Mercredi 18 Août 2021 16h30
Il fait désagréablement frais pour la saison. Les journées maussades laissent percer peu de soleil. Très bon temps pour le travailleur en extérieur, et pour la nature, verdoyante comme en Avril.
J'attends la grande Katrin.
Ttony me fait souci.
Ces derniers jours, elle était plus calme, plus dolente. Sans plus. Elle continue de se nourrir, mais se montre moins empressée à l'auge. Elle va et vient, placide, les oreilles un peu basses. A première vue, une petite velle tranquille et sans histoires. Pour qui ne la connaît pas.
Moi qui l'ai vue enjouée, va-t-en-guerre, rustaude, voire, un tantinet brutale, j'ai noté ce très net virage dans son comportement. Des deux, Ttony devient la plus docile, se laissant attacher, même sans la distraction de sa ration, sans tirer, sans chercher à se dégager. Curieux, commode, mais curieux.
J'ai d'abord mis son changement d'attitude sur le compte d'un mûrissement, ou d'un phénomène de mimétisme avec Petra, où l'élève aurait dépassé le maître.
J'ai quand-même remarqué lors du brossage que ma Ttony perdait beaucoup de poils. Nous ne sommes pourtant pas en sortie d'hiver. A surveiller.
Je date ces indices d'une bonne semaine, ou à peine plus.
Les deux petites sont ici depuis un mois et demi. Elles ont exactement les mêmes conditions de vie. Pour autant, l'une peut très bien changer, et l'autre pas. TtonytaPetra restent deux !
En petite alarme dans ma tête, j'avais marqué sur mon calendrier d'étable, la date de la vermifugation : lundi 9 Août.
Ttony toussote, depuis son arrivée. Rien d'inquiétant. Les vers peuvent produire ce genre de toux, même en infestation modérée. J'ai l'usage de toute façon de vermifuger mes bêtes, deux fois l'an.
J'applique un produit en cutané, à verser doucement le long de l'arête dorsale.
Tout de suite après l'opération, Ttony avait réagi, essayant de se lécher le dos, incommodée. Petra de son côté ne cillait pas. J'avais appliqué la même quantité sur les deux velles, puisque leur poids est sensiblement le même, à vue d'œil. Dans les 200 kgs, je dirais, en prenant la limite basse. Ca me faisait 20ml de solution à épandre, sur chacune. Je préfère ne pas surdoser mes médications, quitte à y revenir si nécessaire.
Le jour d'après et le suivant, Ttony comme Petra semblaient parfaitement bien, insouciantes et pleines d'allant.
En cherchant à dater le début de la baisse de forme de Ttony, j'ai repris les images de ce "bloc". (Encore une application de la plus haute utilité !).
Début Août, la semaine d'avant la vermifugation, Ttony se présente fiérotte, tête haute et oreilles bien droites.
Le vendredi 13 Août, déjà, soient 4 jours après, je vois Ttony un peu abattue, près de la murette, quand Petra reste égale à elle-même. Ce jour là, j'ai pris le cliché sans m'inquiéter de la posture en berne de ma blondinette.
C'est hier matin, quand elles sont rentrées dans la nuit pour leur repas du matin, que j'ai trouvé Ttony bizarre, arrivant bien après Petra, et sans trop d'enthousiasme. Auparavant, les bouloches de poils roux récupérés sur la brosse m'avaient interpellée, sans plus. L'information était juste imprimée dans un coin de ma tête, au cas où. Là où, seul, le signal serait resté anodin, la concomitance des deux les rendait signifiants.
Je travaillais, hier. Je n'ai pas pu m'attarder en observations.
Au soir, sur le chemin du retour, en passant devant Orio, je jette un œil sur mon pré visible depuis là. Hier, je vois Petra paître. Ttony couchée, un peu plus loin. Aïe...
Je rentre. Je descends, je garnis les mangeoires, je hèle mes belles.
Petra relève la tête, Ttony se lève. Elles arrivent, l'une derrière l'autre, Ttony toujours mollasse.
Je décide de les garder là pour la nuit. Je ferme la grande porte métallique. Petra ratisse goulument son auge, quand Ttony grapille. Je les ai attachées toutes les deux, pour que chacune puisse terminer sa ration tranquillement.
