Nous vivons des journées moroses. Le soleil perce les amas nuageux paresseux, en rayonnements fantastiques. Je prends toujours ce temps de la contemplation.
Mercredi 31 mai 2023 18h15
L'après-midi se termine. Le ciel est uniformément gris. La brise fraîche ne déplace pas ce couvercle têtu.
J'entends le pépiement des hirondelles juste en dessous. Je ne comprends pas trop leurs stratégies : elles ont construit de nouveaux nids, à proximité des premiers, qu'elles avaient pourtant rénovés dans un premier temps. Avec seulement deux couples dans l'étable, j'ai quatre nids "habitables". Je guette les sifflements des oisillons, en vain. Les femelles sont vite inquiétées de ma présence. Elles quittent leur poste de couvaison dès qu'elles me voient. J'en suis presque à éviter de descendre !
Je me demande ce qui perturbe ainsi mes hirondelles. Elles sont complètement "nahasiak", littéralement "mélangées", pour dire confuses, désordonnées.
Nous verrons bien ce qu'il adviendra de toute cette agitation.
Dans la porcherie-remise et sous l'appentis, la situation semble plus protocolaire. J'y passe moins, aussi, il est vrai.
Pourquoi seraient-elles moins familières, mes hirondelles ? Qu'y-a-t-il encore là derrière ? Un de ces mouvements coulés, furtifs, dont la signification s'esquive à nos observations grossières ?
A Rivière, une caillette est née, puis est morte, deux jours après. Paix à sa petite âme fugitivement égarée parmi nous.
Ici, nous avons avec Olivier repeint le mur d'enceinte de la terrasse, en vert sapin ( ce fameux RAL 6009). Les vilaines traînées grises suintant sur les parois me navraient. Le problème est ainsi résolu, même si la fissure transversale paraît plus visible maintenant, curieusement. Sans doute est-ce seulement parce-que nous regardons davantage par là !
Dans la foulée, nous avons aussi déplacé l'oranger : cet agrume a près de trente ans, et il ne bouge quasiment pas. Sa circonférence de tronc ne dépasse pas les 20cms, quand elle devrait en faire le double. A l'époque, je plantais dans la terre lourde locale. Dans un terreau plus léger, les plantes évoluent bien plus vite. Là, mon oranger s'en voit à pousser ses racines hors de sa motte originelle. Quand il aura trouvé le substrat léger, il bondira. L'angle de la cour, trop protégé, l'a infesté de cochenilles et de pucerons. Ca ne l'a pas aidé ! Déménagé maintenant au centre de la cour, bien plus aéré, il devrait s'assainir. Des aspersions généreuses de savon noir allongé d'un peu d'alcool vont déloger les parasites. Il a toutes les chances de son côté : sa position vedette le demande.
Cette transportation a induit toute une série de modifications dans la disposition de mes pots, évidemment. Ca a été l'affaire principale de notre fin de semaine. J'aime bien, ces études savantes de cas. Mes hésitations lasseraient plus d'une bonne âme. Olivier me connaît, et se plie à mes caprices. Il participe volontiers à mes essais, et nourrit par la pertinence de ses remarques la réussite de nos entreprises.
Je reviens juste d'une tournée dans mes sentiers cachés. Quelques bons coups de bâton sur les lianes de ronces, dimanche matin, les a rouverts. La poussée végétale marque le pas : en trois jours, la sente reste visible, quand, avant, deux suffisaient à la perdre. Le parfum âcre en pointe fumée des troènes souligne le doucereux des fleurs de chèvrefeuilles. Le sous-bois s'assombrit en caverne protectrice. Je m'y sens toujours aussi bien, dans l'antre verdoyante, avec en fuite les perspectives des bosquets opulents sur les flancs des montagnes rondes.
Quelques prairies fanées étalent leur pâleur en damiers ras. Le temps n'y est pas, entre orages sporadiques, petites percées fraîches, et moiteur sournoise. Nous nous apprêtons, de notre côté, dans l'attente de cette fameuse fenêtre météo à ne pas manquer.
Le grand tout fou a disparu de la circulation. La rumeur le dépeint tentant d'étrangler sa mère. A ces occasions, les scénarios fantasmés vont bon train. Toujours est-il qu'il ne se montre plus, et on ne le regrette pas.
Txief s'est parfaitement remis de sa castration. Il devrait être plus paisible, à partir de là. Il ne compisse plus mes pieds de chaise, dans cette pièce. Ma foi, c'est déjà très appréciable.
J'ai fait à peu près le tour des nouvelles du moment. Mes chroniques se relâchent. Je, me relâche. Ca fait grand bien.
J'ai peu dormi, la nuit dernière : une excitation étrange m'a tenue éveillée jusqu'au milieu de la nuit. Rien de particulier ne requérait ma vigilance. Je n'étais pas mal, allongée dans le noir, les chiens tranquilles contre moi.
Au petit matin, un rêve bien réconfortant m'a déposée à l'orée du réveil. J'y ai revu mes parents vieillis : ils étaient parfaitement bien soignés, dans une institution irréprochable. Dans la vraie vie, ils n'y ont jamais mis les pieds. Ma mère s'inquiétait d'entendre un orage. Je la rassurai, l'aidais à s'allonger. Elle s'assoupissait, ma main sur son front. Mon père à côté se couchait lui aussi, le teint frais, le geste agile. Tout ça baignait dans une grande douceur. Ils étaient bien. Je l'étais aussi.
Au dehors, une cohue de gens connus me guidait vers une chambre d'hôtel. Je ne comprenais pas trop ce qu'on me voulait. Une pointe d'inquiétude me tenait. Arrivée dans une chambre meublée de plusieurs lits aux édredons gonflés, je retrouvais tous ces gens, confortablement installés, m'accueillant les bras ouverts, gais, bienveillants, m'exhortant à prendre du repos. Je me laissais aller, tout à fait confiante enfin.
L'ambiance générale était suave, légère. Je me sentais portée, je n'avais aucun effort à fournir.
C'était bien agréable, comme sensation, à l'opposé de ces tourments où je me vois seule à accomplir une tâche que je ne me sens pas capable de mener à bien.
Je décrypte assez facilement ces rêves. J'en reconnais la naïveté. Ils restent bienfaisants. Et, résolument, je m'accroche ferme à tout ce qui me fait du bien.
Lundi 5 juin 2023 9h40
Le soleil vient de percer franchement, "après dissipation des brumes matinales".
Notre foin est coupé. Le grand beau temps n'y est toujours pas. Tous les soirs, des remontées orageuses assombrissent les crêtes montagneuses. Mais bon, puisque le grand tout fou n'a pas l'air d'y être non plus, il ne faut pas faire les difficiles, en attendant la concordance de tous les éléments favorables. Pour nous, à la météo s'ajoutent les délires de l'énergumène. Ca fait beaucoup...
Pour arranger les choses, la machinerie locale donne de très sérieux signes de fatigue. Deux des tracteurs sont inopérants, ou tout comme. Entre friteuse et raffinerie, nous sommes très mal lotis. Bah, la solidarité jouera, et le réseau palliera.
Mes hirondelles ont fini par produire descendance. Avec la mission de couvaison en pointillé de celles de l'étable, je ne donnais pas cher de l'éclosion. Bêtement, j'en suis toute contente. On a les satisfactions qu'on peut !
J'ai passé une charmante après-midi, hier, à la jardinerie. Après la mise en scène fougères il y a quinze jours, je me suis fait une ambiance jardins frais, juste à la sortie de notre couloir-pergola. Dans la foulée, j'ai réagencé deux têtes de jauges en vivaces fleuries. C'était tout à fait agréable. Mes collègues plébiscitent rarement mes créations. Certains indélicats me les ruinent même dès que j'ai le dos tourné. Avec mes cadences travaillées relâchées, ce peut être dès le lendemain. Les bougres...
Mon potager prend sa tournure mi-saison. J'ai arraché les plants de fèves et de pois. L'ail en jambages sèche. Les oignons dardent des feuilles encore bien vertes. Pour les échalottes, elles s'affaissent gentiment. Tout ça ne paraît pas trop mal. Je devrais pouvoir me faire quelques tresses jolies, à accrocher ici, juste au dessus de l'escalier, pour une ventilation optimale.
Il ne me reste qu'un tout petit carré de patates à déterrer. Sous le feuillage lamentable, quelques jolis tubercules consolent. Les salades se resserrent en pommes tendres. J'en coupe tous les deux jours. Les fraises ont atteint leur pic de production la semaine dernière. J'en ai fait des orgies. Après ma halte, j'irai en cueillir pour midi.
J'attends maintenant les carottes primeurs, les tomates, les piments, les courgettes déjà fleuries, le concombre tard venu et les melons en pleine pousse.
Les citrouilles n'arrivent pas à percer la croûte herbeuse sous le paillage. Elles ont eu un départ très moyen, avec la fraîcheur des températures à leur levée. Ensuite, au chaud revenu, elles se sont ranimées en feuilles bien étalées, d'une couleur mieux foncée. Là, elles ont mangé leur pain blanc, et pâlissent à nouveau en racornissant leurs corolles. C'était plus ou moins attendu.
Sous le poirier, je laisse le terrain en friche. Les fruits mûrs tomberont là au plein été.
Je réfléchis à un assolement raisonné, pour le carré libéré par les patates arrachées. Académiquement, je ne devrais pas enchainer deux légumes-racines. Je pourrais y repiquer les choux, semés vendredi. Resteront à placer les carottes et les poireaux. Pour les premiers, ils devront prendre la suite de l'ail et des échalottes, bientôt prêts à être récoltés. Là, nous ne sommes plus dans la logique alternance racines-têtes. Je manque de place.
Pour les poireaux à repiquer autour du quinze Août, les melons devraient être mûrs pour lors. Ca pourra faire. Parce-que je dois aussi veiller à ne pas replacer les mêmes espèces aux mêmes endroits que l'année dernière, et oui ! A moins que je migre vers l'est, en périphérie de la chute des poires, sur une partie de l'emplacement libéré par les pois, les fèves, et, d'ici là, l'oignon et l'échalote.
Il est ainsi des questionnements existentiels...
Cet automne, un labour à droite du poirier me donnera plus d'espace. Une bonne taille dudit poirier permettra aussi une culture de fin de saison à son aplomb actuel. L'arbre penche sérieusement, il sera soulagé de ces branches trop lourdes.
Mes projets potagers sont ainsi divers et variés. J'y emploie la plupart des après-midis de mes jours de repos. Une petite séquence d'une paire d'heures suffit largement à en faire le tour minutieux. J'y ai grand plaisir, et détente complète.
Nous avons pris l'ambiance jours chauds, dans la maison. Je garde les volets entrebâillés, le jour, et les ouvertures grandes bées, la nuit. La lumière trop claire ne sied pas à la chaleur. L'air circule dans toutes les pièces en courant continu. L'atmosphère est intérieur-extérieur.
Dans la cour-jardin, l'oranger explose en pousses vigoureuses. A son pied, je contiens les lobélias trop conquérants. Je ne veux pas qu'ils recouvrent mes pierres provençales, et mon éclairage étudié savamment. L'effet en est garrigue-tropique, en un de ces paradoxes dont je me délecte.
Je profite de soirées de contemplation béate, quand les rais du soleil couchant irradient de pourpre les feuillages carminés des phormiums et des nandinas. Ces touches colorées, en arrière-plan des potées plus fleuries, c'est bien "jeuli"...
Je coule ainsi des jours paisibles. Par moments, j'atteins même la perfection, à mon aulne. Je ne demande rien de plus. Sinon que cela me dure !
