mercredi 30 novembre 2022

OCTOBRE NOVEMBRE 2022

 

Lundi  17 octobre 2022 16h10




Ces jours sont ventés du sud. En journée, la chaleur monte. Les bouffées tièdes roulent les feuilles mortes dans la cour.


Une vache du cousinou meugle son désespoir. Sans doute un veau qu'on lui a enlevé. Cette partie de l'activité ne me manque vraiment pas. 

Marcel, le maquignon, lui, ne perd pas la main. Il m'a rappelée, il y a une dizaine de jours, histoire de garder le contact. Il avait à me proposer une jolie génisse blanche et noire, enfin, plutôt grise, de 18 mois. J'ai à peine moufté sur l'hésitation quant aux couleurs : je connais suffisamment ce diable, pour savoir qu'il serait capable de me vendre une noire pour une blanche, et vice-versa ! Ainsi, TtonytaPetra, demandées bretonnes, et arrivées brune et blonde...

Comme je lui réexpliquais que je n'avais que deux places dans mon étable, il fit semblant d'avoir oublié. Dans la foulée, il me demanda quel âge avaient mes génisses. Au cas où j'aurais voulu en changer. J'ai tenu ferme, j'ai dit non. 

Evidemment, la perspective de deux vëles mignonettes, joliment blanches tachetées de noir, est de nature à m'émoustiller. Il le sait bien, le bougre. Il sait aussi combien je suis fantasque, et capable d'envoyer demain à l'abattoir ce que je regarde aujourd'hui comme la perle de mon Orient. J'ai été élevée dans la brutalité de ces perspectives économiques, où la vache est une marchandise. Je ne ferais évidemment aucun profit, à vendre TtonytaPetra, pour racheter deux petites crevures que Marcel me fourguerait à prix d'or. Je me rapprocherais juste de mon image idéale de la vache... blanche et noire !

TtonytaPetra grandissent, forcissent, embellissent. Un jour viendra où la question se posera, de savoir qu'en faire. Je n'ai pas envie de revivre l'expérience d'une euthanasie dans l'étable. Si, malheureusement, l'une ou l'autre développe une saleté ou qu'un accident les condamne, je m'y résoudrais, par force. 

En dehors de ça, ce serait stupide d'attendre que la vieillesse les dégrade, pour qu'un vétérinaire vienne leur assurer une "fin de vie digne", à domicile. Quand est-ce que je jugerais leur état trop dégradé pour décider de ne plus les garder en vie plus longtemps ? Quand elles ne pourront plus remonter la rampe bétonnée ? Comment cela se passerait-il ? D'abord l'une, puis l'autre ? Les deux ensemble, deux grosses bêtes effondrées par l'injection du mélange létal ? Quel vétérinaire voudra d'ailleurs faire ça pour moi ? Mon sentimentalisme a des limites : TtonytaPetra finiront très probablement à l'abattoir, selon leur destin de vaches à viande. 

Ceci vu d'ici et maintenant. Sachant que je suis bien capable, les années passant, de choisir de leur épargner la violence d'une fin en boucherie, pour m'infliger celle, pire encore peut-être, du spectacle de deux grosses bêtes écroulées sous mes yeux, et, de toute façon, sinon par ma main,  par ma décision. 

En moi cohabitent, je le sais, une sensiblerie presque mièvre, et une brutalité à couper le souffle. L'inné et l'acquis, ce que je suis et ce que j'ai appris, comment je suis constituée, et ce qu'on en a fait. Pas du trop mauvais travail, en fait. 

En attendant ce terme peut-être bien lointain, TtonytaPetra vivent paisibles, et me partagent cette paix.  Si je suis encore en état, d'autres leur succèderont, à qui je ferai la vie belle.

Au passage, on se demande si on doit autoriser cette "fin de vie digne", autrement dit l'euthanasie ou le suicide assisté, pour les personnes. Quand on  élimine sans trop d'états d'âmes les fœtus indésirés. La vie et sa conservation seraient plus légitimes en fin de parcours qu'au tout début. Pourtant, il y a davantage à espérer d'un avenir que du révolu, me semble-t-il : celui qui aurait la vie devant lui serait moins autorisé à commencer de la vivre que celui qui l'a derrière, et qui, de toute manière, la perdra à très court terme ?

Je ne suis nullement contre l'avortement. J'adhère à la thèse de la liberté des femmes à disposer de leur corps. Si la nature les a prévues instruments, elle aurait dû les priver de libre-arbitre, pour ne pas leur faire porter le poids de la culpabilité, quand elles refusent de donner la vie par leur chair. Ou alors, créer une sous espèce, (attention, une espèce dans l'espèce, pas une espèce inférieure !), exclusivement gestante, et enthousiasmée par cette perspective, et une seconde, réfractaire à l'enfantement, et biologiquement stérile. Il y a eu là une précipitation dans l'improvisation, très préjudiciable à la sérénité du genre féminin. 

 A l'autre bout de la chaîne, je suis pour l'euthanasie des personnes, quand elles ne sont plus en état de demander leur suicide assisté, si elles l'ont souhaitée et ont fait connaître leur souhait par anticipation. Pour celles que l'idée de la mort a tellement tétanisées qu'elles n'en n'ont jamais parlé, les proches et les professionnels décideraient, en leur âme et conscience.

C'est une position comme une autre. Facile à tenir quand on n'y est pas confronté. La vie, la mort, leurs frontières et leurs limites, à un bout ou à l'autre, sont choses difficiles à gouverner avec détachement. Nous verrons bien, le moment venu, et ferons comme les autres le font : de notre mieux.

Fin de la parenthèse.

