Jeudi 2 juin 2022 7h
Cette fois, il est l'heure de partir.
J'enfourche Grand Modus, et direction grand Nord : Jardinerie Lafitte, bonjour !
Mes journées se ressemblent. Elles courent les unes derrière les autres, comme du sable fin entre les doigts, sans reliefs ni cahots, dans une monotonie sûrement consternante pour la plupart. Pour moi, elles dessinent une trame fluide, où le temps coule, lisse, alenti, soyeux comme un velours brossé.
Ma vie est celle-là. J'aime à poser ces moments futiles et pourtant précieux, à les graver là où je les retrouverai, bien plus tard. Mon idée est de rameuter alors cette sensation de plénitude, lumineuse comme une coulée de miel translucide.
Vendredi 3 juin 2022 18h30
L'orage a grondé, des lourds nuages couleur de plomb ont roulé depuis le Jaïzkibel, assombrissant brusquement le jour. Les hirondelles sont toutes rentrées comme pour la nuit.
J'espérais la pluie, pour mon potager et mes châtaigniers. J'appréhendais en même temps une ruée de grêle brutale. Finalement, le front d'orage s'est évacué vers la mer, tirant derrière lui une lumière irréelle. Toujours pas de pluie, donc. Elle serait pourtant bienvenue.
Hier soir, déjà, les longues zébrures fulgurantes qui déchiraient le ciel nocturne faisaient espérer l'eau. Je suis restée un moment, penchée à ma fenêtre, captivée par le spectacle grandiose des éclairs illuminant l'est et la mer comme des spots géants. Une chouette inquiète hululait tout près. Les génisses, les hirondelles et les chiens se tenaient aux abris, oreilles ou ailes basses. L'orage s'est éloigné, ne donnant que quelques larges gouttes éparses.
Les enjeux pour moi sont bien peu importants. Je pense aux paysans qui scrutent le ciel et leurs cultures. Les plants s'économisent, ne se lancent pas comme ils le devraient. Les maïs stagnent. Les vers gris rongent les collets encore tendres. Il leur manque de l'eau et de la chaleur pour s'endurcir, et résister. Les rangs se mitent des pieds séchés. Ca n'est pas bon. Le foin a été maigre d'un printemps déjà trop sec. L'année sera encore difficile pour les agriculteurs.
Je lis en ce moment un livre autour du monde paysan, justement : "Pleine terre", de Corinne Royer. Il relate l'effondrement d'un éleveur, rattrapé par les institutions vétérinaires, pour des manquements administratifs. L'atmosphère y est lourde de drames épouvantables, entre suicides et désespoirs.
Je suis évidemment attentive à ces récits. Ils parlent de mon monde paysan, même si le monde des éleveurs d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec le mien. Je sais bien les désastres dans les élevages, et le mal-être de ceux qui travaillent avec les bêtes comme si elles n'étaient que des machines et des numéros, quand eux se sont lancés dans ce métier par passion, le plus souvent, à la suite de leur lignée.
L'histoire paraît forcer sur le dramatique. Pourtant, un éleveur a bien été tué par les gendarmes, après neuf jours de cavale, le 20 mai 2017. Il s'appelait Jérôme Laronze, et n'avait pas 37 ans. On lui reprochait des manquements administratifs, et une mauvaise gestion de son troupeau.
En 2020, trois ans après sa mort, la justice lui a rendu raison, et condamné les agissements des services vétérinaires. Trop tard.
Je suis évidemment complètement hors-circuit de ces mécanismes. Assez près pour en comprendre les absurdités. Je n'ai jamais été prise à la gorge par des crédits à rembourser, tenue en laisse par un système de subventions féodal, asservissant l'agriculteur en le maintenant pieds et poings liés. Je viens du monde paysan, et j'y reste, en dilettante, par agrément, sans aucune charge ni obligation. J'ai eu cette chance de ne pas être happée. Les circonstances ne m'ont jamais amenée dans cet engrenage broyeur d'aspirations bucoliques.
Contrairement à Jérôme Laronze, j'ai eu aussi la chance d'avoir en mon temps affaire à des fonctionnaires bienveillants... et bien patients ! Et il en est.
Mes parents ont vécu de leur ferme, de la vente du lait de leurs vaches, de maraîchage et d'un peu de ce qu'on appelle aujourd'hui le tourisme à la ferme. Partis de rien, ils ont élevé une famille nombreuse, et honorablement amélioré le confort de vie de tout leur petit monde.
Nous, leurs enfants, leur donnions un coup de main. Arrivés en âge de travailler, nous avons tous été à l'extérieur. Je suis restée plus ou moins dans la partie, agricole d'abord, en coopérative, puis d'agrément, dans le secteur de la jardinerie. Mes parents se sont faits vieux, ils ont pris leur retraite. Comme nous étions tous sur place, nous avons continué de nous occuper de la ferme, par tradition. Nous n'en vivions plus, mais nous continuions de la faire vivre.
Pour le suivi administratif, et, parce-qu'en ce temps là, on recrutait les exploitants agricoles sur diplômes, (maintenant, il suffit de payer les cotisations pour se déclarer professionnel...), l'activité était à mon nom. J'étais "double actif". Ce doit être pour contrebalancer que je suis devenue depuis aux trois-quarts passive !
Les réglementations étaient déjà contraignantes. Pour la vente de lait en direct, les normes en vigueur imposaient des investissements conséquents. Elles changeaient tous les deux ou trois ans : par exemple, quand l'équipement devait être un temps en résine, on demandait très vite après qu'il soit en inox. Tout le matériel devait être renouvelé. Les contrôles sanitaires devenaient stricts, les manquements sanctionnés sur le champ par des interdictions immédiates de vente.
Mes parents ont pris leur retraite en 1990. J'ai continué de livrer du lait en bouteilles, au porte à porte, jusqu'en fin 2007, dans l'illégalité la plus complète. Sur la fin, je vendais moins de 20 litres par jour. J'avais beaucoup diminué le cheptel laitier, et bifurqué sur la vente de veaux, moins contraignante. Cette seconde activité était aussi réglementée, bien-sûr, et je n'étais pas là encore plus dans les clous que pour la première !
Régulièrement, à partir de 1992, je recevais des mises en demeure officielles, m'enjoignant de me mettre en règle, ou d'arrêter. Les services vétérinaires en visite m'encourageaient fortement à "sortir" toutes mes vaches.
En 1997, nous avons du faire abattre toutes nos bêtes, à cause d'une suspicion de tuberculose. Par petits groupes, d'abord, puis toutes ensemble, à la fin. Ca a été un traumatisme pour mes parents, et pour moi. L'étable vide nous consternait.
L'administration était persuadée d'être alors débarrassée de notre fichier. Nous, nous savions que nous reprendrions des vaches. Pendant la période de vide sanitaire de quelques mois, nous avons rénové l'étable, bétonné le sol de terre battue, repris les murs de séparation des stalles. Ces travaux nous rendirent la période plus facile à traverser.
Pour la vente de lait, nous nous approvisionnions chez un voisin, bien content de nous le vendre à un meilleur prix que ce que lui en donnait le ramasseur laitier. Nos clients furent servis, et ainsi, gardés.
J'ai raconté quelque part comment nous reprîmes quelques belles génisses gestantes, et une paire de vaches en lait, à la fin de la période de vide sanitaire. Marcel se frottait les mains. Et nous, nous revivions, béats, à contempler notre étable ressuscitée.
Les services vétérinaires, dûment informés par les notifications d'achat, n'en revinrent pas. J'eus droit à plusieurs visites, dissuasives, consternées. Quelques nouveaux courriers plus pressants me parvinrent. Déjà très adepte de la répartie épistolaire, je m'amusais à répondre, arguant du grand âge de mes parents, de leur état de santé détérioré, du drame que ce serait pour eux de subir encore le départ du cheptel, même à petits feux. Le "cheptel", d'ailleurs, comptait alors moins de dix têtes. Nous suivions les recommandations vétérinaires, elles étaient saines, et bien soignées. J'y veillais.
Pour l'activité de vente de lait en direct, elle n'existait quasiment plus. Là encore, les quelques clients survivants étaient vieux, et ne dureraient pas longtemps. Ceux-là aussi, auraient été traumatisés d'aller chercher leur lait dénaturé chez l'épicier...
J'en faisais des caisses, confondant littérature et courrier froidement administratif.
Mes réponses fantaisistes eurent l'heur de plaire à l'inspecteur qui suivait mon dossier. Il vint à la ferme, plusieurs fois. Nous finîmes par sympathiser. Je lui plaçai chez une connaissance un âne pour lequel il cherchait une prairie. Il venait chez nous avec une gourmandise pour le goûter. Mes parents l'adoraient.
