qu'il est loin d'avoir conquise. Celui-là, on le fuit plutôt, comme on fuit la maladie, la vulnérabilité, de peur sans doute d'en être contaminé. Et ça n'arrange évidemment pas les affaires de notre pauvre Ménière en fond de fosse.

Le chemin est long et la pente est rude.



4/ une hygiène de vie améliorée



Par la force des choses, le Ménière écarte de son quotidien tout ce qui provoque les crises. Comme dans ce "tout", il y a tous les excès, ce qu'il reste ne peut être que bon pour la santé, physique, ou mentale.
Au fur et à mesure de son parcours du combattant, le Ménière commence par éliminer qui un excitant, qui le sucre, qui le sel, ou le gras. Il a compris qu'il vaut mieux pour lui éviter toutes les situations de stress, auditifs, d'abord, puis, plus largement toutes les situations qui augmentent l'amplitude sinusoïdale de ses émotions, ou ressentis. 
Il sait qu'il lui faut rechercher une vie équilibrée, calme, saine : tout ce qui est préconisé dans les manuels médicaux, et les livrets sur la recherche de la sérénité psychologique.
Sa pathologie est le meilleur gardien de sa bonne forme, quand elle sait la mettre si facilement à mal, au moindre écart.
Le Ménière d'occasion, celui qui a connu quelques crises, à un moment, puis, a été "remis en liberté", ignore cette dictature d'une discipline intransigeante. Le Ménière "vieilli", s'il a suffisamment galéré pour arriver à une rémission gagnée de haute lutte, se risque rarement à titiller le danger. Il peut bien-sûr s'autoriser quelques sorties de route. Sans perdre de vue la ligne blanche. Ménière se tient prêt à le réinvestir, s'il n'a pas suffisamment bien compris la leçon...



5/ des relations moins nombreuses, plus qualitatives


La maladie de Ménière isole du monde extérieur. 
Par contre, elle ramène à soi, à ses rythmes internes, à ses fluides et à leurs interactions.  Les acouphènes vrombissent dans vos oreilles. Leur tonalité, leur intensité, leur fréquence auditive, vous renseignent sur un état nerveux que vous ne percevez pas toujours en pleine conscience. 
Je ne sais pas si c'est propre au Ménière d'être à ce point assujetti à ses tensions émotionnelles, et de n'y avoir qu'un accès brouillé. Il se peut aussi que ce soit juste propre... à moi seule !

Je déplore souvent la montée dans les aigus des sifflements dans ma tête, après une situation que je détecte à posteriori comme tendue. Parce-qu'elle a provoqué les dits sifflements. Sans eux, je ne m'apercevrais pas de l'effet sur moi d'une situation perçue comme anodine, ou inoffensive pour ma tranquillité d'esprit. 
Les acouphènes sont une alarme, sérieuse, et fiable. Ils aident à repérer les situations à éviter, quand on ne s'en méfie à priori pas. Ils sont des capteurs ultra réceptifs, bien plus sensibles que notre intelligence rationnelle, ou notre instinct assoupi. Ils sont l'avant-garde d'une armée défensive.
A contrario, quand les acouphènes baissent en un vrombissement assourdi, quand leur pouls se ralentit, ils en deviennent presque agréables. Là, c'est le signal d'une détente psychique et physique. Je note parfois cette baisse de mes acouphènes, et, alors et alors seulement, je me dis : "qu'est-ce que je suis bien, là !".  Je ne suis pas sûre que je prendrais pareillement conscience de ce bien-être, si mes acouphènes assagis ne me le faisaient pas sentir. 
Ce serait vraiment dommage de passer à côté de tous ces moments de presque plénitude, identifiés comme tels par le seul signal des acouphènes. Je suis bien sûre que l'on passe souvent outre, par distraction, ou par l'appel de préoccupations diverses. 
Moi, maintenant, quand mes oreilles m'avertissent que je vis une situation pareille, je m'y arrête, avec gratitude, et je la savoure, comme une gourmandise longtemps convoitée, et enfin permise.

La maladie de Ménière, en nous coupant de l'extérieur, en nous enfermant dans une bulle ouatée où les sons nous parviennent comme très éloignés et confus, nous donne en compensation l'occasion de nous remettre au centre de notre intérêt. 
Ce recentrage ne se fait pas au profit d'un narcissisme aveuglant. Le Ménière est trop conscient de sa vulnérabilité pour s'ériger en centre du monde. Il y cherche simplement sa juste place, littéralement, dans l'espace, et, dans son milieu de vie. Cette recherche obligée, cette quête encouragée, est bénéfique. Je pense qu'elle le serait pour tout le monde, Ménière ou pas... 
Notre monde bruyant et agité se fait intrusif. Il occupe beaucoup de place, et n'en laisse que peu pour une introspection sereine.