J'ai été ces deux dernières semaines accaparée par mes travaux de peinturlurage. Le résultat me plaît. A l'examen en pleine lumière, j'ai repéré tout à l'heure un seul pan de mur en demande d'une troisième couche. Je ferai ça mercredi.

Là, j'ai eu envie de revenir par ici. Le plaisir d'écrire, celui de figer arbitrairement ces petits instants de rien, me tenait trop.

Une seule quinzaine de jours, et le temps paraît s'écouler sans relief. Si je ne m'y penche pas, j'ai l'impression qu'il ne s'y est rien passé. Déjà, maintenant, à si peu de distance. Autant dire que, projeté dans plusieurs années, ce temps-là se fondra, incolore et sans odeur. 

C'est dommage. Quelques reliefs resteront, bien-sûr. Notre virée avec Louloute, où, persuadées d'aller vers le Mont près d'Orthez, nous nous sommes retrouvées à Narosse, dans les Landes. De ce genre de péripéties, on se souvient. C'est le reste, que je voudrais garder, aussi.

Je n'ai pas dans l'idée d'arrêter le temps, en le jalonnant. Je le sais en mouvement, et mes propos morbides le montrent  trop souvent. J'ai en visée un semblant de conservatoire de ces petites choses dont on ne se souvient pas. En plus du plaisir immédiat de la narration, je me délecte par anticipation de celui de la lecture, dans un avenir peut-être distant de beaucoup d'années. 

Je sais le travail sélectif de la mémoire, et sa juste valeur. Je sais le "biaisage" bénéfique d'une histoire revisitée, remémorée bien autrement que sa réalité. On se souvient comme ça nous fait du bien. Ou du moins bien, selon la tournure du moment. Je ne crains pas de fixer des moments en risquant de m'y confronter, tels que je les ai vécus sur le "vif". Je fais confiance à la sélection que mon inconscient opérera dans sa cueillette. J'irai là où il sera bon pour moi d'aller. Le foisonnement de mes écrits diluera les à-pics douloureux, et comblera quelques failles où je pourrais trébucher. J'ai confiance, et je continue.

De ce temps d'automne, je retiens mon plaisir à colorer mes murs. Je retiens mes hésitations, entre vert d'eau trop pâle, vert cèdre d'une profondeur abyssale, vert cactus plus rassurant, et enfin, leur mélange à l'effet apaisant, même parfois incongru. Je retiens mes progrès, ma capacité maintenant à revenir sur un premier jet incomplet. Un semblant de minutie, assez du moins pour démonter les poignées, déposer les caches des prises électriques, appliquer le scotch de camouflage, quand, il y a encore peu, je ne m'embarrassais pas de tous ces détails, pourtant pas inintéressants dans le rendu final. 

Je remarque maintenant, et m'y applique, l'importance qualitative du matériel. Le simple scotch de camouflage, par exemple : très inégal, ce scotch, suivant la qualité du produit : trop fin, il absorbe la peinture et la fait baver en dessous, trop épais, il adhère tant qu'il emporte avec lui ce qu'il était censé protéger. Il se déchiquète à la moindre tension, ou alors résiste, presque élastique, quand on voudrait qu'il lâche. La texture de la peinture, aussi, vous fait passer d'un monde à un autre : chuintement voluptueux des crèmes élégantes, contre lessivage à peine colorant des premiers prix. Les pinceaux et rouleaux, pour le choix desquels ma technique reste insuffisante à une application optimale. Il me faut bien garder une marge de progrès pour mes futurs changements de décors.

Je ne suis pas perfectionniste, et ne le serai jamais. Je suis juste moins attachée à boucler mes chantiers, quitte à les bâcler. Je reste une passionaria de mes entreprises, incapable de remettre au lendemain ce que je peux faire le jour-même, quitte à y être encore à 10 heures du soir. Le chantier avance rondement. Il est loin d'être parfait. Tel quel, il me satisfait.

J'ai l'impression d'un bénéfice très net dans le rééquilibrage de mes espaces, par les pans et les niveaux "coloriquement" tranchés. Avant, plafonds, murs, plinthes et planchers se diluaient dans des gris à peine différenciés. Là, partie pour des pastels fluides, je termine en tons plus musclés. Les démarcations sont nettes, voire violentes. La matérialité des espaces et des fonctions s'affirme. Je me sens mieux contenue, dans un environnement plus clairement délimité.

Des familiers font quelques visites de chantier. Leur perplexité ne me décourage pas : les plus vieux jettent un œil indifférent. Les plus jeunes restent dubitatifs : je m'éloignerais trop des standards. Je m'étonne : comment peut-être encore jeune, et déjà si convenu ? Je n'applique ma fantaisie qu'à moi-même. Ainsi, j'y garde une liberté totale, où je m'ébats comme la truie à son auge.

En parlant de chantier, mon Ménière pâtit de mes amours volages. Ces derniers temps, mes aspirations décoratives l'ont relégué bien loin du centre de mon horizon. Mes cervicales ployées sous les plafonds et les corniches ne me l'ont pas rameuté. Pour le moment. Il consent peut-être à prendre patience, qui sait...


Mercredi 26 octobre 2022  19h30



 

Au soir, des couchers de soleil tirés vers le sud se dorent d'un souffre saharien. Les silhouettes des arbres en ombres chinoises là devant encadrent cette lumière puissante, fantastique.

Les derniers jours ont été historiquement chauds, et secs. La nature souffre encore. Le vent du sud décroche les ramilles des arbres, devenues cassantes d'avoir tant résisté. Les tapis en médaillons des feuilles du carolin jonchent les talus, et s'amoncellent en tas craquants dans les angles de la cour.