En 2007, sans doute houspillé par une direction moins sensible que lui à ma prose, il ressortit de sa sacoche ma première lettre, datée de 1992, où j'expliquais que l'arrêt de mon activité était imminent, vu l'âge de mes parents, celui de mes bêtes, celui de mes clients, et blablabla, et blablabla. Pour les quelques mois qu'il restait à vivre à tout ce petit monde, on pouvait bien attendre encore un peu. Certaines vaches étaient pleines, d'autres avaient des veaux au pis. C'était poignant, et sûrement très agaçant pour les fonctionnaires exaspérés par mes esquives.
L'inspecteur m'expliqua, un peu gêné, que la plaisanterie avait en gros assez duré. Il ne pouvait plus se montrer aussi complaisant à mes frasques. Il nous aimait beaucoup, appréciait énormément l'agrément de ses visites. Pas au point de risquer pour lui-même des sanctions, en voulant nous éviter les nôtres.
Je capitulai. J'obtins un délai, et une tolérance pour garder une dizaine de vaches, si je ne faisais pas commerce de leurs productions. Nous déclarions une autoconsommation stupéfiante de lait et de veaux. Sommée encore une fois de m'expliquer, j'arguais que nous étions très nombreux, certains de mes frères ayant fondé famille. Nous vivions en communauté, et avions pour cela besoin de beaucoup de vivres.
Je déclarais aussi beaucoup moins de veaux qu'il n'y en avait. La chambre d'agriculture s'étonna d'une telle stérilité dans mon troupeau, quand pourtant les inséminations semblaient bien régulières. J'arguais de mon inexpérience, et inventais même à une occasion une attaque meurtrière de vautours qui auraient emporté deux tout petits veaux à peine nés, avant que je n'aie eu le temps de les identifier par les boucles protocolaires. Ca commençait à faire bon poids...
Encore une fois, un responsable de service bienveillant voulut bien fermer les yeux. Mais je sentais la corde bien tendue !
Raisonnablement, j'arrêtai alors la vente du lait en ville. Et continuai de vendre sous le manteau, à droite et gauche, quelques veaux gras pour couvrir les frais de mon élevage illégal.
Aujourd'hui, TtonytaPetra sont dûment répertoriées à la Chambre d'Agriculture. Elles sont vérifiées, analysées, par la grande Kattrin, pour les suivis sanitaires. Elles ne produisent rien de plus que le plaisir qu'elles me donnent.
Je suis, enfin, après des décennies de dissidence, dans les bonnes règles.
Tout ceci pour dire que je comprends, même de loin, le contexte extrêmement tendu des éleveurs actuels. Le double discours est flagrant : on rechercherait une production de qualité, artisanale, à petite échelle. Quand on fait tout pour étouffer ces petites structures, au profit des élevages industriels, ou assimilés, assurément plus faciles à gérer pour les grands groupes décideurs.
Qui sait, là aussi, les choses changeront peut-être ? On peut toujours l'espérer.
Revenons à l'aujourd'hui, ici, et maintenant, loin de toutes ces turbulences inquiétantes.
Le soleil franc est revenu. Le ciel a retrouvé toute sa lumière.
Je vais remonter jusqu'au potager, arroser les derniers plants repiqués. Nous déplorons une patate coupée, un tout jeune plant de tomate écrasé et deux salades fondues. Pour le reste, le résultat est tout à fait satisfaisant. Avec ma partenaire en permaculture, nous sommes très optimistes pour la suite.
Le paillage généreux épargne le désherbage pénible. Quelques herbettes parviennent seulement à se hausser du col. Elles se tirent sans mal, allongeant sous elles une longue tige frêle et blanche.
Je me méfie quand-même de cette sciure vite étouffante. Nous avons fait avec les moyens du bord. Des copeaux auraient été plus respirants. S'il pleut correctement, je me demande si les collets ne vont pas s'étrangler. La vermine elle aussi va sans doute adorer nicher dans cette masse chaude et humide.
Tout cela se peut, mais, pour le moment, n'est pas !
Alors, je ne boude pas mon plaisir. Sentir le soleil bas dans mon dos, penchée avec mon arrosoir sur les rangs, faire les allers-retours jusqu'aux cuves de récupération d'eau, en sinuant entre les buttes maintenant bien garnies, va m'éloigner toutes ces craintes. Elles iront tournoyer plus loin, comme l'orage de tout à l'heure.
Lundi 6 juin 2022 19h
Le potager subit une attaque en règle : une horde de vers gris sévit sournoisement.
Douillettement lovés dans la sciure chaude et humide, ils rongent les collets des plantules vulnérables. Ma planche de feuilles de chêne n'y a pas résisté. Deux rescapées sur les douze attendent d'être sacrifiées. A l'heure qu'il est, ce doit être fait.
Les oignons blancs, eux aussi tendres et fragiles comme du cristal, fléchissent tige après tige. Mes derniers plants de tomate, minuscules au repiquage, cisaillés, s'affaissent et mollissent, lamentables. J'ai délogé en pied de mes martyrs quelques vers sombres annelés, gras et visqueux.
Je me souviens comment ma mère les coupait, sadiquement, lors de nos longues séances de sarclage dans les planches de jeunes laitues. Elle paraissait aimer cette traque. Je la trouvais répugnante. Aujourd'hui, c'est moi qui écrase les gros vers entre deux pierres. C'est moi qu'une petite jubilation gagne, quand je les débusque, enroulés sur eux-mêmes, essayant de se fondre dans la terre. Comme quoi...
Mercredi 8 juin 2022 18h30
Une bruine avare d'eau me fait sursoir à ma promenade du soir.
La pluie tomberait..., mais ne tombe pas. Le ciel roule des nuages sombres, promet, mais ne tient pas.
Je regarde dans la cour les fleurs enfin épanouies de l'hortensia grimpant. En bas, planté dans l'ancien abreuvoir, il manquait de lumière. L'érable palmé se plaît lui aussi davantage ici, colorant de pourpre les pointes d'un feuillage bien plus dense.
Je me régale à suivre mes petites plates-bandes. Je traque l'herbette, taille les ramilles sèches, et enlève les fleurs fanées au fur et à mesure. Jamais mes potées et mes planches n'ont été aussi fraîches !
TtonytaPetra viennent de ressortir, après leurs rations du soir. Elles sont restées couchées ici toute la matinée : les voisines ont changé de prairie, et elles ne les voient pas jusqu'en début d'après-midi. Après quelques jours à meugler leur solitude, elles ont maintenant pris le parti de prendre du repos. Ensuite, elles veulent profiter de la bonne compagnie, et ne passent ici qu'en coup de vent.
La vache est grégaire d'instinct. C'est une bête de troupeau. Les relations sociales leur sont nécessaires. TtonytaPetra entretiennent de bons rapports de voisinage. Elles donnent rarement de la corne, à travers les rangs de barbelé de la clôture. Leur lieu de rendez-vous de prédilection est à l'angle nord du champ, près du râtelier à foin des blondes. Elles ne s'en éloignent que pour aller brouter, se mettre à l'ombre plus haut, par grosses chaleurs, ou alors, quand quelques curiosités les intriguent ailleurs.
Somme toute, une vie de vache plutôt agréable...
Jeudi 9 juin 2022 7h
Encore un petit reportage photo avant de partir pour la jardinerie.
La routine reste la règle.
Puisqu'elle me réussit tout à fait bien, pourquoi changer ?
Samedi 11 juin 2022 18h
Le grand tout fou du Chemin des Crêtes reprend du service. Depuis début 2019, et l'affaire de la clôture proprement couchée, nous n'en n'avions plus entendu parler. Ca ne nous manquait pas !
La grande prairie où le foin coupé finit de sécher a été visitée par l'énergumène. Plusieurs départs de feu, heureusement circoncis par la rosée matinale, et une troupe de pompiers, tout de même, noircissent les brins incendiés.
Police nationale et pompiers de service viennent à la rescousse, et cueillent le pyromane, tout à ses élucubrations.
Nous sommes désemparés face à ce nouveau délire.
L'ennui, c'est qu'il désempare aussi les forces de l'ordre et les autorités locales. Ca n'est pas nouveau, nous sommes faits au système, pour l'avoir connu de trop près il y a une vingtaine d'années, déjà. Ca reste bien désagréable.
Pour finir de nous dégoûter, une conversation entendue par inadvertance, à la faveur d'un transfert d'appel mal orchestré, entre l'officier de police judiciaire de Saint-Jean-de-Luz, et, pour ce que j'en ai compris, le procureur, quelque part sur Bayonne, a douché ce qu'il pouvait nous rester de confiance en la justice. Ce n'était déjà pas grand chose, et, d'après la bribe pêchée au vol, ça l'est encore moins :
- Oui, vous savez, dans ce secteur, ce sont tous des paysans ! Ils sont pas mal bêtas.
Je n'avais pas les réponses, mais j'imagine que c'était du même tonneau.