Ttony ne parait pas trop mal. Pas tout à fait bien non plus. J'avais dispersé dans son bol ma sacro-sainte aspirine, remède miracle. En cas d'inflammation, elle soulage, et la bête manifeste un mieux très rapidement. Là, non. Re-Aïe...
J'avais espéré que Ttony nous fasse juste une petite crise de croissance, quand les articulations ont du mal à suivre le rythme. Mon aspirine l'aurait alors décrispée. Mais non, ça ne paraissait pas être ça.
J'ai laissé TtonytaPetra couchées dans un bon paillage. Ttony ne demandait rien de plus, souffreteuse.
Petra boudait un peu dans son coin : les autres jours, à ce moment là, elles se gobergent toutes les deux dans le frais du soir. Bonne copine quand-même, elle n'a pas réclamé la sortie.
Les hirondelles se sont postées au dessus d'elles en sentinelles.
Je suis restée un moment, assise sur les marches en bois.
J'aime toujours autant cette ambiance d'étable, quand les bêtes se reposent, bien confortables. Là, l'état de Ttony gâchait la perfection de la scène, évidemment.
Mais je me suis dit que, puisque maintenant, à l'heure où je les soigne avant d'aller travailler, il fait encore nuit noire, je ferais aussi bien de les garder dedans la nuit, plutôt que de les avoir dehors, dans l'obscurité, et de devoir aller les y chercher.
Je profiterai de ces soirées calmes, apaisantes, à regarder mes velles ruminer leur bien-être, et le mien.
Ce matin, le tableau n'était ni pire ni mieux.
Ayant fait le tour de mon savoir médical, j'ai avisé la grande Katrin. Et, en attendant sa visite prévue pour la fin d'après-midi, observé ma bête. Atonie légère. Pas de fièvre. Présence d'une rougeur en médaillon près de la vulve, irritable au toucher. Selles légèrement glaireuses, urines normales. Rumination à peine laborieuse. Appétit correct. Mouvement alenti, mais souple encore.
J'ai soigneusement répertorié mes symptômes, prélevé les échantillons marquants, en vue de faciliter le diagnostic de la grande teutonne.
Dans l'après-midi, le médaillon près de la vulve a pali, presque disparu, pour qui ne l'aurait pas remarqué avant. Ttony parait mieux.
J'attends quand-même le passage de la vétérinaire, avant de lever mon inquiétude.
Et me la voilà, là.
18h
Katrin est passée.
A scrupuleusement examiné, palpé, écouté Ttony. Ma petite souffrante s'est laissée faire sans bouger, déjà un signe en soi.
Rien d'alarmant, d'après Katrin. Une réaction au vermifuge, possible. Plus sûrement, une piqure, de guêpe ou de serpent, près de cette petite vulve tendre. La bête est mieux. Je continue l'aspirine sur deux trois jours. Et on avise, pour la fin de semaine.
La grande Katrin est repartie, emportant avec elle mes inquiétudes.
J'ai sorti TtonytaPetra au pré. Je les rentrerai tout à l'heure. Pour la soirée idéale projetée.
Si j'étais moins à l'affût, je n'aurais même pas remarqué l'épisode.
Je me serais épargnée une demi-journée tracassée.
Si j'étais moins à l'affût, je serais une autre, et cet autre ne connaîtrait peut-être pas ce plaisir particulier d'être au plus près de ses bêtes.
Je vais promener ma meute entre les fougeraies somptueuses de cet été maussade.
Vendredi 20 Août 2021 7h30
Le très visible, ici, c'est la complicité et l'attachement de ces deux là.
L'une patraque, l'autre réconfortante, par sa présence et ses câlins.
Je reste à les veiller. Puisque ce rôle m'a toujours gratifiée.
Dimanche 22 Août 2021 10h
Une escadrille d'une demi-douzaine d'hirondelles investit l'étable. Les nids sont inspectés, essayés. Les deux adultes autochtones s'affolent un peu de cette invasion.
Moi, j'en suis toute contente. J'imagine que ces hirondelles, sur le départ dans moins d'un mois, repèrent leurs points de chute pour l'année prochaine. Et que mon étable peut-être dans les nominés.
Les trois premières nichées de la vieille étable ont eu le temps de sortir. Pour les secondes, elles se sont délocalisées dans le garage d'Antton.