En dehors des pointes de chaleur sur les quelques heures du mitan de journée, ce souffle chaud est agréable, quand il n'est pas trop fort. Les maisons béent, encore grandes ouvertes. Les tenues d'été restent en service. Il sera temps bien assez tôt, de devoir se protéger du froid et de la pluie. J'ai hâte de tester mon nouveau dispositif étanchéité apposé contre le mur. Le vent travaille pour moi, agglomérant à sa base un enduit de poussières et de débris végétaux. Tant que je n'en ai pas la démonstration contraire, je peux toujours y croire...


Dimanche 30 octobre 2022 19h


Je vais entamer mon mois favori par une semaine de congés. Après l'habitat personnel, je vais m'occuper de la pièce commune au-dessus de l'étable. Je vais tâcher de me modérer, et de fractionner la tâche. Quelques sorties programmées avec des amies mettront de l'air dans tout ça.

Le temps paraît changer. La température a fraîchi. J'ai recouvert de peinture mon enduit charpentier, idéalement séché par ces jours derniers, avant le retour possible du mauvais temps. La pluie nous reviendra peut-être. Elle est  espérée avec ferveur.

TtonytaPetra profitent encore de l'extérieur, jour et nuit, comme à la belle saison. Elles sont en pleine croissance, à l'approche de leurs dix-huit mois. Comme dirait un familier très complaisant : "tu as de bbêêlles bêtes, elles sont mmââgnifiques !" J'ai fait semblant de croire son admiration sincère...








Tout de même, le fait est, depuis leur arrivée en juillet 2021, elles ont bien changé.

De mignonnes, elles sont devenues... allez, pas "bbêêlles", mais, on va dire, jolies !





Jeudi 3 novembre 2022 19h


De brutales volées de vent ont malmené les parages. J'ai dû ramasser l'un de mes bacs renversé dans la cour. Samedi, s'il fait beau, nous allons rafraîchir tout ça, en réagençant les plantes selon leurs affinités.

Quelques averses tendraient à dire que mon système d'étanchéité serait probant, quoique encore imparfait. Un petit suintement sur la gauche me nargue toujours. Il est difficile d'évaluer le progrès, s'il y en a, puisque je n'ai pas de mesure précise sur la quantité d'eau déversée sur la rampe, et sur l'effet du vent dans sa poussée. Nonobstant, il me semble que les choses s'arrangent. Je veux y croire, et la foi, on le sait, soulève des montagnes, à défaut d'arrêter les filets d'eau.

Je suis toujours en pleine peinture. Comme présagé, j'ai passé toute la journée de Toussaint le rouleau à la main. Un restant de blanc de Tito a illuminé le grand mur du grenier-entrée. L'arbre en dessous est resté profilé en filigrane. Trois couches ne l'ont pas muselé. J'ai décidé de respecter cette persistance : je me trouvais moi-même bien persévérante d'avoir poussé jusqu'à la troisième couche, moi qui jusqu'à il y a peu prenait le "monocouche" strictement à la  lettre, quel qu'en soit le rendu. Une posture un peu acrobatique sur la rambarde-râtelier m'a menée jusqu'en haut du rail, de l'autre côté. Je n'étais pas peu fière du résultat. 

La journée d'hier, en balade dans le Baztan avec Meriem, m'a tenue loin des pinceaux. La journée était belle. Les paysages profonds des roux de l'automne sur les flancs fiers et bleus des montagnes. 

Seuls, quelques guêpes et frelons au moment du déjeuner sur une terrasse, sont venus perturber le cours parfait de notre journée. Le serveur, auquel Meriem demandait s'il était possible de terminer de manger à l'intérieur, l'a proprement envoyée bouler, en lui demandant si elle n'aimait pas le miel ! Curieux personnage, aussi exotique dans un commerce qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine...

Nous en étions quittes pour vider les lieux sans dessert. Ce fut finalement une bonne chose, puisque  nous avions déjà l'estomac lourd de ces croquettes bien grasses et croustillantes desquelles nous raffolons toutes les deux.

Nous avons été à la cascade de Txoroxin. Je ne suis pas sûre de l'orthographe. Un site magique, en bout d'une promenade facile, sous les bois, avec des croisées d'une rivière gaie sur de gros galets ronds. Près du bassin tumultueux, quelques maigres arbres résistent, leurs racines coulées dans la pierre, bois rendu minéral, agrippé à la roche en une supplique émouvante. 

Je sais avoir déjà parlé de cet endroit, puisque j'y vais pour la troisième fois en deux mois ! Et quoi, pourquoi me lasserais-je si vite, moi qui en soixante ans n'ai jamais dévié de mon parcours autour de la ferme ? Je vogue maintenant dans des contrées plus lointaines. Je n'aurai sûrement pas le temps d'en approfondir la découverte. Pourtant, je n'ai pas envie non plus de papillonner de partout. Quelques variantes sont plaisantes, je ne dis pas. Mais quelques-unes seules suffiront à mes modestes aspirations aventurières.

J'ai ainsi repris mon chantier aujourd'hui. Je me suis attaquée à la porte métallique, l'enduisant sur son châssis intérieur d'une pâte aux vertus annoncées formidables : antirouille, anti salissures, anti rayures. Après une matinée radieuse, le mauvais temps de l'après-midi était propice à cette occupation abritée. J'ai aimé regardé les gouttes d'eau sinuant sur le verre qui n'en est pas. La porte est solidement arrimée. Les rafales de vent ne la font pas bouger. Seule, la grande porte de l'étable, ouverte, aspirait un courant qui affolait les trappes des chiens. Bien vite, TtonytaPetra se sont rapatriées à l'intérieur. J'ai pu refermer le vantail, le bloquer solidement. 

