dimanche 22 décembre 2019

décembre



Vendredi 13 décembre 2019  20h



Une très forte tempête a secoué notre  nuit. La coupure  électrique sur le coup des 4 heures du matin a fait ressortir les romantiques chandelles, et les piteuses torches stérilisées de leurs piles vides.
Le confort est ce qui manque tant que par le vide qu'il a laissé… disait Goldman, ou quelque chose d'approchant, pour ce que je m'en souvienne. (Alambiqué comme tournure, mais bien sonnante...).
Quand la fée électricité est revenue, dans le courant de l'après-midi, après quelques hoquets de suspense, nous l'avons révérée comme la déité qu'elle ne devrait jamais cesser d'être. Puis, l'avons intégré avec une coupable indifférence, comme si elle nous était due.
Nous sommes bien des "ogi pillako txoriak", comme le disait souvent ma défunte, et parfois regrettée, mère. Des oiseaux perchés sur une pile de blé. Des ingrats inconscients de leur chance, en gros.
A la faveur du courant revenu, j'ai remis en marche ma saison charcutaille. Après les saucisses il y a une ou deux semaines, j'ai envoyé le boudin.
Comme l'ordonnancement de la journée a été sérieusement bousculé, j'ai profité du prompt renfort fraternel, et le tout à été bouclé pour le soir.

Je confie ici ma dernière recette. Sachant que je n'ai pas pris la peine de retrouver celle de l'année dernière, et que je ne reprendrai sûrement pas davantage celle-ci la prochaine fois;
Qu'à cela ne tienne, en matière de cuisine, l'improvisation est source de bonnes surprises. Ou pas...



 7kgs de ventrèche maigre. 4 oreilles. 20 joues. 2 goulats. 3Kgs d'oignons. Sang de boucherie couleur fraise écrasée. A ne pas prendre en compte, noircira à la cuisson dans l'eau.
A l’œil, ça paraît bien, à l'odeur, c'est un peu plat. 
Au goût, comme ça, frais, ça se défend.
Verdict dimanche.
Là, tant que la lumière brille, que l'eau est chaude, une longue et bouillonnante douche, en gardant sait-on jamais la torche à portée de main.
Le vent continue de souffler.


Dimanche 15 décembre 12h

Pas mal du tout, nos boudins. Un peu relevé, je dirais, histoire de ne pas me vanter.
Nous avons tant bien que mal rattaché le jasmin vautré sur sa base. 

Lundi 16 décembre 19h30

Dans les petites nouvelles locales, un fait divers  :

Ce devait être samedi, dans l'après-midi. On me l'a rapporté. J'étais à la jardinerie.

Un pugilat éclate dans le chemin le long du bois de l'"anglais" espagnol.
Des gens hurlent, des chiens grognent. D'ici, mes familiers entendent les échos de plus en plus vifs d'un échange conflictuel caractérisé, autour d'une sérieuse bagarre de chiens.
La situation ne paraît pas partie pour se calmer.
Soudain, un coup de fusil claque. Une femme hurle, un chien gémit.
Puis, silence.

Mes familiers aux aguets retiennent leur souffle. La sidération les fige un instant.
Un homme sort du bois. Il court, enfourne son chien dans une voiture arrêtée là, jette son fusil dans le coffre, et s'en va !
La femme se remet à crier, implorant de l'aide. Un chien couine, moins fort.
Le mien neveu se précipite.
Arrivé dans le chemin creux, il secourt une pauvre femme en pleurs : elle essaie de tirer à elle un pauvre chien au dos pelé et ensanglanté.
A eux deux, ils hissent tant bien que mal l'animal dans le coffre d'une autre voiture, pour l'emmener se faire soigner, si au moins on peut le sauver.

Les deux protagonistes ne se connaissent pas, mais sont connus de mes familiers.
L'affaire se réglera au commissariat.
Je demande des nouvelles du chien. On n'en a pas.

Parfois, des situations courantes se crispent en une stupéfiante montée tragique. 
Tout peut aller très vite et très mal.
Une seule seconde où la passion bouscule trop fort la raison, et tout bascule.