Il y a eu deux fois quatre couvées, cette année, à la ferme. Il y en avait le double, dans mon jeune temps. A la mi-septembre, à quelques jours du départ, près de quatre-vingts hirondelles s'alignaient sur les tuyaux de la trayeuse, le long du mur, ici en dessous. Au petit matin, quand j'allumais la lumière dans l'étable, un raffut de pépiements sous les poutres s'agitait en une sarabande de vols saccadés. Pour l'année dernière, il n'y en n'avait plus qu'une quarantaine. Ca faisait quand-même un joli mouvement.
Cette année, je vais bien voir où vont se regrouper les locales. Et combien il y en aura.
Cette histoire d'hirondelles me tient. L'installation ici peut en loger plusieurs couples. Mais ces petites voudront-elles agréer mes propositions ? Je le saurai l'année prochaine.
C'est déjà bien que ce seul petit couple ait consenti à rester, dans les conditions si chahutées de ce printemps. Et que les trois autres aient pu tant bien que mal sortir leurs petits.
TtonytaPetra vont bien.
Ma petite miel clair a retrouvé son allant, et sa robe soyeuse.
Je compare leurs images, à maintenant 7 semaines d'intervalle.
Elles remplissent mieux la stalle. Et toujours aussi bien mes jours.
Leurs caractères se sont métissés.
Ttony s'est adoucie, surtout après son épisode souffreteux de la semaine dernière.
Petra, contrariée de la contrainte d'enfermement imposée par sa sœur, s'est agacée. Elle en est devenue un peu impatiente, presque bourrue dans ses mouvements.
Elle a pris en forces, et, des deux, c'est maintenant la plus gourmande, la plus empressée à l'auge.
Elles évoluent. Leur observation m'est une occupation très prenante.
Entre elles et les hirondelles, mes jours passent comme les flammes qui chatoient sur le pelage auburn de Petra.
Lundi 30 Août 2021 11h14
La semaine a filé.
Quelques administratifs à boucler m'ont mobilisée.
Les affaires sont en ordre et on m'a maintenant octroyé le permis de mourir en paix. Que le Seigneur nous entende...
On m'a aussi accordé, en attendant, celui de vivre sereine, et je compte bien en user !
D'être née, on ne peut quand-même pas raisonnablement me le reprocher. Je me sens exempte du péché de m'être accrochée à l'étincelle de passage. C'était le réflexe de survie d'une âme en attente, et je n'y pouvais rien.
La faucheuse implacable assoiffée de blé vert nous a fait sentir le froid de sa lame, à la jardinerie.
Dans ces circonstances, une petite remise à zéro frissonne dans nos certitudes de mortels aveuglés sainement. Puis passe... heureusement !
Dans mes mauvais moments, le petit frisson frémit trop longtemps. La molécule pare.
Je reste quand-même persuadée d'avoir raison dans ma lucidité. Raison aussi de la museler, de plus en plus souvent. Quitte à passer pour une benêt...te ! J'ai renoncé à faire valoir une perception aiguisée et tranchante. Parce-que j'en ai suffisamment expérimenté les dommages, collatéraux et centraux.
Parce-que j'intègre aussi plus facilement le doute maintenant de ne pas être simplement taxée d'être une imbécile, mais d'en être vraiment une !
Je transfère ainsi la visée de mon agressivité pointée dans le premier cas de figure sur autrui. Pour le dévier vers une conjonction génétique arbitraire seule responsable de mon manque de discernement. Je bénéficie ainsi d'une totale exonération de toute charge mentale, posée sur moi, ou sur les autres, injustement jugés coupables de la vilenie de me méjuger.
Revêtir consentante la vêture d'une béate bienheureuse me paraît hautement plus confortable maintenant.
Je ne fais évidemment pas l'économie de quelques sursauts d'un orgueil mal endormi. J'ai si longtemps été persuadée de ma perspicacité et de la finesse d'analyse de mes constructions mentales, que je ne fais pas facilement le deuil de cette arrogance.
Mes synapses en surchauffe m'ont obligée à reconsidérer mes positions.
Je ne m'en trouve pas trop mal, dans l'ensemble. Et ma seule certitude à présent, est que la pente étant amorcée descendante, j'ai tout intérêt à me laisser gentiment porter par les flots. N'est pas saumon canadien qui le veut, et remonter à contre-courant, je n'y pense même pas !
J'ai connu la jeunesse, cette présomption de force, et cette énergie formidable. Je l'ai intensément vécue.