L'impression de sécurité a été alors totale : le vent mugissant dehors, poussant les averses en oblique, et ici, dans le calme, moi, religieusement à ma peinture, appliquée, avec les chiens venant parfois chercher une caresse, et les souffles satisfaits des génisses vautrées dans le paillage sec, juste en dessous, et à ma vue grâce au miroir-mirador. 

Demain, si le temps se relève, je ferai l'extérieur. Pour la suite, j'aurai la rambarde-râtelier. Si je ne suis pas déraisonnable, j'attendrai ma prochaine semaine de congés, au début du mois prochain. Ça fait quand-même un peu loin...

Je désespère de finir mon Ménière cette année, comme je me l'étais plus ou moins promis. Ou alors, je vais le bâcler. Après tout, il faudra bien que j'y revienne plus tard, à distance, ne serait-ce que pour savoir comment l'histoire se finit.

Je suis presque persuadée qu'elle finit bien. Le serai tout à fait quand une bonne année sans crise aura passé. Je croise les doigts : la dernière date de fin janvier.


Vendredi 4 Novembre 2022  17H


Je m'apprête au goûter. Je reviens d'un tour au potager. Mes choux rongés de chenilles ne promettent pas grand cœur en leur sein. TtonytaPetra croqueront les feuilles...







J'ai voulu pousser pour une courte promenade d'aération avec les chiens. Ça, je me suis aérée ! Le vent s'est relevé comme un diable quand j'avais à peine passé le portail du remblai. J'ai avancé un peu, pressant le pas pour me réchauffer. A mi-pente de la fougeraie, la pluie commençait à nous cingler, ténue encore. Nous avons fait demi-tour. Les chiens soulagés m'ont fêtée tout le temps du retour, trop contents de rentrer se remettre à l'abri.

TtonytaPetra sont restées à l'étable jusqu'en milieu d'après-midi. Je les ai sorties quand je suis sortie moi-même. Elles aussi, ont eu vite fait de faire une petite virée resserrée dans le champ : elles m'attendaient, moi et mes choux, sur la rampe. Puisqu'elles étaient là, je les ai rentrées, nourries, pansées. Là, nous nous sommes tous remis en position hivernage. 

Le ciel assombri parle déjà de la nuit. J'aime ce temps des soirées longues. Ca me redonne l'occasion de me remettre à l'écriture. Je préfère retrouver les instants relatés en direct. Un tour d'horizon d'une quinzaine de jours me satisfait moins. Les impressions spontanées s'y écoulent comme de l'eau, et se perdent dans une fluidité d'esquive. Je m'y retrouve mal. 

J'écris moins. Je fais d'autres choses, et fini est le temps où je rallongeais mon temps d'activité pour y compresser tout ce que j'avais envie de faire. J'ai besoin de mon temps de sommeil, j'ai besoin de mon temps de repos. L'ignorer m'a joué des tours, je me le suis tenue pour dit.

Le fait aussi de ne plus inscrire l'écriture dans une perspective vivrière, aussi modeste fût-elle, m'exonère d'une assiduité intéressée. Mon pragmatisme légendaire m'autorise maintenant des relâchements que la peur de manquer d'argent m'interdisait. C'est bien agréable, je dois dire, cette légèreté nouvellement conquise. Je l'endosse comme un vêtement confortable, et m'y coule avec volupté.

Après le goûter sacré, je vais peut-être reparcourir mon Ménière. D'être aussi fragmenté le rendra décousu. Je ne suis pas sûre de m'astreindre au travail de recomposition dans l'organisation des différents thèmes. Et bien tant pis ! Là aussi, je le livrerai tel quel, pour la multitude, (quelques têtes de pipe), en rémission de mes péchés potentiels. Vous lirez cela, en mémoire de moi.


Mercredi 9 Novembre 2022 16h25


Je reviens d'une promenade d'aération, entre deux couches de peinture. Evidemment, je n'ai pas résisté à l'appel de la rambarde. Avant, elle se fondait dans le décor on ne peut plus rustique. Maintenant, elle faisait tâche, dans un environnement rafraîchi. J'ai appliqué l'apprêt. J'attends les 6 heures réglementaires de séchage, pour badigeonner tout ça de mon vert profond, RAL 6009. J'ai fait la porte métallique lundi. J'ai enlevé les systèmes de retenue, quelques chaînes solides et autant de manilles. Tout ça semble plus net. La pièce reste le sas entre habitation de gens et occupation de bêtes. Elle garde son caractère paysan, fonctionnel, tout terrain et tous chaussants. En plus clair. Dans l'appartement, j'ai recherché la chaleur de couleurs bien marquées. Ici, j'ai fait du net. La situation et la destination de l'endroit suffisent à en assurer l'ambiance cosy... !

La pluie de ce matin, les températures plus normales, ont repassé les fleurs de crocus froissées par le vent chaud trop brutal d'octobre. Elles retrouvent leurs calices élancés dans les fougeraies coupées. Dans le sous-bois derrière l'anglais-espagnol, un phytolacca démembré tend encore une dernière grappe de fleurs violine. Je suis restée un moment immobile dans cet enchevêtrement végétal où les lianes volubiles des chèvrefeuilles sauvages courent par-dessus les bois morts des arbres renversés par les dernières tempêtes. Ces arbres ont souffert des saisons trop difficiles. Ils sont vulnérables. Les plus fragiles cassent. La nature lutte et s'adapte.