Mercredi 14 juin 2023 21h
La pluie a fini par arriver, en quelques bonnes averses, depuis dimanche soir. Un bienfait pour la végétation : elle lape à grandes goulées avides cette eau venue d'en haut, comme une maîtresse ardente trop longtemps délaissée.
Mes réaménagements dans la cour ont induit un "détournement de l'écoulement des eaux de ruissellement". Une petite rétention sous l'appui des pots et jardinières nouvellement installés, favorise une infiltration sournoise. Par conséquence, une auréole malencontreusement étendue goutte du côté droit de ma porcherie-remise. Par contre, le côté gauche est parfaitement sec. Une merveille !
Un peu désolée, je me suis ainsi réattaquée à mon œuvre des 50 prochaines années. J'ai recherché dans mes réserves mon matériau fétiche : l'aquilux. J'ai une grande foi en cette matière plastifiée, alvéolée, rigide mais sans raideur. Un plaisir à travailler. J'ai rebougé mes pots, soulevé le gazon, et glissé ma plaque résolument.
La bâche rétractée en cet endroit laisse une marge de manœuvre suffisante à l'eau pour filer dans les fissures du béton en dessous. Sans obstacle, elle s'écoule et ne s'attarde pas. Là, elle traînasse, retenue par les pots, et, histoire de passer le temps, s'insinue, la bougresse !
Ma plaque s'est laissé gentiment couler au ras du mur, pour recouvrir la bâche quelques centimètres plus loin, se mettant en place sans aucune difficulté. Je l'ai ensuite solidarisée à l'arête bétonnée par ma bande collante, elle aussi placée en première ligne dans mes réserves de secours. L'opération ne m'a pris que quelques minutes. J'attends maintenant la prochaine averse, pour vérification de la pertinence de mon intervention. Cette cour-jardin me tient... et n'a pas fini de me tenir, je crois !
Cette pluie si bienvenue aujourd'hui aurait été une catastrophe la semaine dernière. Nous étions en pleine fanaison.
Le foin, c'est un ouvrage d'artisan, de maître. C'est d'abord un enjeu primordial : le fourrage de toute une année. Pour le paysan, l'assurance de nourrir ses bêtes correctement, et d'en retirer son revenu vivrier.
Pour moi, la garantie de la bonne forme de mes génisses, et, subséquemment, de mon plaisir à les voir croître et embellir.
TtonytaPetra sont capricieuses, et snobent les brins insuffisamment savoureux. C'est effectivement du "gaspillage". J'ai un peu de scrupule à regarnir le râtelier en telle abondance. Tout de même, mes quelques balles de foin ne manquent à personne, alentour. Il n'y a disette nulle part. Pour les éleveurs sinistrés des autres contrées, mes quatre balles, à des centaines de kilomètres, ne pourraient de toute façon rien.
Je m'exonère par ces justifications d'un début de sentiment de culpabilité vite éveillé dans ma nature paysanne, quand il est question de "gâcher".
Ces dernières semaines n'engendraient pas la sérénité, pour qui avait du foin à rentrer.
Les pointes orageuses menaçantes, quelques averses goguenardes, des changements de température brutaux, tout y était pour faire monter le suspense.
La décision de faner ne se prend pas au débotté, par un joli matin clair. Le foin doit être fané au bon stade, juste après épiaison, quand les têtes ondoyantes au vent léger blondissent. L'affaire dure quelques jours. Avant, c'est trop tôt, on perd en rendement et maturation. Après, c'est trop tard, le suc nourricier s'évapore avec l'eau, la tige se creuse en paille.
Cette fenêtre de tir finalement étroite déterminée, il faut encore que la météo y soit ! Une bonne fanaison, c'est l'affaire de deux trois jours, quand tout va bien. Mais les conditions météorologiques de ces deux trois jours sont primordiales.
Le foin demande un séchage régulier, sans trop d'amplitude dans les degrés. Trop de chaleur lui retire son suc. Pas assez lui laisse l'eau triste. A la limite, il peut attendre, par des journées grises, une percée solaire franche, sans dommages, si l'hygrométrie est basse.
Passées les premières heures après la coupe, dès qu'il a commencé à perdre sa verdeur, il devient extrêmement sensible, et vulnérable à la moindre contrariété climatique.
Une ondée à ce stade le fait immédiatement virer de couleur, assombrissant le vert bleuté des brins en un gris lamentable. Irrattrapable. Le foin peut encore se récupérer, si le vent ou le soleil le tire rapidement de ce mauvais pas. Mais il a perdu en couleur, et surtout en saveur.
Une entrée maritime, avec les quelques degrés perdus en l'espace de quelques minutes, condense sous l'andain, et l'affaisse. Le foin gonflé, aéré, vaporeux, se tasse, s'amollit. Là, c'est son parfum qui s'effondre : d'une pointe d'acidité joyeuse, il descend en amertume désolée.
Un coup de chaleur brutal, un séchage trop long, rendent les brins cassants, impropres à la digestion particulièrement alambiquée d'une vache. Le rumen exige des brins longs, propres à libérer en douceur les sucs alimentaires. A la limite un foin en brisure peut nourrir quelques brebis à la rumination plus rapide, ou des équins à la panse plus simple. Pour cette raison, le regain, ce foin de deuxième coupe, plus court en tige, doit être distribué à la vache avec parcimonie, en mélange avec du foin de printemps, si possible. Ceci pour la minute nourrissage-élevage.
Tous les paysans ont du jouer très serré, cette année. Bousculés par les glissements de masses atmosphériques, ils se sont lancés vaillamment, comme la fleur au fusil. Passé ce premier cap, ils avaient encore bien du mal à suivre : pirouetter, d'accord, mais alors, après, ramasser en andains pour préserver de la potentielle pluie, laisser étale pour profiter au mieux de la brise ? Les cieux se jouaient d'eux, les cruels.
Pour le conditionnement en balles, attendre quelques heures encore, au cas où le soleil percerait ? Ou alors vite vite rounballer, pour ne pas risquer de rentrer du foin mouillé.
Et ce n'était pas fini ! Les balles, joliment rondes en tournesols serrés, les laisser là jusqu'au lendemain ? Les rentrer à l'abri dans la foulée, quitte à terminer à pas d'heure ?
Rentrer des balles toutes chaudes sorties de la rounballeuse pour les empiler bien serrées dans le hangar n'est pas la meilleure chose à faire. La température dans le cœur de meule monte. Il est arrivé qu'une pile de foin engrangé prenne feu. Malheur !
Si le foin n'est pas suffisamment sec, si les balles ont pris l'humidité, les entasser rameute une petite moisissure fermentée aigre en bouche.
Les avis divergeaient, les stratégies s'opposaient, c'était vite tendu.
Au moins, cette année, le grand tout fou mis aux verrous ne nous a pas pressés. Il n'aurait plus manqué que ça ...
A aujourd'hui, Barbot a le ventre plein. Et nous, les nerfs détendus.
J'ai en ces jours de récoltes œuvré dans mon potager.
Les têtes d'oignon, d'ail et d'échalotte, ne se laissaient pas bien deviner, sous la croûte paillée. J'ai eu la très bonne surprise de tirer des bulbes charnus, d'une densité très honorable. Mon petit panier se diversifie, en couleurs franches et parfums prononcés.
J'ai accroché mes tresses d'ail au dessus de l'escalier. Comme l'image tout à côté, elles parlent de traditions simples, d'ouvrages sains, de satisfactions authentiques.
De ce que j'aime, tout naturellement.
18h
J'ai du m'interrompre. Après mes recherches informatiques sur un nerf, un tracteur, nous voici maintenant en quête d'un abri pour les Junes. Un tunnel bâché devrait les accueillir bientôt, quand la pluie cingle trop fort, lors de leurs villégiatures par ici.
Ce n'est pas facile de se concentrer sur un écran aux informations multiples et simultanées, avec deux intervenants agités, bruyants, qui ne comprennent pas que l'objet de leurs espérances ne se manifeste pas immédiatement, à la première touche effleurée. Nous sommes quand-même arrivés à trouver quelque chose. Quelques tergiversations encore, et nous devrions conclure...
Après ça, j'ai été prendre l'air. Le vent s'est calmé, et la lumière s'éclaircit à travers les amas de nuages encore bien accrochés. La pluie a redonné du peps à la nature. Les frondes de fougères se déploient à une vitesse incroyable. Je marche presque à couvert, dans certaines sentes. Les ombelles des spirées roses me frôlent gentiment, quand je les écarte pour passer. Certaines ronces volubiles me griffent par contre férocement, elles, lancées au travers du passage qu'elles referment farouchement. Les chiens me talonnent, fermant les yeux pour s'en protéger.
J'ai croisé un couple dont la conversation animée m'a cueillie à la sortie de la voûte sombre du petit bois derrière l'anglais-espagnol. La femme, rubiconde dans une longue robe rouge, tenant à l'avant-bras son sac comme dans une soirée mondaine, invectivait pour ce que j'en ai entendu son compagnon, traînant le pas loin derrière elle. Lui, grand et fort gaillard de type polynésien, ne répondait pas. "Il faut lui poser la question !" disait-elle, "tu lui as posé, la question ?" Elle était véhémente, exacerbée par l'indifférence de son interlocuteur.
La question, je ne sais pas quelle elle était, et pour qui. Mais de réponse à la sienne, là, il n'y en eût pas !
Lundi 19 juin 2023 18h10
L'orage gronde et roule des nuages sombres. Ces derniers jours, plusieurs bonnes averses abreuvent la terre. Le temps est terriblement poussant. Les frondes des fougères se déploient presque à vue d'œil.
La lumière est belle, irréelle parfois. Un spectacle grandiose.
Chaque averse me donne l'occasion de vérifier l'avancement de mes travaux d'Hercule,... enfin, d'étanchéité de ma porcherie-remise. Mon dernier jet n'a pas eu l'effet escompté. Il y a peut-être une amélioration légère. Il est difficile d'évaluer la quantité d'eau tombée, la poussée du vent, et autres paramètres propres à flouter les mesures. Tout de même, chaque avancée m'encourage à tenter, et retenter, encore.
Hier matin, j'ai de nouveau déplacé mes pots, soulevé le gazon, plus haut vers l'angle. J'ai rajouté d'autres plaques d'aquilux, grevant sérieusement mon stock. Dans l'idée d'envoyer l'eau de la terrasse supérieure plus loin du bord, là où la pente est plus favorable à un écoulement rapide, j'ai glissé sous la sortie de la descente une belle tuile canal, très romane, dans le juste style de ma cour.
Mes bandes adhésives imperméables ont elles aussi été mises à contribution. Pas plus tard que tout à l'heure, en passant par le balcon, j'ai remarqué au pied de mes panneaux de bois, (voir un chapitre précédent), une tâche humide, quand tout autour le vent chaud avait séché le sol.
"Tiens", me suis-je aussitôt dit finement, "il y a là quelque chose à creuser". J'ai étudié la conjoncture autour. Il y a là plusieurs époques de travaux, d'étanchéité toujours. Le film plastique tendu sur les premiers panneaux de bois est bien en place. La toile adhésive collée en faîtage fait une petite goulotte bien imperméable...qui s'évacue le long de la tranche du mur, juste en son angle, à l'aplomb exact de ma tâche humide. Ah ! Je tiens là quelque chose !
Je me suis penchée, gentiment caressée par un vent chaud. J'ai étudié le joint entre le mur et le balcon. Dernièrement, je l'avais celui-ci aussi repris, avec du mastic-colle pour la fixation des tuiles, faute de mieux. Je me souviens parfaitement, comment j'avais étiré le bourrelet, à cet endroit, parce-que mon tube était vide. Erreur...