Outre cette relation privilégiée à soi-même, la relation aux autres est aussi évidemment impactée par la maladie. Du fait de sa mise en difficulté dans les échanges oraux, elle impose une attention accrue. Quand on entend mal, quand l'information orale est perçue avec difficulté, on s'astreint à une écoute plus attentive, plus concentrée. On cherche aussi à capter tous les signaux alentour pour s'aider à la compréhension du message. Le langage non verbal, le contexte de l'échange, les expressions du visage, sont décortiqués. L'écoute d'un Ménière est exclusive à la personne qui parle : on ne peut pas trop se distraire de ce que l'autre vous dit, quand le principal mode de transmission fait en partie défaut.
J'ai aussi souvent remarqué, combien mon attention appliquée, provoquait chez mon interlocuteur bienveillant, un réel effort de mieux se faire comprendre. L'effet de ces deux concentrations conjuguées est un échange de meilleure teneur, je le crois vraiment. On sélectionne davantage ce que l'on veut partager, quand on sait qu'il risque d'y avoir de la perte ! On réfléchit aussi mieux à ce que l'on dit, on l'énonce mieux, quand on sait que son interlocuteur peut avoir de la difficulté à saisir une élocution embrouillée, souvent paravent d'une pensée elle-même confuse. Ainsi, les conversations avec une personne sourde évitent les fioritures et les approximations, par le simple fait de la contagion d'une concentration aiguisée.
Je parle ici des conversations avec des interlocuteurs bienveillants, et attachés à la relation avec vous. Pour les autres, évidemment, votre difficulté à les entendre les éloigne de vous. C'est qu'ils l'étaient déjà passablement sans ça.
Finalement, c'est l'occasion de faire un bon tri !

Quand vous êtes obligé d'en passer par un bafouilleur agacé ou pressé, pour une quelconque obligation professionnelle, administrative, ou médicale, par exemple, vous n'êtes pas sorti de l'auberge. En général, sauf très mauvais coucheur, l'annonce de sa difficulté à entendre engendre une certaine compassion, et l'interlocuteur se met à votre portée, heureusement.
Pour les cas où la "captation" de l'information orale est trop difficile, voire impossible, en réunion, par exemple, ou au téléphone, quand des bruits de fond parasitent l'échange, pour certaines émissions télévisées, aussi, il n'y a plus qu'à s'en remettre à un intervenant suffisamment aimable pour vous faire la retransmission.

La position de faiblesse est une excellente porte vers la sélection efficace de votre entourage.
L'accompagnement bienveillant d'une personne en difficulté ne souffre pas l'hypocrisie. Tôt ou tard, l'agacement prend le dessus sur la patience, quand l'attention est intéressée.

Pour autant, il faut bien comprendre, et admettre, que la communication avec un demi-sourd peut-être fatigante, énervante. Le Ménière ne peut que s'astreindre à la patience, en retour de celle qu'il demande à son interlocuteur.
Toute cette quête d'empathie mutuelle nourrit des relations de grande qualité.
Le cercle social en est plus réduit, évidemment, mais, je l'ai constaté, il est bien plus riche, finalement.



6/ la philosophie de l'aléatoire


Menière est grand pédagogue. Pas besoin d'être élève éclairé pour se faire enseigner. Les meilleurs alliées du malade de Ménière sont la discipline, et l'humilité. Suivant le tempérament de chacun, l'acquisition de la maîtrise de ces deux matières principales peut demander de nombreuses années. Pour ce que j'en ai expérimenté, avec cette pathologie, mieux vaut être couard que valeureux combattant. Les tentatives de contrer Ménière de front s'avèrent autant d'échecs. Ceci enfin acquis, et c'est déjà un pas immense, reste à intégrer le concept de l'aléatoire omnipotent dans son quotidien. 
Un Ménière en période de crise sait que chaque jour, chaque moment de chaque jour, peut, au détour d'un mouvement inopiné, d'une circonstance fortuite, se retrouver asservi à un vertige qui le laissera incapable de continuer le fil de sa journée. Ainsi, le Ménière a parfaitement conscience de la fragilité de la vie. Au moins, de la fragilité de la vie "normale", stable. Son horizon est susceptible de basculer à tout moment. Chacune de ses décisions, chacun de ses gestes, tient compte de cet arbitraire spatial incontournable.
Un Ménière en période de crise s'assure d'un appui possible quand il doit traverser une aire dégagée. Il longe plutôt les murs, les bords, recherche tout moyen de se retenir, au cas où. Un Ménière en période de crise n'éternue pas sans s'appuyer simultanément à tout ce qui se présente à sa portée. Il ne se mouche pas s'il n'a pas la possibilité de se retenir, au cas où son système auriculaire s'emballe. Le Ménière sait que la perturbation la plus insignifiante de sa sphère ORL est une véritable prise de risque.
Un Ménière en période de crise est un philosophe fervent  : il connaît sa condition, il sait sa vulnérabilité, il a appris que rien n'est sûr dans le monde qui l'entoure. Ce qui paraît solidement acquis, bien articulé autour de plans horizontaux et verticaux pour ses contemporains, reste pour lui un Graal. 
Un Ménière en période de crise souffre, vit dans l'appréhension, dans l'incertitude et l'insécurité totale.

