lundi 18 octobre 2021

1er au 18 octobre


Vendredi 1er octobre 2021  7h40



Les incendies de l'aube parlent de mauvais temps à venir.

17h

Je profite de la magnifique après-midi pour contempler mes paysages d'automne. Mes préférés.

Les ors lourds et les roux profonds sourdent de la terre. Les verts fatigués de l'été s'en ternissent.

La lumière est de cristal pur.  La nature est belle de sa pleine maturité, belle de sa fragilité à l'approche de l'hiver. Belle comme est beau ce qu'on sait à perdre bientôt.


19h30 






J'apprends la lumière des saisons dans mon nouveau cadre de vie.

Un rai de soleil couchant vient allumer cette image, juste au dessus de l'escalier de l'étable.
La lumière plonge avec moi, quand je descends, le soir, soigner les velles. Elles m'attendent à la barrière.
Comme elles restent dedans pour la nuit, je les  attache à leurs places, maintenant. Leurs rations mangées, elles se couchent dans le paillage, tranquilles, face à face, le plus souvent. Je les regarde longuement, le soir, une tasse fumante à la main, assise confortablement sur les marches larges, les chiens groupés autour de moi.
Je  libère les velles au matin, après leur repas, et elles passent ensuite la journée libres de rester dedans ou d'aller dehors.

Notre quotidien est ainsi établi, pour le temps où elles continuent de sortir en journée.


Dimanche 3 octobre 2021  19h


Nous avons travaillé d'arrache-pied, hier, à la jardinerie. Ma pépinière s'apprête pour l'arrivée massive des plants de fruitiers. Comme le dit Benoît, "nous n'avons pas trié des lentilles, aujourd'hui" ! Je suis arrivée au soir, fourbue, mais contente.
Aujourd'hui, la journée est de repos total. Les fortes pluies sont arrivées dans la nuit. Les averses cinglent, dehors, et ici, je suis à l'abri. La maison reste douillette, sûre. J'y suis bien.
La dernière hirondelle est partie hier. Plus de pépiement au matin, dans l'étable.
Je surveille mes entrées d'eau dans la porcherie-remise. Elles sont bien taquines, un peu perfides, à goutter un jour ici, et l'autre là. J'ai l'impression d'un mieux. Je le veux tant, disons, que je me le fabrique, peut-être... L'hiver parlera plus clair.

Je suis bien consciente de m'enkyster, de plus en plus resserrée sur un noyau étréci.
Je me sens tellement bien de ces journées à l'équilibre pour moi parfait, entre petites occupations légères et agréables, visites fraternelles et amicales, plages de repos et de détente. J'ai du temps, de l'espace, pour moi. Je savoure des moments de solitude, de liberté, où je ne tiens compte que de moi-même et de mes bêtes. 
Je retrouve ce sentiment que j'avais, quand, très rarement, mes parents s'absentaient pour la journée, et me laissaient la ferme en garde. De ce que je me souvienne, ça n'arrivait que lorsqu'ils allaient consulter le rebouteux, à Juxue, à l'époque. Ils partaient le matin, et ne revenaient qu'au soir. Mes frères étaient au travail, je préparais juste leur déjeuner. Pour le reste, j'étais libre d'organiser ma journée à ma guise. J'expédiais les quelques tâches courantes et une ou autre mission confiée, et je savourais cette sensation d'être la seule maîtresse des lieux, et de moi-même.
J'aimais m'occuper des bêtes à ma manière. Je m'acquittais consciencieusement de mon travail, et aimais à faire des rondes d'inspection, pour m'assurer que tout était en ordre.
J'ai gardé l'usage de ces rondes. Au fil du temps, elles ont tourné plus court, au fur et à mesure de l'extinction des activités. Quand j'allais depuis le fond du potager, revenant par le poulailler, remontant aux clapiers, virant par la porcherie et finissant à l'étable, je me suffis maintenant de descendre aux velles, pousser jusqu'à la remise toute proche, et remonter faire le tour de mes quatre volets. Quand avant j'en avais vingt.
Ma tournée d'inspection suit une juste courbe de vie, elle s'amenuise.



Lundi 4 octobre 2021 15 h

Je reprends le cours mou de mes pensées floues.

Je sens bien que mon périmètre est étroit, que mon horizon n'est pas bien haut. Les bruits du monde en marche, je les laisse dehors, ils ne m'atteignent pas. Je ne m'intéresse pas à l'actualité, je ne suis curieuse de rien. Honte à moi !
Bêtement satisfaite de mon quotidien étriqué, béatement passive et inerte. Bovine. 