J'espère juste que le chien blessé a pu être sauvé.
Que la femme sera capable de revenir promener son chien par ici sans trembler à la vue d'une silhouette même lointaine.
Que le chasseur préférera laisser loin son fusil, se sachant comme nous tous capable du pire.

Et je sais bien que mes souhaits pieux ne changeront pas le monde...


Mercredi 18 décembre 14h

Les jeunes et vigoureux charpentiers sont à l'oeuvre.
Les bois vénérables de la ferme seront restaurés. Quelques bouts de pannes vérolées sont rajeunies, chapeautées de frais.
Aramburu terminera l'œuvre en habillant tout ça d'alu lisse et inaltérable.

Un autre accident malheureux a, ce début de semaine, précipité une pauvre femme sous les roues d'un camion. La laissant morte.
Un autre de ces accidents où tout bascule en une seule seconde.
Pas de coupable, pas de fautif, pas de responsable. Sans doute.
Pourtant, la tentation est grande de mettre un nom, une cause, une justification, sur cet arbitraire tragique où le sort s'invite avec fracas et fait voler en éclats nos quotidiens ordinaires.
Une vie fracassée sur l'asphalte dur, un brave homme sidéré d'être devenu meurtrier.
L'un et l'autre insouciants la seconde d'avant. Et brisés tous les deux dans l'instant.


Dimanche 22 décembre 2019 17h40

Nos rentrons avec Olivier de notre promenade rituelle; l'effet en est intact : les paysages d'arbres dans l'eau, et d'eau dans les arbres, le flot gris beige de l'Adour, élargi entre les berges gris-noir, aux ramures infinies en ramilles délicates, apaisent le pouls et détendent les crispations.

J'ai appris ce matin la mort de notre Popol local, ce vieil homme si émouvant à l'enterrement de sa diablesse Pepita.
J'ai repris ce passage, pour me remémorer la date : presque 2 ans après sa douce pas si douce, notre mémoire de presque un siècle s'en est retourné après elle vers ces limbes où sa toute frêle carcasse repliée en fœtus s'apprêtait déjà à rejoindre cet entre deux mondes, cet inconnu d'avant et après notre temps conscient.

C'était le 27 décembre 2017 :



Hier matin, nous avons été avec mon père enterrer Joséphine, dite Pépita, l'une des vieilles cousines survivantes de la famille.
L'église de Béhobie, ses volutes fleuries plutôt fraîches encore, son curé africain aux longues mains mobiles et au regard envoûtant, presque, son orgue majestueux au premier niveau, quand il est souvent juché en galerie, nous enveloppaient dans la douce nostalgie de ces funérailles, quand on n'est pas trop proche du défunt.
Le veuf, petit homme ratatiné sur le premier banc, un crâne tout lisse de bébé, si ce n'est quelques cheveux soigneusement plaqués dessus, restait assis, ne marchant plus. Il acquiesçait tout de même aux uns et aux autres, venus lui serrer l'épaule ou l'embrasser.
Le curé sermonnait avec conviction, levant ses longues mains gracieuses, scandant ses paroles, et rythmant les chants de mouvements énergiques. Il habitait vraiment sa foi, s'inclinant avec humilité, ou levant les yeux au ciel d'un regard totalement inspiré.
Une vieille bigote, chargée elle d'entonner les chants et de donner la cadence, me semblait moins convaincante, malgré ses yeux fermés et ses poses appuyées.

A la fin de l'office, à ce moment toujours poignant où on emporte la caisse longue, le veuf remis dans une chaise roulante me fit face. Ses larmes essuyées soigneusement d'un petit mouchoir blanc me touchèrent. Son visage, aussi lisse que son crâne, était figé. Seul, ce regard papillonnant et perdu disait la tragédie de se retrouver seul après plus de soixante-dix années de mariage, même si, paraît-il, les derniers temps, notre Pépita était méchante comme la gale.
Ce regard éperdu disait aussi l'effroi d'une fin sans doute proche, quand la résignation n'est plus un rempart suffisant, quand l'aveuglement salvateur de nos vies humaines ne suffit plus à nous abriter de l'inéluctable.