A l'examen attentif, il a là un trou dans la maçonnerie. Pas très grand, mais assez profond. La tige d'un tournevis s'y introduit de plusieurs centimètres. Té ! Je tenais là mon entrée d'eau !
Affriolée comme le chasseur sur la piste fraîche d'un gibier longtemps traqué, j'ai immédiatement mobilisé ma bande multi-services. Avec application, inconfortablement courbée à ras du sol, je l'ai collée, sur une bonne longueur. Ces rapiéçages gris offenseraient une façade neuve. Là, fondus dans le reste, ils passent complètement inaperçus. Ma cour-jardin ressemble maintenant à une petite jungle. Le végétal l'emporte largement, et camoufle opportunément le reste.
J'ai hâte d'entendre crépiter la pluie. De descendre à la porcherie. De lever la tête, et de ne voir qu'une auréole qui pâlit, sèche gentiment, sevrée de son alimentation d'eau.
Je ne suis pas trop confiante, et garde en tête la possibilité d'un ouvrage encore imparfait. Le seul fait d'être sur la bonne voie me suffit pour continuer vaillamment. Le côté gauche de ma remise reste sec. La pièce ici aussi. Alors, pourquoi m'arrêterais-je en si bon chemin ?
"Il n'est pas nécessaire de réussir pour persévérer, ni d'espérer pour entreprendre". Ou dans le sens contraire, je ne sais plus. Je n'ai pas tant de force d'âme. Moi, j'espère, quand j'entreprends. Et j'ai besoin d'un peu de réussite, pour continuer le combat.
En dehors de mon chantier au long cours, quelques curiosités attisent l'intérêt alentour.
Nous avons d'abord ici la lampourde glouteron. Enchantés.
Cette herbe adventice n'est pas des plus communes, dans les environs. Depuis quelques temps, elle colonise. Elle nous arrive du Canada. Résistante aux herbicides actuels, elle concurrence méchamment les cultures. Bien plus véloce que les chénopodes, morelles et autres amarantes de saison, elle gagne du terrain, d'année en années. Elle serait vaguement cousine du datura, plus estival, venu lui d'Amérique centrale.
Dans le même genre, le phytolacca, importé dans les mêmes cargos.
La mondialisation a de ces effets de propagation pas toujours heureuse. Les introductions se font accidentellement, souvent par le biais des importations de céréales pour la fabrication des aliments du bétail. Les espèces endémiques là bas se retrouvent dans les effluents d'élevage.
Avec l'augmentation exponentielle du prix des engrais, le paysan revient à ses basiques : on reprend partout les épandages de fumier, ou, plus communément, de purin, puisque les étables modernes n'utilisent plus de paillage. Et là dedans, la petite graine dormante, expulsée intacte dans les bouses, vole au vent, giclée en jets puissants, et s'éparpille par les champs. Fouettée en sa pousse par l'azote concentré dans cet organique déséquilibré, l'adventice s'élance, élargit des feuilles gigantesques, à une hauteur phénoménale. On dirait des plantes transgéniques !
Les herbicides nouvelle génération, moins dosés que les précédents, avec des matières actives moins agressives, n'en viennent pas à bout.
Un bon sarclage mécanique serait la solution. Mais il y a bien longtemps que les "antxurs", (les houes et autres sarclettes), rouillent sur leurs râteliers. Le paysan du jour préfère la position assise sur ses grosses machines. A grands coups de passage et de repassage, il travaille ses champs comme on usine une pièce industrielle : le bilan carbone est bien loin de ses préoccupations.
Nos bonnes vieilles morelles, amarantes, gallinoncas,
notre bon vieux chénopode des familles,
tout ce petit monde subsiste, mais cède le pas.
C'est ainsi que notre flore évolue, brassée par les mouvements de nos civilisations voyageuses.
En plus de ces fines observations culturales, nous avons sur les hauts d'Agorreta, depuis jeudi dernier, une dissémination de petits bidons blancs, coquettement juchés sur des trépieds de fer.
Chapeautés d'un entonnoir plastique, ils semblent attendre la pluie. Nous avons certes ces jours-ci des orages, mais il paraît cocasse de faire des relevés pluviométriques au début de l'été, par ces saisons prévues de plus en plus sèches.
Après étude plus rapprochée, je constate que les bidons ne sont absolument pas gradués. Ils ne sont donc pas à usage de pluviomètre. D'ailleurs, je ne vois pas trop l'intérêt de planter cinq pluviomètres si près les uns des autres. Je veux bien qu'il y ait un climat très spécial à Agorreta, de là à vouloir mesurer les perturbations des courbes en des points si peu distants...
Nous avons ainsi écarté la piste de la pluviométrie de base.
Le bidon le plus près porte la mention "Mairie de Hendaye témoin". Les quatre autres sont "Mairie de Hendaye J1, 2, 3, 4. Ah. Cette série indiquerait plutôt une évaluation des différents points, les uns par rapport aux autres. Ou au moins, des J par rapport au "témoin". Chacun ne vit pas sa vie dans son coin.
Les bidons paraissent ainsi interdépendants, unis dans une alliance occulte, tel des initiés d'une fratrie secrète.
Les entonnoirs semblent avoir été déjà utilisés, à des fins d'ailleurs disparates : l'un est bien issu d'un passé pluviométrique, mais un autre porte la mention "alimentaire". Le bouchon dans lequel ils sont insérés est lui contemporain du bidon, flambant neuf. J'en déduis une utilisation détournée. Ou, un manquant dans la livraison des colis, les entonnoirs adaptés étant restés quelque part sur un quai...
Un air léger d'improvisation plane.
Nous nous sommes familialement abimés dans l'étude d'une telle mise en œuvre. Serait-il question de niveau ? Le poids de l'eau à lui seul ne peut pas être l'élément impactant. A la limite, une jauge. Mais pourquoi de l'eau ? Parce-que l'eau tombe du ciel ? Un simple repère n'aurait-il pas suffi ?
Les trépieds ne sont pas du tout de niveau. Les orages ont déversé quelques litres dans les bidons, et la surface de l'eau est manifestement penchée.
J'imagine une mesure. Une prise des hauteurs relatives. Une étude de mouvement du sol.
Lors d'une de mes visites périodiques à l'administration locale, un sympathique interlocuteur m'avait parlé de "sonder le remblai", pour tester sa stabilité.
Ces différents éléments convergent. Il y a sûrement dans ce dispositif une mesure d'une quelconque résistance, en plusieurs points. Ces mesures localisées pointeraient vers un mouvement d'ensemble. Les spécialistes en déduiraient des possibilités futures d'implantations d'infrastructures quelconques.
Nous supputons. Chacun y va de son ingénierie. Aucune conclusion ne paraît unanimement satisfaisante.
Cela nous fait une petite distraction. Un petit signe du début du commencement d'une évolution de la situation.
En attendant le dénouement chaque jour plus proche de ce petit mystère intrigant, nous observons, étudiants dissipés et mollement assidus.
Ces parcours au long cours aboutissent un jour.
Telle la graine cueillie ici à la faveur d'un moissonnage en masse, les choses atterrissent parfois loin de leur point de départ.
Une augure favorable nous est survenue jeudi soir, le même jour que l'éclosion de nos petits bidons : la tortue fugueuse des locataires est réapparue. Elle cheminait vers le champ des Junes, peut-être pour les y précéder. Dieu sait ce qui la menait là, dos au ponant, tenace et décidée. Elle a été recueillie, et ramenée ici.
Je gage que son périple lui a aura tant plu, qu'à la première occasion, elle repartira.
Ainsi vont les choses qu'elles suivent un cours têtu. La presse ne leur convient pas, et nos impatiences pas plus.
Vendredi 23 juin 2023 17h
Ma semaine de vacances s'achève. Je me suis profitablement reposée. Je n'étais d'ailleurs pas tellement fatiguée. Le soleil nous est revenu franchement aujourd'hui. Sa chaleur sur toute cette bonne eau va fouetter la pousse. Les prairies sont vertes, et les talus opulents. C'est une ambiance très agréable.
J'ai été hier sur les hauts de Biriatou, prendre l'air large en regardant le panorama étale. Meriem veille sa sœur bien malade. Nous avons reporté notre sortie.
Là haut, il y a de l'ouvrage en cours : de grand pylônes sont changés. Les vieux gisent, couchés, près d'amas de pierres rouges. J'en ai ramené une, scintillante d'éclats diaprés.
En ville, d'autres pylônes sont envoilés comme des mariées. C'est un chantier de longue haleine, ce rafraîchissement de ces hautes structures métalliques.
Mon chantier étanchéité à moi est arrêté, faute de matériel. Je ramènerai mardi des caisses polystyrène et des panneaux aquilux. Mon offensive sera binaire, par le haut, et par dessous. Je ne suis pas sûre de pouvoir considérer comme un progrès une amélioration ici, pour une dégradation là. Les quelques jours prochains vont assécher le plafond. Je pourrai ensuite reprendre mes observations minutieuses.
Dimanche, nous irons avec Olivier et Miss Too Much voir les myrtilles d'Hélène. Ma dernière visite prévue avait été détournée vers Itxassou. C'était bien, aussi.
J'ai repris ma chronique de la même période de l'an dernier. J'écrivais plus, alors. D'après Boris, ce serait mieux. D'après moi, je n'ai pas d'opinion. Je me suis "tranquillisée", comme l'a dit Jean-Michel lors de notre entretien annuel de tous les six ans. Pas sûr qu'il limitait son évaluation au périmètre professionnel...
J'avais alors des questionnements existentiels. De ceux là auxquels je ne cherche plus trop de réponses, maintenant.
Lundi 3 juillet 2023 16H
Je suis en vigie affectée à la surveillance de l'avancée du Tour de France. Il nous passe juste devant, le long de la descente de chez Conchita. Je ne suis pas adepte d'un supportage sur le vif. Je pense être en bien meilleure position d'observation, ici, gentiment installée devant mon écran de télévision. J'ai coupé le son, et j'écris, même si l'image en coin d'œil me distrait. J'ai aussi la vision directe par la fenêtre, sur les voitures déguisées de la caravane, pour le moment.
Je cherche particulièrement les vues aériennes : mon pays vu d'en haut, avec peut-être TtonytaPetra dans le champ, le leur et celui de la caméra. Même si, à cette heure, il y a de grandes chances qu'elles soient dans l'étable. Elles ne sont pas pour le vedettariat, mes belles...
Plus loin, sur la fin, si je tombe dessus, je voudrais aussi voir le passage devant chez Lafitte. Nous avons avec Jean-Michel œuvré samedi à la mise en place d'une banderole sur le toit, à destination de l'hélicoptère. Un "ongi etorri, bienvenu au tour de France 2023".
Je pense avoir fait une jolie coquille sur le "bienvenu", sans "e". Je l'entendais "bienvenu soit le tour de France", au lieu du classique "nous souhaitons la bienvenue...". A croire que je ne suis pas trop accueillante moi-même, pour me targuer du goût pour l'orthographe, quand je commets une telle faute sur ce mot !
Je risque de me faire féliciter, si ma bévue se remarque. La pluie persistante de samedi soir et dimanche matin aura peut-être noyé mon erreur. Le support papier à peine glacé n'y aura sans doute pas résisté. Je verrai ça demain, si je n'ai pas la réponse tout à l'heure ! Jean-Michel a quand même hissé sur le toit une demie-tonne de cailloux, et je serais toute déconfite de lui avoir saboté ses efforts. Les parutions sur les réseaux me tracassent moins. Là, l'orthographe est gentiment foulée au pied, sans que cela ne provoque de réactions. Tout de même, je suis bien vexée !