Exhortés avec insistance à aller porter plainte, nous nous sommes exécutés. Ca nous a rappelé le bon vieux temps, quand nous étions au commissariat tous les deux jours.
Là, forts de notre expérience et de nos dernières informations fortuites, nous n'en attendions pas grand chose, et nous n'avons pas obtenu plus. Bah ! Ca nous a fait une sortie...
Le feu dans les récoltes de foin reste la hantise du paysan. Et la folie, celle de tous, légitimement.
Grâce à une solidarité remarquable dans le monde rural alentour, le champ de 6 hectares a été nettoyé en un peu plus de 3 heures : le foin épars rassemblé en andains, conditionné en balles, chargé sur les remorques, et charroyé en cortège de navettes entre le champ et le hangar, distants d'une bonne paire kilomètres, à vue de nez. Les autres années, il y faut deux journées. Du jamais vu. 8 Bonhommes, autant de tracteurs, et toute la panoplie fanaison.
Pour le soir, le foin est mis à l'abri. Pas de la pluie qui ne vient pas, non, de la folie d'un qui vient trop par là.
Pour le soir, le grand tout fou est ressorti de cellule.
8 âmes bienveillantes pour un seul malfaisant malade, ca reste suffisant pour garder la foi en communauté des gens simples... aussi "bêtas" soient-ils !
Dimanche 12 juin 2022 11h30
Une averse maigre et un petit coup de vent nous confortent dans l'idée que, finalement, ce coup de feu nous a opportunément fait passer la vitesse supérieure.
Les deux premières hirondelles de la nichée au dessus des génisses ont pris leur envol. J'en ai vue au moins une autre, restée au nid, une Tanguy, sûrement.
Toute à mon émerveillement benêt, j'ai raté une marche de la descente d'escalier. Je me suis vautrée, lamentablement, paume en avant pour amortir le choc contre le béton, rude quand-même.
Je ne saurais dire combien ce genre de chute en pleine conscience est une volupté, quand on a connu ces autres, les Ménières.
Comprendre ce qui se passe, voir défiler en vertical les différents plans, en séquence cohérente, les plus hauts d'abord, jusqu'au sol, en fin. Se sentir réceptionné, même brutalement, mais si logiquement, dans un ordre des choses si bien consenti, organisé comme l'on s'y attend. Vivre, dans l'ordre, le déséquilibre, la chute, la tentative de rattrapage, et l'amortissement du choc, même imparfait et douloureux, dans un couloir espace-temps bien connu, est une expérience tellement agréable, pour celui qui connait l'autre.
Cette autre qui vous jette, vous aspire ou vous propulse, dans un monde insensé, littéralement, où vous ne comprenez rien, vous ne savez plus où vous êtes, ni dans l'espace ni dans le temps. Vous vous demandez seulement où vous allez atterrir, quand, et, surtout, comment ! Vous sentez que vous n'avez aucune maîtrise, que vous ne vous appartenez plus, que le monde vous appartient encore moins, affreusement tournoyant, et terriblement hostile.
Je me suis relevée, la paume de main râpée, le menton durement choqué contre le béton. Tranquille. Rien à voir avec les relevailles abasourdies de la chute Ménière, où, le cœur battant dans la gorge et la nuque enserrée dans un étau cruel et implacable, on ose à peine respirer, se demandant où est l'affreux génie qui vous a happé dans sa folie furieuse, et, surtout, si l'envie de se jouer si cruellement de vous ne va pas le reprendre.
TtonytaPetra ont assisté à mes déboires. Oreilles tournées vers l'avant, passant le mufle entre les barres de la barrière, elles ont tiré la langue vers moi, en assistance, ou par intérêt, des fois que je leur tende une gourmandise. Relevée, je leur ai caressé le front. Comme elles ont vu que je n'avais rien à manger pour elles, elles se sont détournées, et sont ressorties au pré.
Là, j'ai le genou gauche en pointe, à la Tina Turner. Mon menton rosit. Quelques mâchures tiraillent. Une chute pareille, c'est mieux qu'une Ménière, c'est sûr. Ca n'est quand-même pas extraordinaire...
Mardi 14 juin 2022 7h
Les jours prochains sont annoncés chauds.
Le soleil levant irradie généreusement une énergie puissante au travers d'un voile de brume fragile.
Je m'apprête à souffrir.
Vendredi 17 juin 2022 16h
La chaleur est bien là, écrasante, ventilée quand-même par une brise bienfaisante. Les carolins captent dans les courbes de leurs feuilles le moindre souffle, et le restitue en un bruissement démultiplié. Contre tout bon sens, je garde mes portes et fenêtres grandes ouvertes, côté ombre, du moins. Le courant d'air me rend plus supportables les petits 35 ° sous abri. Enfermée, même avec 10 de moins, j'étouffe.
Les chiens s'allongent de tout leur long sur le carrelage, même pas trop frais. J'ai tondu Lola, ce matin, et douché tout le monde. TtonytaPetra sont sorties tout à l'heure, seulement, au plus chaud de l'après-midi ! L'étable est bien plus fraîche, mais Dieu sait ce qui leur passe par la tête, à ces deux là. Elles ont de l'ombre, au pré, et ma fameuse brise. Petra a semblé apprécier mes coulées d'eau froide sur sa tête, quand Ttony a reculé. Le rut commence à l'agiter, celle-ci. Elle ne doit plus faire trop la différence entre la chaleur du dehors, et celle du dedans...
A la jardinerie, je m'asperge d'eau autant que j'arrose les plantes, longuement. Je reste à l'ombre, autant que possible. Je suis quand-même contrainte d'aller parfois renseigner et servir un ou autre client, bien décidé à se choisir une grosse poterie bien lourde, exposée le long de la serre vitrée, au plus chaud du magasin. L'animal prend son temps pour se décider, quand je lui sors la pièce dans l'allée, enjambant, avec difficulté, les piles à l'émail brûlant, pour mieux la lui présenter. Je transpire autant de chaud que de hargne, à ces occasions.
Demain est prévu horrible, à près de 40 °. Mazette !
Je vais prévoir la panoplie du sportif de haut niveau en conditions extrêmes : serviette éponge trempée sur les épaules, boisson fraîche toujours à portée, et encas énergétiques, pour prévenir la défaillance glyquée.
La perspective de la semaine de vacances à suivre m'aidera à tenir bon.
Samedi 18 juin 2022 20h
Ma foi, nous avons atteint les 43 ° à l'ombre !
Ce matin, le soleil s'est levé comme une pleine lune, nettement circoncis dans un cercle parfait, vibrionnant à peine sur les bords. Une laitance claire lui faisait écran. Au fur et à mesure de l'avancée de la journée, la brume s'est écartée comme un rideau qu'on ouvre. Là derrière, implacables, le ciel pur, le soleil dur.
A la jardinerie, accrochée comme une perdue à mon tuyau d'arrosage, je n'ai pas trop souffert.
L'activité était évidemment légère, même si quelques vieilles carnes déjà desséchées, hybridées de lézard, tentaient de me traîner au plein soleil. Je les laissais aller, restant à l'ombre. Il a vraiment fallu deux trois saleté décidées à me pourrir la vie, pour que je m'avance dans une ou autre allée écrasée de soleil. Autant dire que ces clients acharnés étaient vite renseignés... tant pis pour les ventes perdues !
Nous avions licence pour fermer plus tôt, à 17H. Cette seule idée nous rendait la touffeur plus supportable. Nous étions à peine sortis sur le parking, quand une brise fraîche, assez vigoureuse, se leva. Nous ne fîmes pas demi-tour pour autant. Nous avons donc fermé le magasin, au moment où nous aurions du l'ouvrir, en cette veille de fête des pères.
En arrivant à la ferme, je me suis étonnée des aboiements frénétiques des chiens, autour du surpresseur, dans l'étable. J'ai tout de suite pensé à une petite hirondelle tombée du nid, juste au dessus. Je me suis avancée, et j'ai hurlé sur les chiens pour qu'ils s'éloignent. Derrière la cuve de l'appareil, un jeune moineau, atterré, respirait à peine. Je l'ai attrapé, et libéré dehors.
Dans le coin de l'ancienne porcherie, là, par terre, ce sont trois hirondelles à peine plumées qui se serrent les unes contre les autres, tête-bêche. Les chiens derrière moi ne les ont pas vues. Je les rapatrie immédiatement plus loin. Je reviens.
Un de mes familiers est à portée. Je lui demande de monter à l'échelle, pour remettre les oisillons au nid. J'en ai deux dans les mains, le troisième sautille à peine plus loin. Derrière moi, Txief a fait le tour de la maison, plus vite que je ne le pensais. Avant que j'aie pu l'arrêter, il a croqué l' hirondelle encore à terre. Je lui hurle dessus, attrape l'oisillon. Le pauvret dodeline de la tête, et se meurt, dans ma main. Les deux autres sont bien vivants, et me griffent légèrement la paume.