Ces émotions me bouleversèrent un instant comme une houle tranquille et puissante.
Puis, la vie reprit le dessus, les salutations aux uns et aux autres, les visages reconnus, les sourires échangés et les baisers donnés et reçus. Notre Kottep toujours chaleureux acheva de me ramener sur la berge claire, et nous rentrâmes, avec mon père, nous soutenant l'un l'autre dans la pente raide de la sortie d'église.

Je laisse maintenant venir à moi les émotions sans vouloir les refouler.
J'ai appris le poids lourd et crispé d'une boule retenue au creux de l'estomac, sa morsure mauvaise et son fiel destructeur.
J'ai appris les fritures inévitables sur les lignes de connection, quelquefois, et la nécessité de les apaiser très vite, pour les empêcher de virer au vinaigre.
J'expérimente ma science fraîche tous les jours et partout. C'est un exercice salutaire et indispensable, quand on est comme moi revenue d'une zone bousculée.
J'en parlais hier encore avec ma brune Lasseguette. Je n'ai pas su lui dire justement mon ressenti. Je trouve mieux les mots aujourd'hui, comme il arrive souvent, la répartie judicieuse ou la phrase correcte arrivant trop tard !
Je ne suis pas devenue "moins émotive", non. Et je ne le voudrais pas.
Je suis devenue plus familière de mes émotions, plus accueillante à elles?
Elles me paraissent moins dangereuses, si j'arrive à les laisser passer, sans en faire ce poids encombrant et stérile.
Les sortir de moi, quand elles gonflent et demandent de l'air, les libérer.
Un exercice, c'est ça, dont la fluidité ne m'est pas encore acquise. Je chemine.

Nous irons mardi avec mon père l'accompagner en terre.
Saluer ce si long parcours, de ces très vieilles gens dont les petites histoires se fraient dans la grande. L'après première guerre mondiale, la guerre civile en Espagne, la seconde guerre mondiale, la guerre d'Algérie, en fond des turbulences d'une vie ordinaire, déjà chahutée sans ces arrière-plans menaçants.
La joie de vivre encore après tout ça, l'immense gratitude des bienfaits gagnés à la force du poignet, et l'émerveillement naïf de ceux reçus comme des dons du ciel, allumaient jusqu'à il y a encore quelques jours les prunelles délavées de notre vieil aïeul.
Il ne pesait plus grand chose, mais son souvenir se grave profondément dans l'idée que je me fais des choses à garder en mémoire.

L'année se termine, une autre nous vient.
Les ruées tempétueuses malmènent les parages, couchant quelques arbres et aplatissant les ronces sur les talus bas.
Les paysages oublient les couleurs et se grisent, perdent les reliefs et se fondent en masses figées.

Ce répit d'entre fêtes écarte pour ce temps de trêve la presse et la presque frénésie de la marche d'un monde en course. Vers quoi ?

Je chemine, toujours, agréablement, pour le moment.
Je renonce à comprendre, et me contente, sinon de soigner, au moins de ne pas nuire.







lundi 9 décembre 2019

22 novembre au 9 décembre




Vendredi 22 novembre 17h30













Les couleurs d'automne sur fond de ciel de plomb s'enluminent au mieux.
Mes vaches sont bien, au sec, au chaud, dans la vieille étable.
Mes photos sont toujours aussi mauvaises.



Les génisses ont passé une étape importante, dimanche : j'ai changé leurs chaînes de vêles, pour les troquer contre celles de vaches. Une intronisation dans leur parcours, comme quand les toutes jeunes filles agrafent autour de leur buste juvénile leur premier soutien-gorge.
Tout s'est passé calmement. Bigoudi s'est un peu énervée au bruit métallique des chaînes. Elle se souvient bien qu'une chaîne nouvelle, ça veut dire parfois une nouvelle bête, et une ancienne de moins, souvent. Elle sent bien le changement de philosophie de la patronne, mais reste vigilante : chat échaudé craint l'eau froide. (chaude aussi, à fortiori, comme j'ai longtemps amalgamé toutes ces températures dans mes approximations relatives à ce dicton).