Le dernier passage du tour date de plusieurs décennies. Je me souviens avoir mangé pendant une année les sandwichs prévus pour les nombreux spectateurs attendus. Le coureur basque Miguel Indurain, pressenti vainqueur, n'était plus en course. L'engouement local s'en était évidemment étiolé. L'organisation prévue pour la foule nombreuse s'était retrouvée bien embarrassée de toute la marchandise inemployée. Nous en avions fait profit, par je ne sais quel biais.
Ah, le peloton arrive sur la frontière. Je dois aviser les vigies en poste pour le direct sur les hauts de Mieltxon Borda. TtonytaPetra sont évidemment rentrées à l'étable. Je n'aurais plus qu'à rager, si je vois le champ, sans les vaches !
Je m'interromps. Vigie, c'est un métier.
17h
Ca y est. Tout ce petit monde est passé. Pas de vue aérienne d'ici. A peine un toit du hangar de Nikolas, à peine aperçu.
Je n'ai même pas vu le passage en "présentiel" : passée la plage d'Hendaye, j'ai perdu le cours du trajet, et ne l'ai retrouvé qu'aux lacets montants de la route d'Orio. La caravane m'est passée sous le nez, les chiens n'ont pas aboyé, et moi, je n'ai rien vu. Je fais une bien piètre vigie.
On a eu droit aux 2 Jumeaux, et au Château d'Abbadie. Le commentateur s'est un peu enlisé sur les Jumeaux-2 jumeaux, prétendant qu'il peut y avoir 3 jumeaux, jumeau signifiant issu du même utérus. Ses 2 jumeaux ne seraient donc pas une redondance. Toutes explications dont ses auditeurs n'avaient que foutre. Si je me suis dit à un moment que je pourrais tenter le coup avec mon "bienvenu" malvenu, ce pataugeage m'en a fait passer l'envie.
C'est sûr, la corniche et son château, c'est quand même "autre chose" (dixit Tiago), que deux vaches au pré...
Je vais maintenant mander Olivier pour la suite de la vidéo-surveillance à l'entrée de Bayonne. Je croise les doigts pour qu'on ne voit pas Lafitte en ses toits !
18H
Ouf, la catastrophe a été évitée ! Je vais pouvoir me moquer gentiment de moi, avant que les autres ne le fassent.
21H
Ce début de juillet bien humide, presque un peu frais, ricane à la face des climatologues alarmistes.
Tout est vert comme au meilleur du printemps. Les températures ne dépassent pas les 25°. Profitons-en,... des fois que !
Un pèlerin nous est venu ce matin, cheminant vers St jacques de Compostelle. Un petit âne gris charroyait son paquetage. L'homme a été se restaurer chez des amis. L'âne est resté ici pour se reposer.
Mes hirondelles sortent des nids, maladroites au début, très vite agiles, rasant le pré, pirouettant fluidement entre les fils électriques, fondant vers la grande porte ouverte de l'étable, pour en ressortir après un virage sur l'aile. Je regarde leur ballet dans le soir. Une chauve-souris au vol saccadé s'y mêle, sous le plafond haut. Celle-ci ne sort pas. La lumière trop forte encore l'en dissuade.
Je les observe, béate, et j'y vois un signe favorable : mon logis leur plaît. C'est qu'il résonne le bon.
Lundi 11 juillet 2023 21h
Trois hirondelles et un moineau devisent sur les fils électriques. Ils profitent de la bruine, pour faire un brin de toilette.
Mes relations se font de moins en moins quotidiennes. Je jette quelques notes sur un calepin, histoire de ne pas trop laisser filer l'écume des jours.
Mes hirondelles sur les fils sont la première génération de cette année. Le premier couple niché au dessus de TtonytaPetra reprend déjà du service. Pour la seconde couvée, il a choisi de se transférer dans un des nids ramenés de la vieille étable. Celui construit ce printemps ne convient donc toujours pas. Peut-être les hirondelles n'aiment-elles pas les nids de l'année : elles édifient pour plus tard, en une vision de l'avenir optimiste.
Nous avons finalement été ce dimanche 9 voir Hélène et ses myrtilles. Je m'étais trompée de date, il y a quinze jours. Mes rendez-vous avec Hélène sont souvent ainsi décalés, jusque là sur le plan géographique. Là, nous passons au niveau temporel. Notre amitié résiste à mes déviances espaces-temps !
La culture d'Hélène est un peu sauvage. Les plants se perdent dans les herbes hautes. Ca les protège des gros coups de chaud, m'explique-t-elle. Bon.
Avant de partir, (comme le chante je ne sais plus qui), nous avons fait une intervention éclair sur la bâche de la cour. Mon dernier essai sur le balcon n'a pas du tout porté ses fruits. J'ai pu le vérifier dimanche matin, donc, après une petite averse pourtant bien mignonette de douceur. Au contraire, l'entrée semble être maintenant plus soutenue, quoique mieux localisée.
Profitant de la présence d'Olivier, nous avons soulevé les pots de fleurs, reculé le gazon. Là, l'objet de mes deux dernières années de recherche s'est découvert devant nous, pris en faute comme la main dans le sac. La bâche est fendillée sur une colonne de quelques mètres, à l'endroit du passage. A l'endroit surtout où j'ai tiré mes pots pour les déplacer, sans attendre de l'aide pour les soulever. Erreur ! Grossière erreur ! Ma bâche s'est écrasée sur le géotextile trop mince, lui même soulevé pour un ou autre gravillon de la chape bétonnée.
Mes autres opérations étanchéité n'ont pas été inutiles. L'eau est maintenant canalisée sur la surface imperméable, jusque là où elle ne l'est plus, évidemment ! Nous cernons l'objectif, l'ennemi est acculé.
Un peu pressés par l'heure, puisque nous avions un peu de route à faire pour rejoindre Hélène à Saint Boes, nous avons à la va-vite glissé sous notre bâche défaillante un morceau de matériel intact, récupéré du premier jet.
Nous n'aimons pas être en retard : nous avons bâclé le travail. Il y avait ainsi un compromis acceptable, entre laisser le truc en plan complet, et entreprendre une action d'envergure plus pérenne. Tant que nous n'en n'avions pas la démonstration, nous pouvions encore y croire. On le sait, la foi soulève des montagnes...
Après ça, nous avons récupéré pile-poil à l'heure Miss Too-Much à la gare de Biarritz, et avons pris la direction est toute.
Ce fut un moment agréable. La discussion roulait gentiment, comme un fleuve aux méandres paresseux. Je ne sais d'où nous vint l'évocation de ce Naël, (je ne sais pas au juste comment ça s'écrit). De là, évoquant les voyous violents, William et Too-Much s'affrontèrent : l'un en tenait pour les voleurs, l'autre pour les cow-boys.
Avec Olivier, nous laissions émulsionner, repus à l'ombre de la tonnelle. De fil en aiguille, de violence en perdition, nous en vînmes à imaginer la fin de notre civilisation humaine.
J'exposai ma théorie sur les cycles de suprématie des espèces. Il y avait eu les poissons, pour ce que nous en savons, les grands reptiles, avant les hominidés. Pourquoi n'y aurait-il pas maintenant autre chose ?
Je penche en alternance pour les machines douées d'une intelligence artificielle qui échapperait à leurs créateurs humains, ou alors pour un autre règne, animal, végétal, en dernière ligne, minéral.
La planète des singes, on a déjà fait. Les criquets dévoreurs, pourquoi pas ? En ce joli dimanche à peine trop chaud, je proposai la plante. Oui, la plante, le végétal.
Ce végétal avec qui nous partageons la planète, que nous asservissons, comme nous asservissons pas mal de choses.
La plante limitée dans ses déplacements, au bon vouloir du vent, de l'eau, de l'oiseau, du papillon, des éléments. La plante, voyant dans notre mobilité le moyen de s'élever dans son évolution. Elle coloniserait l'animal, et, dans la foulée, l'homme. Nous deviendrions support, substrat mouvant, dirigé par le végétal dominant. Ah, c'est sûr, ça nous changerait ! Je crois bien avoir déjà exploré cette piste, par là, plus haut, il n'y a pas si longtemps.
Mes anticipations fictionnelles laissèrent mon petit monde perplexe. On me suivait à peu près sur le destin perdu de l'homme grand maître de la planète. De là, à le voir colonisé par des racines et des champignons...
Je brisai là : je ne peux pas demander au commun des mortels d'être aussi avancé que je ne le suis dans mes projections.
Très curieusement, par une de ces coïncidences qui m'interpellent peut-être plus que de raison, nous avions avec Olivier regardé samedi soir une fiction intitulée "Fin du monde". J'aime bien m'abîmer dans ces sujets légers. Antérieurement à notre discussion, par le fait. Nous avions d'autres projets que de regarder sagement la télévision : nous laissâmes le film en plan, mieux occupés ailleurs.
Lundi soir, je repris le film là où nous l'avions interrompu. Il y était donc question de la fin du monde, du moins de notre monde civilisé. Un virus avait sévi sur la planète. Seules deux villes avaient pu résister à la contamination, barricadées en camps retranchés. On vivait là comme on le pouvait, entourés d'une immense barrière en barbelés, gardiennés par des vigiles. Episodiquement, des hordes de barbares aux canines encore dégoutantes de sang chaud essayaient d'entrer dans les villes, pour éventrer et dévorer les rescapés.
Quelques scènes bien senties de pauvres gens tirés hors du périmètre sécurisé par des monstres carnassiers, arrachés à ceux qui tentaient de les sauver en les retenant, démembrés, étripés vivants, dévorés à pleines dents, le regard atterré capté par celui, sauvage, féroce, inhumain, d'hommes devenus fauves, titillaient dans le tréfond du spectateur ses pulsions de violence et de cruauté.
L'homme contaminé était donc devenu un être affreux, totalement gouverné par ses pulsions les plus basses.
Au fil du film, pourtant, apparurent d'autres créatures, bienveillantes, elles, à nos deux héroïnes en fuite et perdition. Et là, je vous le donne en mille, on découvre au détour d'un gros plan leur particularité : sur leurs joues et leurs fronts, poussent... des fleurs, et oui, des fleurs, des lianes feuillues, racinées dans la chair. Les visages s'en ornaient, les deux espèces cohabitaient en une symbiose sereine.
J'en eus un frisson ! Ma théorie fumeuse, oui, ma théorie, celle-là même exposée la veille en comité frileux, ma théorie prenait source et vie !
Je ne m'emballais pour autant pas. Ce que j'avais imaginé, d'autres l'avaient fait, point. Tout de même...
Mercredi 12 juillet 2023
En rentrant hier soir de la jardinerie, j'écoutais à la radio les annonces d'alerte orage sur l'est de la France, dans la région du Jura. Les autorités et les populations étaient dans l'attente d'un phénomène violent. Les mesures de sécurité étaient prises. Pour autant, le climat était de peur, comme avant le déclenchement d'une guerre annoncée.
La nature nous rend déjà bien plus humbles. Elle se fait craindre. Nous fait comprendre notre vanité.
A ce matin, le Jura s'en est tiré à bon compte, sans trop de dommages.
21h30
Les nuages roulent, ici aussi. Leur menace est bien moindre. Nous sommes privilégiés.
Mes préoccupations du moment sont potagères.