Mon familier est moyennement sensible à la cause, mais, sans trop maugréer, juché sur l'échelle, me prend délicatement des mains les deux oisillons rescapés, et les glisse dans leur nid. Quelques minutes à peine plus tard, je vois les parents revenus dans le secteur. Nous aurons sauvé deux petits sur trois.
Je remarque alors dans la cour deux moinillons morts. Deux autres encore tombés sur le balcon.
Ce gros coup de chaleur a été une hécatombe pour tous ces petits étouffant dans leurs nids bâtis sous la charpente. Ils se sont jetés dans le vide, fuyant la fournaise, pour s'écraser au sol. Nos deux petites hirondelles aurons eu de la chance...
Celles de l'étable et de la remise, mieux isolées de la chaleur par deux étages au dessus, s'en tirent toutes indemnes. Du deuxième nid dans l'angle sanitaire, au dessus du surpresseur, sont sortis cinq petits. Dans celui de la porcherie-remise, on en est encore à casser les œufs minuscules. Je retrouve les demi-coquilles près de la balle de foin. De l'autre côté, nos deux rescapés. Une bonne vingtaine d'hirondelles virevoltera très bientôt au matin dans l'étable. Il en viendra d'autres, en principe, des secondes nichées déjà en préparation.
Les hirondelles se sont parfaitement adaptées au réaménagement de la ferme. Ca me rassure, irrationnellement. Ca me comble, naïvement.
En soirée, je profite pleinement de l'air rendu respirable, attablée en grande piété dans ma cour-jardin. Alanguie dans le soir tranquille, je suis toute à ma paix.
Je me souviens de la même époque, l'année dernière. J'étais en fin de migration, bousculée par l'effervescence des travaux encore en cours. J'avais pris des dispositions significatives. Je savais mes décisions pertinentes, et l'avenir ainsi tracé optimal, pour tout le monde. Un an après, j'en suis plus convaincue que jamais.
Cette année, une décision bien plus personnelle fait monter en moi des vagues d'une nostalgie mordante. Cette décision-ci est bien moins évidente, bien plus douloureuse. Ainsi va la vie qui oblige parfois à décider, quand on préférerait ne pas avoir à trancher...
Je me donne rendez-vous l'année prochaine, pour faire le bilan des conséquences.
Mercredi 22 juin 2022 10h
La pluie a fini par tomber, dans la nuit. La végétation va bondir. Le potager s'élance, amazonien.
Là, le couchant étire ses nacres irradiés de lumière douce.
Là encore, je contemple, et j'espère.
Samedi 25 juin 2022 11h
Je termine ma semaine de vacances. J'ai fait le tour de mes parages, en prenant soin de fignoler. J'ai maintenant du temps, même en périodes travaillées. La seule différence notable, est ce petit réveil muet, au matin, cette petite heure supplémentaire à flemmarder au lit. Le temps de sieste est aussi notablement augmenté. Le résultat de ces deux licences cumulées est une sensation de repos complet, ma foi bien appréciable.
J'aurai plaisir tout de même à retrouver mes jeunes collègues, et leurs conversations dépaysantes, dès mardi. L'activité à la jardinerie, en été, est au plus calme. Les livraisons deviennent plus éparses, le clientèle plus rare, les chariots bruyants bien moins nombreux. Le bruit en arrière plan de la zone artisanale et du trafic routier est bien atténué par la construction en arène, et la végétation sauvage derrière la réception.
Je vais attaquer quelques refontes de jauges, histoire d'assainir le stock avant l'inventaire de fin septembre. C'est aussi le temps des analyses chiffrées. Là, je suis dans mon domaine de prédilection. La saison a été honorable, encore au dessus des résultats des années "normales", avant Covid. C'est un grand confort, de travailler dans cette courbe ascendante. J'en ai connu de moins bien tournées. Ca n'était pas la même histoire. Même si je suis maintenant bien moins impliquée, je reste attentive, par réflexe, par goût, surtout.
L'amollissement de mes acharnements passés est perçu comme un bienfait par l'ensemble de l'équipe. Ainsi, j'applique la citation de Marc Lévy :
« Ayez la sérénité d'accepter ce que vous ne pouvez pas changer, le courage de changer ce que vous pouvez et, surtout, la sagesse d'en connaître la différence."
A la lettre. Quand avant je ne l'aurais jamais faite, cette différence, persuadée que je pouvais effectivement tout changer, à condition de le vouloir suffisamment fort. Ah là, là... je ne doutais de rien, en ce temps là !
"Esos tiempos fueron", comme dit l'espagnol. Je ne m'accroche plus, maintenant, et ça me réussit mieux.
Avec tout ça, je n'avance pas mon Ménière. Il pleut, aujourd'hui. Je vais peut-être y faire un tour, cette après-midi.
Ca me distrait de mes nostalgies stériles.
17h30
Le ciel brouillé de bruine m'a rendormie, tout à l'heure. L'après-midi était déjà bien avancée, quand je me suis rendue fonctionnelle.
Après les 43 ° de samedi dernier, nous en sommes, une semaine jour pour jour après, à 14 ! La nature respire et se détend. J'ai fait le tour de mes châtaigniers. Cerclés dans leurs tubes de protection en plastique alvéolé, ils ont du sentir passer la pointe de température. Seules, quelques feuilles ont grillé. J'ai été agréablement surprise. J'ai repris quelques colliers de serrage : TtonytaPetra, à temps perdus, les mignotent sans doute, les faisant monter ou descendre.
Le potager exulte, lui aussi. Nous allons voir ce que donne le paillage en copeaux et sciure, par temps plus humide. Nous avons déjà récolté les premières salades, celles que les vers gris n'ont pas sciées à la base, des courgettes, des concombres, quelques cerisettes et un piment. Les patates "neuves" arrivent. J'ai ressemé de la laitue, en caisse, et des carottes, là où étaient les romaines.
Toutes ces petites occupations ont bien agréablement rempli mon temps d'après sieste.
Je me rends bien compte du peu d'intérêt de mes notes. Je ne les relis moi-même pas trop, sur le vif, consciente de leur inanité. J'ai plus de plaisir par contre, à les revisiter à distance. J'aime retrouver l'ambiance de ces moments inconsistants, que la mémoire ne retient pas. J'attribue cette fonction prépondérante à mon "bloc" : celle de réserve de bric et de broc, de fourre-tout en méli-mélo, de garde bricoles et pacotilles. J'y retourne comme on ouvre un tiroir à bazar, pour s'attendrir sur un colifichet associé à un joli souvenir, oublié sans lui. Couplée au plaisir de la musique des mots, elle justifie largement mon assiduité à l'écriture.
Dans mes périodes fébriles, mes chroniques déversent certains excès. Ils sont mieux là qu'à engorger mes circuits vite en surchauffe.
Par les temps plus dolents, où la mélancolie me rattrape, elles m'en distraient. C'est une manière de sauvegarde.
Une nostalgie particulière me talonnerait vite, ces dernières semaines. Je m'en méfie. Ces regrets d'un temps passé, définitivement révolu, ne m'aident pas à avancer. Il y a en moi un faux ami : un de ceux là habiles à vous tourmenter, à fouailler dans vos tripes qu'ils connaissent très bien. Ils appuient là où ça pince. Ils vous représentent ce que vous avez perdu, comme quelque chose de possible encore.
Pour vous en persuader, ils font remonter de votre mémoire les meilleurs moments de ce passé, ces moments qu'évidemment vous regretterez. Ces moments souvent chronologiquement antérieurs ou alors inférieurs en nombre ou en intensité, si la décision de la perte vous incombait, et que vous l'avez prise. Et pourtant, ce sont ceux-là qui vous reviennent, au premier plan, remettant en cause la dite décision. En plus du sentiment désolant de la perte, vous avez celui de la culpabilité d'en être responsable. C'est une petite torture infligée en boucle. Une méchante spirale où j'aurais vite fait de me laisser reprendre.
Je m'astreins à rectifier cette représentation biaisée. J'y accole l'autre réalité, celle qui m'a décidée à me détourner. J'ai suffisamment longtemps hésité, suffisamment longtemps pensé que l'avant reviendrait, vierge de toute pollution. Je ne vais pas m'embourber davantage.
De cette nostalgie, je vais décanter les regrets stériles, et garder la gratitude d'avoir eu la chance de vivre tous ces bons moments. Et il y en a eu beaucoup.
Le passé ne se reconquiert pas. Il se revisite. Ca aussi, c'est une des fonctions de mon "bloc". En plus des instantanés en direct-live, il y a les "rétrovisions" recoloriées. Et, tant qu'à faire, joliment, recoloriées.