Lundi 25 novembre 2019 19h43



Je suis à la ferme. J'aurais pu être à Rivière. Une énième petite alerte paternelle m'a retenue ici.
Sans suite, cette fois encore, jusqu'à la prochaine.
Je me demande qui de nous deux lâchera la rampe en premier, au final !
J'ai souvent, à disposition, les signes bien tangibles de la réalité de chair et de sang de cet homme.
En dehors de ces organiques essentiels, je pourrais facilement penser sa nature minérale, tant il paraît fait de pierre dure, ou, à la limite, de bois flotté ? Quelque chose d'imputrescible.


Quand je vois le grand chêne moribond tenir la dragée haute au jeune châtaignier coulé dans son flanc, je m'imagine bien les certitudes premières du second vacillant devant le ramage toujours imposant du premier.
Le vieux chêne paraissait bien mal en point, ce printemps : beaucoup de bois morts, l'écorce vermoulue sous les chancres et les champignons gris-verts.
En le longeant tout à l'heure, j'ai noté, dans les silhouettes maintenant dénudées, la distorsion du jeune fût vigoureux du châtaignier. Il s'écarte de l'axe du vieux mastodonte, perçant plus à gauche de son élan initial, là où la ramure du chêne est la plus abîmée. 
Il a du intégrer la résistance du vénérable dans son plan de carrière, et choisir de prendre plus sagement la tangente.
Je ferai un reportage image, une prochaine fois.

Je cueillerai au sol les larges feuilles dentelées de mes six châtaigniers, pour en faire comparaison dans un herbier improvisé.
Le châtaignier se rengorge d'un or profond, mat, à la résonance puissante, en cette saison.
Ses feuilles longues restent longtemps accrochées aux branches. Pour certaines variétés tardives, elles sont même marcescentes, restant là tout l'hiver, vidées de substance et de couleur, rendues cartonneuses, jusqu'au moment où le jeune bourgeon les boute à terre. 
Dans ces paysages roux de novembre, le châtaignier se remarque, doré de petits coups de pinceaux follets, en éclats lumineux et pimpants.

Auprès de mon cinquième sujet, un vergne s'est affaissé dans le désordre de ses ramilles bleutées. Il s'écrase sur le chemin, cul par dessus tête.
Plus bas, juste avant le sixième châtaignier de la fougeraie, c'est un acacia long et malingre, malade, vermoulu, qui a tiré sa révérence.
Le vent de ce dernier samedi a brisé ces deux là.

J'ai passé un moment, après ma sieste, à classer mes "nouvelles".
J'ai fait beaucoup d'ordre, cette année. Je n'ai plus trop de niches à bazar.
Je me suis étonnée, puis, inquiétée, de ne pas mettre la main sur mes Agorretako Berriak.
Le tour des possibles est vite fait : le buffet, ici, ou la grande armoire, dans la chambre.
Rien. Tiens...

Je me souviens bien combien j'avais été désemparée, il y a pas mal d'années de ça, à la constatation du manque de mes carnets d'alors. Ma petite histoire dans la grande, sur près de 30 années, déjà. Une œuvre ? Non, sûrement pas. La mienne, tout de même.
Cette dépossession m'avait bien malmenée.
C'était le but, sûrement. Atteint : touchée, ballottée... mais pas coulée, non mais !

Aujourd'hui, même si cette perte me contrarie, j'ai Gueguel, mon coffre ouvert à tous vents, et à l'abri de tout autant.
Rien ne s'y perd. Tout s'y retrouve.

Pour la petite histoire, cette énigme n'a pas cinquante solutions :

1/ Lors de mes rangements drastiques, j'ai jeté le bébé avec l'eau du bain.
2/ un fan (encore !) s'est abaissé à de sombres manigances pour venir jusqu'ici subtiliser cette œuvre majeure.
3/ un imprudent, trop curieux et plus étourdi encore, a dégradé par maladresse l'objet de sa curiosité, et a fait disparaître les conséquences de son forfait.