Le rideau de notre fonctionnement mental nous voile notre condition d'éphémère voué à un destin potentiellement brisable à chaque instant. Vivre autrement serait insupportable. Le Ménière ne pense pas à la mort à chaque seconde. Dieu merci ! Même s'il touche parfois le fond d'une désespérance psychologique telle que l'idée l'en frôle. La plupart du temps, sa préoccupation n'est pas celle d'éviter la mort, simplement d'éviter la chute. C'est déjà une sensation passablement désagréable, je peux l'assurer.

Le gros de la crise passé, le Ménière ne reconquiert pas le sentiment grisant de la sécurité. Il reste sur ses gardes. Jamais tout à fait tranquillisé, jusqu'à temps qu'une période suffisamment longue sans crise commence à lui faire relâcher sa vigilance. Quand survient la rechute, le sentiment de découragement est d'autant plus cuisant. Le Ménière ne se sent jamais totalement à l'abri. Il sait ne jamais l'être tout à fait.



7/ la gratitude du retour à une normalité 


Heureusement, la maladie de Ménière s'apprivoise. La bête est rétive, sournoise dans ses attaques, même si elle reste loyale dans sa quête : vous faire comprendre que vous devez faire allégeance. 
Entre deux périodes de crises,  l'éclaircie est inimaginablement belle. Les vertiges s'estompent, les acouphènes s'assourdissent, vos oreilles s'allègent du poids de la congestion. L'étau se desserre, vous retrouvez l'espérance de l'équilibre, du retour au monde, dont vous vous sentiez coupé, déconnecté. Pour ceux qui portent des appareils auditifs, la performance technologique de compensation est bien meilleure. Vous ne subissez plus les variations de votre capacité d'audition.

Vous revivez.  Votre manière d'habiter ce monde retrouvé est intense. La gratitude de vivre de nouveau sans la peur de tomber, sans avoir le cerveau vrillé de sifflements lancinants, est immense. A ce stade, vous avez réorganisé votre vie. Vous avez écarté tout ce qui vous menait tout cuit dans la gueule du Ménière. Vous vous êtes affranchi, vous avez gagné de haute lutte la possibilité de savourer chaque journée. Vous considérez les choses d'une toute autre manière qu'avant. Vos priorités ont complètement changé. 
Celui qui se donnait à fond dans son métier, quitte à y laisser sa santé, ne comprend plus comment il pouvait se laisser submerger ainsi pas une ambition aveuglante.
Celui qui avait subordonné sa vie à une mission, une contrainte au dessus de ses capacités de résistance, prend garde de ne plus s'y laisser prendre. Il lâche la bride, tout étonné de constater que d'autres la reprennent en main tout aussi bien que lui, quand ce n'est pas mieux !
Celui qui se vivait comme indispensable, a appris qu'il ne l'est pas. Il a reculé du devant de la scène, et le spectacle se joue très bien sans qu'il y tienne le premier rôle.
C'est là que l'humilité acquise à la force du poignet lui est bien utile. Le Ménière peut se sentir pincé d'être ainsi écarté de la marche des affaires et du monde, même à sa petite échelle. Le soulagement de son mieux-être renvoie cette vexation dans les cordes. Si le Ménière était susceptible, soupe au lait, il devient bien plus conciliant.
Finalement, revenu à de plus modestes prétentions, il est bien plus plaisant à vivre, ce petit Ménière rééduqué...
Et il est le premier à profiter de son nouvel état d'esprit.



11/ MON PARCOURS



J'ai repéré mes premières crises de Ménière à posteriori. 
Je ne suis pas sûre que la première que je pourrais identifier comme telle soit véritablement une crise de vertige de Ménière. Ca y ressemble.