Hermétiquement in-citoyenne. Jusqu'à il y a très peu, quand une de mes nièces me l'a rectifié, j'ai pensé que le nouveau candidat aux élections présidentielles était l'humoriste. Je confondais Eric Zemmour, et Elie Semoun ! Je faisais le rapprochement avec l'initiative de Coluche, en son temps. Personne ne me reprenait, non plus, mettant sans doute cette analogie oiseuse sur le compte d'un de mes raisonnements foireux. 
Je remarque au passage que si, de mon côté, je me ferme au monde, le monde, lui, ne cherche vraiment pas à franchir ma porte ! Par le monde, j'entends, les gens. Il semble établi maintenant que ma contribution à la marche générale des affaires soit inconsistante. On ne fait plus trop attention à ce que je dis. Comme le disais mon grand-père : "Nere erranak ez dik pittorik balio !" : ma parole ne vaut pas grand chose. 
J'ai eu à un moment l'impression de peser, de compter, dans un cercle un peu élargi. Ca flattait mon ego, ça me rendait importante. Maintenant, de fait, on m'écoute à peine, et on me suit moins encore. C'est assez déconcertant, je l'avoue, surtout en début de processus. On ne comprend pas tout de suite où et quand s'est perdue la flamme. Comment d'influenceur, on vire insignifiant. On s'étonne, on cherche.... puis, on abandonne, quand comme moi on s'est décidé à laisser pisser ! Pour s'accrocher à ce qui vous glisse entre les doigts, il faut une ténacité et un allant que je n'ai plus. Il y faut surtout un besoin et une envie que je n'ai pas, là où je suis rendue.

J'en suis pour l'heure à un stade suffisamment avancé, pour me sentir moins pincée par la blessure d'un orgueil bafoué. J'y trouve même le confort indéniable de ne plus me sentir "pièce maîtresse" dans un édifice où l'on se passe très bien de ma pierre. Ce que je dis importe peu. Alors, je n'ai plus besoin de me casser la tête et de faire le tri dans une spontanéité toute heureuse d'être ainsi débridée. Je babille, sans intention particulière ni sens avéré, juste pour écouter la musiquette de mes mots, et la laisser entendre à ceux qui veulent bien l'écouter. S'il s'en trouve de moins en moins,  ça allège d'autant le restant de sentiment de responsabilité que je pouvais me sentir !
Là encore, la juste courbe de mes popularités s'amenuise.

Je comprends tout à fait cette mise à l'écart, et elle m'arrange assez dans mon projet d'"enkystement" volontaire.
Mon mode de vie spartiate ne tente pas grand monde. Mes propositions de sortie sont toujours les mêmes, et ne m'éloignent jamais d'ici. On fait avec moi ma balade une fois, charmé, deux fois, trois fois, et puis bon, on irait bien ailleurs, histoire de changer. Quand moi, non, changer, je ne veux pas ! 
Je tente une nouveauté, exceptionnellement, pour faire plaisir. Mais je reviens vite à mon basique, ici, où, pour moi, j'ai tout ce que je pourrais vouloir, sans bouger plus loin.
L'ermite fait rarement salon, on le sait.

Je le fais d'après moi bien assez, salon. Je reçois avec grand plaisir autour de ma table l'un ou l'autre, en conversations diverties, faussement profondes le plus souvent. Ca aussi, je dois le reconnaître : je manque totalement de profondeur, renonçant bien vite à creuser un sujet, même si à l'abord il m'intéresse. 

Je survole, superficielle, curieuse d'un peu tout, mais de tout très peu.

Ca fait de moi une écoutante honorable, agréable, je l'espère, mais guère plus. Après tout, c'est déjà pas mal, et là, c'est tout ce que j'ai envie de donner.

Je regretterai peut-être amèrement un jour de ne pas m'être davantage intéressée à autre chose qu'à mon petit univers en vase clos et opaque. De m'être persuadée qu'autour, il n'y avait pas grand chose de plus qu'ici, ni de mieux. De m'être "contentée" de, au lieu de "chercher" à. 
D'être passive, molle, complètement in-activiste.
De rester sur le plancher des vaches, de ne jamais risquer de heurter ce "plafond de verre", où l'avancée légitime se heurte à une barrière injustifiable, mais pourtant infranchissable. 
Je suis restée petit joueur, préférant l'en deçà confortable d'une limite plutôt que sa confrontation potentiellement douloureuse. Je ne me sens pas maintenant l'âme plus guerrière, et m'apprête petitement à entrer en vieillesse, sans bruits ni éclats.
Ce qui m'a fait vie tout à fait agréable jusqu'ici, peut continuer, encore, je le crois. Je l'espère.