Le 1/ me ferait douter de moi, mais bon, maintenant, je n'en suis plus à un manquement près.
Le 2/ flatterait mon ego, laissant penser que mes écrits suscitent autant d'intérêt, ne serait-ce que chez les indélicats.
Le 3/ ne m'étonnerait pas : tant de désœuvrés sont passés entre ces vieux murs, tuant sans doute le temps en compulsant mes feuillets, une tasse de café vacillante ou un mégot de cigarette à la main… J'imagine facilement que j'aurais moi aussi effacé les traces de mon méfait, dans la même configuration.

Il ne me vient pas de 4 à l'idée, dans l'instant.


Quoi qu'il en soit, si mon petit volume ne réapparaît pas, je pourrais toujours le réimprimer.
Grâces soient rendues à Gueguel le très haut !


Mercredi 27 Novembre 2019 9h









Les roux dorés relevés du soleil levant, capturent la belle lumière.


Vendredi 29 Novembre 2019 17h


Je reviens de ma tournée châtaigniers.
J'ai ramassé les feuilles craquantes, amoncelées en tapis épais.
































Rien ne ressemble plus à une feuille de châtaignier qu'une autre feuille de châtaignier.
Pourtant, à y regarder de près, l'ovale se resserre ici plus bas que là. La nervure est plus creusée suivant le sujet. Les stries sont plus obliques et moins parallèles. La denture sur les côtés s'aplatit plus ou moins, les petites pointes dardent avec une énergie conquérante, ou alors s'incurvent en s'épargnant.
La taille n'est pas significative. J'ai ramassé indifféremment des feuilles au pied de mes châtaigniers, sans chercher à les calibrer.
Les couleurs par contre balaient toute la gamme des roux, légers, mats, plats, puis profonds, chaleureux, cuivrés brillants.

La feuille de châtaignier est une matière végétale solide et charnue.
Elle remplit vite la main, et épaissit facilement le sous-bois.
Au pied des châtaigniers, le tapis profond étouffe la germination des adventices. Une châtaigneraie reste propre. La broussaille ne la colonise pas. La ronce s'y fatigue et laisse place à quelques bulbilles champêtres, crocus, scilles et jonquilles sauvages.
La frondaison généreuse opacifie suffisamment son aplomb pour le garder vierge de toute invasion herbacée ou ligneuse.

L'automne coule d'or les larges spathes palmées.
L'hiver tolère le soleil sous les bois foncés.

Les ramures bientôt dénudées me montreront leurs écorces.
La saison avance.
J'observe et recueille.



Lundi 2 décembre 2019  17h15

Le furet est revenu nous rendre visite :














Le gros et lourd furet plonge dans les terres grasses d'Agorreta sa mâchoire géante.
Cette roue de monstre préhistorique aux dents faites pour déchirer, je l'avais saisie par un beau dimanche de mi mars, lorsque l'engin s'était approché en vue de notre contrée.







C'est maintenant la saison II de l'opération câble souterrain.

Le second câble, hydre ondulant et épais comme une murène blanche, sinue dans le fond de la tranchée profonde, ouverte par le lourd furet. Déposé là, enseveli sous plus d'un mètre de terre grasse, il conduira l'énergie à bas-bruit, sourdant comme l'eau cachée.
Une richesse pour tous, et un rempart pour nous. Il nous protège en garantissant un périmètre de sécurité autour de la ferme.
Quand je l'ai accueilli ce printemps, dubitative d'abord, puisque la proposition était bien soudaine, j'ai très vite pensé à cet aspect de la chose. L'avenir me dira si j'ai eu raison, ou pas !




Vendredi 6 décembre 2019 11h



J'ai fait ma tournée hivernage ce matin : calfeutrage anti-gelées du surpresseur et autres abreuvoirs extérieurs. J'ai juré l'an dernier, mais un peu tard, que l'on ne m'y reprendrait plus.

Cette fois, je suis prête : le vent peut souffler, la gelée cristalliser, l'hiver arriver.
Mes petites installations vulnérables sont protégées.