Je devais avoir dans les six ou sept ans. C'était au tout début des années 1970. Je jouais dans la cour de la ferme, pendant que mon père et mes frères déchargeaient une remorque de ballots de foin, dans le hangar tout à côté. 

J'étais une petite fille sage, silencieuse. Je jouais souvent toute seule. J'étais imaginative, et je me construisais un monde merveilleux, avec une sobriété d'accessoires remarquable.  Je n'avais pas besoin de beaucoup de jouets sophistiqués : je me les fabriquais, partant de matériaux trouvés à la ferme. Une branche courbe enfilée entre mes jambes me faisait une monture pour de longues cavalcades échevelées. Une panicule de maïs, aux spathes retournées et à la fleur encore accrochée en chevelu, figurait une marionnette que j'animais pour des représentations magistrales. Mon grand-père, pendant ses longues séances de sarclage,  récupérait dans l'ancienne décharge juste plus haut des jouets cassés enterrés là. Quand il me les ramenait, je les prenais avec vénération, et les intronisais neufs. Mon grand-frère me ramena un jour un album illustré des Schtroumpfs : je l'ai conservé des années, et je me souviens encore des péripéties des petits hommes bleus. Je faisais très longtemps usage des choses, et les recyclais volontiers, déjà, alors.
Cette après-midi là, j'avais empli un sac à patates vide, en jute, de rafles de maïs égrenées. J'avais lié l'extrémité en deux fois, boursoufflant un semblant de tête. C'était ma poupée du moment. Pour la mettre en scène, j'avais à disposition le timon d'une charrette en cours de fabrication, garée dans la cour. Mon frère aîné aimait travailler le fer. Si possible, des barres de fer lourdes, massives. Les matériaux légers lui semblaient moins solides. Cette remorque presque terminée était longue, large, lourde, très lourde. Son seul timon aussi épais qu'un rail de chemin de fer devait peser un âne mort.
J'avais disposé ma poupée sur ce timon. Il figurait ce jour là un banc d'école, et j'étais la maîtresse, baguette en main. Mon élève était indisciplinée. Je la tançais vertement, lui infligeant de petites tapes bien senties du bout de mon bâton. En ce temps-là, ça, se pratiquait.
Le timon devait avoir été posé en équilibre précaire sur un gros billon de bois mal calé au sol. Soudain, il bascula sur le côté, et moi, je me retrouvai coincée dessous. Je devais être assez loin du bout pour ne pas avoir été écrasée comme un grain de raisin, pas assez pour pouvoir me libérer. Ou alors, la peur me tétanisait. 
Je me souviens qu'un ami de mon père, un de ses copains de classe militaire, appelé à la rescousse pour ce fameux déchargement de foin, accourut. Derrière lui, il me semble que mes frères et mon père se précipitèrent aussi. J'étais un peu confuse, affolée, pas trop capable de discerner exactement ce qui se passait. Ma plus grande préoccupation allait à mon élève, chue elle aussi à terre, près de moi. J'espérais qu'elle ne s'était pas fait trop mal. Mon imaginaire prenait décidemment beaucoup le pas sur la réalité, déjà, en ce temps-là.
Quelqu'un me tira de ce mauvais pas, me prenant sous les épaules, pendant que quelqu'un d'autre soulevait le timon. Je ne me souviens pas avoir eu mal. J'étais peut-être tout simplement incapable de ramper moi-même pour me dégager, toute tétanisée de frayeur. En me relevant, j'étais incapable de marcher. Je titubais, et rechutais, au bout de quelques pas.
Mes parents s'affolèrent, mon père me prit dans ses bras. Je crois bien que ce fut la seule fois, depuis que ma mémoire me ramène les souvenirs d'enfance. On me coucha. La tête me tournait follement. Je vomis tripes et boyaux. Je finis par m'endormir.
Sur les heures et les jours suivants, j'étais toujours incapable de me tenir solidement debout. J'imagine qu'on appela le docteur.  Mon état ne semblait pas nécessiter autre chose que du repos. Ma mère, me nourrissait abondamment, pensant que je manquais de force. Elle me faisait même boire un petit dé de porto, dans lequel elle battait un jaune d'œuf. Ca ne devait pas aider à des relevailles bien stabilisées...
Je ne sais plus combien de temps dura cet état lamentable. Je me souviens par contre très bien du petit bonhomme hirsute dessiné sur la bouteille plate et ventrue de porto.

Vu de maintenant, cet épisode ressemble bien à une crise de Ménière. 