J'ai cette chance immense d'avoir une vie très préservée. Très anodine, et pourtant propre à me la faire sentir intense. La noirceur ne m'a jusqu'ici pas trop frôlée. Suffisamment pour que je la reconnaisse quand elle s'approche. Je veille à ne rien faire qui risquerait de la rameuter.
Encore un de ces chapitres obscurs où je prends le risque de ne plus retrouver moi-même de quoi il était question ! Et bien, ce sera la preuve alors que ce qui me tourmente aujourd'hui n'en valait pas tant la peine...
Vendredi 1er juillet 2022. 11h
De quasi quotidienne, mes chroniques deviennent bimensuelles, ou peut-être même trimestrielles. J'ai moins d'urgence à montrer, à justifier. Je cherche bien moins l'approbation. Je pense que c'est une bonne pente. Boris le dit, je le suis.
J'ai ce matin appliqué sur l'échine de TtonytaPetra l'antiparasitaire idoine. Je me souviens d'avoir supputé une réaction de Ttony, l'année dernière, après la même opération. La possibilité d'une piqûre de serpent, avancée par la grande Kattrin rameutée pour l'occasion, avait brouillé les pistes. Ma Ttony manifestait sur les jours suivants la médication une atonie inhabituelle. Là je m'inquiéterais moins, si ça advenait.
Pour le moment, elles ont juste semblé incommodée par le picotement de l'imprégnation transcutanée. Là, elles ont déjà oublié le désagrément, et croquent en cadence le foin nouveau de l'année. Cette saison est de pénurie en fanaison. Je maintiens fanaison, quand je lis plutôt fenaison. Gueguel ne me corrige pas, les deux doivent se dire. On "fane" le foin, on ne le "fene" pas. La "faine", c'est le fruit du hêtre, rien à voir. Parenthèse vocabulaire.
Le prix monté en flèche des engrais a refroidi le paysan. Et, même pour celui qui n'a pas hésité à mettre la main à la poche, la sécheresse printanière n'a pas permis l'absorption correcte par les racines dudit engrais.
Conséquemment à cette pénurie générale, je vais appliquer une traque au gaspillage plus raisonnée. Fini le temps où le foin finissait en litière, piétiné par les génisses exigeantes, habituées à consommer les meilleurs brins. Quand le râtelier, et l'auge en dessous sont vides, je regarnis. Pour les amas dédaignés, rejetées par terre d'un coup de corne latéral, je les remonte, une fois. Ensuite seulement, je me résous à recycler le fourrage seconde classe en litière.
Dépitées devant le râtelier vide, TtonytaPetra revisitent leurs refus, et y trouvent de quoi se sustenter, jusqu'à la prochaine distribution de frais. Je vais noter les durées de consommation de chaque balle. En principe, elles durent une vingtaine de jours. Ramené à l'année, j'ai ainsi l'utilisation d'autant de balles.
Les temps sont à l'épargne, des biens de consommation enchéris, des énergies aux approvisionnements contrariés. Je pratique. Quand, autour de moi, on ne semble pas trop s'inquiéter, pourtant. Belle insouciance, manque de lucidité ? Cet hiver devrait parler.
Pour en revenir à nos moutons-génisses, en plus de cette opération antiparasitaire annuelle, je pratique des onctions insecticides plus légères, ponctuelles, sur les jours orageux et chauds, où les mouches mauvaises piquent fort. Sur les mufles et autour des yeux un simple répulsif est mieux indiqué.
TtonytaPetra prospèrent bien. Elles ont quatorze mois. Un an bientôt qu'elles sont chez moi. Je dirais qu'elles pèsent pas loin de 400 Kg, à vue de nez. Elles grandiront sur plus de deux ans, encore. Elles devraient être d'un joli gabarit. Ma seule réserve concerne l'encornement de Petra, toujours tourné vers le bas. A suivre...
L'autre volet de mes activités, mon potager en permaculture, tient ses promesses. J'y trouve un bel agrément, sans aucune peine. Un peu comme dans le suivi de mes bacs à fleurs, à leur opulence maximale, maintenant.
L'heure du déjeuner approche. Je vais m'en retourner à mes casseroles.
J'entends en bas les pépiements des hirondelles. Dans la dernière nichée de la remise, cinq petits triangles orange s'alignent, quand les parents s'approchent pour la becquée.
Mon logis s'est garni, mieux que je ne l'espérais pour la première année.
Je veux y voir de bonnes augures.
14H
Je passe dans la porcherie-remise pour ranger quelques outils de jardinage. Une bruine fraîche n'incite pas à s'attarder dehors.
Sur l'étagère dans l'angle, les cinq petites hirondelles encore ébouriffées de duvet s'entassent dans leur nid trop petit, fait à la va-vite. Ce sont les plus jeunes des premières couvées. Ici, le plafond est plus bas. J'espère qu'elles sauront s'envoler, et se mettre hors de portée des chiens toujours à l'affût d'un sale coup.
J'ai cette tendance désolante à souvent imaginer l'issue mauvaise. Quand elle l'est globalement rarement.
La faille en creux veille. Je la tiens à l'œil. Les contemplations naïves sont parades efficaces. L'activité soutenue sans excès l'est aussi.
J'ai, en plus de ces manœuvres de sauvegarde habituelles, entrepris un petit redressement alimentaire. Une gourmandise coupable me caraméliserait vite le sang, si je n'y prends pas garde. La lymphe ainsi engorgée ne doit pas aider les cheminements légers d'une pensée positive. Quand, dans les fluides épaissis, le marasme doit se vautrer comme la truie dans la fange.
Je m'équipe et m'apprête au petit combat que je sens poindre. Mes saines résolutions m'aideront; je l'espère.
Mercredi 6 juillet 2022 7 à 15h
Une heure plus tard, l'hirondelle avait bougé. Elle se tenait maintenant en bout de la clôture.
Une bruine légère tombait. Elle faisait un brin de toilette, étirant ses ailes l'une après l'autre, et lissant son petit poitrail plume par plume. Elle ne s'était pas élevée, mais bien ragaillardie. Mes chiens s'apprêtaient à la sieste, elle ne risquait pas grand chose pour le moment.
Deux heures après, l'hirondelle n'y était plus. Je refis le tour des parages, inspectait l'herbe près de la murette et en bas, dans le pré. Pas de volatiles à l'horizon. La rescapée et son escorte avaient levé le pied.
Nous en sommes à quatre hirondelles sauvées cette saison. C'est honorable.
J'ai la superstition commune de penser les hirondelles porteuses de chance.
Quand je prends ainsi en main le sort de l'une d'entre elles, j'y mets une foi bien plus large que celle de son seul destin. J'y relie le mien, misant avec ses chances de survie, celles du succès de mes petits projets en cours. Si elle s'en sort, me dis-je à chaque fois, telle ou telle affaire marchera !
Autant dire que je mets dans mes tentatives de sauvetage une dévotion païenne des plus converties. Je ne saurais dire si l'histoire m'a souvent donné raison. Je ne tiens pas de statistiques précises de mes interventions. Quand le feuilleton finit mal, je m'arrange pour y trouver une explication suffisante à expier mon manquement, et alléger par là-même l'ombre d'une menace déraisonnable.
Je veux bien croire aux promesses d'une irrationnalité patentée. Pas me plomber de ses funestes présages...
Pour ça aussi, les légendes ont du bon !
Samedi 9 juillet 17h10
La journée est magnifique. Ciel pur et profond, soleil chaud, brise légère.
Ces deux derniers jours ma Bullou m'a fait du souci. Une petite attaque de vers parasitaires, semblerait-il, me l'a effondrée. Des quintes de tentatives de crachage très spectaculaires m'ont sérieusement inquiétée. Les tous jeunes chiens s'asphyxient parfois d'être trop infestés. Elle, petite vieille, à l'autre bout de la chaîne, serait si vulnérable aussi ? Elle est pourtant en bonne forme.
Je soupçonne plutôt son tempérament trop nerveux. D'un rien, elle se fait une montagne, hyper-sensible qu'elle est. Tel maître, tel chien...
Une petite pastille de vermifuge plus tard, tout va mieux. Pour elle aussi, la molécule !
Aujourd'hui, elle s'étire au soleil, un peu fatiguée encore, la pupille un tantinet chiffonnée.
Pauvrette, elle se remet. Je me demande si elle ne joue pas un peu de son état, la petite bougresse...
Lundi 11 juillet 2022 16h30
Finalement, ma Bullou n'est pas sournoise comédienne. Elle couve bien en son for une douleur vive. Toute la nuit dernière, elle a ahané, suffoquant péniblement, d'une respiration saccadée, où elle gonflait exagérément sa cage thoracique et creusait son abdomen, en expirant un gémissement poignant. J'ai cru que je la perdais.