J'engrange des récoltes plus qu'honorables. Après l'ail et l'échalotte, j'en viens aux oignons :
La culture a été hautement satisfaisante. Je laisse les têtes sécher, pour les conserver tout l'hiver dans ma remise. D'ici là, je l'aurais assainie tout à fait... je l'espère !
Le reste suit son cours. J'ai compté 23 tomates sur un pied, 18 sur l'autre. Je verrai bien comment tout ça mâture.
Les melons grossissent sous le couvert des feuilles.
Les fraises ont explosé, cette année.
J'ai semé les carottes protocolairement, pour le 14 juillet. Le carré de salades bicolores avance en mosaïque.
Je ne vais pas tarder à repiquer les poireaux, et les choux. Les planches sont enfumées. Le plant est bientôt prêt.
Je vis ainsi des jours divertis et paisibles.
Mes rêves de fin de nuit s'esquivent furtivement, comme une danseuse se retire à petites pointes de souris derrière le rideau. Je n'en retrouve que des images fugaces, des scènes floues, où un visage disparu me hèle encore de l'autre monde. D'autres visages, de gens bien vivants, ceux-là, me sourient. Je sens une bienveillance autour de moi.
Mon monde me semble tellement protégé. Je m'y love comme un vieux chat paresseux.
Ma vigilance s'émousse. Elle ne me servait de toute façon pas à grand chose.
Vendredi 14 juillet 2023
17h30
Après une petite pointe de chaleur à 33°, l'arrivée de l'Enbata rend l'atmosphère bien mieux respirable.
J'ai profité de l'après-midi en intérieur pour terminer le roman de Laurent Gounelle, "l'éveil". Encore une fois, l'une de mes théories trouve ici son écho. Pour celle-ci, je l'ai déjà entendu d'autres sources.
Je ne partage pas l'idée du "complotisme". Tout de même, je suis persuadée de l'endormissement complet de notre libre-arbitre. Les outils du Net sont redoutables, à cet effet. Nous sommes je le crois journalièrement conditionnés, gavés d'informations dirigées, saturés d'une propagande qui ne dit pas son nom.
La visée en serait une incitation à la surconsommation, l'asservissement aux pouvoirs, principalement financiers, celui des multinationales, particulièrement, qui nous gouvernent aussi fermement que n'importe quel dictateur, en politiquement correct d'apparence.
Pour exemple très pragmatique, je viens d'acheter un lecteur de glycémie. Partant de mes ascendances génétiques caramélisées, je préfère surveiller, histoire de me livrer la conscience légère à mon péché de gourmandise.
Je note sur le petit appareil de mesure de la glycémie, que le dosage actuellement recommandé de sucre dans le sang , varie entre 0.7 et 1.4 gramme. J'ai suivi ma mère diabétique pendant longtemps : à l'époque, la norme oscillait entre 0.6 et 1.10. Pourquoi ce glissement ? N'y aurait-il pas là une tolérance coupable pour une alimentation plus sucrée ? Une incitation à consommer davantage de ce sucre, puisque, quand, il y a peu, on le considérait excessif, il devient maintenant parfaitement normal en ses dosages dans le sang ?
Je suis comme tout le monde : je crois ce qui m'arrange. Portée sur les sucreries, je préfère penser que ma consommation excessive ne nuira pas à ma santé. Et je continue de manger, et donc, d'acheter, des produits sucrés, puisque mes mesures sont pile-poil dans la bonne case, quand, avant, elles en auraient touché le plafond.
J'alimente l'industrie alimentaire aussi sûrement que je m'épaissis le sang. Et l'industrie alimentaire continue de me bombarder de denrées sucrées, plus économiques à produire, et meilleurs vecteurs d'un conditionnement à la sur-bouffe. Elle se fait des choux gras de mes artères encrassées.
Je pourrais tout aussi bien adhérer en confiance à la thèse d'une avancée des recherches médicales, pointant un créneau glissant de la glycémie réellement plus bénéfique à notre organisme. Je pourrais, mais je ne le fais pas !
Je me méfie de tout et n'importe quoi, que je ne peux pas vérifier. Et, comme la majorité d'entre nous, je ne peux pas vérifier grand chose. Le bourrage de crâne est insidieux, séduisant, comme toute bonne manœuvre stratégique.
La seule parade, aussi pathétique soit-elle, serait de se tenir hors de portée de toutes ces "attaques". Pas facile...
Laurent Gounelle fait le parallèle de l'épisode Covid, de sa gestion, avec les techniques de manipulation des masses. Il reprend la "Charte d'Albert D. Biderman". Sous forme de tableau, limite d'une notice équivalente à celle du montage d'un meuble Ikea, Albert liste une montée en puissance du conditionnement. Ce document aurait été utilisé à plusieurs reprises, par les nazis, puis les gardiens de Guantanamo, entre autres gens sympathiques.
La méthode consiste à graduer la soumission, combinant l'isolement, la débilitation, les menaces couplées à des indulgences, la démonstration de puissance, les humiliations, le clivage avec les résistants, présentés comme les responsables. A la clef évidemment une désinformation pernicieusement dirigée. La masse se laisse effrayer, endormir, séduire, diviser, manipuler. Elle rentre exactement dans le carcan qu'on lui tend. Elle devient objet de la réalisation des visées des manipulateurs.
J'adhère assez à la démonstration.
Laurent Gounelle l'illustre point par point par l'épisode du Covid. Là, je reste en retrait. Intéressée, mais pas convaincue.
Ce dont je suis convaincue, par contre, c'est de notre recours systématique à la manipulation. Dès notre plus tendre enfance, nous savons charmer, séduire, pour obtenir un avantage, la satisfaction d'un désir.
Je crois le geste gratuit extrêmement rare. Chaque fois que nous interagissons avec l'autre, nous avons un intérêt, une attente. Nos démonstrations affectives sont des pions avancés pour en recevoir en retour, généralement. Nos interventions les plus désintéressées, au premier abord, ont une visée plus ou moins déclarée. Partout, toujours, la manigance guette, dissimulée, sous-tendue.
C'est mon opinion, ma vision cynique et désabusée de notre condition d'hommes vils. Ou alors, contraints d'avoir recours à la ruse, pour survivre dans un monde impur...
La naïveté et l'innocence nous conduiraient à notre perte.
Seigneur Dieu, quelle tristesse !
Ainsi va, je le crois, le monde. Et ainsi suis-je moi-même pairesse parmi mes pairs.
Au passage, J.Michel, à qui j'exposais mes théories, me surprit, dans le bon sens : quand j'évoquais ces "manipulations des masses", il en saisit le sens le plus matériel, le plus sain : bouger des poids. Sans doute ma demande de son aide pour tirer de lourds conteneurs, simultanée à notre conversation plus abstraite, l'induisit-elle en ce sens. L'homme est pragmatique. Et assez artiste dans les deux domaines.
22h
Dans un tout autre registre, en ce beau soir de 14 Juillet républicain (!), célébration de la liberté du petit peuple, (hum), un phénomène climatique m'a tirée l'œil vers les cieux, là haut très haut. Un moyen comme un autre de s'évader des contingences inquiétantes.
Là, émerveillée, j'ai vu, le fantastique d'une nature indomptée :
Mes images comme souvent rendent un reflet bien pâle d'une réalité envoûtante. L'effet était saisissant, le nuage scintillant de blancheur, irradié par la lumière du soleil à peine couché.
23 H
Je suis réveillée par des flash incessants de spots célestes sur ma terrasse. Ce n'est pas encore le feu d'artifice. Les jets de lumière ne viennent pas du bon côté. Je me lève, et je sors.
Là, le spectacle est impressionnant : des éclairs jaillissent au travers du nuage blanc étalé sur tout l'horizon est, en boursouflures énormes. On n'aperçoit les zébrures que sporadiquement, entre deux masses illuminées de l'intérieur. Pas un bruit. Pas un seul coup de tonnerre. Un orage totalement silencieux, un orage blanc. Un orage comme en près de soixante ans, je n'en ai jamais vu.
Je ne peux pas me détacher de la féerie.
Un peu plus tard, le feu d'artifice commence, vers la plage. Les gerbes étoilées paraissent ridicules. Elles sont jolies, oui, mais si petites, si basses. Seuls les bombardements de leurs jets peuvent concurrencer l'attrait de l'autre, celui du ciel, toujours silencieux, lui. La barre nuageuse se retire vers la mer. Elle abandonne le terrain. Le monstre gentil s'éloigne. J'apprendrai le lendemain à la jardinerie que l'orage a éclaté sur Ustaritz, en trombes d'eau, sans dégâts. Le monstre fantastique n'était donc effectivement pas méchant.
Repue de beauté, je rentre, et me couche. Les chiens effrayés par toutes ces lumières et les crépitements assourdissants du feu d'artifice, s'aplatissent au pied du lit.
Je tire sur moi le drap. Je m'endors presque, quand je vois une petite ombre traverser l'espace, depuis la porte-fenêtre. Les chiens tournent la tête, intrigués eux-aussi. J'allume, m'attendant à trouver un oiseau, une chauve-souris, désorientés peut-être par l'orage.
Là, agrippée à un pli du drap, je vois une énorme sauterelle, immobile, les antennes en alerte. Je n'en ai jamais vue d'aussi grosse. J'attrape une taie d'oreiller dans le placard, et j'en enveloppe l'insecte, avant de l'expulser par la fenêtre.
Si j'avais senti, en demi-sommeil, (ça s'appelle hypnagonie, je l'ai appris de ma dernière lecture, opposé à hypnopompisme, ou quelque chose d'approchant. J'ai aussi appris dernièrement "immarcescent" ou émancipé du vieillissement, fin de la parenthèse longuette), si j'avais senti, donc, par inadvertance, sous mes doigts ou sur ma jambe, la bête, j'aurais à coup sûr failli mourir de peur, dans la nuit.
Complètement réveillée, je ne trouve plus le sommeil. La journée sera longue, à la jardinerie, après une si courte nuit. Mais quelle nuit ! Fantasmagorie et compagnie...
Dimanche 16 juillet 2023 18h
La journée est maussade. Le ciel de ce gris étale tellement apprécié par les tempéraments comme le mien.
Je viens de terminer l'étrillage soigneux de TtonytaPetra. J'ai aussi fait un petit nettoyage soutenu de la porcherie-remise. La vilaine grimace humide au plafond me nargue toujours, sinuant, goguenarde, le long de deux fissures dans le béton.
La semaine est prévue sèche. Dimanche, nous intervenons en profondeur. Mon balcon est encombré de bâches, feutrines, et autres matériaux destinés à juguler toute entrée d'eau. Cette satanée infiltration n'à qu'à bien se tenir ! Peut-être...
J'ai repiqué ce matin un "ciento" de poireaux. Ce "ciento" espagnol est une réminiscence du temps où ma mère allait chercher ses plants sur le marché d'Irun, à la fin de notre tournée de lait. Elle me laissait en garde dans la voiture, avant le pont. Elle traversait ce pont à pied.
Je ne suis pas sûre que c'était uniquement une problème de stationnement compliqué. Je me demande si ce n'était pas plutôt la vieille terreur de son enfance, quand ce pays l'avait boutée hors de ses terres, pendant la guerre civile. Elle écourtait autant que possible son passage en terrain ennemi, dangereux encore dans son esprit traumatisé. La voiture, preuve de sa réussite, elle la mettait à l'abri, de l'autre côté de la frontière, là où, avec sa famille, elle avait trouvé le salut.
Tout ceci supputations analytiques profanes d'une psychologie de bazar. J'en suis bien coutumière, je le sais. Ca ne m'empêche pas d'y retourner, comme on promène en forêt.