Pour la seconde, je suis formelle. J'avais dix-huit ans. Je venais de me marier. Nous étions en 1983. 

Une bonne dizaine d'années avait passé.
Nous fêtions l'anniversaire de l'un de mes frères. La soirée était joyeuse, les conversations animées. J'avais un peu bu, mais vraiment pas de quoi tomber comme une mouche. 
Il m'arrivait d'exagérer sur la boisson. Je connais le sentiment d'ébriété. Maintenant, depuis la visite de Ménière, je fais bien attention. Après une période d'abstinence totale, je reprends un petit apéritif, à l'occasion. Jamais de quoi risquer l'ivresse. 
Je me souviens quand-même de ce que ça provoquait comme impression. Après le premier verre, on se sent détendu, plus léger. Le rapport aux autres et à la réalité devient plus fluide, plus chaleureux. On se désinhibe, c'est plutôt agréable. Je m'en tiens là, maintenant, et je m'en porte tout à fait bien.
Si on continue, on se désinhibe davantage, la réalité se colore différemment. Suivant les tempéraments, on devient plus amical, ou plus agressif. Plus quelque chose, de toute façon. Un fossé se crée, entre le "nous" sobre, et ce "nous" là. Quand c'est une fête où tout le monde suit la même pente à la même vitesse, son propre état se noie (c'est bien le cas de le dire), dans la masse. 
Je ne bois plus qu'avec grande modération. Quand, très rarement, je participe à une fête, toujours en extérieur, ce fossé entre ceux qui en restent à la réalité sans alcool, et les autres, les imbibés, qui, au fil de la fête, déconnectent complètement, crée une distance entre moi et l'assemblée. Enfin, entre moi et la partie de l'assemblée complètement chavirée. Certains participants, sobres comme moi, ou alors plus tolérants à l'alcool du fait d'une plus longue ou plus intense habituation, me restent à portée.
De verre en verre, la langue devient pâteuse, le regard trouble, la posture chancelante. Le discours s'envase, et l'horizon tangue. Ca, c'est la cuite classique, avec son escorte de tournis, de vertiges, en effet, où, quand enfin on se couche, dès qu'on ferme les yeux, la pièce se met à tournoyer, et l'entraille à régurgiter. 
Moi, cet état, je ne l'ai pas trouvé au fond de quelques verres. Il s'est imposé à moi, sans que je n'aie rien fait pour le provoquer.
Ce jour là, la soirée ne faisait que commencer. J'étais en pleine discussion avec un invité. Je me souviens parfaitement de notre conversation. Elle ne s'est pas perdue dans les limbes alcoolisées. J'avais bu deux fonds de whisky. L'état dont j'ai parlé plus haut, cette ivresse gentille qui vient vous lécher les pieds, et finit par vous submerger jusqu'à vous rendre le monde illisible, m'a soulevée, ou plutôt écrasée, comme une vague déferlante le ferait, avec violence, et sans préavis. Je me suis retrouvée affalée sur une marche d'escalier, à vomir tripes et boyaux. Mon mari d'alors m'a tirée jusqu'au lit, où j'ai fini par m'endormir. Après un petit somme de quelques heures, je me suis réveillée comme une fleur. Rien à voir avec la classique gueule de bois des lendemains de fête trop arrosée.
J'ai mis cette triste aventure sur le compte de l'alcool. Tout le monde s'est gentiment moqué de moi, et ça en est resté là.
Le troisième épisode se passa dans les mêmes circonstances. C'était en 1990, le lundi de Pâques. Même cause, mêmes effets, même explication. Avec le recul, d'après moi, fausse.
Quatrième crise non identifiée : en 2008. Mon mari actuel me fait sa demande officielle de mariage. Deux verres de rosé frais, pendant un bon repas, émotion, grands frissons. Là encore, le vertige est fulgurant, sans la sensation progressive d'un enivrement classique. 
Je ne tiens vraiment pas l'alcool, me dis-je. Sans plus.
En 2012, le vertige me happe en fin de matinée, à la jardinerie. Là, pas de rosé frais, de fond de whisky, de déclaration d'amour enflammée à incriminer. Je me réceptionne en catastrophe sur la margelle d'un bassin que nous avions alors à l'entrée de la pépinière. C'est l'heure de la pause. J'attends quelques minutes, que le monde se remette en place autour de moi. L'après-midi est très moyenne.
Là, je pense à un coup de fatigue. Pourquoi pas.
A Pâques 2014, le lundi matin, oui, Pâques ne me réussit pas, dirait-on, je termine les travaux de l'étable. J'ai encore la fourche à la main. Je suis parfaitement reposée. Je suis parfaitement indemne de toute possession alcoolique, stupéfiante, ou de n'importe quelle substance susceptible d'altérer la perception de mon environnement. Personne ne me redemande en mariage : mon mari, je l'ai à côté de moi.
Là, rebelote Charlotte. Merci le coffre à grain le long duquel je glisse avant de choir sur le sol comme un chiffon froissé.
Entre-temps, le plus jeune de mes frères a eu l'heur de croiser Ménière. Après un vertige à son travail, il a consulté le généraliste, puis, de là, le spécialiste. Son diagnostic est posé : Ménière. 
Par la suite, on me dira que la maladie semble avoir des causes génétiques. Un Orl m'a même gratifiée d'un : "Vous, les basques, vous êtes tous mal foutus des oreilles !". Je savais notre typologie raciale agrémentée d'appendices auriculaires de belle taille. Pas pour mieux vous entendre, donc, à priori !
Pour en revenir à mon frère, le traitement médicamenteux et les séances de kinésithérapie vestibulaire le soulagent. Après plusieurs années tout de même. En 2014, il suit son traitement. Je lui prends quelques comprimés de Tanganil, pour attendre jusqu'au lendemain, et la visite au médecin.
Là, je commence à me douter de quelque chose. Je me le sens arriver, ce maudit Ménière. Il me fond dessus comme le rapace sur la musaraigne insouciante. Toutes les explications avancées jusque là pour les crises précédentes ne tiennent pas. Sur le moment, je ne fais pas cette analyse. Sur le moment, j'essaie juste de tenir debout, sans vaciller et m'effondrer de nouveau.
Je me fais la petite cure Tanganil Betaserc. Je me sens mieux. Je ne pousse pas plus loin.
A ce stade, les crises se sont bien rapprochées. D'une dizaine d'années, on en est à deux.
La suivante me tombe dessus à la pépinière. Celle-ci, je la relate, dans mes anecdotes.