Toutes les deux, les yeux dans les yeux, elle en supplique et moi en prière, nous avons lutté. La tenir contre moi l'apaisait, ou du moins, m'apaisait, moi. Je l'avais allongée de tout son long sur le lit. Comme elle cherchait à garder sa tête soulevée, je lui avais glissé dessous un oreiller. Ainsi, par moments, ses tentatives se faisaient moins crispées.
Pour le petit matin, elle et moi épuisées nous nous sommes finalement assoupies. A notre réveil une heure plus tard, Bullou paraissait moins douloureuse, mais bien fatiguée, aussi. Elle regardait droit devant elle, et ne paraissait pas me sentir quand je la caressais.
Il était encore trop tôt pour la mener chez le vétérinaire. A deux heures du matin, j'avais bien pensé au service de garde. En les appelant au téléphone, je tombai sur une plateforme à Biarritz. Je me voyais très mal, conduisant sur un tel trajet avec Bullou à mes côtés, susceptible de vouloir venir sur moi à tout moment. En pleine nuit, mes alarmes me paraissaient peut-être exagérées : les chiens halètent parfois longtemps, quand ils ont trop chaud, ou trop peur, sans dommage pour leur survie. Je renonçai alors à appeler de l'aide en si grande urgence.
Au jour levé, je m'occupai de TtonytaPetra, laissant ma Bullou sous la garde de Txief, qui ne la quitta pas d'une semelle tout ce temps là, quand d'habitude il vaque en extérieur avec les autres. Lola, elle, ne s'émut pas, assez indifférente au sort de la Bulle.
Ma petite chienne semblait moins dramatique, son souffle toujours trop rapide avait retrouvé une amplitude à peu près normale. En attendant de pouvoir appeler la clinique vétérinaire de la plage, j'installai ma mini-meute dans la voiture. Sécurisés, les deux valides contents comme pour une promenade, ils s'installèrent, et attendirent sagement. Bullou redressait un peu la tête, elle avait meilleure allure. La voyant mieux, j'eus un moment la tentation coupable de renoncer à l'emmener, pensant à la facture qui s'ensuivrait... Honte à moi !
Un encore moment plus tard, nous étions dans les mains de l'ange Bégonia. Prise de sang, échographie, radio, toute la panoplie de l'investigation médicale fut mise en branle. Ma petite terreur se tenait coite, penaude, toute molle dans mes bras. Chaque nouvelle opération alignait dans ma tête des dizaines et des dizaines d'euros. Qu'à cela ne tienne : puisque Paris vaut bien une messe, ma Bullou peut bien valoir quelques frais !
A l'examen poussé, la petite chienne s'avéra engorgée, sérieusement enflammée dans ses systèmes digestifs. On pouvait pallier, soulager sa souffrance, et la remettre en état de marche. Ouf !
Bullou resterait en observation la journée. Emotive comme elle l'est, elle est capable de nous faire une petite dépression. Je pense plutôt que, libérée de ses douleurs, elle va se faire une bonne sieste dans sa cage à la clinique, après sa nuit épouvantable. Comme sa patronne ici.
Je suis bien soulagée : ça peut paraître idiot d'être aussi sentimentale, mais je me sens toujours très compatissante avec mes bêtes, grosses ou petites. Qu'on ne vienne pas me dire que je ne le suis pas avec les humains ! Méchantes langues... L'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire.
18h40
Ma Bubulle est de retour. Son frère l'a attendue toute la journée.
Là, toute alanguie, elle se repose dans son cab. Sa prochaine nuit lui sera meilleure. Et la mienne aussi.
Dans la remise, les cinq petites hirondelles entassées dans leur nid se sont aventurées sur la planchette de support. Alignées là, elles regardent les parents virevolter par l'imposte. Elles ne sont pas suffisamment aguerries pour se lancer elles-mêmes. Avec ce plafond bas, je craignais qu'elles ne stationnent par terre, à leurs premiers envols timorés, à portée de ma guerrière Bullou. Là, pour le coup, la chasseuse est inopérante, et les oisillons seront moins menacés.
J'ai quand-même barricadé la remise avec un portail improvisé à claire-voie, d'un petit mètre de hauteur. Ainsi, les hirondelles pourront glisser d'imposte en porte grand bée, à l'abri de mes petits prédateurs d'occasion.
Cette petite Bullou est bien capable, dès demain, de se remettre suffisamment sur pieds pour me faire un sale coup de ce genre, pendant que je suis à la jardinerie !
Mercredi 13 juillet 2022 16h30
La chaleur est annoncée montante sur la fin de semaine.
Là, stratégiquement positionnée dans un courant d'air bienvenu, je suis aux petits oignons. Mon pilier délicat est passée me voir tout à l'heure, nous avons devisé bien agréablement, dans l'étable comme salon, parfaitement bien dans l'ambiance fraîche.
J'ai bien senti la masse lourde du soleil écrasant, hier, en début d'après-midi, sur ma nuque, pendant que je sondais à la jardinerie le bitume, pour tenter de localiser l'origine d'une vilaine fuite d'eau, épandue en nappe incongrue dans une allée entre deux jauges. Vaincue par la grande chaleur et la difficulté de la tâche, j'ai laissé ça pour ce matin à des mains mieux bâties pour ce genre d'ouvrage.
La dernière nuit a été fantastique d'un clair de lune déversé dans la chambre par la porte-fenêtre grande ouverte. Je suis sortie sur la terrasse pour contempler l'astre levé entre la Rhune et les Trois-Couronnes. Je la connaissais davantage bien plus au nord-est, du côté de la pinède qui n'en est pas une. Les reliefs du disque parfaitement rond s'inscrivaient en contrastes sombres.
C'était magnifique. Ca inquiétait les chiens. Nous n'avons encore une fois pas beaucoup dormi.
Ma Bullou se remet doucement. J'ai voulu la nourrir un peu, hier soir, en rentrant. Ca n'était sûrement pas la meilleure chose à faire : elle a raclé de la gorge toute la nuit, comme une perdue malheureuse. Ses muqueuses sont encore douloureuses, et trop sensibles. Pour aujourd'hui, puisqu'il faut quand même que cette petite mange, j'ai prévu de l'aliment onctueux, doux au palais, qui devrait glisser sans dommages. Les injections buccales de phosphate d'aluminium tapissent toutes ces parois hérissées en un onguent protecteur.
Je suis ici trois jours consécutifs, pour cause de 14 juillet férié, et fermé, à la jardinerie. Nous ne chômons que quatre jours par an : le 14 juillet, le 15 Août, Noël et le 1er janvier. Autant dire que nous apprécions ! Je vais ainsi pouvoir suivre ma Bullette au mieux. Pour la fin de semaine, elle devrait avoir retrouvé un système digestif apaisé, et sa pupille malicieuse.
Jeudi 14 juillet 2022 16h
Bêtes et gens restent encore reclus en intérieur. La brise aujourd'hui est plus vive, et pare à l'inconfort des températures toujours hautes.
J'ai ce matin œuvré utilement au jardin. Je refais une tentative de repiquage de salades en pleine terre. Après les cinq rescapées de la dernière planche de 24, je suis échaudée. Là, j'ai semé des graines, et l'investissement moindre me rend plus aventureuse. Si les vers gris rongent à nouveau mes collets, me resteront toujours les plants repiqués en caisse.
Les reines de la contrée sont les courgettes, luxuriantes, d'un vert profond, tout droit ourdi d'une belle plaque de fumier là dessous, sans doute. La butternut marque le pas, vire plus pâle. Elle est chargée de fruits, et se déverse sur les melons eux-mêmes en promesses. J'ai une petite surproduction de concombres : nous en mangeons matin, midi et soir, avec un engouement en perte de vitesse, je dois dire...
Les tomates, l'aubergine et les patates sont en devenir. Seuls, les piments décevraient, tout en jambes, mais fluets, porteurs de petits fruits longuets, mais bien fins. L'échalotte et l'oignon, perdus sous toute cette végétation, étirent quelques feuilles anémiées. Je ne mise pas grand chose là dessus. J'ai mangé les premières fraises. Les framboises ont séché sur pied : on ne réussit jamais tout tout à fait...
Pour la saison prochaine, je pense adapter ma technique en fonction des enseignements de cette première presque permaculture. Le paillage donne entière satisfaction, et j'y adhère sans restriction : un désherbage si facile, on ne s'en prive pas ! Pour la retenue en eau, je me demande si les montées de terre en buttes ne viennent pas contrarier l'effet de la couverture. L'humidité là dedans filtre plus vite, tout de même. Je vais je pense combiner paillage et pleine terre franche. Mes couches carton-sciure-fumier-compost, juste à côté, maturent gentiment. Ce carré là me sera planche d'essai, dès cet automne, ou le printemps prochain. J'ai sondé ce matin le mille-feuilles, et le carton là dessous paraît encore bien intégral.