Pour revenir sur terre, et à mes poireaux, en les arrosant à la fin de mon repiquage, j'ai cette fois repêché un scarabée luisant. Il se débattait dans l'eau du fût de récupération. Je l'ai posé sur la tôle, au soleil déjà chaud. A la navette suivante, il n'y était plus. J'ai vérifié dans le tonneau qu'il n'avait pas replongé.
Je m'en suis retournée, contente de mon sauvetage, et de mon carré de poireaux bien frais.
Lundi 17 juillet 2023 18h30
Je remonte de l'étable. La dernière balle de foin entamée ce matin n'a pas l'heur de contenter mes belles. Ah. Petra surtout hume, souffle, et se détourne. Je vais devoir entamer la dernière balle, pour la mélanger à celle-ci, histoire de flouter les arômes. Manipulations, manipulations.
J'ai passé l'après-midi avec Lucie, sur son balcon où l'érable trop ensoleillé sèche des pointes. Nous avons redisposé les jardinières, pour ombrer un angle où il sera mieux.
Mercredi, je vois Meriem. A l'horizon aussi une rencontre avec mon pilier délicat.
Je fais pas mal de public-relations, ces temps-ci. C'est agréable, à petites doses. Je reste terriblement casanière. Mes échanges avec mes collègues de la jardinerie suffisent à combler mes aspirations à la civilisation. Céline n'est pas sûre de rester. Ce serait dommage qu'elle parte, je m'amuse bien à ses bavardages.
Vendredi 21 juillet 2023
Finalement, la seconde balle de foin ne plaît pas davantage que la première à TtonytaPetra. La remise humide a peut-être instillé une petite aigreur dans le fourrage. Mes délicates trop bien habituées n'apprécient pas.
Au petit matin, j'ai reficelé le noyau des deux balles, pour pouvoir les ressortir, et les remplacer par deux nouvelles, cru 2023. Je les ai fait porter en recyclage au potager, pour en pailler le carré à labourer cet automne. J'ai ainsi le sentiment de ne pas "gâcher" tout à fait. On me fait suffisamment remarquer que mes distributions de foin sont honteusement excessives. Soit...
En fin d'après-midi, je n'ai pas pu finir d'éparpiller mon foin-paillage. Une ondée m'a ramenée ici.
J'ai repris un peu de lecture. Ces temps-ci, j'enrichis mon vocabulaire, au détour de lectures où je voyage sans bouger, au prix d'un simple abonnement annuel à la bibliothèque. J'ai là cueilli "immanent", à opposer à transcendant. Qui provient de la nature profonde, et non d'un influx extérieur.
Je trouve un peu curieux cette matérialisation d'une frontière entre son intérieur, et le dehors. Notre simple peau si perméable serait en fait une enveloppe scellée, hermétique à toute transfusion. Les choses seraient bien ordonnées : ce qui est en soi, et ce qui ne l'est pas.
Je ne partage pas du tout. J'en suis pour une universalité cosmique, où nous serions supports arbitraires d'un tout évanescent. Nos '"corps" physiques seraient de petits transporteurs pratiques, missionnés pour servir plus large.
Une thèse comme une autre. La mienne, bien efficace pour tenter de combler le gouffre insondable de l'abîme où nos existences charnelles pourrissent.
Quand l'averse a eu fini de pleurer, je suis ressortie, mais pour promener les chiens. En remontant le long de la piste, j'ai observé le port des tournesols en bordure du champ de maïs. Le phototropisme ( de "tropisme", mouvement induit par une influence extérieure, tiens !) de ces grandes bêtasses, les conduirait à suivre le soleil. Nous étions sur la fin de journée. Le soleil baissait sur la crête du Jaïzkibel. Les fleurs, elles, ployaient vers la Rhune, juste en face, arquées sur les tiges à l'apparence frêle sous les grosses têtes penchées vers le sol. Tiens, me suis-je pensé, comme c'est contraire à la croyance, ceci. On nous aurait donc raconté des salades ? Là, encore ? Bon...
Lundi 24 juillet 2023
J'ai eu jusqu'à ce matin quelques cailles, en garde. Ces petites volailles sont mignonnes, surtout les femelles, toutes tachetées en gouttes délicates. Les mâles paraissent bien plus limités : à peine remisés dans une cage en vue de leur prochain transfert vers la volière d'Olivier, ils se sont mis à bondir comme des balles à ressorts. "Ces bêtes sont bien joueuses", me suis-je dit. "Quelle nature gaie dans ces petites cervelles". Pour lors, mes cailletons se battaient comme des chiffonniers. Ils en décousaient, résolument décidés à se dézinguer. Le temps que je m'aperçoive de ma méprise, deux jeunes mâles avaient perdu leur scalp. Seigneur Dieu ! J'ai séparé tout ça, vite, vite, vite. La pièce ressemblait à une infirmerie de zoo, avec ces cages entassées sur le buffet. Les mâles reclus à l'isolement, les choses se sont calmées : les petites femelles affairées vaquaient comme de vieilles femmes courbées sous le poids des ans quand elles vont au marché. Elles gazouillaient doucement, quand les mâles criaillent par séquences stridentes. A ce matin, elles ont été rapatriées dans les Landes.
Où elles ont failli ne pas aller : hier soir pendant la promenade dans le remblai, Olivier a trébuché sur une pierre. En panique, pour tenter de retrouver l'équilibre, il a vivement sorti les mains de ses poches. Dans le mouvement, ses clefs de voiture ont été éjectées, et sont tombées sur le feutrage moelleux de l'herbe fraîchement broyée, sans aucun bruit. Je marchais juste derrière lui. J'ai vu le trousseau choir sur le tapis absorbeur.
Si j'avais regardé ailleurs à ce moment là, si j'avais comme souvent marché sur le côté d'Olivier, je n'aurais rien vu, (rien entendu non plus, mais là, il n'y avait de toute manière rien à entendre). Nous nous serions pourri la soirée, à fouiller partout à la recherche de ces maudites clefs. J'aurais vilipendé Olivier et son désordre, quand il pose ses affaires n'importe où, et jamais à la même place, quand il s'obstine à verrouiller ses portières de voiture dans la cour de la ferme, et toutes ces autres choses qui viennent dans la foulée d'un début de dispute conjugale. Au lieu de cet enchaînement presque cataclysmique, j'ai ramassé les clefs lovées dans leur écrin de brins, et les ai tendues à Olivier, surpris, et ravi aussitôt après de la catastrophe évitée.
Il est ainsi des circonstances amies, dont nous ne tenons pas suffisamment le compte...
En ce joli dimanche matin, nous avons utilement œuvré dans ma cour-jardin. Comme prévu, nous avons étendu la nouvelle bâche, ce PDM lourd et dense d'un caoutchouc bien épais. Nous l'avons déposée par dessus l'ancienne bâche, plus fine, et percée, donc, en un endroit. Celle-ci était déjà déployée sur du géotextile. Là, sous notre PDM, nous avons préféré une feutrine bien épaisse. Tout ce mille-feuilles surélève la cour, et donne à la foulée le confort d'une marche sur un tapis de feuilles dans un sous-bois automnal.
Nous avons soigneusement glissé les bords sous mes aquilux verticaux, et jointé tout autour. Je ne vois vraiment pas ce que nous pourrions tenter de mieux. La prochaine belle averse est attendue avec suspense, voire une pointe de gourmandise.
La tâche humide dans la porcherie-remise persiste des dernières infiltrations. De l'eau est restée sous la première bâche. Il faudra quelques jours pour que tout cela sèche par le dessous. Quelques jours encore, et quelques semaines, sans doute, avant de pouvoir crier définitivement victoire... jusqu'au prochain trou ! Et bien, qu'à cela ne tienne, nous y reviendrons, avec une rustine, et le tour sera joué !
Aujourd'hui, j'ai travaillé mon potager.
J'ai fini d'épandre le foin en paillage. L'averse de vendredi m'avait interrompue. Elle a aussi compliqué mon travail, alourdissant les brins, et les rendant plus difficiles à détacher. En quelques fourchées besogneuses, j'ai recouvert mon carré. J'en ai gardé pour pailler la planche des tomates et des melons, quand ils seront arrachés.
Disséminés sur mon tapis de foin, quelques lianes de citrouille vivotent. Je les avais semées à même la croute d'herbe. Les pluies fréquentes les sauvent, quand leurs racines trop superficielles les condamneraient. Je verrai bien si j'en tire quelque chose.
Les melons soulèvent les feuilles où ils se tapissent. Leurs flancs crantés s'arrondissent en côtes larges. Tout viendra à la fois, évidemment.
Ca me fera l'occasion de partager ma richesse, dans le pur esprit de la permaculture : respect de la terre, respect de l'humain, sens du partage. Ce partage s'élargit malheureusement à la faune locale, à la fête dans le paillage humide et chaud. Pour le moment, à part quelques salades coupées et autres fraises mangées, je ne déplore pas trop de pertes.
Mes plants de choux étant assez forts pour être repiqués, je les ai installés derrière les salades toutes cueillies. La rotation légume pomme-pomme n'est pas extraordinaire. La laitue venant vite, elle ne "tire" pas trop sur la terre. On peut bien replanter n'importe quelle autre culture après. Ou comment tordre les théories à leur application.
Cette année, mes tomates produisent bien, de beaux fruits aux rondeurs charnues.
L'image suivante n'a pas grand chose à faire dans l'histoire. Elle pointe juste mon contentement à admirer une jolie association de couleurs.
La capacité à s'émerveiller de petites choses éclaircit la lymphe, j'en suis persuadée.
De jolies couleurs, il nous en est offertes aussi dans les ciels de cet été bien agréable. J'ai presque scrupule à le dire, quand j'entends parler des températures étouffantes enregistrées dans d'autres régions. Je me souviens de l'inconfort de l'année dernière. Et respire à pleins poumons l'ambiance presque automnale de nos journées de juillet. Les pointes de chaleur sont courtes, la pluie tombe bien souvent. La végétation exulte de cette ambiance semi-amazonienne
Je promène dans le sous-bois luxuriant aux lianes enchevêtrées. Les frondes de fougères s'ouvrent à mon passage et se referment aussitôt le long des sentes perdues sitôt quittées. Les chiens se rafraichissent les pattes dans les flaques persistantes. Ma Bullou dans l'eau revient toute terreuse, son petit moignon agité d'une joie sans mélange.
Dimanche 30 juillet 2023.
Il a encore plu cette fin de nuit, et ce matin. Un rideau léger danse dans l'air, droit et silencieux. Ma tâche dans la porcherie-remise continue de sécher. Bien...
Je me suis fait hier soir une soirée détente complète, à regarder la bruine au dehors, un petit whisky sec et les chips à la crevette à portée. Ouvert devant moi, le livre du moment : Les roses fauves. Une affaire d'amour et de mort, des résonnances temporelles entre des personnages et l'histoire. Du palpable et du fantastique, tout ce qui me fait fibriller la méninge.
La dolence instillée par l'alcool, la détente des neurones échauffés par les compulsions de la journée, m'ont alanguie. J'ai considéré ma pièce en sas, mon monde paysan. J'ai considéré que j'étais tout près d'une plénitude parfaite. Considéré que l'être plus serait trop. Considéré que le moment était précieux. Qu'il méritait largement de figurer en ces pages, où son évocation dans le futur me le ferait retrouver.