Ma seule recherche, ou ébauche de recherche, plutôt, a été introspective, une fois encore, avec la visée de sphères intimes universelles, bien au delà de nos individualités. Ce qui m'anime, ai-je toujours pensé, anime aussi les autres. S'intéresser à ce matériau à portée, c'est découvrir la constitution et le fonctionnement de tous les êtres autour, bâtis sur les mêmes mécanismes psychologiques.
Ca rend mon égocentrisme pathétique plus honorable, puisque dans les faits, ma recherche ne s'applique qu'à moi, mais vaudrait pour tous. 
Inutile alors d'aller quêter dans le vaste monde, ce que je vais aussi bien trouver dans le mien, tout petit. La compréhension la plus large ne nécessiterait pas l'investigation éreintante d'une aire à la diversité ébouriffante. La clé est en soi, et juste là.
Comme c'est pratique, dans mon cas !
Je ne suis pas insignifiante et égoïste, non, je suis... sage ! Revenue de tout, sans être jamais partie.
La Candide d'un Voltaire tout de même poussé dans ses réflexions, arrivée à la même conclusion sans avoir entrepris le moindre voyage : "cultivons notre jardin".

Allez, je vais laisser là mes élucubrations qui tournent toujours en eau de boudin, et mettre en mouvement ma vieille carcasse encore endolorie. Happer le soleil amical, respirer la brise vive.
Vivre ma petite vie, en une intensité toute intérieure...


Dimanche 10 octobre 2021  9h




Le soleil lape les maïs blanchis. L'eau se retire des plants, et migre dans le grain où l'amidon s'organise.








Une coulée de brume s'allonge dans la combe peu profonde.

L'ambiance est à l'automne, toute, avec les petits matins frais de journées plus brèves.




Ttony est une velle "indoor". Elle ferait très bien sa vie en intérieur.
Mufle planté dans la balle odorante, elle ignore les appels de Petra qui préfère brouter l'herbe fraîche, même durcie de la fin de saison.

Au bout d'un moment, elle se décide quand-même à rejoindre sa sœur. Mais sera la première à se rapatrier dans l'étable, où j'ai préparé pour elles un paillage tout frais.

 


Ces deux là font leur vie là dedans sans histoire, et l'histoire de la mienne s'y fait aussi en grande partie.



Lundi 11 octobre 2021  15h30





Une sauterelle géante arpente la prairie, et ramène les deux colonnes d'Agamemnon entre lesquelles Zaldi aimait passer sa tête.
Le paysage change de ces tours disparues. Un rapace avait pris l'usage de se percher sur l'un de ces pylônes maintenant enlevés, au bout de l'ancien potager. Il migre depuis sur un gros câble proche, malcommode d'un appui oscillant. J'imagine son regard déjà peu sympathique s'acérer encore de ce désagrément. Les pauvres mulots et campagnols qu'il chaparde doivent sentir passer sa mauvaise humeur. 
Si tant est que sans ça, ils auraient eu l'heur d'apprécier une tournure plus tendre...


Vendredi 15 octobre 2021 18h30

Les gris pommellent au dessus de la baie métallique immobile en pied du Jaïzkibel bleuté. Les maïs moissonnés me rendent la crique de Fontarrabie.
J'ai toujours aimé ce moment de l'année : le moment des récoltes, celui de remplir les greniers. On remise dans les granges les balles joufflues des fougères rousses. Les pans de mon paysage pâlissent  et se grisent de l'hiver à venir.
TtonytaPetra restent de plus en plus à l'étable. Là, elles sont déjà revenues du pré. Les chiens récoltent les graines gluantes de chiendent accrochées à leurs poils. 
La nature prépare le sommeil hivernal, et la renaissance derrière.

J'ai eu une journée assez productive. J'ai calé là dedans plusieurs petites courses. Je n'aime pas descendre "en ville". Les placards à remplir m'y obligent pourtant. Pour compenser, j'ai agrémenté ma sortie de la tournée bibliothèque, et cimetière. Je choisis très vite les livres que j'emprunte. Je m'arrête le plus souvent à la première table, où sont proposées les nouveautés, j'imagine. Je pioche trois ou quatre ouvrages, balayant rapidement la quatrième page de couverture. Et je ressors, mon butin sous le bras, pressée de quitter le cœur urbain pourtant assez calme. Je ne suis vraiment pas citadine !
Jusqu'à il y a peu, je m'obligeais à lire les livres que j'avais pris jusqu'au bout, même s'ils ne me plaisaient pas. Comme on finit son assiette, puisqu'elle vous a été servie. Maintenant, je m'autorise à refermer et rendre sans l'avoir lu, un ouvrage auquel je n'accroche pas. Sans insister. Je n'ai pas envie de perdre mon temps de lecture en ennui. Quitte sûrement à passer à côté de jolis moments, mal amenés par un début insipide. Mais bon, on ne souffre pas de la perte de ce qu'on ignore, n'est-il pas ? Et c'est aussi bien comme ça !