J'ai un grand sentiment de plénitude en cette période. Je me sens d'humeur plus égale, oscillant en sinusoïdes raisonnables dans une zone bien agréable. Je me sens comblée dans mes aspirations, bien simples il est vrai. 

Tiens, dans l'étable, Ttony se relève en soufflant. Elle a été un peu souffrante d'une toux persistante, ces derniers jours. Là, elle est mieux. C'est au tour de Petra maintenant d'être patraque : une chiasse carabinée me la tracasse. Je la garde un peu plus au foin sec. Un petit surdosage de luzerne, peut-être ? Dans la visée d'économiser le foin, j'ai doublé la ration de granulés. Ou alors, une repousse acide d'herbe automnale ? Ou toute autre chose. Le système digestif de ces grosses bêtes est délicat. Petra ne paraît pas affaiblie par sa diarrhée. Son ventre rebondi et son appétit maintenu ne la rendent pas alarmante. Je la tiens au plus propre. Ce n'est pas tâche facile, avec ce magmas putride, gluant, coulé dans la fougère en grasses traînées liquides à l'odeur pestilentielle. Enfin, cela aussi fait partie des joies de l'élevage. Je vais descendre les soigner, nettoyer ma grande brune souillée.

Il sera temps ensuite de mettre du vert sombre satiné en velours sur ma rambarde-râtelier.


Dimanche 13 novembre 2022 15h30


La maison est grande ouverte sur l'après-midi chaude et lumineuse. D'après les prévisions météorologiques, ce serait la dernière de cette splendeur. 

Les tzouins-tzuoins du Béhobie-San-Sebastien arrivaient jusqu'ici, ce matin, comme si nous avions une grosse fête dans la cour. Là, le secteur est redevenu tout à fait calme. Je profite encore du soleil pour faire des siestes vitaminées. Les chiens sont affalés sur le gazon. En arrière-plan, mes jardinières refaites avec Olivier sont mieux structurées. Nous avons éclairci le fatras végétal, en délocalisant quelques plantes trop volubiles derrière le hangar. J'ai rajouté quelques grosses pierres. Ca rend un mélange végétal-minéral, pierre et plante. J'ai resélectionné des espèces sobres, en prévision d'un autre été aride.

J'ai aussi bouclé mon chantier peinture. Je me suis ainsi totalement réapproprié mon habitat ainsi revisité dans tous ses recoins. Pour l'étage en dessous, l'étable et la porcherie-remise, un bon dépoussiérage et un brin de rangement suffiront. Ca terminera ma tournée pour la période.

Lola revient se mettre au frais près de moi, évitant la bande de soleil, allongée de tout son long jusqu'au mur. L'hiver, le soleil bas entre ici jusqu'à la garde, quand l'été, il s'arrête sur le pas de porte. C'est décidément un endroit bien agréable, en toutes saisons. 

C'est un endroit habité d'une petite faune bien sympathique, aussi : après les hirondelles du printemps, j'ai surpris l'autre soir une chauve-souris tournoyant ici, à une vitesse incroyable. Elle avait du remonter de l'étable ouverte. Elle m'évitait en slalomant sur une aile, et repartait pour un autre tour de circuit. J'ai vite ouvert la porte, et éteint la lumière. Aussitôt, elle a filé. J'ai à peine senti le souffle ténu de son passage léger, tout près de moi. 

Ce matin encore, un rouge-gorge bondissait du rail au bâti du vantail, puis, du haut d'un petit placard d'angle à l'étagère sur le mur d'en face. Il a fini par descendre suffisamment pour passer la porte plus basse, et s'est perché sur le toit de ma voiture. Il inclinait sa petite tête ronde en mouvements saccadés : j'ai eu l'impression qu'il me considérait, le poitrail fièrement rengorgé. J'ai souvent vu des rouges-gorges venus se mettre à l'abri, ici, au temps où ce n'était que le grenier à foin. Retrouver celui-ci m'a plu, tout bêtement. 

Quelques rongeurs nicheraient vite aussi dans les coins, si je n'y prenais garde. Ces derniers jours, avec tout le remue-ménage du chantier peinture, j'en ai fait un tour minutieux, et me suis assurée qu'il n'y avait aucun visiteur indésirable derrière les appareils ménagers.

Pause: Lola me réclame avec insistance une séance caresses. Depuis quelques temps, elle a besoin de sentir plus souvent les marques de mon affection. La nuit, elle monte une ou deux fois et gratte le bord du lit, jusqu'à ce que je la hisse contre moi. Elle fourrage alors son museau frais contre mon cou, et se blottit là, quelques minutes. Je lui frictionne les oreilles, elle gémit son contentement. Elle repart ensuite, contente et rassurée. Si je ne l'ai pas fait avant, elle attend que j'allume la lumière, pour redescendre l'escalier. 

Ma Lola est devenue pratiquement sourde, comme sa patronne. Quand je la vois chercher l'origine d'un bruit, qu'elle doit percevoir très confusément, tournant sa bonne tête de ci de là, quand elle sursaute à une approche inopinée, elle me fait de la peine. Je prends soin de toujours m'annoncer quand je viens vers elle. Sinon, surprise, elle sursaute, apeurée.





Je me rends bien compte que nous partageons la même situation, elle et moi ! Pourtant, pour moi-même, je n'éprouve aucune peine. Je regrette évidemment mon acuité auditive passée, comme je regrette la pleine forme de ma jeunesse, mais sans plus. Ce qui pour elle suscite ma compassion m'émeut moins pour moi-même. 