A la jardinerie, nous avons avec Jean-Michel trituré du chiffre. Il est depuis peu attaché à la pertinence d'une analyse jusque là pas trop de mode chez Lafitte. Je me délecte de ces séances où les chiffres parlent, et rendent leur verdict. J'ai toujours aimé cette partie du métier. Puisque l'occasion m'est maintenant redonnée d'en tâter, je ne boude pas mon plaisir. Je veille juste à intercaler des stations en extérieur avec celles dans le bureau. Histoire de ne pas engourdir la carcasse.
J'ai fait tout à l'heure une rencontre moyenne, en longeant le champ avec les chiens. Je marchais tranquillement dans l'herbe broyée, le soleil revenu en soirée me réchauffait le visage.
A un moment, j'ai vu, roulé comme une corde, immobile, un serpent vert et jaune, tapi dans les broussailles. Une couleuvre, sans doute, endormie au soleil. Ou morte. Je n'ai pas cherché à savoir. Je l'ai laissée là. Les chiens gambadaient devant moi. Ils ne l'avaient pas vue. Nous sommes rentrés, gentiment. Et le serpent a continué de dormir, ou fini de mourir.
Lundi 31 juillet 2023. 17h
La journée est bien belle. Une brise légère agite les maïs en fleurs.
Je m'apprêtais à répondre au message de mon pilier délicat. Mes acolytes arrivent pour le goûter. Ce sera pour une autre fois.
Je sursois souvent, ces temps-ci. Je laisse pour plus tard.
Ma pote bipole dort dans les cartons vides. Mon œuvre majeure attendra l'hiver, ou, peut-être bien, l'année prochaine !
J'ai en visée la refonte de mon bosquet de châtaigniers, cet automne. Les plants trop jeunes ne démarrent pas. Ils ne sortent pas des tubes. Je vais les reprendre de pleine terre, pour les remettre en conteneurs. Je vais installer trois tiges très hautes. J'aurai comme ça le visuel des têtes au dessus des fourreaux, bien plus optimiste qu'une supputation impossible à vérifier à travers les tubes opaques.
Je vais aussi colorer les bois, ici. Un vert subtil fera un contrepoint délicat à mes murs émeraude.
J'ai ainsi des petits projets, modestes et plaisants.
Ils suffisent à me représenter l'avenir attrayant.
Je prends des notes sur un carnet pour reporter ici mes moments à garder, comme on garde des bibelots, avec une tendresse un peu benête. C'est bien aussi, j'ai moins l'exigence d'un rapport immédiat. Je note quelques traits, comme une esquisse, et je développe ensuite, quand une plage d'une paire d'heures me tend les bras. Mine de rien, d'une chose à l'autre, je n'en ai pas tant que ça, des plages vides. Je fais pourtant bien moins de choses. Mais je les fais tellement plus lentement. Les faire durer m'est plaisant.
Lundi 31 juillet 2023 22h
Une pleine lune grosse se lève au dessus du calvaire. Mon image est ridicule. La réalité était magnifique.
Les secondes nichées d'hirondelles arrondissent leurs têtes au bord des nids.
Deux couvées encore au moins, peut-être trois. Tout ce petit monde se perche au soir sur les multiples supports accessibles. Quand le matin, j'allume la lumière pour descendre à l'étable, toute la troupe s'égaye en pépiant bruyamment au jour pas encore bien levé.
Mon monde est joliment animé.
Dimanche 6 Août 2023 15h50
Je me suis fait une relecture de ma dernière chronique. Comme à chaque fois, j'y relève quelques fautes à corriger. Mes articles sont maintenant plus longs, puisque plus à distance. La re-visitation demande un peu de temps. Elle suscite aussi plus de plaisir, quand l'époque parcourue devient déjà un peu du passé. Et se colore de ce décalage temporel.
Dans l'ici et maintenant, le temps est anormalement frais pour la saison. Mercredi prochain est annoncé à plus de trente. Ca va nous faire un sacré saut thermique !
Les pluies tombent régulièrement. Mes melons se craquèlent de tant d'eau, avant de maturer leur sucre. Les fruits sont magnifiques, d'un calibre étonnant. J'ai cueilli, plutôt arraché de sa tige, le premier, parce-qu'il s'ouvrait aux fourmis. Je savais bien qu'il n'était pas mûr. En effet, il sentait plutôt bon, sa couleur orangé n'était pas vilaine, mais alors, la saveur d'une betterave... J'attends les prochains, qui semblent pour le moment résister.
Nous avons en projet collectif un aménagement de bac dans la cour de la ferme. J'ai ici quelques potées surnuméraires, destinées à l'agrémenter. Nous nous y sommes amusés samedi, déjà, en ébauches et esquisses. Ce sera pour bientôt, sans doute, et j'ai hâte de voir ça terminé.
Pour la lecture, je suis à un "Entre fauves", pas inintéressant. Au delà de personnages pour le moment un peu fades et une trame amoureuse attendue, il y est question des chasseurs et des anti-chasse. Le sujet n'est pas présenté de façon binaire. Les points de vue sont croisés, et se défendent.
Etant moi-même "anti-chasse" convaincue, tout en étant du côté des gardiens de troupeaux de bétail, je suis curieuse des arguments des deux parties. L'auteur semble assez objectif, impliqué sans être unilatéralement passionné. Pas évident dans ce genre de débats...
J'y découvre une sémantique professionnelle pointue, notamment dans le domaine du tir à l'arc. J'aime les mots et leur découverte. Là, sur cette piste étroite et ardue, je ne fais pas l'effort de mémoire. Ces mots retourneront dans leurs limbes, quand j'aurai refermé le livre. J'apprécie quand-même.
Le soleil perce entre des nuages joufflus. Je vais me faire une sortie d'air vif. Les chiens m'attendent, allongés de tout leur long dans la cour-jardin.
Ah, j'allais oublier : la porcherie-remise est enfin étanche ! Les averses drues de la nuit de jeudi à vendredi le confirment. J'attends une période de plusieurs jours de pluie continue, pour crier franchement victoire.
Mercredi 9 Août 2023
Une petite pointe de chaleur nous rappelle les potentielles canicules ambiantes.
J'ai ruiné l'effet des courants d'air instaurés dans la maison, en me battant avec les tiroirs de la commode. Je me suis retrouvée en nage, à quatre pattes sur le parquet de la chambre.
Le tiroir du bas coinçait, ne se refermait plus. J'ai bien essayé en passant mon bras de sonder l'arrière, pour retirer l'obstacle éventuel. Rien à faire !
J'ai du me résoudre à démonter l'édifice. Cette commode est un petit montage Ikéa. Il a déjà vaillamment résisté à deux transferts dans les étages de la ferme, à la pointe du frontal du tracteur. Ce genre de meuble bon marché n'est pas trop étudié pour. Les fonds de tiroirs se sont passablement affaissés de leurs planchettes fines comme du papier.
Le linge là dedans s'insinue, aggravant la courbure concave. Quand le creux de l'arc butte sur la glissière de soutien au fond, au lieu de venir mourir dessus comme la vague à la grève, le tiroir reste entrouvert d'autant.
Je connais le phénomène. J'ai bien tenté d'y pallier en fixant une vis au dessous de la planchette. Le fond vertical du tiroir est trop mince, la vis le déchire. Recaler la planchette dans sa rainure originelle ne tient pas : il s'en extirpe immédiatement par un effet ressort de son profil arqué. La meilleure parade que j'ai trouvée est de ne pas trop charger les tiroirs, surtout en leurs fonds. Compte tenu de ma garde-robe monastique, c'est tout à fait faisable.
Pour autant, aujourd'hui, ma planchette, affaissée peut-être par la chaleur, qui sait ?, avait plongé plus bas, et ne voulait rien savoir : elle ne passait pas.
Quelques relevés et abaissés dans une amplitude délicate ne l'ont pas apprivoisée. Elle s'obstinait à butter.
Le tiroir défaillant était celui du bas, évidemment. Le premier monté, donc, le dernier à démonter. Allez, allez, prenant mon courage à deux mains, je me suis attelée à démembrer le meuble en son entier. J'ai tenté en première intention une intervention sur le vif, tiroirs pleins. Echec. Il fallait éviscérer l'engin. Le vidage a été vite expédié : les quatre fripes entassées là dedans en désordre se sont mêlées sur le plancher en tas chancelants. Je prévoyais vaguement de replier tout ça en piles plus protocolaires. Le projet en est évidemment resté au stade d'ébauche. Une prochaine fois, peut-être. Ou pas !
Ces tiroirs glissent assez fluidement. La difficulté est en leur extrémité, quand il s'agit de les soulever, ou de les abaisser, je ne sais jamais, pour que la petite roulette du tiroir chevauche allègrement celle du bâti, et se laisser couler dans la glissière prévue à cet effet, dans le sens de la fermeture, ou débloquer pour s'en désolidariser, dans le sens contraire.
J'ai louvoyé un moment entre lever et baisser, justement. Les tiroirs sont assez longs, la prise n'en est pas très commode. J'avais chaud, j'étais moyennement installée. Une coulée de sueur me roulait dans l'échine.
J'ai finalement peu tâtonné jusqu'à trouver la manœuvre idoine : les possibilités n'étaient pas multiples. Là, tout est allé très vite. J'ai déposé les tiroirs par terre, les uns sur les autres, pour les remettre dans le même ordre, après. Ce voisinage là a trouvé ses marques. Une perturbation spatiale induirait d'autres difficultés encore.
La pièce incriminée s'est laissée déboîter sans résistance. J'ai remonté la planchette effectivement en berne.
J'ai eu l'idée géniale de la retourner, pour l'enfiler en sens inverse, de manière à rendre la courbure concave convexe. Je me voyais très bien dupliquer le stratagème aux autres tiroirs. J'inverserais ainsi la tendance des dernières années, pour autant de prochaines, avant d'être confrontée au même phénomène bloquant. Mal m'en a pris : j'ai failli fendre la planchette en deux. Son pli était pris, et l'en changer la malmenait tant qu'elle préférait rompre, plutôt que de se rendre. Bon, j'ai laissé tomber, déçue, mais sans plus.
En repositionnant le tiroir dans ses rails, j'ai eu la pleine satisfaction d'une introduction fluide et silencieuse, sans heurt aucun. Je ne vais pas trop charger la bête, me suis-je dit, en enfournant quelques effets légers dans l'entrebâillement large du tiroir ouvert. J'ai eu un instant la tentation d'un petit tri vestimentaire, à effet d'épuration. Puis, considérant ma maigre réserve en vêtements, je me suis abstenue. Sobre, c'est bien, moins, ce serait non pas trop, mais pas assez, justement.
Ma température corporelle est un peu redescendue par effet de détente de fin d'ouvrage. J'ai refermé mes tiroirs, chassé d'un plat de main quelques moutons sortis de là dessous. J'en avais fini.
Mes projets antérieurs pour l'après-midi se trouvaient rognés de tout ce temps détourné. J'ai remis à plus tard ce que j'aurais quand-même pu faire le jour même. Rehaussé mon niveau de contrariété en y ajoutant celle de n'avoir pas respecté mon programme. Un petit demi-degré en plus, sans doute.
Si j'avais profité de l'occasion pour ranger correctement mes tiroirs, j'aurais pu considérer avoir transféré une tâche sur une autre. L'impression finale en aurait été totalement changée. Bah... la chaleur, la raideur d'une position difficile, tout ça m'absolvait dans mon jugement partisan.
Je suis ensuite descendue à l'étable, où TtonytaPetra, bien loin de mes affres existentielles, attendaient pour manger. Les secondes nichées d'hirondelles sont sorties des nids. Les oiselles maladroites encore s'essayent au vol. Le puits de lumière de la cage d'escalier les aspire en couloirs ascensionnels. Rendue dans la pièce en haut, elles butent durement sur les vitres, qui n'en sont pas, de la porte pourtant ouverte en son milieu. Bullou est moins réactive, maintenant. Elles ont le temps de trouver la sortie, après quelques chocs bien sentis. Je les regarde prendre leur envol, ivres d'espace, dans le ciel large.