Le cimetière m'est plus attrayant. Les chiens peuvent sortir de la voiture, et flairer les tombes, sans déranger grand monde. Aujourd'hui, nous avons été contrariés dans notre projet de promenade dans le sous-bois proche, par la présence de plusieurs personnes et de leurs chiens, campant juste à côté. Je me suis contentée d'attraper ma fameuse plaque "à notre père et mère regrettés", pour en rafraîchir le lettrage. Toujours amusée par la tournure étrange, je me suis appliquée, langue tirée, et doigts crispés sur un pinceau vite prompt à déborder.
Je ne l'ai pas trop mal réussie, suffisamment du moins pour la reposer sur la tombe, dimanche prochain. Ma composition pervenche-kalenchoé résiste aussi plutôt bien, pour le moment. Sur ce front là aussi, tout est en ordre.

Un petit chapeautage des piquets de clôture avant l'hiver, histoire d'éviter les entrées d'eau par le dessus, a suffi à me donner le sentiment d'être prête pour la mauvaise saison. Pas de tournée des installations extérieures, ici. Il n'y en a pas ! Pas de bois à rentrer pour le poêle. Pas de calfeutrage de volets à prévoir. Le confort à tous les étages, et toutes saisons. C'est bien appréciable.
J'en ai fini aussi des caisses de betteraves à rentrer, des tonnes de citrouilles à étaler dans le grenier. TtonyytaPetra sont au régime son-luzerne-foin, en intérieur. Elles iront peut-être aussi au pré, si nos modalités d'hivernage en conviennent.

Je vais demain me faire une virée à Rivière, profiter de la beauté de la forêt d'automne. 
L'année dernière, j'étais sur le point de tenter une migration. Pour voir, essayer. Je m'étais donnée jusqu'à la fin de l'année, pour décider.

Et le déluge survint... 
Noyant de boue grise la forêt somptueuse et ses attraits enchanteurs.

Contre les éléments, on ne peut rien !
Vu d'ici, ça m'arrangeait plutôt bien...


Samedi 17 octobre 2021  8 à  19h





La journée sera belle. Ennuagée le matin, peut-être.
Je me mets en route vers le nord.





Je découvre cette pinède avec Olivier. Lors de mes séjours précédents, j'ai toujours été dans la forêt de feuillus, de l'autre côté de la bourgade. Les futs noirs, droits, longs, balisent des chemins de sable blanc. L'étang envasé ponctué de tertres herbus miroite doucement. Le ciel est encore gris. Le silence accueille nos bavardages délités.








L'après-midi, je reviens à mes amours : la grande forêt de Rivière.
Les chevaux attroupés à l'ombrage des hauts chênes escortent mon entrée. La plupart des femelles sont suitées. J'en reconnais quelques unes. Elles, m'ignorent.





Les feuilles sont encore bien vertes, ici. Les couleurs d'automne n'ont pas instillé leurs ors et leurs pourpres. A ma prochaine visite, en novembre, sans doute, si quelques petits matins vifs ont carminé les frondaisons, je pourrai admirer les palettes flamboyantes sur les arbres prêts à se dénuder.
Notre "vénérable" nous attend. La marque triangle sur son flanc est palie. Mais là, encore.





Les lourds chevaux barthais s'attroupent autour de cette mare pour s'y abreuver.






Dans la maison du bois, ces deux là restent à l'ombre. Notre ami l'âne est juste à côté. Comme il est en conversation civile, nous n'avons pas voulu le déranger.





Malgré mes hanches endolories depuis quelques jours, j'ai voulu pousser jusqu'au bord Adour.
L'or d'automne m'y attendait, discret encore, mais profond de se mirer dans l'eau plane.

Nous sommes rentrés à la ferme avec Olivier. J'avais fait provision des beautés de son monde.



Dimanche 17 octobre 2021  19h


Une journée de total repos nous amène à un soir paisible, fondu dans les gris d'un plomb liquide immobile.
Le grand silence d'après les machines de récolte se pose sur un monde tranquille.
L'air est très doux. Je regarde le crépuscule ciseler l'ombre des silhouettes des grands arbres devant moi, assise à ma petite table ronde.
Je sens la détente descendre en moi comme une nappe de miel tiède.
Je garde le souvenir de plusieurs de ces moments parfaits, précieusement. Ils me sont comme les petits galets lisses où l'on retrouve la chaleur des vacances, dès qu'on les fait rouler dans sa main.