Là, les choses sérieuses commencent.

J'en suis à un moment de ma vie, où ma situation familiale m'inquiète. Après de longues années passées au chevet de ma mère souffrante, mon père à son tour paraît avoir besoin de mon aide. Il a eu une première grosse alerte, deux ans plus tôt. J'ai peur d'être repartie pour de longues années encore de veille, de soins, de fatigue et de peine. J'ai peur de ne plus en être capable.

Je me sens en charge de mes parents. C'est une tradition dans les familles basques : la fille s'occupe de ses père et mère, pour leur permettre de finir leurs jours chez eux. Quand tout le monde travaillait à la ferme, avec un emploi du temps bien chargé, mais modulable, ça n'était déjà pas facile. En allant gagner sa vie à l'extérieur, avec des horaires fixes, ça l'est moins encore.
J'aurais pu alors demander de l'aide. Quand j'ai été incapable d'assurer ma "mission", en 2017, il s'est bien trouvé des gens pour s'occuper de mon père. Je me suis absentée deux fois quinze jours, pour une convalescence à Rivière, dans les Landes, dans la maison de mon mari, au calme. A la ferme, tout s'est parfaitement passé : l'un de mes frères s'occupait de mes vaches, ma nièce gardait l'œil sur mon père. Mon père d'ailleurs se portait à ce moment-là comme un charme, soulagé même sans doute de ne pas m'avoir toujours sur le dos ! Comme quoi, j'étais bien la seule à penser être indispensable.

Entre 2014 et 2017, la courbe de mon état a gentiment atteint un pic. Ou le fond, suivant que l'on considère l'avancée de la maladie de Ménière, ou l'effondrement du malade.
Là, après ce coup d'arrêt, j'ai compris. J'ai compris  que je devais changer ma vie, changer ma façon de l'envisager. J'ai pris des mesures. J'ai pris de l'aide, pour mon père. Je me suis davantage reposée sur mes collègues, au travail. Je m'en suis tenue à la portion congrue de ce que j'estimais devoir tenir, dans ma partition imposée.
Parallèlement, j'ai découvert ma bipolarité. Celle-ci, au vu de mes antécédents familiaux, je la tenais à l'œil. Comme j'avançais en âge, sans manifestations de la maladie, je me croyais exemptée. Et bien, non ! Celle-là aussi m'a rattrapée, à ce moment où j'étais particulièrement vulnérable. Comme l'imageait si bien l'un de mes frères : un chacal. A l'affût de sa proie, pour la déchiqueter quand elle faiblit de fatigue après une course éperdue.
Tout ceci voisinait cordialement avec la ménopause, cette étape si séduisante dans la vie d'une femme.
Finalement, j'ai cumulé les difficultés. Elles se sont concentrées dans la même fenêtre temporelle. J'ai avalé le package en une fois. C'était roboratif, parfaitement indigeste. Au moins, c'était du trois en un. Ca me laissait la perspective d'un avenir meilleur, allégé de toutes ces embûches. Quand j'aurais passé le cap.
Parce-qu'alors, oui, quand j'ai pris conscience de l'ampleur des dégâts, j'ai décidé de réagir. Je suis tombée sur ce fameux article que je cite dans un des paragraphes précédents. Il y est question de l'issue favorable à la maladie de Ménière. Je l'ai accueilli avec ferveur, reconnaissance. Je m'y suis accrochée ferme. Il m'a été un soutien indéfectible. J'ai rencontré aussi des personnes compatissantes, bienveillantes. Elles avaient toujours été là, mais j'étais passée à côté.