Je connais maintenant l'entrée en vieillesse. Ma très longue confrontation, même par procuration, à ses misères et ses sagesses m'aura peut-être bien préparée à la vivre au mieux.
Ou pas. On verra...
Par un de ces enchainements hasardeux où les maillons s'étirent au risque de rompre, j'en viens à l'évocation de la corde à fougère.
Ces temps-ci, le chantier étant pour le gros terminé, nous vaquons distraitement avec Olivier à quelques perfectionnements légers.
Dans l'étable, ma balle de fougère s'amenuise. Dans le même temps, TtonytaPetra grandissent, et s'alourdissent. Cette balle de fougère est dans leur aire. Sans intervention particulière, le scénario est assez vite torché : TtonytaPetra vont renverser la balle, la faire rouler, bouler. S'en amuser follement, et me l'envoyer dans le pré, où elle ira s'écheveler jusque chez Conchita.
Ca ne va pas.
Pallier cette avanie nous a paru tout simple. Je n'ai pas la place pour mettre la fougère hors de l'aire de la stabulation. Il faut donc l'arrimer là où elle est, de façon à la garder à portée, pour utilisation, sans la laisser devenir le jouet de mes velles endiablées.
Je suis très adepte des solutions les plus simples, et les moins coûteuses. Une barrière en biais aurait très bien pu faire l'affaire. Mais d'une, il y a déjà bien assez de galvanisé dans les parages, et de deux, ce serait encore un coût, trop pénible pour moi qui ais verrouillé mon budget installation, toute effarée et haletante.
Nous nous sommes concertés, avec mon Olivier. Et accordés sur le principe d'une simple corde, passée dans des pitons solidement fichés dans le mur, de part et d'autre de la balle, positionnée dans l'angle. Ainsi, la fougère reste accessible, mais non amovible. Le dispositif est léger, facile à adapter.
Surtout, sa mise en œuvre ne demande aucun matériel supplémentaire, puisque nous avons les pitons, et la corde. Des cordes, j'en avais un plein coffre, de toutes tailles et textures.
En farfouillant dans ma réserve, une onde émotionnelle a sinué en moi en un parcours tiède amer.
Une longe, verte, neuve, a glissé dans mes doigts. Je l'ai tirée à moi.
Cette longe, j'en avais fait l'achat à l'un des retours de l'hôpital de mon père. A l'époque, il était tellement agité qu'il fallait l'attacher, dans son fauteuil ou dans son lit. Sinon, incapable de marcher ni même de se tenir debout, il s'écroulait au sol, et se blessait en essayant de se relever.
Ca semblait une contention barbare, et un restant de sensiblerie me rendait l'opération difficile. Je m'y résolus quand-même, plus pratique que mignarde.
Nous avions bien l'ordonnance pour un dispositif académiquement médicalisé. Je l'avais soigneusement étudié, à l'hôpital. A l'issue de fines observations, je conclus qu'une bonne et simple corde ferait parfaitement l'affaire, avec une solide manille en bout, pour l'accrocher à l'armature du lit métallique. Elle serait tout aussi efficace, et mieux dans le ton.
Pour autant, un restant de conscience juste au dessus de l'animale, me fit faire cette démarche incongrue : je fis à la jardinerie l'achat d'une longe en chanvre souple, flambant neuve, quand nous avions à la ferme toute une panoplie de cordages en tous genres.
Fallait-il que je sois chamboulée !
Ainsi, l'homme vénérable fut contenu, avec tous les égards dus à son rang honorable...
L'épisode passa, heureusement. Mon père retrouva ses esprits, puis ses jambes, et vécut et dormit de longues années encore, en toute paix et libéré de toute entrave.
J'ai ce matin encore été arroser la pervenche que j'ai déposée dernièrement sur sa tombe, et nous avons ensemble bien ri de cette péripétie.
C'est incroyable, ces petites pervenches. Elles paraissent fragiles comme du verre, et résistent à tout, chaleur ou sécheresse !
Tout le contraire de moi, rustique paysanne en apparence, et si vulnérable et manipulable, de constitution...
Les journées sont magnifiques. Pures, vives, saines.
TtonytaPetra prennent l'air, hument le levant, la mer, et rentrent prendre un peu de repos.
Les hirondelles pépient au dessus d'elles.
Mon monde est parfait.