Les chiens m'attendaient tout ce temps sous le poirier aux branches ployées d'innombrables fruits. Bullou se remet doucement. Elle s'étrangle encore dès qu'elle s'agite, ou ingurgite quelque chose. Son état général est quand-même bien meilleur, et elle reprend du tonus, par petites séquences, entre deux pauses de convalescence. Si je me fie à la théorie du neuvième jour pour le virage vers le bon en matière de santé, (et je m'y fie), début de semaine prochaine, elle devrait retrouver son allant. Sinon, nous serons quittes pour une autre visite à Bégonia.
Les dernières petites hirondelles du premier jet ont quitté le nid. La remise est étrangement silencieuse après leur départ. Les adultes reviendront sans doute pondre très vite, pour la seconde couvée. Dans l'étable à côté, ils en sont déjà aux prémices amoureuses...
Une grande amoureuse, sur la soirée d'hier, ce fut Petra. Elle sera définitivement une "mugisseuse" en ses périodes de rut. Son ton de voix est plein, profond, plutôt dans les graves. A choisir, c'est mieux que les barrissements assourdissants d'autres que j'ai eues, comme la blanche Ederra.
Ma Petra est si attachante : je lui trouve des qualités, même en ses défauts ! Nigaude que je suis...
Dimanche 17 juillet 2022 11h40
J'attends mes convives pour le déjeuner. La forte chaleur commence à se faire sentir sérieusement. Bêtes et gens s'accommodent comme ils le peuvent. Pas de climatisation, ici. Une gestion optimale des courants d'air, des façades à l'ombre ou au soleil, pallie, imparfaitement. Les nuits restent respirables et permettent de récupérer.
TtonytaPetra bénéficient de l'étable fraîche, de l'ombre des arbres, de mes brumisations (qu'elles n'apprécient d'ailleurs pas trop), de ma lutte constante contre leurs mouches. La claire Ttony pleure, et s'attirerait ainsi les insectes enragés, si je ne lui appliquais pas des répulsifs, plus ou moins efficaces. Une toilette régulière des yeux la soulage. Je suis ici demain aussi, annoncé plus chaud encore. Je pourrai veiller sur mes génisses, au mieux.
J'ai aussi distribué des points d'eau dans des coupelles posées sur le bâti de la charrette d'Antxo. Je ne suis pas sûre que mes hirondelles s'y rafraîchissent, mais bon, l'intention y est...
Sur ces deux journées, je vais me remiser à l'ombre. Sortir en soirée pour abreuver les plantes. Refroidir les chiens en les mouillant régulièrement. Toute la panoplie grand chaud est en branle.
J'ai l'impression que les organismes s'adaptent. Dans mon enfance, un 32 annoncé affolait et nous cloîtrait dans les maisons fermées. Là, le 42 fait tiquer, mais, puisqu'on l'a pratiqué, supporté, on sait pouvoir le pratiquer et le supporter encore, si nécessaire. On apprend vite à parer au mieux, quand nécessité fait loi...
Lundi 18 juillet 2022 10h42
Le soleil persiste à écraser son monde. Pour le moment, un semblant de brise frétille encore dans la frondaison des carolins. Le si léger mouvement d'air, recueilli dans les reliefs en creux des feuilles, est renvoyé comme par un revers de joueur de tennis.
La proximité de mes grands arbres fait baisser la température de quelques petits degrés. La vision de ce mouvement rafraîchissant, même à peine perceptible, suffit à donner une illusion de mieux-être. Cette après-midi, quand la brise se fera brûlante, il va peut-être falloir renoncer à capter ce demi-mirage. Je vais me résoudre bientôt à tout refermer, comme il est sage de le faire, dès le petit matin, par ces jours de canicule.
La nuit, la maison reste grand bée, les portes et fenêtres calées en position ouverte. Hier au soir, même à près de 23 H, cela ne suffisait pas. Je me suis endormie dehors, sur la terrasse, les chiens encore haletants autour de moi, en admirant le ciel étoilé. Le petit coup de vent de milieu de nuit nous a réveillés, et nous nous sommes rapatriés dedans, un peu courbatus de la station allongée sur les dalles bétonnées, même amorties par l'épaisseur du gazon artificiel.
J'ai cet inconfort chevillé de me sentir étouffée dans une maison fermée, quand dehors le soleil brille. Même presque cuisant. Je trouve quand-même agrément dans les pièces climatisées. Ce matin, ma petite halte au Lidl, rafraîchi à 25 °, m'a parue bien agréable. Pourtant, ici, tout fermer pour garder la fraîcheur me paraît incongru. Evidemment, un climatiseur tournant gentiment, à grands coups de kilowatts, ferait vite taire mes tergiversations existentielles...
Bullou est comme moi, complètement subordonnée à un émotif irrationnel. Au lieu de s'étaler ici dans un filet ténu d'air encore respirable, comme le font les deux autres, elle s'entête à rester là haut, au plus près de la toiture surchauffée, dans son cab tapissé d'un plaid en laine !
Affolée par ses étranglements, de plus en plus rares, heureusement, elle se sent plus en sécurité dans la chambre, là où les autres ne viennent pas. Quitte à risquer le coup de chaud. Je lui passe régulièrement un linge humide sur le mufle et les flancs. Elle me voit arriver avec ma serviette mouillée, inquiète, se demandant si ce n'est pas encore pour lui faire avaler un comprimé, ou lui enfourner dans la gorge son emplâtre digestif.
Cette petite est excessivement sensitive. Un petit mieux, et elle repart, toute guillerette, chasser le mulot dans le pré, ou aboyer comme une furie après un chien voisin. Une quinte de toux, et elle monte immédiatement, queue basse et regard pitoyable, se terrer. Je louvoie là dedans entre soulagement enthousiaste et alarme exagérée. Nous sommes en osmose cosmique, elle et moi : nos émotions respectives se reflètent dans le même prisme aux multiples facettes mouvantes.
Objectivement, et j'en suis quand-même capable, elle est nettement mieux. La poursuite de son traitement s'avère sûrement nécessaire : Bégonia me confirmera. Accrochée à ma tablette d'anti inflammatoires et ma seringue d'onguent, je veille ma Bullette.
Je soupçonne Bégonia d'éventer chez la maîtresse des angoisses plus vives que les douleurs de la chienne. Qu'à cela ne tienne ! Je n'en suis plus à espérer un regard admiratif sur un quant à soi envolé. L'essentiel est dans notre bien-être, à mes bêtes et à moi, quels qu'en soient les moyens, et les opinions environnantes.
TtonytaPetra souffrent aussi du trop chaud. L'image catastrophique de milliers de vaches, renversées pattes en l'air, ventres gonflés, mortes de chaud, ne me taraude tout de même pas. Les prairies planes des régions semi-désertiques des Etats-Unis, infinies sous un soleil ardent, où les points d'eau sont sûrement à distance, sont bien loin de mon joli pré ombragé, et de mon abreuvoir toujours à portée, où l'eau fraîche gicle à la moindre poussée.
Plus que quelques heures difficiles à tenir, et mon petit monde à quatre pattes retrouvera son bien-être tempéré.
Je vais m'enfermer, donc, lire, me distraire de quelques séries légères que le "Replay" me concède maintenant à la demande. Sortir au soir pour vaquer un peu, puisque le frais nous est pour alors annoncé.
19 H
Enfin le coup de vent tant attendu aujourd'hui !
Je n'ai rien trouvé de mieux à faire, puisque j'étais enfermée ici, que de me mettre à un ménage approfondi. J'ai récuré tous ces coins et ces plans gentiment empoussiérés par une négligence très bien tolérée. Le résultat de cette activité pourtant gentillette, a été une sudation poisseuse des plus désagréables. Transpirer ainsi comme une vache, (quand une vache ne transpire jamais à grosses gouttes comme nous, elle se perle d'eau) a du drainer les toxines engorgées dans mes pores.
A ce soir, c'est le soulagement de pouvoir enfin tout ouvrir. Les intérieurs suintent encore leur chaleur. La brise accueillie toutes portes ouvertes va nous dégager tout ça.
Mardi 19 juillet 2022 6h45
Après la journée effectivement étouffante d'hier, quelques nuages parlent de plus frais.
Le monde respire mieux.
Mercredi 20 juillet 2022 15h30
Bêtes et gens récupèrent par un petit 23 au compteur.
Bullou paraît épuisée, mais n'est plus du tout douloureuse. Elle mange et lape l'eau avec avidité, sans s'étrangler. De ce côté, l'affaire est réglée.