J'ai souvent remarqué cette différence entre ce qu'on imagine de la vie des autres, et ce que l'on ressent quand on vit la même expérience. Ainsi, quand, bien plus jeune, je voyais une brave dame de la soixantaine, grisonnante, flétrie, un peu arthritique déjà, je frissonnais, du haut de la morgue de ma jeunesse flamboyante. Je me disais, je m'en souviens bien : comment peut-on vivre en étant ainsi ? Ce doit être bien triste ! Je m'apitoyais, sincèrement, et me navrais d'avoir cette triste perspective devant moi. Si, à l'époque, j'avais su que je serais en plus sourde, et d'un équilibre mental et physique plus qu'aléatoire, j'aurais été anéantie, j'en suis bien sûre.

Maintenant, je vis tout cela, et m'attends à encore pire pour la suite. Je ne suis pas de ceux qui minimisent les misères de l'âge, prétendant que "la vie commence à 60 ans", qu'ils n'ont jamais été en meilleure forme : la vitalité suit une courbe de croissance et de décroissance implacable. Je crois par contre qu'à cet âge-là, on profite des avantages d'une situation qu'on a peut-être mis tout le temps d'avant à établir. 

Personnellement, le fait de ne plus avoir tant de choix de vie à faire me va très bien : que ferai-je plus tard ? Quelle sera ma vie ? Où ? Avec qui ? Comment ? Maintenant, toutes ces interrogations sont derrière moi, les cartes sont battues, et il n'est plus que de s'accommoder au mieux de son jeu. J'ai la chance de trouver le mien à mon goût.

La grande aventure du "tout est à faire, tout reste à vivre, tout est possible", ne m'a jamais trop grisée. Au contraire, ce vaste espace à remplir devant moi m'affolait un peu. Je ne suis pas une angoissée de fraîche date !

Pour le reste, le déclin physique inévitable me désole, mais ne m'empêche nullement d'éprouver une joie pétillante à vivre. J'ai encore beaucoup d'occasions de ressentir le plaisir, la sérénité, l'enthousiasme, même. Je connais moins les exaltations du passé, c'est sûr. Ça tombe bien, puisque j'ai moins d'énergie pour les assouvir !

Vivre est finalement peut-être plus facile qu'on ne se l'imagine,  alors...

Dans ma "Pause", je disais le contraire, en manière de conclusion puisque "mourir est difficile alors, quand vivre l'était déjà bien assez..." Ca sonnait bien. Pas très gai, mais bien.

Comme quoi, le temps vous change. Ou c'est la molécule. Quoi que ce soit, c'est bienvenu, et, toute sourde, grippée, flétrie, fripée, que je sois, je préfère ma maxime d'aujourd'hui à celle d'alors.


17h30




L'ocre rosé souligne les nuages gris-bleus étirés au-dessus du couchant.

La nuit tombe déjà.



Lundi 14 novembre 2022  17h10


Je reviens d'une petite virée dans la campagne mouillée de la bruine du matin. La fougeraie laissée sur pied ploie en ondes lourdes. Les chiens n'ont pas trop apprécié  la promenade. Ils sont devenus bien délicats, à éviter les flaques un peu boueuses. La journée grise et humide a vidé les chemins creux. J'étais bien, seule dans le silence, face au paysage en damiers harmonieux devant moi. J'ai salué June rentrée chez elle au passage. Elle a levé la tête, reconnu ma voix familière.

De retour ici, TtonytaPetra étaient déjà couchées dans le paillage : elles aussi sont délicates, et préfèrent le grand confort de l'étable à la prairie mouillée.

Je vais descendre leur distribuer leur ration de luzerne. Depuis la semaine dernière, je l'ai réduite, et réaugmenté celle de foin. Ca a parfaitement réussi à ma Petra merdeuse : elle a retrouvé tout le soyeux de sa robe moirée en un velours bien brossé. Je me suis assurée d'un supplément de fourrage. Mes greniers sont remplis : TtonytaPetra auront de quoi passer l'hiver la panse pleine.



Vendredi 18 Novembre 2022  15h40


Un rideau de pluie grise la baie devant le Jaïzkibel dont la pointe se fond aussi dans l'eau, ciel et mer mélangés dans la même tonalité sombre.

Je suis confortablement installée, ici, dans mes verts, leur tiédeur et celle de la fée électricité, avec parcimonie, sobriété. J'entends une averse encore tambouriner sur les tuiles. Les combes chez Cousinou et Conchita se sont emplies d'eau.

Pour en bas, je suis extrêmement satisfaite : l'eau ne goutte presque plus, mes caisses restent sèches, mises à part les deux du fond, collectrices générales. Plus haut, ce ne sont que suintements assombrissant à peine la plaque fissurée. Mes couvercles apposés contre le mur améliorent considérablement le résultat. Je réfléchis à une mise en œuvre plus ambitieuse, puisque, ici comme sur la terrasse supérieure, preuve est faite que la pluie cingle le mur, et s'y fait un joli petit chemin, quand les enduits l'y autorisent. Ceux d'ici, ce sont de vrais laissez-passer !

TtonytaPetra sont à peine sorties ce matin, vite rassasiées d'air frais. Elles se reposent, allongées parfois de tout leur long, la tête posée sur les madriers en dessous de l'auge. Elles ne se relèvent que pour tirer quelques brins de foin. Je leur fait visite plusieurs fois dans la journée, pour rafraîchir leur litière, puisque, depuis ici, je peux surveiller leurs mouvements. L'étable est sombre, surtout par des journées comme celle-ci. Elle l'était tout autant avant, et les precurseuses de TtonytaPetra ne s'en plaignaient pas.