Depuis 2018, je vais de mieux en mieux. 
Les crises se sont espacées, même si des périodes inégales les séparent. Les contraintes imposées et fantasmées se sont levées.
Maintenant, en 2022, je peux dire que je vis mon Ménière sereinement. Je l'ai intégré. Nous cohabitons civilement. Assuré de mon allégeance, il me laisse tranquille. Il ne se rappelle à moi que très sporadiquement, histoire que je ne l'oublie pas tout à fait. Le bougre.



12/ MES ANECDOTES




Vendredi 17 Juillet 2015


Me revoici pour vous raconter mes petits déboires d'oreilles.

J'ai essayé le terme "oriculaires", mais ça n'a pas l'air d'aller. Auriculaire, c'est en rapport avec le petit doigt, ce n'est pas ça du tout.
Il me semblait bien, pourtant, qu'on disait "oriculaire"...  Je me trompais, alors !

Qu'à cela ne tienne : je vous parle quelquefois de mes oreilles, et de leurs défaillances.
Vous connaissez peut-être, ce syndrome de Ménière. Et, si vous ne le connaissez pas,  sachez que vous ne perdez rien, loin de là !

Ce Ménière, pas Meunière, comme la sole, était docteur, en son temps.

Il s’intéressait en particulier aux affections de l'oreille, (faute de le dire mieux),  en lien avec l'acoustique et l'équilibre. Ca n'a l'air de rien, comme ça, une oreille humaine : un lobe sympathiquement charnu, un pavillon plus ou moins élégant, et, très vite, un labyrinthe assez alambiqué de vésicules, de canaux et de cristaux en suspension dans des liquides, se promenant là dedans.
Un mécanisme d'horlogerie fine et délicate.
Je me suis fait expliquer grossièrement tout ça, et je vous livre ce que j'en ai retenu, pour ma commodité, sans prétendre à l'expertise, vous me connaissez, maintenant.

Sous ce terme de Syndrome de Ménière,  les spécialistes regroupent tout un tas de phénomènes plus ou moins parents. 
Et la plateforme commune de tous ces phénomènes on ne peut plus désagréables, rallie des sensations de vertiges, avec pertes d'équilibre allant jusqu'à la chute, des nausées, des tintements persistants dans l'oreille, indépendants de tout bruit extérieur, une impression de poids sur le côté, une compression gênante dans la tête. Elle inclue aussi une surdité fluctuante, en plateaux, suivant les épisodes.

Vous le voyez,  tout un ensemble de sensations dont on se passerait. Imaginez une gueule de bois carabinée, qui dure parfois plus de douze heures, sans que vous ayez touché à la moindre goutte d'alcool.
Evidemment, tous ces petits plaisirs surviennent de façon intempestive, et, si les premiers signes sont une alerte, on ne peut pas savoir  s'ils vont se résorber sans aller au delà, ou si le tourbillon est lancé vers la crise finale...

Cette affection ne se guérit pas. On traite au mieux les symptômes, mais pas toujours efficacement, je peux vous le certifier, à mon grand regret.
Depuis dimanche, ma joue droite pesait, mon oreille vrombissait sourdement, et quelques légers vertiges m'obligeaient à m'asseoir au plus vite, si je ne voulais pas me retrouver avec les deux genoux écorchés comme ces enfants turbulents, dont je n'ai depuis bien longtemps plus l'âge.

J'avais repris consciencieusement ma panoplie médicamenteuse censée pallier ce mécanisme d'oreille en bataille.
Rien à faire, ma tête entière s'embrumait, j'entendais de plus en plus mal, et me sentais évidemment de moins en moins bien !
Je vaquais cahin-caha,  tâchant de faire contre mauvaise fortune, bonne figure. Sans trop y arriver pourtant.