A la jardinerie, une très douce Anne-Laure me partage son expérience du Ménière. La maladie concerne paraît-il cinq personnes sur mille : il fallait un sacré coup de chance pour tomber sur elle, dans un effectif de 25 ! Anne-Laure ne reste pas parmi nous. Nous échangerons en dehors. Elle a des contacts dans le domaine de la culture (pas l'agricole, l'autre). Qui sait, mon petit livret entrepris trouvera-t-il par son biais un débouché ? Quoi qu'il en soit, comme ces temps-ci j'écris beaucoup moins, ledit livret n'avance pas. Comme je n'y ai pas d'enjeu, le calendrier m'autorise le plein relâchement. Comme j'ai changé...
Je retrouve par contre une meilleure assiduité à la lecture. Ca m'aère bien la tête.
Dimanche 24 juillet 2022 15h30
Une petite pointe raisonnable à 35 me maintient dans le filet d'air de la salle maintenue dans une pénombre rafraîchissante par elle-même.
J'ai ce matin réalisé à côté quelques réaménagements : quelques électroménagers maintenant surdimensionnés ou inutiles ont trouvé meilleur acquéreur. J'ai ainsi libéré une jolie place, et rééquilibré les volumes plus harmonieusement dans l'espace. La réduction drastique des meubles dans mon nouvel habitat laisse peu de marges de manœuvres à des modifications significatives. Tout juste puis-je jouer sur la disposition des quelques bibelots rassemblés ici, ou des images que je fais suivre. Qu'importe ! Mon goût pour les changements de décor trouve toujours à se poser sur quelque projet sans ambition, suffisant à contenter mes aspirations bien modestes.
Mon "bloc" se fait papillon, tout léger d'un quotidien anodin. La période est fluide d'un temps sans accrocs ni cahots. J'y trouve une sensation très agréable de la maîtrise d'un temps où j'ai tout loisir de caler des occupations futiles. Et cette futilité me paraît bien agréable...
Jeudi 26 juillet 2022 7h et 21h
Mon petit monde est en ordre.
Jeudi 28 juillet 2022 7h et 21h
Le crépuscule pâlit des promesses de l'aube. Ne les tient pas.
La terre est pourtant assoiffée, en ce juillet si chaud. Cette année, l'été marque une empreinte bien nette. Si, l'année dernière, la saison maussade attristait le vacancier, là, ce petit monde pourra faire le plein de plage et de soleil.
Vendredi 29 juillet 2022 16h30
Toujours pas de pluie. A peine quelques nuages assombris ont roulé ce matin, suintant une bruine inconsistante. Là, le ciel a retendu du grand bleu, à peine boursouflé sur les montagnes.
Je reviens d"en ville". Après la balle de foin rentrée ce matin, j'ai réapprovisionné deux sacs de luzerne. 20 jours de rations sont assurés pour TtonytaPetra. Elles continuent de pâturer, dans le pré asséché où seuls quelques chiendents aux épis collants et deux trois rumex rugueux de leurs épis à pleine maturité continuent de pousser. Le reste est au point mort, et elles râclent la terre, pour ce qu'il en paraît.
Les châtaigniers souffrent : un des jeunes plants de l'automne dernier, sorti pourtant de son tube avec quelques feuilles, ne tend plus maintenant que deux ramilles bientôt sèches, sans doute. Je referai une inspection approfondie de mon bosquet en début d'automne. Et j'aviserai pour voir qui je remplace, ou pas.
Le potager s'en tire mieux de sa petitesse. La réserve d'eau n'est pas tout à fait tarie, et le paillage maintient l'humidité.
C'est l'été, quoi. Je préfère, et de loin, l'automne, sa douceur et ses couleurs, ses journées maussades aussi, au calme si profond. Il n'est que d'attendre...
Je me suis replongée dans la lecture, ces dernières semaines. Quelques livres légers, au dépaysement agréable, suffisent à me faire voyager dans ma tête. C'est bien agréable d'avoir à portée un bon livre, qu'on rouvre le soir comme une gourmandise. En journée, je ne lis pas, toute occupée que je suis par ces petits riens qui me prennent tout mon temps.
Pour l'écriture, je cherche un moyen d'allier sécurité d'archivage, et parole intimiste. On n'écrit évidemment pas pareil, que l'on se sache lue, ou pas. Une bon fond de cabotinage me tient. Bien plus que le goût de partager la musique des mots, c'est l'orgueil de penser le faire joliment, et de le démontrer, qui me plaît dans la publication. Une incontestable frustration d'écrivaine ratée trouve ici un exutoire passable.
Pour autant, quand je relisais mes carnets, je retrouvai des remarques plus personnelles, qui me manquent ici. Pour les petites anecdotes "tout-venant", au pittoresque savoureux mais de surface, le "bloc" fait parfaitement l'affaire. Pour les plongées dans les ambiances fondues de moments dont la trace se perdrait si je ne les avait pas consignés, je peux aussi compter sur mes chroniques babillées.
A la relecture de ces lignes, je décrypte derrière un arrière-plan accessible à moi seule. Je ne suis pas sûre de pouvoir le faire dans longtemps, tant je me cache parfois là où l'on ne s'y attendrait pas, et où je ne suis plus sûre moi-même de m'y retrouver. Je m'égare parfois, et, je le crains, je m'y perdrai.
La civilisation n'y perdra pas grand chose, bien-sûr. Moi, j'aurai ce sentiment de perte d'un temps lointain, comme si je voyais s'effacer la femme mûrie, depuis un futur où je serais devenue une femme irrémédiablement vieille.
La relecture de mes carnets d'avant, la réappropriation de ces moments où l'écho des mots me renvoie la voix d'une jeune femme pleine d'assurance, me restitue l'état de mon esprit d'alors, fidèlement et sans pudeur. Cette voix parle sans masque et sans voiles, elle ne s'adresse qu'à moi, à mon moi du futur. Enfin... quand elle n'est pas détournée et cambriolée par un indélicat... Paix à son âme !
J'aime à retrouver cette jeune femme pleine de certitudes, puisque j'ai depuis eu le temps de les perdre une à une.
Je regrette, et je regretterai toujours, la disparition de mes premiers carnets, ceux que j'avais écrits entre la sortie de la petite enfance, et la près-quarantaine. Bien-sûr, comme il est dit sur les plaques tombales, le souvenir reste. En fait, il ne "reste" pas, le souvenir, il bouge, et se déplace au fil des années et des retours en mémoire. Il se transforme, et se pétrit dans une histoire de plus en plus longue, où il s'éloigne de plus en plus de ce qui faisait son argile au départ.
Moi, j'aime à retrouver le moment d'avant, tel que je l'ai vécu alors, pas tel que je m'en souviens. Je comprends parfaitement l'intérêt du travail de mémoire, et son bienfait, quand il estompe ce qui est trop vif, et le colore en pastel plus digeste. Mais je voudrais quand-même pouvoir choisir de refaire l'histoire à ma façon, en sachant ce que j'y change. Histoire de comprendre au plus près de la vérité, quitte à m'y écorcher un peu.
Je me leurre peut-être complètement. J'écris et je serai lue, je le sais. Dans ces conditions, je biaise forcément. Je le disais je ne sais plus quand, la civilisation le demande !
Si nous balancions tous sans filtre tout ce qui nous passe par la tête, si nous étions toujours et scrupuleusement honnêtes et sincères, ce serait la guerre civile à tous les étages et à chaque coin de rue.
Notre propre pensée ne nous concède déjà qu'une fraction de son essence. Nous nous taisons beaucoup de choses, plus encore que nous n'en taisons aux autres, peut-être, et davantage encore nous restent inaccessibles, et restent inaccessibles à ceux qui nous entourent. Encore que parfois, de là où ils sont, ils sont sur nous plus clairvoyants que nous ne le sommes !
C'est un mode de fonctionnement sûrement salutaire. Je me souviens de ce dont je dois me souvenir. Mes relectures à distance, retravaillées par un inconscient bon gardien, n'éclaireront que ce qui doit l'être.
J'ai pensé ne pas "publier" mes articles. Les confier à Gueguel en archives. Ainsi, j'aurais eu l'assurance de les savoir conservés, hors de portée d'autres que moi, à part ces Guegueliens virtuels et sans consistance saisissable, bien indifférents à mes logorrhées inoffensives.
L'ennui est, qu'à l'impression, un "aperçu" indélicat s'étale en gros en travers de la page. Je ne recherche pas un travail impeccable, mais tout de même, cette saignée violente me dérange à l'œil, et à la lecture. Ainsi, je me justifie à l'économie de mon aspiration prétentieuse à paraître...
La vie en société impose des niveaux, enferme dans des cercles. Disons que je m'ébats dans le premier, au plus près de moi, et de ce que je peux en proposer aux autres, sans me dédire ni me rendre trop vulnérable.
Je trouverai déjà là de quoi alimenter ma curiosité future. Ma bienveillance la nourrira sainement.
Ma prochaine chronique sera ainsi au long cours. Au cours long d'une vie maintenant confortablement alentie.