J'utilise les sacs en nylon tressé vidés de son, assez épais mais encore suffisamment souples.
Pour le surpresseur, abrité de la pluie dans sa cahute bétonnée, j'ai en réserve quelques sacs en toile de jute. Quand nous recevons des plantes italiennes, à la jardinerie, elles sont isolées par lot avec une multitude de ces sacs. Les inscriptions européennes en lettres cyrilliques fleurissent sur la toile bise.
Je récupère les plus légères.

Pliée en deux dans le cagibi bas, j'emmaillote les tuyaux tarabiscotés des différents branchements successifs, à chaque remplacement de l'appareil, chaque intervenant y allant de son petit coude laitonnée ou de sa vanne personnalisée dans ce dispositif. 
Ce qui devrait être assez simple, dans le principe, une arrivée, la pompe, une sortie, devient dans les faits un véritable alambic. Pour comprendre le circuit et les flux, il faut attentivement suivre les tuyaux laitonnés ou polyéthylènes, les deux matériaux se chevauchant allègrement au gré des disponibilités du moment, sans doute.
Un doigt posé scolairement sur le tuyau supposé de départ, concentré sur les méandres intempestifs, appliqué à ne pas perdre le fil à chaque croisement ou dérivation, on arrive laborieusement à retrouver le sens du courant.
Pour ce matin, je ne me suis pas préoccupée de retrouver les itinéraires bis ou autres : j'y aurais perdu un bison.
Je me suis contentée de ramasser les sacs en jute de l'année dernière, posés en tas dans le coin, pour en recouvrir la tuyauterie.

Une autre activité de l'entrée en hivernage, consiste à dératiser les remises, granges et greniers.
L'approche de la saison froide, la rentrée des récoltes, attirent ces sympathiques rongeurs en intérieur.
Cette année, le mois de novembre bien pluvieux a gorgé les terriers d'eau. Nos rats, boutés hors de leurs abris par l'humidité excessive, se sont déplacés en masse, pour se mettre au sec.
A la ferme, le poulailler, la porcherie, les granges et le grenier, le fond de l'étable, constituent des contrées attirantes à ces migrations animalières.
Je distribue à tout va mes petits carrés bleus. Je fais bien attention de ne pas les laisser à la portée des mes chiens : naïvement, ils seraient bien capables de les manger, et de s'empoisonner avec !
L'année dernière, un innocent petit hérisson résident du poulailler avait été une victime collatérale de cette guerre contre le rongeur. Je n'ai pas repéré cette année la famille à piques. Elle a du migrer, elle aussi, dans un autre recoin, sous les balles de foin, peut-être.
J'ai réalisé cette tournée dératisation dans le courant de la semaine dernière.


Les deux opérations quasiment concomitantes ont amené une conséquence prévisible, certes, mais bien désagréable : une énorme bête à peine mollie d'avant l'agonie dans les sacs en toile  entassés dans le cagibi du surpresseur !

Quand j'ai soulevé les pans de jute raidis, je ne me suis pas du tout méfiée. Dans mon esprit, la dératisation et l'hivernage se compartimentaient en deux activités imperméables l'une à l'autre. Erreur !
Tout est dans le tout, là encore : les rats rentrés en masse pour se mettre à l'abri du froid, prospectent évidemment aux alentours des habitations. Mon cagibi du surpresseur, sec, réchauffé par le moteur électrique en marche cadencé, s'apparente pour eux à un hôtel quatre étoiles. Le tas de sacs en jute tout à côté, c'est le meilleur des lits de palace.