Mercredi soir, le pompon !

Mon quotidien allégé pour cause de semi-crise bouclé, je rentre ici, peu après 20 heures.

Et là, branle-bas de combat dans ma pauvre tête brouillassée : tout se met à tanguer,  le sol se dérobe sous mes pieds, comme disait feu mon oncle de Béhobie : à moi les murs, la terre m'abandonne !

Je me laisse tomber en m'accrochant au rebord de la baignoire.  Une nausée en vagues âcres me déverse la tête dans la cuvette des toilettes toute proches, Dieu merci...
Accrochée à la faïence, je reste là, plus de trois heures, à vomir, cracher, tousser, baver, et larmoyer. Une pauvre misérable, recroquevillée, frissonnante et suante tour à tour.

Je ne peux pas bouger, quand je tente de me relever, le tournis s'emballe et me ramène à terre.
C'est une farandole démoniaque dans ma tête, une danse diabolique, où je m'essouffle à ne pas lâcher prise.
Entre deux nausées harassantes,  j'ai froid, puis très chaud. Je m'engourdis, assise inconfortablement enroulée autour du bloc dur.

Dans ma tête le tourbillon étourdissant emporte tout espoir de voir un apaisement possible. Je me verrais presque finir là, lamentable et pitoyable.

J'ai tout Wagner et ses cymbales dans le cerveau, avec les trompettes de Dvorak et les orgues de Staline,  les Walkyries et les Wisigoths déchaînés, les vagues fluent et refluent comme aux pires tempêtes d'équinoxe, la violence d'un volcan en éruption m'engloutit, les coulées de lave épaisse et incandescente me noient, c'est le Tsunami japonais entre mes pauvres oreilles, l'éruption de la bombe atomique à Hiroshima, l'enfer sur terre.
Ce n'est pas ma première crise, mais ce n'est pas la plus légère non plus, nom d'un chien !

Sur les coups de minuit, je trouve la force de me traîner jusque dans mon lit, sans me déshabiller ni me laver. Je prends juste une cuvette et une serviette.
Enroulée sur mon malheur, je m'endors.
Pour me réveiller en sursaut, secouée de nouveau de nausées de plus en plus acides et douloureuses.
Recroquevillée au bord du lit, je hoquette comme une perdue, plus frissonnante et lamentable que jamais. J'ai froid, et pourtant, je ruisselle d'une sueur mauvaise. Moi qui me fait fort de ne pas exhaler d'humeurs corporelles, je me dégoûte de poisse et de misère.

Voyez, je ne vous tais rien. 
Pour ceux qui par malheur connaissent ce tourment, ils sauront compatir. Et pour les autres, qu'ils se réjouissent sainement d'en être épargnés par la grâce.

Tour ça finit par se calmer, au tout petit matin. Je retrouve assez d'intégrité pour pouvoir soigner les bêtes, aller voir mon père. Chancelante encore, je m'accroche à mon rôle, et parviens à donner suffisamment le change.
Ma journée de travail sera, elle, écourtée. Je ne suis pas du tout opérationnelle et je gêne plus que je n'aide.

La tempête dans ma tête s'est quand-même éloignée.
Je retrouve la sensation d'un monde immobile et rassurant autour de moi. Comme c'est agréable, d'être couchée dans son lit, les yeux au plafond, et de voir juste trembloter au vent cette petite toile d'araignée oubliée là.
Comme cet immobilisme répond bien à la quiétude de mes sens assagis après ce terrible déchaînement.
L'après-crise a ceci d'irremplaçable : elle vous fait toucher du doigt la chance de vivre une situation ordinaire.
Je m'endors, en paix, un vague murmure dans mon oreille décompressée.
En harmonie totale entre mes sensations intérieures, et la tranquillité de mon environnement familier.

Cette congruence retrouvée, cette cohérence entre mes perceptions et le monde, je les savoure, je vous l'assure, comme une denrée précieuse, à cette heure.

Hauts les cœurs à tous mes semblables de la confrérie des Ménières. Nous connaissons la guerre, mais nous connaissons aussi la paix, dans les excès de l'une, et la gratitude de retrouver l'autre, ensuite.

Qu'il ne nous vienne pas plus grande raison de nous plaindre, et, s'il en venait, que nous conservions longtemps l'espoir de surmonter ces malheurs, comme nous surmontons nos crises mauvaises.

Amen, et paix sur la terre...à tous les Ménières, et aux autres !


Dimanche 21 juillet 2019 


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