A la jardinerie nous avons reçu les sapins. L'activité marque la fin de l'année. Entre clients et collègues, je vaque, sans trop m'investir, juste assez tout de même. Mes journées travaillées en sont bien agréables.

Je vais repartir vers mon Ménière. Je voudrais terminer le déroulé, puis, peut-être, reprendre un ordonnancement brouillon, particulièrement dans les chapitres sur les symptômes, les causes, et les traitements. J'ai l'impression d'avoir joliment enchevêtré tout ça, et ça nuirait à la clarté de l'ensemble. Oui, je le ferai, peut-être... ou peut-être pas !

Ces petites notes posées au jour le jour jalonnent bien mieux mon temps. Je m'y retrouverai plus fidèlement, plus tard, s'il me revient comme parfois l'envie de retourner m'y rechercher. L'insignifiance ne me décourage pas. Au contraire, elle m'intéresse, et je la capte comme une herbe fragile, une de ces tiges de cresson sauvage épandu dans le remblai comme un tapis vert foncé. Ça n'a l'air de rien, mais c'en est une curiosité, peut-être plus signifiante qu'il n'y paraît.


Lundi 21 Novembre 2022  16h30


Des pluies de mousson inondent la terre. Elle était altérée. Là, elle regorge, et régurgite.

Dans ma porcherie-remise, j'ai décidé d'enlever les caisses de récupération d'eau. Les fuites ne sont que quelques gouttes assombrissant en auréoles éparses le sol. Juste de quoi ne pas faire lever la poussière, quand on balaie. Ça évite le petit claquement sec de la goutte dans la caisse, plus désagréable en soi que l'humidité elle-même. J'ai entrepris un bon nettoyage de l'étable, la semaine dernière. Les lourdes toiles d'araignées lestées de débris ont chu, froissées comme des chiffons sales. Je ne suis d'ordinaire vraiment pas regardante sur la propreté, particulièrement dans mes locaux d'élevage. Là, tout de même, un petit coup de clair a fait du bien. Je terminerai par cette remise, quand le temps permettra d'ouvrir en grand.

Pour aujourd'hui, j'ai consacré ma journée à un simple abattant de toilette. Celui livré avec le bloc était blanc. Il était monté d'origine, on comprend bien pourquoi. Ce bloc a une forme particulière, et je n'ai pas trouvé d'abattant adapté, de couleur. Déjà à l'époque, tout ce blanc dans la salle de bain me semblait trop chirurgical. J'avais donc retiré, sans me méfier, la pièce, et monté à la place un abattant classiquement ovale, d'un gris perle assez joli. Je sais maintenant que le démontage est bien plus facile que le remontage, en petit sournois qu'il est. La forme de l'abattant épousait très imparfaitement celle de la cuvette, mais bon. Ça m'allait très bien jusque-là. 

Maintenant, après avoir repris la décoration de mon intérieur, cette imperfection me devient offense. J'ai décidé de remonter l'abattant d'origine, et de le peindre, tout simplement. J'ai  commencé hier, juste avant et un bon moment après la jardinerie. Je m'y suis bien énervée : en principe, la fixation d'un abattant n'a pas de secret pour une bricoleuse amateur comme moi. Là, le bloc surélevé, compact et comme coulé dans la masse, ne se laisse pas facilement ausculter. Le système de vissage, en dessous et à l'arrière de l'engin, niche dans un anfractuosité coincée entre deux parois de céramique défensives. Le système en lui-même s'est avéré assez particulier. Je ne m'en souvenais plus. Au lieu d'un bon écrou papillon sous un joint mou quelconque, j'avais dans les mains un petit cylindre métallique troué d'un filetage en son flanc rond, à engager horizontalement dans un crochet en vague double. Ça aurait pu faire, si le cylindre n'était pas libre dans le crochet. Là, il pivotait là-dedans, narguant toutes mes tentatives pour le présenter droit à la tige du boulon, quand enfin j'arrivais à effleurer du doigt ladite tige, tête tordue contre la faïence, épaule douloureusement coincée contre la cuvette. J'ai essayé un bon moment. Je n'y suis pas arrivée.

Beñat venu manger ce midi m'a sortie de ce mauvais pas : je m'y prenais à l'envers ! Il ne fallait pas essayer de visser par dessous, mais par-dessus ! 

Je m'y suis remise après une petite sieste délassante. Sur le dessus, en effet, un petit cache insignifiant, à soulever d'une pointe de tournevis, sans aucun effort, cachait la tête de la vis, offrant par là une opération bien plus facile. Le cache résista bien au peu à la rotation nécessaire à libérer la tête de vis en dessous. Rien, par rapport à la difficulté à laquelle  je m'étais colletée auparavant. La chose se présentait bien mieux. Grisée par tant de facilité, je considérais avec circonspection le petit cylindre dans son crochet. Il fallait quand-même le présenter à la tige filetée, bien positionné. Et le faire par en dessous, en se frayant un passage dans ce maudit labyrinthe de porcelaine, jusqu'à la caverne tout au fond. 

J'avais tout donné hier et ce matin. Je ne voulais plus affronter la difficulté. Pour me sortir de là, j'ai attrapé dans mon nécessaire quincaillerie, deux jolis petits écrous-papillon, avec leurs oreilles si sympathiques. J'ai fourragé quelques secondes sous le bloc, enfilé l'écrou sur la tige. Quand les oreilles se sont coincées dans le logement prévu pour le crochet, après avoir ajusté au mieux la lunette, j'ai serré la vis par le dessus, avec une petite hargne, quand la pauvre n'était pour rien dans mes tribulations précédentes.