Je tirai à moi le premier sac. Je le trouvai un peu lourd. Je mis cette pesanteur sur le compte de l'épaisseur de la toile. Le prenant franchement à deux mains, je m'apprêtai à l'enrouler autour du premier tuyau laitonné. La position accroupie n'était pas des plus confortables. Je soulevai le sac à hauteur de mon visage. Quand...
Quand une longue et épaisse queue écailleuse me glissa le long de l'avant-bras ! 
Je criai, me rejetai en arrière, cognant brutalement le mur derrière moi. Déséquilibrée, je chus, pour me retrouver assise, empêtrée dans mon sac, avec l'énorme bête grise lourdement glissée sur mes jambes. Son gros corps mou s'affaissait là comme une vilaine poupée de son. La bête était à l'agonie, ses petits yeux noirs déjà vitreux. Assez vivante encore pourtant pour chasser de sa queue de rat contre mes genoux, en un bruit mat et sourd. Les courtes pattes griffues s'agitaient en mouvements alentis, mais suffisants pour me mettre la bile aux lèvres.
Je manquai défaillir, me débattis, me heurtai davantage encore aux parois dures du cagibi.
Je me dégageai enfin, reculant hors de l'abri. Je retrouvai mes esprits seulement alors, respirant à grandes goulées l'ai pur et frais.
Le gros rat tombé sur la dalle ne bougeait plus. Il exhala un dernier soupir en étirant ses pattes, le ventre clair et rebondi. Ses pupilles se figèrent, un écran terne les recouvrait déjà. Il était mort, là, dans mes bras !
Seigneur dieu quelle vilaine bête !
Et quelle plus vilaine encore surprise !

Je saisis le rat par sa longue queue maintenant immobile. A bout de bras, dégoûtée encore, je le déposai dans la benne à fumier.
Au retour, je m'armai d'une fourche, pour fourrager dans le tas de sacs, et m'assurer qu'il n'y avait pas là d'autres hôtes du même acabit.
Je secouai l'amas, vigoureusement, l'extirpant à l'extérieur.
Rien. Juste quelques feuilles amoncelées, déchiquetées en un début de nid.
Le pauvre vieux rat était venu mourir là, là où peut-être une sienne compagne avait prévu de fonder famille.
Je n'ai pas eu de nouvelles de cette autre fratrie.
Et n'en demande pas non plus.

Au printemps prochain, quand je déferai mon ouvrage autour du surpresseur, l'expérience de ce matin me restera assez en mémoire pour que ne m'y laisse pas reprendre.

Ou alors, c'est à désespérer de vieillir, si ce n'est pas pour apprendre...


Lundi 9 décembre 2019 18h

Nous revenons avec Olivier de notre promenade dans les barthes.
Les larges plaines ont retrouvé leurs contours. Partout pourtant l'eau affleure, dans ces paysages marécageux. Les lourds chevaux rustiques se hissent sur les tertres à découvert.










Au beau milieu du chemin à l'entrée dans la forêt, un bloc noir est posé là.






Je l'ai d'abord pris pour un fragment de roche schisteuse. Une météorite tombée du ciel. En approchant, j'ai reconnu une souche de bois dur. Les flots l'ont ballottée et déposée là, confiée au chemin, comme le  gage d'un retour prochain.





 Nous nous sommes avancés vers mon ponton à mélancolie. Ici aussi, l'eau tumultueuse a disloqué les planches.






Le grand chêne penché sur l'onde tranquille offre toujours sa ramure puissante où accrocher les idées grises.

Le soleil à son couchant lape d'un éclat métallique le plomb lisse de l'Adour calme.
Un remous lent plisse l'eau, en un mouvement coulé très apaisant.


L'endroit me paraît toujours aussi bienfaisant, d'une fantasmagorie de bonne fée. Je le découvre maintenant à chaque saison. C'est une autre ambiance que celle d'Agorreta, plus douce, plus lente. Alanguie. Ca fait du bien, aussi.









Les couleurs de l'automne finissant,



les silhouettes grises des ramilles dénudées sur fond de ciel pâle, les reflets à peine verdis dans l'eau grise elle aussi, signent l'entrée en hiver de ces paysages entre eau et arbres.




La pluie nous a rattrapés au retour, crépitant dans les flaques éparses.






Dans le soir, une nuée de palombes cherchait abri dans les chênes encore feuillés du bord de bois.

Les oiseaux hauts s'enroulaient en arabesques fluides.

Nous sommes rentrés, contents de notre provision de belles images.