Le couple de l'appentis n'est pas venu, cette année. La trop grande chaleur de l'été dernier, trop près des tuiles, l'a sans doute dissuadé de retenter sa chance là.
J'irai en soirée au potager, croquer quelques fraises encore chaudes, et détacher un de ces melons brodés, (pas crantés, cranté, ce sont des pneus !). Trop d'eau les a fait insipides. Les prochains, peut-être, les lisses ? Ils sont bien plus petits. Etre meilleurs les consolerait.
Jeudi 10 Août 2023 21h
La paix du soir coule sur moi, comme les rais du soleil sur mes plantes.
Je suis parfaitement bien, dans ma cour-jardin nimbée de la lumière maternelle du couchant.
L'idée de savoir la porcherie-remise étanche, là dessous, donne une pleine impression de confort, de protection. Ce dessus-dessous, dedans-dehors bien défini, cet intérieur imperméable aux frimas à venir, ça change tout.
L'étable en prolongement a toujours été sèche, et son ouverture en fond lui fait une tournure de caverne sûre.
TtonytaPetra sont au champ. Elles broutent elles aussi dans la paix de ce soir tranquille, baignées des derniers rayons de soleil. Je descends avant la nuit m'assurer que tout est en ordre, enlever quelques souillures, et remonter du foin dans l'auge pour qu'elles ne le piétinent pas.
Une station méditation encore dans la cour-jardin. A cette heure, une poule faisane vient fouiller l'herbe sous les carolins. Elle va de l'un à l'autre, sa petite tête fière avançant en mouvements saccadés. Elle ne s'inquiète de rien. Je ne fais pas de bruit. Les chiens assoupis ne la voient pas.
Le soleil se couche, se cache.
Bientôt, mes petites lumières vont s'allumer sous l'oranger.
Je reste encore un peu là. Il fera vite trop sombre pour lire. Je ne vais pas tarder à rentrer.
Mardi 15 Août 2023 9h40
Quelques canons tonnent l'Assomption. Les chiens baissent les oreilles, inquiets, se rapprochent de moi.
Je me fais un de ces jours de repos "volés", ici, seule dans mon petit "home". La jardinerie ne chôme que quatre jours fériés dans l'année : 14 juillet, 15 Août, Noël et Jour de l'an. Avec mes cadences travaillées relâchées, autant dire qu'il est rare que les dits jours chômés se calent sur mes jours salariés. Là, puisque les occurrences ont parlé, je savoure en toute bonne conscience. Ou presque.
Les familiers tâtent quand-même le terrain, histoire de voir s'il n'y aurait pas moyen de s'inviter à la table, puisque je suis là, n'est-ce pas ? Et bien non ! Je tiens ferme et reste sourde, plus encore, à leurs requêtes implicites. Ce n'est pas "notre" jour repas des familles, Assomption ou pas !
Ces quelques opportunités isolées d'une solitude en pointillés comblent largement mes aspirations. Je ne voudrais surtout pas installer cet isolement. Je louvoie, entre désir d'indépendance vite assouvi, et besoin de compagnie, même si la compagnie m'envahit parfois.
Nous avons entrepris à la jardinerie un de ces chantiers mi-saison comme je les adore. Le marquage au sol de nos jauges commençait à flancher : les traverses de signalisation, fichées dans le bitume, finissaient de pourrir lamentablement. La plupart s'écorchaient en moignons désastreux, d'autres manquaient. Le passage des grosses pièces par là dessus, avec le transpalette chargé, s'avérait problématique de ce petit obstacle rondelet. De là les tronçons manquants...
Après étude concertée, nous avons décidé d'opter pour le marquage au sol en peinture. Genre parking, si on veut. Nous avons opté pour la couleur "ocre", plus nature à l'oreille que le réel "orange". Ceci dit, l'orange est assez sobre, et ne parjure pas trop l'ocre.
Je voyais l'opération assez facile. Après avoir enlevé les lambeaux de traverses, on resserrait les plantes dans les jauges, par moitié si besoin, pour dégager la ligne à marquer. On grattait sommairement là dessous, avant de tracer une belle ligne orange, donc.
A la mise en pratique, il est apparu qu'un nettoyage aussi sommaire ne suffirait pas. Il fallait gratter plus profond, décoller les mousses, extirper la crasse gentiment lovée dans les anfractuosités. Le nettoyeur haute pression entra dans la danse. Et gicla sa force de frappe sur et entre les conteneurs de plantes tassés tout près. Une marée de boue coulait dans les jauges et sur les végétaux. Ca n'allait pas.
Il fallait vider les jauges, avant de les nettoyer correctement dans leur ensemble autant que sur leurs bords. Une entreprise d'envergure : nous devions de loin en loin déplacer toute notre pépinière ! Nous avons déjà procédé à ce genre de remue-ménage, encore que je ne me souvienne pas d'un nettoyage en profondeur de chaque mètre carré. Nous ne l'avons jamais fait "au débotté". La chose avait toujours été en amont préparée, planifiée dans le détail, même si quelques improvisations mineures s'invitaient dans son déroulé.
Là, c'était tout bonnement chambardement en catastrophe. Nous comptions sur une aide qui ne vint pas. Nous étions livrés à nous-mêmes, face à l'ouvrage ambitieux. C'était en soi une première, et ce n'était pas ce que j'avais prévu, surtout. Coupable erreur d'appréciation. J'en étais toute déconfite, dans un premier temps. Mes collègues tout autant.
Le premier saisissement passé, nous convînmes collégialement que c'était la meilleure chose à faire, et que, puisque nous avions commencé, il n'était que de continuer.
Nous avions fait au préalable l'acquisition d'une petite machine dédiée, arrivée mardi dernier. Une petite chose pas trop solide, à manier avec délicatesse. Très performante, au demeurant. La difficulté consiste simplement à suivre un tracé bien rectiligne. Les cordons de traçage ne marquent pas bien le goudron irrégulier. Ou alors, nous n'avons pas les bons. Il a été à un moment évoqué l'achat d'un "laser". Mais l'idée a été abandonnée. Une technologie si sophistiquée paraissait hors champ de notre jardinerie tout nature. Par contre, notre nettoyeur maison étant jugé trop faible, (par moi), Nathalie, samedi, s'en fût jusqu'au Merlin voisin quérir une machine plus puissante.
Je la mis en œuvre dès son retour. Là, c'était un régal. Le bruit du moteur, déjà, sourd, plein, serein de sa force tranquille. Le travail en lui-même, les débris décollés sous le jet rotatif de la buse, de bien plus loin, en beaucoup moins de temps. Un progrès sensiblement notable, et noté par l'utilisateur, en l'occurrence, moi. Je me régalais, nimbée d'un nuage d'eau en dispersion, pistachée en mon entier de giclées de boue et de mousses. J'étais toute à mon affaire, et le chantier avance rondement.
Je suis connue en ces occasions pour ma méthodologie efficace et pratique. J'avance par tranches raisonnées. Les plantes sont rangées sitôt la place nette. Une aire de travail suffisante est dégagée. Ainsi, notre nettoyage progresse comme une lave inexorable. Et nos arrières reprennent l'allure d'une pépinière propre et bien rangée, au fur et à mesure.
Ce pourrait vite être un bordel sans nom : plantes dispersées sur des rolls roulés n'importe où, ou empilées à la va vite sur des palettes en désordre. Suivant les équipes à l'ouvrage, on y est. Comme la besogne peut paraître ingrate à nos matous précieux vite dégoûtés par les salissures inhérentes, je n'ai pas trop de mal à reprendre la main, après mon jour de repos intercalé. Là, entre hier et demain, je risque de déchanter, jeudi. Ou d'être agréablement surprise, pourquoi pas !
Comme nous devons aussi prévoir un système d'arrimage pérenne pour les grimpantes et les arbres élevés, je pense utilement occuper les garçons à cet ouvrage. J'imagine un système de pots emplis de béton bien lourd, dans lesquels on coulerait une platine de soutien pour un poteau suffisamment haut. Nous avons déjà expérimenté pour les panneaux signalétiques des jauges. On fixerait des traverses de l'un à l'autre, pour les séries. On les implanterait en isolé, pour les présentations ponctuelles en milieu des jauges.
Je vois ça très bien. Reste à savoir si les autres voient comme moi... Convaincre J.Michel suffirait. Les convaincre tous serait mieux. Plus ardu. Plus long. Plus fatigant. Antoine déjà samedi m'a donné du fil à retordre. A chacune de mes propositions, il objectait, argumentait, se défilait. Je l'aurais giflé ! On ne conduit plus ses collègues comme ça, maintenant, paraît-il. Bien.
Je me résigne donc à modérer mes ardeurs. Ce n'est vraiment pas dans mes tournures naturelles, quand je me lance dans un tel projet. Je suis alors insupportable, je le sais.
Je vais tâcher de louvoyer, entre frénésie intrinsèque et relations diplomatiques. Le collectif le demande. Je m'adapte. De mon mieux. Qui n'est peut-être pas assez.
L'autre actualité du moment, ce sont ces maudits moustiques. L'environnement des plantes arrosées, l'humidité dans l'air qui s'en suit, nous les attirent de loin. Nous notons, comme lot de consolation, les cloques rougeoyantes sur les mollets découverts des clients. Peine partagée est à moitié soulagée.
Le moustique affamé est nerveux, terriblement réactif à toute menace d'écrasement fatal. Au moindre mouvement, il reprend son vol, et échappe à la claque qui le visait. Le malheureux attaqué n'y échappe pas, lui, qui s'inflige les dites claques avec une force exponentielle au nombre grandissant d'assauts de plus en plus rapprochés. La faim rend entreprenant, on le sait, et le moustique en détresse "faminatoire" multiplie ses tentatives de se nourrir de plus en plus vite.
La défense la plus efficace consiste à attendre la satiété de la bête. Quand, gorgé de sang chaud, l'animal se laisse enfin aller au repos, quand il s'appuie sur ses crochets arrières, se balançant de contentement comme sur un rocking-chair, les yeux mi-clos, se frottant la panse de ses pattes ramassées, alors, et alors seulement, il devient suffisamment inattentif. La claque en riposte, accélérée sans doute par l'offense d'une piqûre douloureuse, et l'attente d'une position vulnérable de l'attaquant, l'écrase derechef, enfin, en un enchevêtrement gluant de membres et de sang. C'est une grande satisfaction pour le piqué, alors, même si le mal est fait. Et même si, on le sait, la relève des troupes est immédiatement assurée.
Mon nettoyeur vibrant, son jet puissant, tiennent les moustiques éloignés. Le halo d'embruns me rafraîchit. Les criblures de boue ne me gênent pas. Je suis équipée pour, avec mes "sklops" aux pieds, et mes vieux shorts éculés.
J'en ai pour quelques jours encore, je pense. La perspective m'en est agréable. J'en deviendrai plus tolérante au manque d'assiduité de mes collègues. Peut-être.
Ici, le potager me donne de grandes satisfactions, aussi. Les tomates sont énormes. J'en finis le mûrissement à l'intérieur, pour éviter les brûlures d'un soleil parfois rude en pointes. Les melons s'affadissent d'un excès d'eau. Leur calibre est étonnant, là aussi. Mais leur goût insipide. TtonytaPetra en font profit.