Là, j'ai appliqué un coquet vert mousse, d'un effet un peu surprenant. Avec ce que ça m'a coûté d'efforts, autant dire que je vais le trouver parfait, quel qu'en soit le rendu !


Mercredi 23 Novembre 2022  18h


Je viens de fermer les volets sur la nuit. Le soleil est revenu cet après-midi. Les flancs de coteaux gorgés d'eau, les sous-bois luisants d'humidité, rutilent d'une lumière pleine et profonde. Je m'en suis repue. J'avais besoin d'extérieur, après ces journées de bricolage dans la maison. Je suis descendue à mes châtaigniers, retapé un tuteur flageolant, ramassé des branches de carolin cassées par la tempête. Le gros vent a soufflé lundi soir, en rafales sifflantes. Rien n'a bougé.

Je continue mon Ménière. Je voudrais le corriger sur papier. Avant d'imprimer, je veux parcourir l'ensemble des paragraphes du plan. Je tâcherais de remettre un peu d'ordre dans tout ça. Si je ne m'y ennuie pas...


Vendredi 25 Novembre 2022  17h10





Le soleil couchant perce à travers des monceaux de nuages. A la diagonale, les bosquets d'Orio s'enluminent. Je m'étonne de voir les arbres conserver leurs feuilles si avant dans la saison, cette année. J'aurais pensé au contraire, qu'ils les lâcheraient bien plus tôt, épuisés par l'été si éprouvant. Ils essaient sans doute de capter encore un peu de lumière, au travers de la frondaison, pour restaurer la ressource épuisée.

Il ne leur faudrait pas plusieurs saisons de cette engeance...

Toute la journée, les averses crépitantes se sont succédées. TtonytaPetra sont à peine sorties faire un tour. Moi, j'ai cueilli quelques choux et trois choux-fleurs. La culture bio les a farcis de chenilles. Les têtes sont toute petites. A côté, les carrés de poireaux et de carottes paraissent plus prometteurs, même si l'aridité estivale les a eux-aussi salement pénalisés.

Lola a failli se coincer entre la murette et le garage, à la poursuite d'un chat noir et blanc. Je l'ai rattrapée de justesse alors qu'elle s'enfonçait dans le goulet profond de plus de deux mètres. Une masse de ronces enchevêtrées ralentissait sa chute, et la retenait juste assez pour que je puisse la saisir par le col et la soulever vers moi et la terre ferme. 

Nous sommes tous rentrés nous mettre aux abris. TtonytaPetra sont pansés, les chiens essuyés. Je vais fermer les volets sur le crépuscule alourdi de gros nuages noirs.

Mon monde est en ordre.


Mercredi 30 Novembre 2022  10h30




Le soleil ressort de chambre. Il a le teint encore un peu pâle d'un convalescent. Les trombes d'eau tombées ces jours derniers nous l'ont brouillé. On retrouve quand-même le scintillant de la baie, et les couleurs d'automne dans les feuillages résistants aux volées de tempête.







A cette heure, TtonytaPetra viennent de sortir. Ttony salue la voisine. Petra est descendue dans le pré :

    - Bon, t'arrives ? 

La blonde rejoindra la brune, sitôt ses civilités bouclées.
Elles sont restées en intérieur, ces jours-ci. Par la porte du fond tout de même ouverte sur le jour, elles voyaient les averses cingler leur paysage. Elles ne demandaient pas à sortir, bien contentes de se garder les sabots au sec. Puisque je suis en vacances cette semaine, j'ai pu les suivre de près, et éviter qu'elles ne se souillent.





Mon tas de fumier prend tournure. J'élève, j'élève, pour le moment. Quand j'aurais estimé avoir atteint le faîtage, je remplirai le milieu. Je devrai sans doute agrandir le bâtiment, par un ajout vers l'est.

Toute la journée d'hier, j'ai "charcutaillé", bien à l'abri dans ma cuisine-entrée-grenier. Je me suis régalée, à retrouver ce plaisir de remplir les réserves. Là aussi, le passage des grosses bassines aux marmites plus modestes a conservé l'agrément, en épargnant la peine. J'ai commencé par les pâtés et les saucisses. Je continuerai plus tard avec la hure et les boudins. Je fractionne tout ça, quand avant, j'aurais difficilement pu débiter mon cochon en plusieurs fois !

J'irai cette après-midi prendre l'air avec les chiens. Eux non plus ne demandaient pas trop à sortir ces jours derniers. Quelques pas sur le trottoir face à l'océan leur a suffi, l'autre soir, dans la nuit, avec Meriem. Lola était perdue. Les deux autres avaient froid. Nous les avons remisés dans la voiture. Nous, nous avons eu plus d'une heure sans pluie, pour faire le plein de la force de l'océan. L'écume des vagues fortes éclaboussait les rochers. J'ai admiré les grandes maisons rénovées, la promenade transfigurée le long de la murette. Meriem m'a assuré que les travaux dataient de plusieurs années. Je suis touriste en ma ville...

Cette période m'a toujours plu. La plénitude, une once de mélancolie douce, des bouffées exaltées, me font une sensation authentique de bien-être. 

J'en suis à une période bien agréable. Bien décidée surtout à ne pas bouder mon plaisir. 

Je l'engrange, comme mes terrines de pâté, pour le retrouver quand j'en aurai besoin. S'il venait à me manquer, qui sait. Je n'ai plus trop de ces appréhensions inutiles. Il en reste pourtant toujours quelque chose.

Je retourne à la jardinerie mardi. Nous serons à fond dans les sapins. Là aussi, l'ambiance est joyeuse, toute à la fête. 

Mon Ménière prend lui aussi tournure. Je m'y plais. J'ai même l'impression que je m'en libère.